La guerre des métaux rares

Guillaume Pitron : La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique. Préface d’Hubert Védrine. Édition Les liens qui libèrent, 2018.

Note de lecture de Roland Vidal

Praséodyme, lanthane, indium, beryllium, néodyme, niobium…
Le premier mérite de l’ouvrage de Guillaume Pitron est de nous familiariser avec ces noms, pour la plupart inconnus, dont on risque pourtant de parler de plus en plus dans les années qui viennent. On en parlera parce qu’ils seront de plus en plus l’enjeu de conflits commerciaux et industriels, parce qu’ils seront l’objet de cette nouvelle « guerre des métaux » qu’évoque l’auteur.

Mais on peut aussi se demander de quels paysages ces « métaux rares » sont les acteurs. Et, là, la réponse dépend de quel coté de la chaîne de production l’on se trouve. Car derrière ces conflits qui s’esquissent aujourd’hui se dessine une fracture paysagère et environnementale qui commence tout juste à sortir du cadre néo-colonial dans lequel elle s’était installée.

D’un côté de la chaîne de production, donc, on trouve ces fameux paysages de la transition énergétique, avec panneaux photovoltaïques sur les toits des habitations, éoliennes à l’horizon et véhicules électriques dans les rues. Des paysages dont on débat, dans nos démocraties de plus en plus participatives, mais pour des raisons d’ordre esthétique bien plus qu’environnemental.

De l’autre côté, c’est-à-dire à l’autre bout du monde, ce sont les paysages de la « face cachée » de cette même transition énergétique. Cachée à nos yeux… pas aux yeux de ceux qui y habitent encore et tentent d’y survivre.

À Ganzhou, par exemple, la ville natale de Gao Xingjian (Nobel de littérature 2000), où des « montagnes de déchets toxiques » se dispersent au point d’obstruer les affluents du fleuve bleu, « des hommes et des femmes, nez et bouche recouverts de simples masques, travaillent dans une atmosphère saturée de particules noircies et d’émanations acides » (page 42).

À Baotou, principale ville de Mongolie-Intérieure et première région productrice de terres rares au monde, les rejets toxiques et la radio-activité1 ont fait fuir la plupart des habitants de leurs lieux de vie qu’ils appellent maintenant les « villages du cancer ».

Et aussi dans d’autres parties du monde, comme l’Indonésie, l’Amérique latine ou l’Afrique.

Là, tout comme en Chine, les nappes phréatiques sont infestées par toute sorte de rejets toxiques. L’eau potable manque2, les terres empoisonnées aux métaux lourds deviennent incultes et même les pluies deviennent acides. 

Selon l’endroit d’où on l’observe, la transition énergétique ne produit donc pas les mêmes environnements ni les mêmes paysages. Elle est « une transition pour les classes les plus aisées : elle dépollue les centres villes, plus huppés, pour mieux lester de ses impacts réels les zones plus miséreuses et éloignées des regards » (page 81). C’est en ce sens qu’elle s’inscrit dans la continuité d’un néo-colonialisme qui a toujours exporté les externalités négatives des pays dominants vers les pays dominés.

Car les métaux rares ne le sont pas plus en Amérique ou en Europe qu’en Chine. Ils sont présents un peu partout sur la planète. Ce sont les conditions de leur extraction, très dommageables pour l’environnement, qui font que les régions du monde qui en ont les moyens ont renoncé à les exploiter sur leur territoire. Les États-Unis, qui en avaient encore le leadership mondial il y a une trentaine d’années, ont fini par fermer leurs mines sous la pression des associations écologistes et de l’agence de protection de l’environnement. C’est à ce moment que la Chine, alors moins soucieuse de son environnement, a pris la place qui est la sienne aujourd’hui sur ce marché laissé libre par les Américains.

Mais les choses sont en train de changer. Outre la prise de conscience, tardive mais réelle, des autorités chinoises envers les questions environnementales, les Chinois ne veulent désormais plus exporter leurs terres rares vers des pays qui accaparent l’essentiel de la plus-value réalisée en laissant la pollution sur place.

La Chine, comme d’ailleurs les autres pays exportateurs comme l’Indonésie, continuera ses exploitations minières, mais au service de sa propre transition énergétique plutôt que de la nôtre.

Et la nôtre dépendra de notre capacité à ouvrir des mines de terres rares sur notre propre territoire, ce à quoi s’opposent les mouvements écologistes, désormais conscients des enjeux environnementaux qu’elle recouvre. Sur ce point, Guillaume Pitron pense que nous n’aurons guère le choix :

« La réouverture des mines françaises serait la meilleure décision écologique qui soit. Car la délocalisation de nos industries polluantes a eu un double effet pervers : elle a contribué à maintenir les consommateurs occidentaux dans l’ignorance des véritables coûts écologiques de nos modes de vie, et elle a laissé à des États dépourvus de tout scrupule écologique le champs libre pour extraire les minerais dans des conditions bien pires que si la production avait été maintenue en Occident. » (page 236)

La question des paysages de la transition énergétique est donc amenée à changer de forme. Il ne s’agira plus tellement de réfléchir à l’intégration des éoliennes ou des panneaux solaires dans nos paysages patrimoniaux, mais de s’interroger sur l’impact de ces nouvelles exploitations minières que nous ne pourrons plus ignorer puisque nous les aurons sous les yeux.

Et il sera toujours temps de se pencher sur cette évidence : la moins polluante des énergies sera celle que nous ne consommerons pas.

 


Présentation de l’auteur par l’éditeur :
“Journaliste pour Le Monde Diplomatique, Géo ou National Geographic (il est notamment lauréat de l’édition 2017 du Prix Erik Izraelewicz de l’enquête économique, créé par Le Monde), Guillaume Pitron signe ici son premier ouvrage. La géopolitique des matières premières est un axe majeur de son travail. Il intervient régulièrement auprès du parlement français et de la Commission européenne sur le sujet des métaux rares.”
Voir la 4e de couverture


Guillaume Pitron est également co-auteur, avec Serge Turquier, du documentaire “La sale guerre des terres rares”, diffusé sur France 5 l’année dernière, présenté ici, et visible sur Youtube.
Il a été l’invité de France Culture lors de plusieurs émissions podcastables ici.


1  Les métaux rares ne sont pas radioactifs mais leur extraction nécessite leur séparation d’avec des minerais qui, eux le sont. Dans les lacs toxiques de Baotou, la radioactivité est deux fois plus élevée qu’à Tchernobyl (page 81)

 Du fait de l’exploitation des terres rares qui en consomme des quantités considérables : 200 litres par kilogramme extrait (page 44)