Les agricultures périurbaines – Vol 2

 

Actes du colloque de 2007
«Les agricultures périurbaines : un enjeu pour la ville»
ENSP – Université de Nanterre

Volume 2

Vers des projets de territoire

Sous la direction d’André Fleury

École nationale supérieure du paysage de Versailles

 

Après les années 60, les espaces ouverts sont devenus une valeur centrale de la conception du projet urbain ; dorénavant, tout document d’urbanisme donne une large place au Vert, décliné sur de multiples registres de planification (ceintures et coupures vertes, etc.) ouvrant ainsi le débat sur l’identité de ce Vert : quelles sont les formes végétales souhaitables, avec quel degré d’artificialité ?  Si, dans les pays du Sud, ce vert périurbain est sans ambiguïté agricole (plus exactement jardinier), du fait de l’urgence de la question alimentaire, il est beaucoup plus divers dans les pays du Nord. Il y est partagé en effet entre des préoccupations récréatives, paysagères, culturelles et environnementales, avec des implications dans le champ urbain qui rendent urbaine l’agriculture périurbaine1 ; cette diversité fonctionnelle traverse la plupart des présentations de cette session. Si l’on y ajoute la revendication d’autonomie du périurbain2 et la fragmentation du tissu urbain sous l’effet de la rurbanisation, on comprend pourquoi les collectivités locales ont cessé de voir dans l’espace ouvert périurbain des réserves foncières et décidé de l’intégrer à leurs choix d’urbanisme. Elles ont  fait ainsi apparaître un nouveau paradigme, le territoire agriurbain, né de la mixité des espaces, celle des populations citadines et rurales et celle de l’espace, bâti et ouvert.

Deux exposés décrivent ce processus de mutation de l’espace initié par l’implantation de citadins dans des paysages ruraux :

Sylvie Paradis révèle au nord ouest de l’Ariège les prémisses de la mutation foncière de Toulouse. L’agriculture de plaine, bien insérée dans des filières extrarégionales, maintient son identité grâce à son dynamisme et sa modernité ; par contre, l’agriculture des coteaux, en déclin, accueille mieux la perspective de périurbanisation (valorisation foncière et espérance des marchés spécifiques de cette nouvelle proximité pour des produits dits de terroir). Quant aux politiques locales, elles se révèlent souvent mal armées pour anticiper et s’adapter à ces mutations territoriales.

Salma Loudiyi, Claire Planchat-Héry et Sylvie Lardon ont examiné l’élaboration du schéma de cohérence territoriale (SCoT) dans le Pays du Grand Clermont-Ferrand, de plus en plus soumis à l’attraction de Lyon. Ce projet de planification montre que les élus ont admis la nécessité de mieux organiser ce territoire émergent. Mais, dans cette étape initiale, les élus communautaires négligent l’agriculture ; ils ignorent la grande culture de Limagne, laissée aux élus locaux, et ne retiennent de l’élevage traditionnel sur prairie que des rôles de coupure d’urbanisation et de composante paysagère du cadre de vie.

On peut y rapprocher le cas suisse où David Bourdin, Jean Ruegg et Joëlle Salomon-Cavin décrivent un changement radical de planification, corollaire d’une transformation du rapport social à l’espace agricole et des stratégies agricoles. L’État était jusqu’alors le garant de l’intégrité de l’espace rural au titre de la sécurité alimentaire du pays et de la ruralité, valeur cardinale de cette Nation. Maintenant, il accepte que la sécurité alimentaire soit assurée dans le contexte Européen et les villes affirment avec leurs citoyens leur responsabilité sur les espaces cultivés du périurbain.

C’est déjà reconnaître une différenciation quasi conceptuelle au sein de l’agriculture périurbaine :

L’agriculture dite de territoire, qui revendique volontiers le monopole sémantique d’agriculture urbaine et invoque la proximité comme valeur cardinale, diversement déclinée par les métiers de l’aménagement (paysagistes, urbanistes, architectes) qui s’invitent dans sa définition et sa mise en œuvre.

L’agriculture de filière agroalimentaire extrarégionale, dont l’aménagement néglige aisément l’organisation territoriale, alors que cette même agriculture participe de la gestion des déchets urbains et structure les paysages périurbains ; c’est ce qu’observent Dominique Andrieu, Sylvie Servain-Courant et Laura Verdelli en Touraine.

Notons que cette diversification n’est pas une différenciation entre exploitations, car beaucoup d’agriculteurs diversifient leur exploitation sur ces deux registres fonctionnels et spatiaux.

