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Brice Dacheux-Auzière
Sous la direction d’Yves Petit-Berghem
Quelles modalités d’écologisation de la pratique des
paysagistes-concepteurs français ?
L’exemple des projets de parcs publics de ces 4 dernières décennies.
Le cas de 5 parcs marseillais
Thèse de doctorat
Soutenance le 16 novembre à l’ENSP Marseille-Versailles
Introduction et contexte permettant de cadrer le sujet
L’intérêt des villes au regard de la préservation de la diversité biologique n’a cessé de croître ces dernières années et plusieurs d’entre elles tentent actuellement d’intégrer les objectifs nationaux relatifs à la biodiversité dans leurs politiques d’aménagement. Cette révolution en matière d’intégration de la biodiversité dans l’aménagement des territoires amène à s’interroger sur la manière dont la diversité arborée a été pensée et intégrée dans les projets d’aménagement. L’évolution des pratiques professionnelles aux regards des enjeux relatifs à la biodiversité mérite donc une attention toute particulière, notamment celles des paysagistes dont la spécialité est de concevoir des espaces qui tiennent compte du vivant.
Le sujet de la thèse est nouveau. Il a été ouvert par le doctorat d’Anaïs Léger-Smith (Agrocampus ouest 2014), thèse qui n’aborde pas cependant spécifiquement le thème de la biodiversité dans les projets des paysagistes. Il vise à produire une première base de connaissances concernant la manière dont la diversité du vivant a été prise en compte dans des projets de parcs urbains qui ont été conduits ces dernières années et d’articuler deux disciplines incontournables dans l’aménagement des villes de demain que sont l’écologie et le paysagisme. L’entrée choisie sur la diversité du vivant est celle des arbres, éléments végétaux majeurs de la constitution et de la structuration des parcs urbains. De par leur forte valeur esthétique et leur silhouette majestueuse, les arbres sont les formes végétales qui participent à l’introduction du paysage dans la ville et valorisent les quartiers qui en bénéficient.
Actuellement, ils font l’objet d’anciens et de nouveaux enjeux environnementaux, notamment au regard des services écosystémiques qu’ils assurent dans le fonctionnement des villes : lutte contre l’îlot de chaleur urbain, captage du CO2, filtration de l’air à travers la fixation des polluants atmosphériques… Ils suscitent aussi curiosité et dialogue, d’autant plus lorsque ceux-ci sont qualifiés de remarquables. Les arbres de ville, devenus symboles de développement durable, tiennent donc un rôle important dans le maintien de la biodiversité et le fonctionnement environnemental et social de la cité.
Le territoire d’étude est la ville de Marseille. Avec 54 parcs d’une superficie supérieure à 1 hectare, dont 14 de plus de 5 hectares, elle s’est dotée d’un patrimoine végétal riche et varié. Il provient en grande partie des vestiges plus ou moins importants des domaines bastidaires qui ont participé à la construction de la périphérie immédiate de la ville à partir du XVIème siècle. La ville a été ensuite marquée de quelques grandes réalisations au cours du XIXème siècle et début du XXème mais c’est sous la municipalité de Gaston Defferre, en 1970, que la ville déploie un vaste programme de création et d’entretien des espaces verts. Face aux nouveaux enjeux de la biodiversité urbaine et spécifiquement de la diversité arborée de ces dernières années, Marseille a pris conscience de l’importance de son patrimoine arboré et s’applique désormais à conduire une politique de développement durable pour la création et l’entretien des espaces verts dont elle a la charge. En
2002, la ville a réédité le code de l’Arbre Urbain. Elle lance également grâce à la Direction des Parcs etJardins en 2009 un recensement des arbres remarquables dans les espaces publics urbains de la ville. En 2014, elle participe également à la rédaction de la « Chartre pour la Biodiversité urbaine » du territoire marseillais en collaboration avec l’Agence de l’Urbanisme de l’agglomération marseillaise. Plusieurs parcs de la ville bénéficient actuellement du label « Jardin remarquable » et « Ecojardin ». Ce sujet de thèse s’inscrit dans l’histoire des travaux de recherche du LAREP conduits par une équipe pluridisciplinaire renouvelée en sciences de la nature et en sciences humaines et sociales et portant sur la dimension du vivant dans le projet de paysage. Le LAREP a accompagné récemment la thèse de Myriam Bennour Azooz sur les processus de patrimonialisation de l’arbre à Tunis en cotutelle avec l’Institut Supérieur Agronomique de Chott-Mariem et l’Université de Sousse. Les thèses de Besma Loukil sur les parcs urbains de Tunis (2013) et de Samuel Périchon sur les arbres des bocages d’Ille et- Vilaine (2004) ont marqué cette direction de recherche. Ce projet de thèse introduit la question de l’interprétation de la biodiversité dans le projet de paysage et donc dans la conception paysagère. En outre, la démarche de recherche articule explicitement les méthodes scientifiques de l’écologie et les pratiques de paysagisme. Elle s’appuie sur les résultats de la thèse d’Anaïs Léger (2014) concernant la prise en compte des préoccupations écologiques dans les pratiques paysagistes en France et en Grande Bretagne.
