Alexandre Chemetoff

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Alexandre Chemetoff

Paysagiste, urbaniste, architecte

Alexandre Chemetoff est né à Paris le 2 février 1950. Il est le fils de l’architecte Paul Chemetov et le petit-fils du dessinateur d’origine russe Alexandre Chem et du poète surréaliste Philippe Soupault.

Sa formation

Ses jeunes années sont parisiennes avec de longues vacances à la campagne :

« Nous passions l’été en Ardèche où mes grands-parents avaient une maison en forme de bateau,« la Nave ». J’en ai conservé les plans dessinés par mon grand-père. Au village se retrouvaient des peintres de Montparnasse installés au milieu de paysans ardéchois… Je garde un très vif souvenir de ces longs étés, qui m’ont sans doute donné « le goût du paysage ». 

Dans le train, nous avions plaisir à regarder les paysages défiler, à en commenter les caractères, à les comparer, à en goûter les variations ….

Juste avant Mai 68, je me suis fait renvoyer du lycée pour indiscipline. J’ai alors travaillé à l’AUA l’été, pour gagner ma vie, je dessinais des projets, suivais des chantiers. Je voulais alors être agriculteur… Je pensais étudier à la Bergerie nationale de Rambouillet, avant que le paysage ne m’apparaisse comme un compromis acceptable, une façon de m’engager dans la vie active tout en restant lié à l’agriculture.

Le retour à la terre était pour moi une manière de construire une vie en cohérence avec ce que je pensais, apprendre et se cultiver soi-même. Je suis allé quelque temps dans une ferme en Ardèche me consacrer à l’élevage des chèvres. J’ai voyagé en Italie, et jusqu’en Turquie, à la frontière syrienne. Tout était lié, et constituait une forme d’expérience du monde.

Je m’étais inscrit aux Beaux-Arts dans l’atelier de Yankel, un peintre qui habitait dans le village d’Ardèche
où mes grands-parents passaient l’été. Et en même temps, j’avais été engagé chez Vilmorin-Andrieux, quai de la Mégisserie, pour me former sur le tas. Je ne connaissais rien aux plantes. J’ai appris la différence entre un rosier remontant et un rosier grimpant. En passant des Beaux-Arts au quai de la Mégisserie, je me suis préparé au concours d’entrée à l’École nationale d’horticulture, dans la section du paysage et de l’art des jardins»
1

En 1971, il est admis sur concours à la Section du paysage et de l’art des jardins de l’École nationale supérieure d’horticulture de Versailles. Dans sa promotion de 29 élèves sont admis également Alain Marguerit, Gilles Vexlard et Jean Magerand. La Section sort à peine d’une crise importante due à un manque chronique de moyens financiers et humains. Plusieurs enseignants ont cessé leurs enseignements (J. Sgard, B. Lassus notamment), d’autres sont en grève. Jusqu’à l’arrêt de la Section en 1974, il aura comme enseignants principaux d’ateliers les paysagistes Jacques Simon et Michel Corajoud appelés par M. Viollet et Pierre Dauvergne.

« Nous sommes quelques-uns à avoir été marqués par l’aventure d’un voyage de fin d’année que nous fîmes en Espagne, sous la conduite de Michel Corajoud. Nous n’avions pas d’objectif plus précis que l’observation du paysage. Ce qui nous intéressait c’étaient les étendues cultivées, de ce  « théâtre d’agriculture » pour reprendre les termes utilisés en d’autres circonstances par Olivier de Serres. Nous décelions dans ces géométries, les prémices d’un passage entre le chemin et la rue, le champ et la parcelle, et nous regardions la campagne comme lieu fondateur de la ville. C’était quatre ans avant 1976, date de la renaissance de l’école du paysage telle que nous la connaissons aujourd’hui ». Le Moniteur, 2016.

À l’issu de deux ans de formation, il obtient après une année de stage et un concours en loge son diplôme et titre professionnel de paysagiste DPLG en 1977.

Ses premières expériences l’orientent progressivement vers l’urbanisme et l’architecture.

« En sortant de l’École, je me suis associé avec (les paysagistes) Jacques Coulon, Alain Marguerit et Claire Corajoud. Notre atelier s’appelait « Carré Vert ». Un jour, j’ai été appelé pour intervenir à Reims dans un lotissement à partir de la question des clôtures. Je me suis occupé des clôtures, puis des plantations d’arbres dans les rues, des profils de rues et de fil en aiguille, des jardins, des maisons, des immeubles, du plan-masse d’un quartier et de la forme de la ville, devenant, sans le savoir, urbaniste. Peu de temps après cette première expérience, j’ai été appelé par Renzo Piano, qui cherchait un paysagiste pour le site des usines Schlumberger de Montrouge. Il y avait une grande ouverture dans l’atelier de Piano. Assez naturellement, d’expérience en expérience, je suis passé des jardins et des espaces publics à l’urbanisme, et de l’urbanisme à l’architecture. « 

Il obtient son titre d’architecte DPLG en 1998.

