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Agroforesterie et projet de paysage

La transition territoriale par le paysage productif

Thèse réalisée sous la direction d’Yves Petit-Berghem

 

S’il est convenu que l’agriculteur est par essence créateur de paysage, son action dans le territoire n’est pas considérée comme composante de l’aménagement à part entière, et la parcelle agricole souvent considérée comme « réserve foncière ». L’agriculteur se considèrera plutôt comme un producteur de ressources et non de paysage.

Dans un contexte où cette production connait une crise importante, la mutation des pratiques qui s’engage et les enjeux qu’elle questionne tant en termes de société, d’économie ou de production paysagère, doivent être anticipés et étudiés. En ce sens, l’objectif de la thèse est d’alimenter la réflexion sur l’agroforesterie à la fois comme outil de production, mais aussi comme mode de création de paysages et de nouveaux enjeux sociétaux par des projets concertés. La recherche autour des paysages agroforestiers permettrait d’apporter une connaissance partagée et un outil crédible à l’usage des acteurs du territoire, confrontés à des logiques d’économie territoriale et de lien social.

L’agroforesterie propose des solutions innovantes en faisant le pari de la complexité et du mélange. Les pratiques associant arbres, cultures et élevage sont en rupture avec le paradigme productiviste de l’agriculture et de la foresterie qui fut longtemps la règle, imposant une simplification du système censée garantir rendements maximums et gestion à moindre coût. Avec l’agroforesterie, les systèmes se renouvellent et forgent de nouveaux rapports entre l’homme et la terre. Rompant avec l’uniformité, ces systèmes assurent de nombreuses fonctions économiques et écologiques et se placent en position de force pour répondre aux critères du développement durable.

Au-delà des arguments écologiques et économiques, l’agroforesterie compose avec les territoires, leviers d’innovations et de projets : l’objectif est de rassembler et d’identifier des pratiques amenant la réconciliation des villes et des campagnes, dans une économie de proximité qui replace l’agriculture au centre du jeu.

Les paysagistes font partie des artisans de cette réconciliation, explicitant les perspectives ouvertes par la symbiose entre arbres et cultures dans la construction de paysages agricoles durables.

Les différents modèles qui émergent en agroécologie s’inscrivent dans des projets agricoles qui cherchent à s’extraire d’un modèle normé et universel, pour répondre localement à des questions de résilience, de production et de consommation saine, de construction d’un bien commun. L’agroforesterie contemporaine prend aujourd’hui de multiples formes, du sylvo-pastoralisme à l’agro-photovoltaïque, elle intègre à la fois les méthodes ancestrales de culture comme les plus contemporaines, créant ainsi les paysages les plus variés. L’enjeu de cette recherche est de conduire, par une confrontation au terrain et aux pratiques des exploitants, une réflexion sur la portée paysagère et sociétale des projets agroforestiers. L’agroforesterie est donc à la fois vue comme un modèle de société concerté et comme un projet territorial, retissant du lien entre des mondes qui se tournent parfois le dos et qui sont pourtant interdépendants.

Une approche par le paysage permet à la fois de s’intéresser à la dynamique d’un système, d’analyser les représentations que s’en font les usagers et les acteurs qu’ils soient exploitants agricoles ou aménageurs, mais aussi d’intégrer l’économie générée par ces paysages. Quand la ville pense ses espaces publics en termes ‘productifs’ et accueille des projets d’agriculture urbaine, quand l’exploitant envisage son activité comme production paysagère s’intégrant dans une logique territoriale, l’agroforesterie s’immisce comme lien entre ville et campagne.

Le projet de thèse met en œuvre une démarche de recherche itérative s’inscrivant dans le domaine des théories et pratiques paysagistes et cristallise autour d’elle des enjeux liés à la question du développement durable. Dans un souci de réalité de terrain et « d’efficience » de la recherche, celle-ci s’emploiera à impliquer directement des acteurs cultivateurs de ces paysages agroforestiers, et s’appuiera sur des cas concrets en intégrant la réflexion des exploitants. Plus particulièrement dans le domaine du paysagisme et du projet territorial, pareille posture vise à saisir les points de vue des individus (parfois de collectifs) et produire avec eux du savoir sur les situations qu’ils rencontrent ; en une formule : faire qu’ils deviennent les savants de leur propre réalité.

Par la lecture et l’analyse critique permettant de confirmer ou infirmer les hypothèses émises plus haut, cette thèse ambitionne de parvenir à une meilleure compréhension de l’agroforesterie en ville et hors la ville dans des systèmes végétaux et agricoles qui forment la trame de la construction territoriale. Parallèlement, le travail contribuera à apporter une expertise scientifique, économique et sociale aux projets d’agroforesterie à différentes échelles, souvent décriés comme des anecdotes paysagères, et de prouver la cohérence territoriale de projets agroforestiers.

Les retombées sur le plan opérationnel seront de retisser un lien entre villes et campagnes, mais par le biais de leurs acteurs. Faire entrer les exploitants dans le jeu d’acteurs de l’aménagement, et inversement, d’apprendre aux acteurs locaux que leurs espaces publics peuvent être considérés comme des espaces productifs. La notion productive de ces paysages est à entendre d’une manière large et multiple et à différencier de la productivité ou rentabilité, bien qu’elle n’en soit pas fondamentalement décorrélée. La recherche apportera des éléments de réflexion sur la potentialité de ces espaces productifs à générer sinon du profit, au moins des économies de gestion et de retour sur investissement à très long terme. L’objet de la thèse est de montrer qu’il existe au-delà des bénéfices agronomiques, écologiques ou de biodiversité des potentialités de valorisation sociale, paysagère, mais également économiques de ces systèmes agroforestiers. On ne parle pas ici uniquement de rendement agricole ni de ligniculture, mais bien de la production d’un paysage bénéfique à de multiples niveaux, qui vient apporter une dimension stratégique à ces espaces au-delà du simple agrément.

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