Le CNERP de Zsuzsa Cros

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Zsuzsa CROS

souvenirs d’une ancienne élève du Centre national d’étude et de recherche du paysage de Trappes

Zsuza Cros, paysagiste hongroise, ancienne élève du CNERP (1972-79), raconte sa carrière en France et en Hongrie.

Le bâtiment du CNERP à Trappes (78), dans les locaux d’une école d’architecture parisienne, archives ENSP Versailles.

Novembre 1972 était le début d’une grande aventure pour moi, jeune diplômée en 1970 en architecture des jardins et du paysage à Budapest1.

Déjà, sortir de la Hongrie barricadée à cette époque derrière le rideau de fer était une épreuve difficile. Comment ne pas être impressionnée quand on ne maîtrise pas encore bien la langue du pays d’accueil, de se retrouver face aux fondateurs et enseignants émérites et aux stagiaires français sélectionnés parmi les meilleurs de l’Ecole de Versailles ou d’autres disciplines : agronome, géologue, architecte, juriste, économiste, sociologue…

Cette formation post graduée a débuté dans les locaux de la rue de Lisbonne à Paris par des exposés des membres fondateurs et d’autres intervenants ponctuels de l’Association Paysage (Rémi PERELMAN, Jacques SGARD, Bernard LASSUS, Charles ROSSETTI, Jean CHALLET, Pierre DAUVERGNE…). Ils ont été rapidement suivis par les études de terrain avec 3 équipes constituées.

L’équipe qui a travaillé en Bretagne dans le secteur du Faou comportait 3 paysagistes et 3 stagiaires venant d’autres disciplines :

Alain Levavasseur : Paysagiste

Jean Pierre Saurin : Paysagiste

Zsuzsa Cros : Paysagiste hongroise

Pierre Poupinet : Géologue-biologiste

Christiane Tournier : Sociologue

Alain Sandoz : Juriste – économiste

Après les années d’études en Hongrie, le changement de pays, l’étude du Faou était pour moi la première investigation dans le domaine du paysage en France.

Plusieurs séjours sur le terrain et les débats entre nous ont permis des échanges, des confrontations, un travail d’équipe matérialisé par des rapports d’études que j’ai retrouvés au grenier parmi mes archives. Trois fascicules photocopiés au format A4 permettent d’évoquer cette expérience de nos débuts au CNERP, il y a presque 50 ans.

2 annexes témoignent des efforts des stagiaires pour avoir une bonne connaissance du terrain :

– une approche plutôt scientifique de la géomorphologie et des composants du milieu qui donnent la structure du paysage « naturel » représenté par une cartographie et des schémas détaillés.

– une approche sensible basée sur la perception du paysage de bocage qui constitue le liant et des éléments forts comme les rias, l’Aulne, la forêt de Cranou, la lande, le Menez-Hom, les Monts d’Arrée qui attribuent au paysage des valeurs particulières. C’est dans cette partie de l’étude que j’ai pu m’investir le plus avec une sensibilité probablement différente des autres stagiaires.

Pour moi la Bretagne était un terrain totalement inconnu, toutefois j’avais l’impression de trouver quelques similitudes avec ma région natale. En effet dans les deux cas il s’agissait d’un lieu éloigné, assez isolé du reste du pays, avec une situation péninsulaire qui donne l’impression de se trouver au bout du monde. Alors que dans le Finistère ce sont les données de la géographie naturelle et d’une histoire ancestrale qui déterminent les caractéristiques du site et du paysage, dans le cas de ma ville natale c’est l’histoire récente au 20ème siècle qui a radicalement transformé notre cadre de vie. La ville de Sopron est située aux confins ouest de la Hongrie, c’était le siège du « Burgenland » petite région qui à la fin de la première guerre mondiale fut rattachée à l’Autriche. Mais suite à un référendum en 1921 les habitants de Sopron ont voté pour rester hongrois. La ville a obtenu le titre glorieux de « Civitas fidelissima » mais elle se retrouvait comme une pointe, une poche isolée de son ancien territoire. À la fin de la deuxième guerre mondiale, l’installation du rideau de fer a conduit à une coupure totale non seulement avec les pays de l’Ouest, mais aussi avec le reste de la Hongrie car il fallait une autorisation pour séjourner ou se rendre dans cette zone frontalière. C’est dans ce milieu fermé, protégé, isolé du monde extérieur que j’ai grandi. À 5 km de la ville dans un vieux moulin à eau au milieu d’un grand jardin et d’un paysage romantique où se retrouvait chaque été notre famille avec les amis : mon père géographe et biologiste, mes oncles, l’un botaniste célèbre, l’autre architecte et peintre ont sûrement éveillé mon intérêt pour la nature et le paysage.