D’autres articles analysent les leçons que donnent des territoires où la pression urbaine, intense et ancienne, a fait naître une volonté d’organiser une cohabitation durable avec leur agriculture ; ces villes engagent alors des planifications originales défendant le territoire agricole. On assiste alors à l’émergence de deux catégories de politiques, selon la part laissée aux agriculteurs dans la nouvelle gouvernance territoriale. Neus Monllor Rico, Anna Ribas Palom, Anna Roca Torrent et Isabel Salamaña Serra exposent  le projet de ceinture verte de Gijon (Catalogne, Espagne). La spécificité de ce projet est de reconnaître leur valeur aux filières longues ; en effet, il vise autant la mise en défens de la fonctionnalité agricole des espaces extérieurs dédiés aux filières longues du marché européen que par la mise à disposition durable d’espaces ouverts d’agriculture de proximité ou de desserrement urbain.

A l’opposé, Mayté Banzo et Laurent Couderchet montrent que la Communauté Urbaine de Bordeaux (CUB) s’intéresse moins à l’agriculture sensu lato de son territoire, malgré son extrême diversité, qu’à sa valeur patrimoniale et de localité. C’est pourquoi le maraîchage encore présent (la désertion agricole a été intense) dans le parc des Jalles prend une valeur de modèle pour les élus. Dans cet espace marqué par l’eau (c’est un marais, c’est-à-dire une zone humide aménagée jadis par et pour l’agriculture), et largement repris par la nature après son abandon, ils sont plus sensibles à l’actualité et à la diversité des filières courtes (marchés forains, AMAPs, livraison de paniers à des entreprises, etc.), qui résument pour eux l’agriculture urbaine à sa contribution, même si elle est faible, à nourrir la ville. L’agriculture des périphéries urbaines a beau approvisionner les grandes surfaces locales, porter des signes de qualité aussi prestigieux que les AOC bordelaises, avoir obtenu de l’UNESCO le classement au titre de site culturel, elle est mal reconnue comme urbaine.

Les enjeux du parc agricole de Baix Llobregat (près de Barcelone) ont été dès sa naissance de mettre en défens un espace agricole né de l’aménagement très ancien d’un marais, de permettre aux producteurs de continuer leur métier en l’axant sur le marché local et de mettre en valeur son patrimoine rural. Mais en le présentant, Sònia Callau i Berenguer et Valerià Paül i Carril insistent aussi sur la multifonctionnalité de son agriculture (récréation, éducation, paysage, etc.) et surtout sur l’exemplarité de sa gouvernance où les agriculteurs, initiateurs du projet, restent vraiment parties prenantes. Ce parc, qui a bénéficié de l’appui du programme européen LIFE, a désormais acquis en Europe une valeur de référence et de modèle d’agriculture urbaine.

Enfin, D. Fanfani, F Monacci., Daniela Poli et Adalgisa Rubino tracent un projet d’écorégion urbaine, véritable reconstruction d’un territoire où étaient très dégradés la trame urbaine et son système de relations avec ses espaces ouverts. Pour revenir à l’équilibre, ces auteurs postulent la nécessité d’une approche intégrée, véritable démarche territoriale. Cette réhabilitation porte donc sur :
– le système urbain afin de défendre le polycentrisme et de contrer la régression des petites villes au profit de la ville centre de Florence,
– le lien des systèmes touristiques avec les paysages identitaires aux productions réputées (huiles et vins) et en s’appuyant sur leurs fondements écologiques et leur histoire agraire,
– la promotion de filières courtes et l’agriculture de service. Leur conviction est aussi de considérer qu’agir de façon sectorisée risque d’effacer la compréhension d’un système.

Avec une réflexion sur le paysage, Barbara Monbureau porte un regard critique sur l’aménagement de la plaine d’Aubagne (périphérie marseillaise). La zone maraîchère y a été profondément réorganisée vers 1995 en territoire agraire, si bien que la sécurité foncière durable, la fonctionnalité agricole de l’espace et la commercialisation ont permis la renaissance agricole et la reconquête des friches. Cependant  l’auteure regrette l’insuffisance de la pensée paysagère dont l’effet synergique pourrait être aussi que les habitants vivent mieux la proximité comme une campagne ; il n’y a pas de lieux de rencontre hormis les ventes à la ferme. Pour elle, la limite séparative rigoureuse est un obstacle à une vraie co-construction territoriale, à la conception de la gouvernance partagée.  

