Agriculture urbaine et circuits courts
approche comparée entre Paris et Tunis
(version française d’un article publié en anglais dans Ruaf Magazine)
Il apparaît évident, au premier abord, que l’agriculture urbaine est indissociable d’une relation de proximité entre les consommateurs et les lieux de production. Pourtant, une analyse comparée entre deux grandes métropoles situées l’une au Nord de la Méditerranée et l’autre au Sud, pourrait bien révéler des différences importantes du point de vue du bilan économique, social et environnemental des expériences conduites de part et d’autre. L’organisation socio-spatiale de la ville, la nature des circuits de distribution existant ou le contexte agro-climatique sont autant de paramètres à prendre en considération pour une évaluation de la durabilité des projets agriurbains, qui ne peuvent se construire sur les mêmes bases à Paris ou à Tunis.
Les circuits courts en question
Le concept de “food-miles” (“kilomètres alimentaires”) a été proposé par des chercheurs anglais, au début des années 1990, pour servir d’indicateur de l’impact environnemental des filières de distribution. L’idée en est simple : plus une denrée alimentaire parcours de kilomètres entre son lieu de production et son lieu de consommation plus elle contribue à épuiser les énergies fossiles et à polluer la planète. Mais cette idée si simple est actuellement mise en cause par certaines études qui montrent que « l’organisation logistique en termes de groupage des produits semble constituer un élément important pour réduire le coût énergétique ». Ceci veut dire que les produits commercialisés via les marchés ou autre type de distribution à grande échelle, dont une grande partie de leurs denrées est importée, constitue un dispositif plus économe en énergie que celui adopté pour les circuits courts. (Etude Benjamin Perez-Zapico 2008 – FRCIVAM Bretagne – Programmes SALT/CREPE)
En plus, plusieurs recherches menées aux Etats-Unis ou en Europe, démontrent que le coût énergétique d’une denrée dépend beaucoup plus de sa production que de son transport, surtout lorsque celui-ci se fait dans des conditions optimisées. Une étude du DEFRA (2008) a ainsi montré que les tomates produites dans la région de Londres ont un coût environnemental bien plus élevé que celles produites en Espagne et transportées jusqu’à Londres. Optimiser l’impact environnemental de la production agricole c’est aussi choisir les cultures qui conviennent le mieux aux conditions agro-climatiques de leur lieu de production. Selon l’expression du chercheur allemand Elmar Schlich (2006), l’écologie d’échelle rejoint ainsi l’économie d’échelle.
De nombreuses études arrivent aux mêmes conclusions. L’alimentation de proximité n’est pas une solution aussi durable qu’elle ne paraît, en tout cas pour les villes du Nord dont les conditions climatiques et édaphiques conviennent mal aux fruits et légumes, les seuls produits agricoles qui se prêtent aux circuits courts. La notion de proximité, pour ces villes-là, doit donc être étendue à plusieurs centaines de kilomètres pour répondre au mieux à l’optimisation de l’impact environnemental recherchée.
Mais ce qui est vrai pour l’Europe du Nord ne l’est pas pour toutes les régions du monde. La mode des « locavores » se répand de plus en plus à Paris, alors que le maraîchage et l’arboriculture fruitière ne se maintiennent guère que sous des formes assistées par la communauté (Community-Supported Agriculture). En revanche, l’agriculture urbaine tunisoise est de plus en plus menacée par l’expansion de la ville sans que son utilité, pourtant bien réelle, ne soit réellement prise en compte. Cette agriculture, à dominante maraîchère et fruitière, s’inscrit effectivement dans un marché qui n’a, a priori, pas besoin d’être assisté pour tenir son équilibre économique. De plus, son bilan environnemental s’avère, en première analyse, largement plus positif que celui du maraîchage périurbain parisien.
Pour reprendre la typologie d’André Torre (2009), on pourrait dire que dans le premier cas, le désir de circuit court manifesté par les citadins trouvera sans doute son équilibre dans une “proximité organisée”, relativement indépendante des distances réelles, alors que dans le second cas une “proximité géographique” pourrait s’avérer fonctionnelle.
Les circuits courts, on l’a vu, ne concernent que les produits maraîchers et fruitiers. Or ceux-ci ne sont pas cultivés de façon optimale dans la région Ile-de-France, où les terres conviennent mieux aux grandes cultures céréalières. C’est la raison pour laquelle le développement du chemin de fer, dès le XIXe siècle, a eu pour conséquence la disparition de la ceinture nourricière qui entourait Paris : les cultures légumières ont été délocalisées vers le Val-de-Loire ou la Bretagne, l’arboriculture fruitière vers les régions plus ensoleillées du Midi. Consécutivement, les t
erres maraîchères, situées dans les vallées, ont été les premières urbanisées et ne sont plus guère disponibles aujourd’hui. Relancer un maraîchage et une production fruitière de proximité ne pourrait donc se faire à Paris sans un coût économique et écologique important.
Tunis, à l’inverse, est implantée au cœur d’une plaine où ont toujours dominé les productions fruitières et maraîchères et qui compte encore parmi les régions les plus productives de légumes du pays. Malgré l’extension urbaine accélérée depuis l’Indépendance, l’agriculture tunisoise contribue encore à l’alimentation de la ville en produit frais. Celle qui occupe le centre ou la périphérie immédiate de certaines agglomérations le fait notamment à travers l’approvisionnement des marchés locaux et des petits commerces de proximité (vendeurs de fruits et légumes, marchants ambulants…etc). Mais cette agriculture est constamment menacée par la pression urbaine dont la première conséquence est le morcellement des exploitations. Celui-ci a pour effet la régression de l’arboriculture fruitière qui peine à se maintenir sur des exploitations qui ne dépassent guère trois hectares. Toutefois, cette régression concerne moins le maraîchage qui, à l’inverse de Paris, parvient encore à se développer.
D’une manière générale, une agriculture de proximité appuyée sur la production légumière aura du mal à se développer en Ile-de-France, et plus généralement en France où ce type de culture est en constante régression (voir schéma), alors qu’elle aurait toute sa place en Tunisie si ses besoins en termes de fonctionnalité spatiale étaient un peu mieux pris en compte dans les projets de planification urbaine.
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