Méthodologie de recherche
Le sujet de thèse proposé a pour objectif premier de comprendre comment les paysagistes ont interprété et intégré les enjeux relatifs à la préservation du vivant dans les projets de parcs urbains depuis la phase de conception des projets jusqu’à la conduite du vivant végétal (et parfois animal).
La démarche de recherche s’appuiera d’un point de vue méthodologique sur des enquêtes qualitatives auprès des praticiens concepteurs et gestionnaires sur la manière dont ils ont aménagé et géré l’espace en intégrant les enjeux relatifs à la biodiversité dans des projets de parcs urbains. On insistera sur la place, la nature et le rôle des ligneux, et notamment des arbres dans ces espaces. On s’attachera particulièrement aux relations entre les concepteurs et les futurs gestionnaires au moment de la conception. Cette enquête doit aboutir à la production d’une analyse de discours des paysagistes et des partenaires des projets permettant de saisir les idées majeures qui sous-tendent leur choix au regard de la diversité arborée constatée dans les projets d’aménagement.
Deuxièmement, à partir d’un corpus de réalisations paysagères dont le choix aura été préalablement argumenté (quelques parcs urbains choisis selon les quartiers, leur âge et leur taille), cette recherche tentera de mettre en avant les différentes formes de diversité spécifique arborée des parcs urbains étudiés mais aussi les motifs de composition utilisés et plus largement les formes de milieux écologiques qui ont été produites à travers les différentes réalisations paysagères étudiées. Ce travail s’appuiera sur l’analyse des productions graphiques, par exemple l’étude des esquisses, des plans masses et des plans de plantation, voire de gestion des parcs étudiés, mais aussi sur des relevés de terrain permettant de qualifier les espèces et les formes végétales produites. Cette étape mobilisera des outils propres à la pratique paysagiste (plans, croquis, coupe, plans de plantation, etc.) mais aussi ceux faisant appel à la spatialisation, notamment les systèmes d’information géographique.
Enfin, cette thèse visera à comprendre les évolutions en matière de prise en compte de la diversité arborée dans la conception paysagiste à partir d’une approche historique. Ainsi, à travers un choix de parcs urbains d’époques différentes, la recherche interrogera l’évolution de la prise en compte de la diversité arboré par les paysagistes dans la pratique de projet de paysage. Une analyse des commandes des projets de parcs urbains marseillais sera conduite ainsi qu’une enquête auprès de la maîtrise d’ouvrage et des concepteurs des parcs étudiés afin de saisir les contextes historiques et les attentes sociétales en matière de qualités des parcs et de préservation du vivant végétal.
Résultats attendus et perspectives
Le sujet proposé pose la question contemporaine de la conservation et de la patrimonialisation des arbres urbains, ceci dans le cadre d’une prise en compte des dynamiques du vivant dans une société atteignant un stade post-industriel. La littérature produite montre que la biodiversité est devenue un enjeu majeur dans les agendas politiques. Cet enjeu concerne la relation entre les paysages de nature, et le fonctionnement écosystémique même de ces paysages, urbains notamment. Si l’évolution des pratiques paysagistes et horticoles s’est manifestée par un glissement des formes ornementales vers des formes de nature spontanée (indigène ou naturalisée), elle montre aussi l’écologisation des pratiques qui sous-tend la construction de nouveaux rapports à l’espace et à la nature. L’évolution des pratiques des concepteurs paysagistes, partiellement éclairée par la thèse d’Anaïs Léger, reste insuffisamment connue du point de vue des concepteurs et des maîtres d’ouvrage. Il est nécessaire d’approfondir si l’on veut savoir comment comprendre aujourd’hui l’état et la dynamique des populations arborées dans les parcs.
