Séminaire du 15 Novembre – Benjamin Chambelland

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Le Parc des Coteaux : « la sagesse du jardinier » pour une construction collective d’un paysage

Paysagiste de formation, et membre du collectif ALPAGE (Atelier de Paysage en Partage), Benjamin Chambelland s’intéresse et travaille à la construction collective des projets de paysage. Fondant ses méthodes sur la participation de toutes les parties prenantes des projets, élus, habitants et techniciens, il intervient à partir de 2012 à l’élaboration d’une Charte Intercommunale du Parc des Coteaux (Agglomération de Bordeaux) portée par le Grand Projet des Villes Rive Droite (GPV Rive Droite), Groupement d’Intérêt Public (GIP) regroupant quatre communes. En 2015, il rejoint en tant que doctorant le GIP, via un CIFRE (contrat industriel de formation par la recherche). Son poste, financé à 40% par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, se répartit entre le temps de recherche et d’écriture de sa thèse et ses actions sur le terrain, à savoir le parc des Coteaux.

Dans le cadre du Séminaire « Communs et paysage », Benjamin Chambelland revient dans un premier temps sur l’histoire, le contexte et la philosophie du projet intercommunal du Parc des Coteaux. Installé sur les coteaux de la Garonne, le Parc des Coteaux est la réunion d’une dizaine de parcs municipaux répartis sur quatre communes. Constitué d’anciens domaines urbanisés à partir des années 50, il est d’abord une continuité écologique (coulée verte mentionnée au schéma directeur en 1976, puis Trame Verte en milieu urbain à partir des années 2000) pour devenir à partir des années 2010 un objectif politique porté par le GPV Rive Droite de construction et de valorisation du territoire et de son paysage. Dans une optique de cohérence de gestion écologique et de définition des usages des parcs, mais également avec une volonté de favoriser le partage, l’appropriation par tous les acteurs et l’innovation, le projet du Parc des Coteaux aboutit en 2014 à la création du Parc Lab, dédié à la construction d’un outil « partagé, pratique et évolutif » (site https://www.surlarivedroite.fr/les-actions/parc-lab) de gestion du Parc et de mise en œuvre de la Charte Intercommunale et de son plan de gestion.

C’est à l’éclairage de ce contexte que Benjamin Chambelland développe dans un second temps les méthodes expérimentées dans le cadre du Parc Lab ou comment imaginer les modalités d’appropriation, de mise en œuvre mais aussi de pérennisation d’un plan de gestion intercommunale. Si la phase de diagnostic et d’étude intègre une équipe pluridisciplinaire composée de naturalistes, de forestiers, d’un sociologue et de communicants, il intègre aussi ceux qui en sont investis, à savoir les techniciens et agents des services espaces verts des communes. Il s’agit de dépasser la dimension écologique et technique du plan de gestion pour une construction sociale du projet de paysage, garante de sa cohérence et de sa pérennisation. L’exercice est d’autant plus déterminant que la gestion des parcs reste le fait de chaque commune, le choix politique ayant été fait de ne pas créer de syndicat intercommunal de gestion des espaces verts. Le Parc Lab invoque ainsi « la sagesse du jardinier », comme une forme de reconnaissance à construire, tant technique que culturelle, d’un savoir-faire partagé et à partager. D’agent, le technicien des espaces verts devient, ou plutôt redevient jardinier, porteur de valeurs contribuant à la création, à la valorisation et au partage d’un paysage. Il s’agit de reconstruire un langage commun à l’ensemble du personnel en charge de l’aménagement et de l’entretien du parc mais également de porter une dynamique non seulement auprès des élus locaux mais aussi auprès de la population. L’édition d’un guide de gestion regroupant une vingtaine de fiches thématiques à destination du grand public témoigne de ce parti pris de mobiliser les pratiques jardinières comme langage partagé par les différents acteurs du territoire.

Benjamin Chambelland parle ainsi d’éthique du projet comme une des réponses possibles aux prochains défis que devra relever le projet de Parc des Coteaux. Si en conclusion l’exposé évoque la nécessité de l’engagement politique des communes, notamment en terme de financement, il souligne aussi la complexité du jeu des acteurs parties prenantes au projet, et ce même au sein des collectivités et de leurs différentes directions. La pérennisation du projet nécessite de passer de représentations plurielles vers une vision partagée du paysage, de ses usages et de ses modes de gestion. Au-delà des collectivités gestionnaires, c’est aussi en intégrant les habitants, les bailleurs et associations de propriétaires (ASL, association de syndicat libre) et en parlant avec eux le langage du jardinier, et non uniquement celui de l’expert, que le projet de paysage pourrait se construire sereinement et durablement.

