Agriculture et contexte périurbain
Quels que soient les modes de distribution, les prix des fruits et légumes sont bien plus élevés en Tunisie qu’en France si on les évalue au prorata du niveau de vie des deux pays : une
heure de travail rémunérée au SMIC correspond à deux kilos de légumes en Tunisie, contre plus de 5 kilos en France.1 Une conséquence de cette différence est que les exploitations maraîchères tunisiennes peuvent être économiquement rentables sur des surfaces bien plus petites qu’en France. Cette différence leur permet de résister beaucoup plus facilement en milieu périurbain où les extensions urbaines ont pour conséquence un morcellement des territoires entraînant une réduction de la taille des exploitations.
Cette différence est importante car, en France, les seules exploitations maraîchères qui résistent économiquement sont celles qui s’adaptent aux contraintes de l’économie d’échelle en travaillant sur des surfaces qui se comptent en dizaines hectares, donc peu adaptées au contexte périurbain et, par ailleurs, bien mieux adaptées au marché de gros qu’à l’approvisionnement des marchés locaux. A l’inverse, dans la périphérie tunisoise que nous avons étudiée (La Soukra), les exploitations sont économiquement viables avec des surfaces dont la superficie moyenne observée est de 1,3 hectares.
Enfin, l’agriculture périurbaine n’a pas seulement une fonction alimentaire, elle a aussi un rôle à jouer dans le maintien des espaces ouverts dans les régions urbaines. Et ce rôle n’a pas la même importance à Paris, largement équipé d’espaces verts urbains, et à Tunis, où les parcs et jardins publics sont rares et ont quelques difficultés à s’intégrer dans le contexte culturel tunisien.
De plus, si les espaces ouverts agricoles ont un rôle à jouer dans les deux villes, celui qu’ils pourraient être amenés à jouer dans le Grand Tunis est d’autant plus important qu’il concerne aussi la gestion de l’eau. Il s’agit, d’une part, de maintenir des espaces perméables et de contribuer à réduire les risques d’inondation, et d’autre part de contribuer à la prévention du stress hydrique qui menace le pays en valorisant les eaux pluviales et les eaux grises de la ville (Boubaker, Bouraoui, 2009).
Conclusion
L’agriculture de proximité est de plus en plus sollicitée dans les régions urbaines européennes pour répondre aux attentes de sociétés citadines qui connaissent mal la réalité économique du monde agricole (Vidal, Fleury, 2009). Les circuits courts d’approvisionnement sont ainsi compris comme un élément clé de l’aménagement des territoires périurbains, alors qu’ils ne répondent ni aux exigences d’une politique alimentaire durable, ni à celle d’une optimisation de l’impact environnemental de l’agriculture.
Dans le même temps, les circuits courts en Tunisie qui représentent un mode de distribution ayant sa place ancré dans l’économie locale et dans les usages des citadins, est en train de perdre progressivement son agriculture de proximité sous une pression urbaine incontrôlée.
Dans les deux cas présentés ici, on a deux types complètement différents de circuits courts. Dans le cas de la France, il s’agit d’une part d’une production de denrées largement soutenue par la collectivité et d’autre part, d’une forme de distribution soutenue par une clientèle aisée . Cette forme de production et d’écoulement des fruits et légumes ne peut couvrir qu’une partie infime du territoire agricole et ne concerner qu’une partie marginale de la population.
Par contre, en Tunisie, il s’agit d’une forme de distribution déjà existante, conserve sa place sur le marché et concerne une large catégorie de la population. Il serait donc dommage de laisser disparaître cette agriculture tunisoise de proximité qui représente mieux dans son contexte le désir des citadins du Nord.
Finalement, la viabilité des circuits courts, dans tous les cas, dépend des potentialité agro-économiques et climatiques du contexte dans lequel elle s’inscrit.
Bibliographie
DEFRA (Department for Environment, Food and Rural Affairs) : “Comparative life-cycle assessment of food commodities procured for UK consumption through a diversity of supply chains”. London, 2008 (http://defra.gov.uk/).
Schlich E. et al. 2006 : “La consommation d’énergie finale des différents produits alimentaires, un essai de comparaison”. Courrier de l’Environnement de l’INRA 53, 111-120.
Torre A. 2009 : “Retour sur la notion de proximité géographique”. Géographie, Economie, Société, vol. 11, n°1, 63-74
Vidal R. et Fleury A. 2009 : “La place de l’agriculture dans la métropole verte. Nostalgies, utopies et réalités dans l’aménagement des territoires aux franges urbaines”. Revue Projets de paysage, ENSP (http://projetsdepaysage.fr).