L’originalité de la démarche réside ici dans l’analyse des processus de projet par lesquels s’est construite progressivement, dans certains parcs (et pas ou peu dans d’autres), une approche paysagiste innovante conférant à la diversité arborée une valeur ajoutée paysagère et permettant à la diversité du vivant (et aux bénéfices qu’elle génère) d’être une solution opérationnelle face aux nouveaux défis de la conception urbaine. L’hypothèse générale est que l’écologisation des pratiques paysagistes dans ces parcs dépend d’abord de la demande des services municipaux (+ ou – préoccupée politiquement par la biodiversité selon les quartiers et les époques), puis de l’interprétation de la biodiversité arborée par les concepteurs, et de la manière dont les gestionnaires des parcs reconduisent ou non le parti pris « arboré » du concepteur.
Les résultats produits concerneront notamment :
Une typologie et une cartographie des milieux arborés dans les parcs étudiés selon les espèces et leur nature
– Une analyse historique de l’évolution de la commande des parcs publics à Marseille
– Une analyse des conditions politiques et sociales du choix des projets et de leurs programmes
– Les discours des concepteurs sur le choix des arbres de leur projet et leur devenir (analyse)
– Les discours des gestionnaires des arbres depuis la seconde guerre (analyse historique et contemporaine)
– Une synthèse sur les degrés d’écologisation des pratiques contemporaines chez les concepteurs et les gestionnaires à partir d’indicateurs à tester
Deux articles au moins feront connaître ces résultats et seront discutés avec les professionnels concernés.
Calendrier prévu
L’échéancier présenté ci-dessous donne un cadre de travail permettant au doctorant d’apporter dans des délais raisonnables des résultats issus d’une démarche démonstrative et rigoureusement argumentée.
1ère année : Ce premier temps sera consacré à la contextualisation de la question traitée par rapport à la littérature existant sur le sujet. Il permettra la mise en place d’un corpus documentaire (synthèse bibliographique, collectes des données brutes : documents d’archives, données statistiques, plans masse, etc.) et d’élaborer un questionnement scientifique et une hypothèse. Parallèlement seront sélectionnés les sites d’étude qui apporteront l’essentiel des données sur lesquelles la recherche sera menée. Le choix des terrains devra être motivé par des critères relevant à la fois de l’écologie (caractéristiques physiques des sites, types d’écosystèmes et de structures arborées) et du paysagisme (ensemble de valeurs et de pratiques propres à la culture professionnelle des paysagistes).
Les sites choisis permettront de sélectionner les paysagistes maîtres d’oeuvre qui seront enquêtés. Un premier article sera rédigé.
2ème année : Cette étape verra la mise en oeuvre des outils d’analyse (grilles d’entretiens, CAO, traitements des données statistiques et cartographiques : logiciels Sphinx, Arcgis). L’élaboration d’un protocole permettra de saisir au mieux les discours des paysagistes et des maîtres d’ouvrages choisis. Parallèlement sera étudiée la diversité spécifique arborée sur les réalisations paysagères sélectionnées (relevés de terrain couplés à l’analyse des productions graphiques). Enfin, une analyse historique permettra de mieux comprendre l’évolution des enjeux liés à la prise en compte de la biodiversité arborée dans la commande publique. Un second article sera produit.
3ème année : Cette dernière année sera consacrée à la présentation des résultats et à leur discussion dans le contexte national et international de la recherche. La participation à l’actualité de la recherche (séminaires, colloques) sera pour le doctorant l’occasion de confronter ses premiers résultats avec ceux des autres chercheurs. Il s’investira en parallèle dans la rédaction de son travail de thèse qui le mobilisera la majorité de son temps.
Bibliographie annexe
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