Mais revenant à notre terrain d’étude, le rapport final rédigé par les stagiaires en septembre 1973 à l’issue des analyses de terrain montre qu’il y a eu un vrai travail d’équipe dans lequel nous avions tous apporté notre propre expérience, notre vécu malgré nos approches différentes du paysage. Nous devions répondre aux préoccupations des demandeurs dans le cadre du Plan d’occupation du sol, du Parc Naturel Régional d’Armorique permettant d’orienter l’évolution future du paysage en évitant sa banalisation. Mais nous sommes arrivés à la conclusion que la notion du paysage est du domaine du sensible et est difficile à exprimer en matière d’aménagement.

Nous avons toutefois donné quelques recommandations :

  • Apprendre le paysage par la connaissance du terrain et les attentes des habitants, des usagers du paysage.

  • Quelques réactions des usagers après enquêtes spontanées sur le terrain

  • Raisonner paysage en tenant compte de ses composants, de ses caractéristiques, de ses possibilités d’évolution pour éviter la banalisation.

Paysage caractérisé par le liant homogène constitué par le relief, le bocage, les habitations et les éléments particuliers comme la rade, l’Aulne, le Menez Hom, la Forêt de Cranou, la lande, les vallées, les Monts d’Arrée

  • Les paysagistes sont des acteurs du paysage parmi d’autres, comme les élus, techniciens, agriculteurs, industriels, habitants, touristes…

Il est regrettable que les résultats de cette étude pionnière de paysage n’aient pas été publiés mais soit restés sous forme de petits fascicules photocopiés en noir et blanc qui ne mettent pas en valeur le contenu, les illustrations : montages de photos, cartes, schémas, dessins… des outils de visualisation indispensables pour sensibiliser au paysage.

Dans ce travail d’équipe, ce qui était intéressant, c’est que nous avions tous apporté notre propre expérience, notre vécu, donc une approche différente du paysage. Il fallait donc trouver un terrain d’entente, malgré les confrontations, les avis divergents, bref apprendre à travailler en équipe.

Unités de paysages du secteur du Faou et propositions d’aménagement : 1 Bocage, 2 Espaces semi déserts 3 Vallées, 4 La Vallée de l’Aulne, 5 Amphithéâtre du Faou

À la suite de ces 2 années expérimentales de formation j’ai été retenue comme chargée d’étude au CNERP où j’ai pu participer à la réalisation de plusieurs études de paysage dans différentes régions tout en continuant à travailler en équipe. Quelques exemples :

L’étude paysagère de la Vallée de la Seine, réalisée en 1974, pose la problématique commune aux vallées fluviales qui sont des lieux privilégiés pour l’établissement humain. Le tronçon étudié en Seine et Marne, entre Morsang-sur-Seine et Moret-sur-Loing, est soumis aussi à la pression urbaine de la région parisienne. Il est intéressant de revoir avec recul la démarche utilisée pour l’analyse des paysages de la vallée mettant l’accent sur la structure du paysage issue d’une approche essentiellement visuelle. L’étude traite aussi du problème des sablières et de leur réaménagement.

L’étude paysagère de Fontevrault réalisée en 1975 à la demande de la Caisse des Monuments historiques, avait comme objectif la reconversion et la mise en valeur de l’ensemble abbatial et son environnement fortement dégradés à la suite de l’utilisation en centre pénitentiaire. L’aspect peu accueillant du village, les bâtiments historiques en mauvais état, les jardins en friche, l’isolement du site par les camps militaires étaient loin d’être gratifiants à cette époque pour un patrimoine historique exceptionnel. Aujourd’hui on ne peut que se réjouir en visitant l’abbaye devenu un centre culturel de portée internationale entouré d’un village accueillant. L’étude du CNERP était peut-être un premier pas vers la revalorisation de Fontevrault.