Séminaire du 20 Décembre – Catherine Larrère

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Thomas Cole, Mountain of Adirondacks, 1838

 

Communs, Paysage, Protection de la Nature

Catherine Larrère, philosophe et professeur émérite de l’université Paris 1

Dans une approche historique, Catherine Larrère interroge le lien entre communs, politiques de protection de la nature et référence au paysage.

Si le terme « Les communs » revient aujourd’hui, c’est sur les questions environnementales qu’on le retrouve le plus fréquemment. Catherine Larrère nous renvoie ici à deux conceptions initiales : celle développée en 1968 par Garett Hardin dans La tragédie des Communs et celle de Elinor Ostrom dans Governing the commons, paru en 1990.

Pour Garett Hardin, les communs sont définis comme une ressource, généralement naturelle, limitée et en libre accès mais dont l’usage abusif dans une situation de compétition conduit à un résultat perdant-perdant. Seules leur privatisation, dans une approche libérale, ou au contraire leur mise sous tutelle étatique, dans une approche socio-démocrate, peuvent en garantir la pérennité.

A cette conception s’oppose celle d’Elinor Ostrom qui soutient qu’il peut y avoir une gestion en commun de certaines ressources, échappant ainsi à la dualité état-privé. La référence aux communs induit alors une ressource, un collectif et des règles voire des méta-règles (pour modifier les règles).

La théorie des communs s’applique avant tout à des biens environnementaux. Pourtant la protection de la nature s’établit sur de tout autres bases. L’histoire des politiques de protection de la nature aux Etats-Unis, telle que définies dans la deuxième moitié du XIX° siècle à travers la création des parcs nationaux, est une mise à l’écart de la présence humaine et de ses usages, perçus comme antagonistes aux équilibres naturels. Il s’agit ici de préserver une nature « sauvage », que les peintres de l’époque comme Thomas Cole sublimeront dans une vision structurée par un regard esthétique – ce qu’Alain Roger nommera plus tard l’artialisation. L’exemple américain permet ainsi de s’interroger : la protection de la nature serait-elle en fait la protection des paysages ?

Pour Kenneth Robert Olwig, se référant au couple land/landscape, Land/Landschaft, le paysage, avant toute signification esthétique, a d’abord une signification politique.

A la fin du Moyen Age, le Landschaft est une unité politique formée par une communauté avec ses lois, mœurs et institutions. Les représentations de Bruegel ne peignent pas une géographie mais une organisation politique. C’est au début du XVII° siècle, sous Jacques 1er et la volonté d’unification de l’Ecosse et de l’Angleterre, que le landscape devient pictural et esthétique, outil d’une volonté monarchique. A partir du XVIII°, le Parc à l’Anglaise est institué comme représentation symbolique du tout jeune Royaume Uni.  Mais ces parcs, dessinés comme une vision idéalisée de la nature, s’étendent et se façonnent au détriment des paysans locaux, témoignant d’un rapport à la nature antagoniste à la notion de communs. Les parcs nationaux aux Etats-Unis qui eux aussi se sont créés au détriment des communs, indiens et colons qui s’y étaient établis étant exclus de ces espaces de nature protégée, peuvent à cet égard être perçus comme la transposition de l’idée des grands parcs du Royaume Uni.

Cette histoire peut être en partie transposée à la France. Les parcs nationaux français, à partir de la deuxième moitié du XX° siècle, sont un fait politique de l’Etat qui perpétue une pratique de gestion par de grands organismes étatiques (exemple de l’ONF dans les pays de montagne) niant les pratiques paysannes qui y avaient cours. En dissociant pays et paysage et selon la thèse d’Alain Roger, en envisageant le paysage comme une mise à distance esthétique, il y aurait là une forme d’élitisme niant les pratiques et les usages des communs.

Au regard de cette histoire, doit-on conclure qu’il y a vraiment antagonisme entre protection de la nature et communs ?

La thèse d’une protection de la Nature par l’élitisme paraît intenable : protéger la nature, c’est aussi protéger les modes de vies. La préservation des estives et le refus de la fermeture des milieux par le maintien du pâturage permettent aussi le maintien de la diversité écologique et en ce sens il n’est pas de raison de séparer pays et paysage.

Mais pour lever l’opposition entre protection de la nature et communs, il est également nécessaire de contester la définition d’Ostrom en remettant en cause l’idée de ressource : les communs ne doivent pas être liés aux ressources mais à l’habitat et au mode de vie, aux façons d’habiter. L’idée de ressource induit l’idée d’une quantification, économiste ou pas, qui introduit des biais et ne permet pas un langage commun.