«Les agricultures périurbaines : un enjeu pour la ville»
ENSP – Université de Nanterre
Volume 3
La diversité des agricultures urbaines dans le monde
Sous la direction de Roland Vidal
École nationale supérieure du paysage de Versailles
Contrairement à ce que laisserait penser une analyse succincte de la question, il n’est pas possible de classer en deux types clairement différenciés une agriculture urbaine «du Nord» et une autre qui serait spécifique aux pays dits «du Sud». Une constante émerge cependant quant à la priorité relative qu’occupent respectivement les considérations d’ordre alimentaire et celles qui sont plutôt d’ordre paysager ou environnemental. C’est ce que nous rappelle la description faite par Leila FARAH et Vikram BHATT des territoires «squattés» à des fins strictement alimentaires dans les bidonvilles des pays les plus pauvres de la planète. À un mode d’habitat minimaliste et précaire correspond une agriculture dont la principale finalité est de permettre la survie de ces habitants qui seraient tout de même de l’ordre d’un milliard selon les dernières données de l’ONU.
L’agriculture a donc un rôle important à jouer dans le lutte contre la pauvreté urbaine, mais outre que cette dernière n’est pas réservée au Sud, elle a aussi d’autres fonctions à remplir, et notamment en termes de planification urbaine, comme le montre l’exemple argentin décrit par Isabelle DUVERNOY et Maria-Amalia LORDA. On voit bien, dans ce dernier cas, que la distinction entre Nord et Sud n’est pas toujours pertinente. Ce qui constitue un critère plus important, c’est sans doute la capacité des pouvoirs publics et de leurs diverses composantes à mettre en place une gouvernance interinstitutionnelle efficace, comme l’illustrent bon nombre des exemples présentés ici. Au Mexique, par exemple, les questions environnementales liées à la gestion de l’eau révèlent un enjeu qui dépasse largement l’alimentation des populations puisque c’est l’avenir même du système lacustre sur lequel est implantée la ville de Mexico qui est mis en péril par l’absence d’un plan de gestion pertinent. C’est ce que montrent Hermilio NAVARRO et ses collègues en nous rappelant que les enjeux sont à la fois économiques, environnementaux, paysagers et patrimoniaux.
Mais ces enjeux ne sont pas toujours compris de la même manière par tous les acteurs. Au Sénégal, par exemple, Awa BA a mis en évidence le décalage qui s’exprime entre les différents points de vue. Si chacun pense que les Niayes (dépressions dunaires propices au maraîchage) de Dakar représentent à la fois un site de production agricole et un « poumon vert » pour la ville, les priorités données aux deux fonctions ne sont pas les mêmes pour tous. Pour les agriculteurs, les commerçants et les consommateurs, la fonction alimentaire domine largement, alors que les élus et décideurs s’accordent à donner plus d’importance aux fonctions paysagères et environnementales. Dans une autre grande métropole, Casablanca, Mustapha CHOUIKI met en doute la sincérité d’un désir de nature parfois affiché, mais qui pèse bien peu en regard d’intérêts individuels qui se limitent à la recherche d’opportunités foncières : terrains moins chers pour les classes modestes, parcelles plus grandes et mieux isolées pour les classes aisées. Le résultat, économiquement rentable pour les acteurs qui en tirent profit, est une extension urbaine démesurée, gaspillant des espaces perdus à la fois pour la ville et pour l’agriculture, et engendrant de fortes concentrations démographiques dans des territoires sous-équipés à tout point de vue.
Dans tous ces cas de figure, les tentatives de planification opérées par les pouvoirs publics se heurtent à la difficulté de mettre en place un droit de l’urbanisme capable de contrer concrètement des pratiques spontanées plus ou moins guidées par des réminiscences de droits coutumiers. Ici aussi, la distinction entre pays du Nord et pays du Sud n’est pas toujours pertinente, comme l’illustre l’exemple sicilien présenté par Fabrizio MACCAGLIA. Les «Jardins de la Conque d’Or», qu’il décrit ici, semblent en effet condamnés à une disparition certaine du fait du non-respect des réglementations en vigueur. Face à cet état de fait, les autorités réagissent en durcissant les sanctions prévues par les textes, ce qui ne résout rien puisque celles-ci restent, la plupart du temps, non appliquées : «c’est la certitude de la sanction et non sa dureté qui est dissuasive», nous dit l’auteur.