En contrepoint, Ségolène Darly et Romain Melot analysent comment le monde agricole d’Ile-de-France réagit à la planification à l’échelle communale ; ils notent que les agriculteurs sont sensibles au maintien de la fonctionnalité agricole, mais que les propriétaires, fussent-ils aussi agriculteurs, restent attentifs à l’anticipation de plus-value foncière. Par contre, ces auteurs n’ont pas vu de volonté forte de ces organisations d’être partenaires de la gouvernance.

Dans le dernier article, Paola Branduini compare les prises en compte du paysage par les politiques publiques conduites à différents niveaux territoriaux du périurbain milanais. Au niveau local de la Province de Milan, le paysage de champs ouverts résulte des dynamiques historiques très anciennes et reste en phase avec les stratégies agricoles contemporaines ; notamment, l’arbre y tient peu de place. Par contre, le niveau territorial supérieur ne s’intéresse qu’à certains éléments (bâti rural, arbres) et perd de vue les logiques systémiques d’organisation de l’espace agraire. Cet appauvrissement conceptuel devient très visible au niveau européen et aboutit à une véritable normalisation du paysage rural aux dépens de l’histoire agraire : pratiquement, l’arbre fait le paysage rural à lui seul. C’est le risque de l’entrecroisement de différents niveaux territoriaux qui obscurcit la vision. Elle retrouve partiellement la posture de Fanfani et al (voir ci-dessus).

Ainsi trois axes structurent ce volume :

– La construction des projets de territoire est partout à l’ordre du jour avec des hésitations sur la gouvernance.
– Corollairement, l’agriculture n’est plus seulement de filière mais aussi de territoire.
– Les modèles européens tendent à jouer un rôle croissant, parfois en opposition avec les réalités locales.

 

Articles

FLEURY André : «Vers des projets de territoires» (introduction). Télécharger le pdf.

PARADIS Sylvie : «Sous l’influence d’une métropole ? Retour sur les modes de gouvernance dans le contexte de périurbanisation récente du Nord de l’Ariège». Télécharger le pdf.

LOUDIYI Salma, PLANCHAT-HÉRY Claire, LARDON Sylvie : «Place de l’agriculture dans l’élaboration d’un projet urbain ; Premières réflexions autour du projet du Grand Clermont». Article repris dans Vertigo, vol 11, n° 2, 2011 et dans la revue Norois 209 | 2008, 37-56, sous le titre «Le SCoT, instrument de gouvernance territoriale ? La conduite locale de la concertation dans le Pays du Grand Clermont». Télécharger le résumé. Accéder à l’article sur Vertigo, sur la revue Norois.

BOURDIN David, RUEGG Jean, SALOMON-CAVIN Joëlle : «De l’agriculture périurbaine au projet ville-campagne: quels enjeux pour la Suisse ?». Télécharger le pdf.

ANDRIEU Dominique, SERVAIN-COURANT Sylvie, VERDELLI Laura : «Le corridor fluvial ligérien en Indre-et-Loire, entre développement de l’urbanisation et conservation des activités agricoles : un enjeu pour l’évolution des paysages». Télécharger le pdf.

MONLLOR RICO N., RIBAS PALOM A., ROCA TORRENT A., SALAMAÑA SERRA I. : «La ceinture verte de Girona, un projet pour la préservation des espaces agraires périurbains de Girona (Catalogne, Espagne)». Télécharger le pdf.

BANZO Mayté, COUDERCHET Laurent : «Agriculture et gestion de l’espace urbain : entre inertie et innovation, filière et territoire. Le cas du parc des Jalles, dans la périphérie Bordelaise». Télécharger le pdf.

CALLAU I BERENGUER Sònia, PAÜL I CARRIL Valerià : «Le parc agricole du Baix Llobregat : un moyen de préserver, développer et gérer un espace agricole périurbain». Télécharger le pdf.

BERNETTI I., FANFANI D., MONACCI F., POLI DANIELA., RUBINO A. : «Le parc agricole comme instrument de l’aménagement stratégique multifonctionnel des espaces périurbains de la Toscane centrale». Télécharger le pdf.

MONBUREAU Barbara : «Vers une agriculture urbaine ; L’exemple de la plaine de Beaudinard à Aubagne». Télécharger le pdf.

DARLY Ségolène, MELOT Romain : «Les formes de contrôle public du zonage agricole : le cas des zones péri-urbaines en Ile-de-France». Télécharger le pdf.

BRANDUINI Paola : «La prise en compte du paysage dans les stratégies des agriculteurs du périurbain milanais». Télécharger le pdf.


Accéder au volume 3

Laisser un commentaire

Laisser un commentaire