Son parcours

« En 1983, il fonde le Bureau des paysages, une structure constituée d’architectes, de paysagistes et d’urbanistes, installé depuis 1994 à Chantilly. »

Le jardin des bambous, Parc de la Villette, Paris, 1985-87

Depuis 2008, une société dénommée Alexandre Chemetoff & associés dirige, coordonne et anime l’ensemble de l’activité des agences qui regroupent aujourd’hui une quarantaine de personnes réparties entre le Bureau des Paysages de Gentilly et les ateliers de Nantes et Nancy. Elle regroupe Alexandre Chemetoff et son associée Malika Hanaïzi (administratrice). Catherine Pierdet (paysagiste) et Pierre Amiot (paysagiste) sont associés au sein des structures d’exercice que sont le Bureau Alexandre Chemetoff pour l’urbanisme et l’aménagement, l’Atelier Alexandre Chemetoff pour l’architecture »2.

De 1987 à 1990, il enseigne à l’ENSP qui a succédé à la Section du paysage et de l’art des jardins de l’ENSH. En 1987-88, il dirige le département des techniques de projet après A. Provost et G. De la Personne, et avant J.-M. L’Anton. Puis il dirige le département des ateliers de projet.

Il explique les principes de cet enseignement vingt ans après :

« La mise en œuvre d’un projet passe par une compréhension précise des processus techniques utilisés. Ici, il convient de s’impliquer directement dans la mise au point in situ des coffrages pour maîtriser l’appareillage et le calepinage des pierres d’un mur maçonné. Là, une image d’une pelouse verte dans son état futur d’achèvement ne saurait tenir lieu de descriptif pour sa mise en œuvre. Faut-il pratiquer un sous-solage, des labours, un hersage ? Quels amendements auront été nécessaires ? Un drainage s’avéra-t-il indispensable ? Quelles proportions de raygrass, de fétuque ovine, et d’autres graminées, devront être choisies pour composer un mélange adapté à sa situation, son usage et son entretien ? Autant qu’au résultat, je me suis toujours intéressé à la manière d’y parvenir. Ma formation à Versailles, aux côtés de fils de pépiniéristes qui n’ignoraient rien des végétaux et de leurs cultures, et mon enfance passée sur les chantiers, ont sans doute joué un rôle dans mon goût pour la compréhension de la fabrication des choses » Le Moniteur, 2016.

Il revient au Potager du roi en 2019 comme commissaire de l’une des expositions de la première Biennale Architecture et Paysage d’Ile de France à Versailles : « Le goût du paysage ». Il a terminé le réaménagement du bâtiment d’enseignement dit « Des Suisses » la même année.

Ses principaux travaux3

Son agence est à l’origine de très nombreux projets où parfois architecture, urbanisme et paysagisme sont associés.

Ses projets 4

« Alexandre Chemetoff et son équipe réalisent aujourd’hui des études et des opérations de maîtrise d’œuvre qui illustrent son approche pluridisciplinaire associant parfois dans une même réalisation architecture, construction, urbanisme, espaces publics et paysage dans un souci de compréhension globale des phénomènes de transformation du territoire : du détail à la grande échelle.

De nombreuses expériences témoignent de sa façon de poursuivre en différentes circonstances les mêmes objectifs urbains :

des projets urbains comme la création du centre-ville de Boulogne-Billancourt (1996/2001) ou plus récemment la métamorphose de l’île de Nantes(2000/2010), celle du plateau de Haye à Nancy (2004/), de la Plaine Achille à Saint-Étienne (2009/) mais aussi le réaménagement de la place Napoléon et des artères principales de La Roche-sur-Yon (2012/2014) ;

« Ile de Nantes, le site des chantiers reprend vie », Le Moniteur, 2009

des projets de bâtiments comme l’immeuble mixte des Deux Rives à Nancy (2002/2008) ou la construction d’un îlot d’habitation parisien à l’angle de la rue Bichat et de la rue du Temple (2009/), d’une cité-jardin, La Rivière, à Blanquefort (Gironde) (2006) ;

des projets d’équipements comme les bâtiments abritant une salle de danse, un conservatoire de musique et une bibliothèque à Vauhallan(2000/2002), la maison des sports à La Courneuve (2004/2006) ou le centre commercial du Champ-de-Mars à Angoulême (2003/2007) ;

des projets de parcs et d’espaces publics comme l’aménagement des rives de Meurthe à Nancy (1989/), les bords de Vilaine à Rennes (1997) ou le parc Paul-Mistral à Grenoble(2004/2008) ;

la réhabilitation de l’ancien site de la Coop dans le quartier du Port du Rhin à Strasbourg (2018/2020). »