Ces différents constats confirment bien l’idée que des processus de planification urbaine peuvent avoir fait leurs preuves dans certains pays et ne pas être applicables à d’autres. Des différences majeures dans les contextes historiques, économiques et socioculturels conduisent en effet à des situations singulières qui rendent difficiles les comparaisons entre les pays. Autour de Ngaoundéré, dans le Nord-Cameroun, Éric FOFIRI et Joseph NDAMÉ nous montrent ainsi une situation où l’agriculture subit des mutations profondes, tant territoriales qu’économiques, tout en étant assez bien régulée par un assouplissement spontané des pratiques sociales traditionnelles et alors que les interventions de l’État se limitent à un simple accompagnement. Plus à l’est, dans le nord de la Côte-d’Ivoire, Audrey FORMAGEOT nous explique comment les besoins alimentaires urbains induisent une renaissance de l’agriculture, loin de la ville tout en étant le fait d’acteurs de culture urbaine qui reconstruisent une activité agricole en milieu rural. L’agriculture est urbaine de par son mode de conduite et de commercialisation, rurale de par sa position géographique. Les enjeux en termes d’aménagement du territoire en sont forcément très différents.
Ce qui importe, dans tous ces exemples, c’est que les évolutions contemporaines des relations entre les mondes urbains et leurs agricultures ne pourront pas se faire harmonieusement si les pouvoirs publics se contentent d’imposer des modes de planification qui ne prennent pas en compte les spécificités de chacun des pays et de chacune des populations qui les composent. C’est un peu ce qu’expérimentent Moez BOURAOUI et Houman BOUBAKER dans le projet qu’ils mettent en œuvre dans le Grand Tunis depuis trois ans. Si les arguments de ce projet sont fondés sur des principes universels de lutte contre la pauvreté urbaine, et s’ils s’inscrivent dans le cadre de la prévention du stress hydrique auquel la Tunisie, comme bien d’autres pays, risque d’être confrontée, la mise en place progressive du projet se fait en étroite collaboration avec les agriculteurs eux-mêmes. La réussite de l’expérience, et le modèle qu’elle pourra alors constituer, dépendra étroitement de son acceptation par l’ensemble des acteurs concernés.
Articles
VIDAL Roland : «La diversité des agricultures urbaines dans le monde» (introduction). Télécharger le pdf.
FARAH Leila Marie et BHATT Vikram : «Cultiver des territoires squattés». Télécharger le pdf.
DUVERNOY Isabelle et LORDA María-Amalia : «Diversité des fonctions attribuées à l’agriculture urbaine et périurbaine dans la région pampéenne argentine». Article publié dans Environnement urbain, vol 6, 2012. Télécharger le résumé.
NAVARRO-GARZA Hermilio et al. : «Périurbanisation, innovation et risque dans les systèmes horticoles de la vallée de Mexico». Télécharger le pdf.
BA Awa : «L’agriculture périurbaine à Dakar : quelle multifonctionnalité et quelles perspectives ?». Télécharger le pdf.
CHOUIKI Mustapha : «Quelle cohabitation entre le rural et l’urbain dans les espaces périurbains d’une métropole du sud ? : Casablanca». Télécharger le pdf.
MACCAGLIA Fabrizio : «La disparition des derniers jardins de la Conque d’Or». Télécharger le pdf.
FOFIRI NZOSSIÉ Eric Joël et NDAMÉ Joseph Pierre : «Le maraîchage périurbain, un facteur de recomposition socio territoriale au Nord-Cameroun : le cas de Ngaoundéré». Télécharger le pdf.
FROMAGEOT Audrey : «Le maraîchage marchand dans le nord de la Côte d’Ivoire: une agriculture périurbaine loin de la ville ?». Télécharger le pdf.
BOURAOUI Moez et HOUMAN Boubaker : «Valorisation des eaux pluviales et grises en agriculture urbaine pour l’amélioration des conditions socio-économiques des populations défavorisées : Le cas de la ville de Soukra dans le Grand Tunis». Télécharger le pdf.
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