« La Coop, une culture coopérative de la ville Strasbourg Deux-Rives »

Les bords de Vilaine à Rennes, quartier d’Auchelle et Saint-Cyr, 1997

Ses publications

« Le Jardin des bambous au parc de la Villette, avec la photographe Elizabeth Lennard, Hazan, 1997,

Sur les quais : un point de vue parisien, corédigé avec Bernard Lemoine, Pavillon de l’Arsenal / Picard, 1998,

L’Île de Nantes : le plan guide en projet, MeMo, 1999,

Je veux vous parler de Paris, directement et indirectementPavillon de l’Arsenal, Mini PA 16, 2008,

Visites, avec Patrick Henry et al., Archibooks, Birkhäuser, 2009 (version anglaise),

Le Plan-Guide (suites), Archibooks, 2009,

Patrimoine commun : leçon inaugurale de l’École de Chaillot, Cité de l’architecture et du patrimoine, Silvana Editoriale, 2010 ».

Ses expositions

« 2009 : « Situations construites », Arc-en-Rêve, centre d’architecture, Bordeaux

2010 : « Droit de visite », Faubourg Forum, Genève »

Ses distinctions

Grand prix de l’urbanisme2000

Grand prix national EcoQuartier, pour le projet du plateau de Haye, Nancy, 2011

Le plateau de la Haye à Nancy, avant et après l’opération, 2010, CR Grand Est

Prix national EcoQuartier : Renouvellement urbain, catégorie requalification urbaine pour le projet Manufacture Plaine Achille, Saint-Étienne, 2011.

Parc de la Manufacture, EPA St Etienne, 2017

Ses idées

Sa démarche

« A. Chemetoff a choisi de pratiquer son activité d’architecte d’une manière ouverte et libre, en refusant les limites et les frontières entre les disciplines : un art polytechnique qui s’occuperait de tout en adoptant une attitude relative. Alexandre Chemetoff conçoit la pratique de son métier comme un engagement dans le monde. Le programme est une question posée, le site un lieu de ressources et le projet une façon de changer les règles du jeu. ». W.

Michel Corajoud

« Il a consacré plus de trente années à l’enseignement, créant un courant de pensée et une dynamique autour de l’idée de paysage envisagé comme une ouverture au Monde. Il a su ouvrir des voies que chacun a suivies à sa manière. Il n’a pas eu de disciples. C’est sa façon d’être libre qu’il a transmise. Portant l’idée de paysage au-delà des limites des parcs et jardins dans lesquelles elle se trouvait enfermée pour la proposer comme une manière de concevoir la transformation de notre environnement. Renouant ainsi avec une histoire de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme, de l’architecture et de l’art des jardins, où le paysage joue un rôle prééminent. Michel Corajoud par son enseignement a réinventé le paysage comme un art du temps présent, renouant sans jamais le revendiquer avec une histoire peuplée de grandes figures comme celles de Jean-Claude Nicolas Forestier en France, de Frederick Law Olmsted en Amérique ou de Fritz Schumacher en Allemagne, qui furent à la fois architectes ou ingénieurs, concepteurs de parcs et jardins, d’ouvrages d’art, de bâtiments et de villes. »5

Construire avec ce que l’on sait du monde vivant

« La ville contemporaine aurait besoin de l’ombre des arbres, de la lumière filtrée par des feuillages, de la fraîcheur, du bruit de la pluie, et du ruissellement de l’eau, toutes choses qui sont souvent absentes des compositions actuelles, trop strictement normatives et quantitatives ».

«  Ma façon de pratiquer l’architecture est fondamentalement liée à cette connaissance du milieu vivant commune au paysage et à l’horticulture à laquelle j’ai été initié à Versailles. Quand nous concevions le projet de Bègles – la transformation de l’ancien site de tri postal en Cité numé-rique – avec le bureau d’études spécialisé dans les fluides,le chauffage et la ventilation, nous étions ici, dans le jardin du bureau des paysages, à Gentilly, il faisait très chaud,presque 40°. Me saisissant d’un jet d’eau, j’ai arrosé la terre et les plantes, tout en expliquant à mes interlocuteursqu’il allait faire plus frais. Pourquoi ne pas procéder de la même manière pour rafraîchir le site et les bâtiments à Bègles ? C’est ainsi qu’est née l’idée de lier au projet un jardin, qui rafraîchirait le bâtiment, en mettant en place un système de brumisation d’eau potable et d’arrosage
avec l’eau de pluie collectée dans des citernes. », Urbanisme, 2016.

Réunir architecture, paysage et urbanisme

« Tout est séparé à l’excès (dans la fabrique urbaine). Je revendique, au contraire, de réunir dans une même pratique le programme et le projet, l’architecture, le paysage et l’urbanisme…

Quand nous avons eu l’idée avec Éric Bazard, qui dirige la SPL des Deux-Rives à Strasbourg, de proposer que le Pôle d’étude et de conservation des musées de Strasbourg prenne place dans l’Union sociale, un ancien magasin de la Coop, nous sommes partis de l’analyse des qualités du bâtiment issue de l’état des lieux. Nous utilisons un bâtiment existant transformé à un prix abordable, dans la mesure même où il est adapté à sa nouvelle fonction. Nous nous servons de l’existant pour imaginer à la fois un programme et une manière de conduire les transfor- mations. Cette démarche constitue un récit que chacun peut s’approprier. »

« Je suis mal à l’aise avec l’idée que le paysage soit une discipline autonome. Concevoir la ville par le paysage ? On peut concevoir la ville comme un paysage, mais ce n’est pas tout à fait la même chose. »

« La division du travail (entre architecte et paysagiste) est absurde et d’ailleurs récente. Quand Le Nôtre trace l’avenue des Champs-Elysées, il est en même temps urbaniste, paysagiste et architecte. Le paysage n’est pas une spécialité mais une philosophie, une culture de l’aménagement, celle du monde de demain. Désormais chaque architecte, chaque ingénieur, chaque aménageur devra, pour être de son temps, devenir paysagiste ». BAP, 2019, entretien avec V. Piveteau.

Une esthétique située

« Ce qui m’intéresse, c’est de construire, en tissant des liens entre l’histoire, les qualités d’un bâtiment, celles d’un site et la possibilité d’accueillir un nouvel usage, un nouveau programme. De cette rencontre naît une esthétique située…

Le premier mouvement simplificateur et rassurant est de vouloir faire net et propre. Laisser venir les choses à partir de l’état des lieux est à la fois plus compliqué et plus vivant, c’est un travail relatif, fait d’allers et retours entre l’état des lieux et la nécessité de changements, et ce sont précisément ces hésitations et ces précautions qui donnent au projet sa véritable dimension et sa juste expression. 

Je n’imagine pas projeter ou construire de la même façon ici et là. Une architecture située, un travail situé, qui ne se priverait de rien de ce que les situations peuvent apporter est très enrichissant, à la fois pour les projets, pour ceux qui les réalisent et ceux qui en sont les utilisateurs.

Pour conclure

Alexandre Chemetoff a fait du paysage, sa formation première, une philosophie de l’urbanisme et de l’architecture. A ce titre il est l’un des héritiers les plus proches des idées de Michel Corajoud.

« Le paysage est porteur d’une idée nouvelle. Lorsqu’il sort de son domaine réservé, il change la manière de pratiquer l’architecture, le design, l’urbanisme, l’ingénierie et même le paysage. Il ne se définit pas comme une spécialité ou une profession mais comme une philosophie de l’action, susceptible de transformer notre environnement et de faire en sorte que l’architecture devienne enfin un art populaire, accessible à tous ….

Je crois davantage aux vertus de l’expérimentation qu’aux certitudes de la planification et c’est aussi ce que j’ai appris de la Section du paysage et de l’art des jardins dans le Potager du roi et de l’enseignement de Michel Corajoud. ». Le Moniteur, 2016.

Pierre Donadieu

15 mai 2020

Ce texte peut être modifié pour rectifier des erreurs et le compléter.


Bibliographie

B. Blanchon, « Alexandre Chemetoff », in Créateurs de jardins et de paysage, (M. Racine édit.), Actes Sud/ENSP, 2002.


Notes

1 Entretien avec A. Chemetoff, Propos recueillis par Antoine Loubière et Jean-Michel Mestres , Urbanisme n° 413, 2019. Télécharger le pdf.

2 D’après Wikipédia

3 Wikipedia.

4 Pour plus de détails voir les projets (environ 60) détaillés de l’agence ici.

5 Entretien avec Laurent Miguet, Le Moniteur, 2016.