L’impact du reboisement sur le paysage des Ardennes. La préoccupation des demandeurs d’étude était le problème du reboisement en résineux sur le paysage de cette région frontalière qui a beaucoup souffert non seulement de de la première guerre mondiale mais du déclin industriel et agricole récents. Comme la forêt mitraillée avait peu de valeur comme bois d’œuvre pour l’industrie du bois, l’ONF a opté pour les coupes à blanc des massifs de feuillus truffés de projectiles et a mis au point une technique de reboisement en lignes. Les coteaux se trouvaient peignés de lignes régulières de résineux inappropriées dans le paysage légendaire de la Vallée de la Meuse sans parler des conséquences écologiques. Le reboisement en résineux s’est développé aussi dans les clairières des zones agricoles sous forme de timbres-poste. L’équipe du CNERP a réalisé un survol de la région en avion de tourisme pour sensibiliser avec les vues aériennes forestiers et agriculteurs au mitage du paysage.


Boucle de la Meuse à Monthermé Reboisement en bandes dans les Ardennes

L’étude du PAR de l’Argonne s’est finalisé par un document de sensibilisation graphique peu habituel, présenté à la manière de bandes dessinées grâce au coup de crayon de Jean-Pierre Boyer graphiste talentueux intégré à l’équipe. Après enquêtes et études sur le terrain les caractéristiques du paysage existant et futur sont représentées sous forme de scénographie fictive et ludique (modèle de villages avec les noms rebaptisées: Argonnay, Argonette) mais leur description s’inspire de la réalité du terrain, du cadre de vie des habitants. Une publication en anglais dans la revue Landscape planning No3/1980 révèle les résultats de cette étude.

J’ai été frappée dans ce paysage par le contraste entre la vallée de l’Aire, bucolique, et les forêts sombres qui ont connu des combats terribles pendant la Première Guerre Mondiale. On y voit encore les tranchées et les cratères des obus. Nous avons étudié les formes des villages dont de nombreux ont été bombardés, mais qui sont souvent des villages-rue, avec les usoirs, espaces collectifs où les habitants entassent le bois de chauffage et le fumier. Les maisons sont souvent en longueur, avec des pièces aveugles, sans fenêtres. Nous avons tenté de redonner aux habitants une meilleure image de leur paysage marqué profondément par cette guerre, en leur montrant que ce paysage avait des atouts et des valeurs indéniables.

Paysage bucolique de l’Argonne : la vallée de l’Aire Modèle de village schématisé en Argonne

Après avoir quitté le CNERP j’ai continué à exercer comme chargée d’études dans le domaine du paysage :

De 1980 à 1987 auprès de Jacques SGARD à l’Atelier d’Urbanisme et du Paysage, en contribuant à la réalisation d’études et projets de paysage, d’études d’impact des grandes infrastructures, notamment pour l’implantation des lignes électriques THT de 400 000 volts. Ces études ont exigé une analyse approfondie du terrain, afin de pouvoir proposer les tracés ayant le moindre impact sur l’environnement et le paysage. L’EDF assurait l’impression des documents en offset en couleurs. Cela a permis une meilleur qualité du rendu d’étude et d’ utiliser des techniques de représentation visuelle plus attrayantes aux niveaux graphique, cartographique, photographique.

Détail du tracé retenu pour l’implantation de la ligne Argoeuves-Penly dans la Somme

Recherche de tracé sur la presqu’ile de la Hague et photomontages avec emplacement des pylônes

De 1987 à 1993 à la SEGESA – Société d’études géographiques, économiques et sociologiques appliquées où j’ai contribué au développement de l’activité dans le domaine du paysage. J’ai participé à l’élaboration de plusieurs études dans différentes régions à différentes échelles ainsi que dans le cadre de la recherche méthodologique avec Yves Luginbühl lui aussi ancien du CNERP. A titre d’exemple je cite ici quelques études réalisées à la SEGESA sous la direction de Jean-Claude Bontron.

L’étude sur les paysages de la vallée de la Loire a consisté à réaliser un inventaire des paysages riverains de la Loire dans la partie Pays de la Loire et à en faire une évaluation permettant d’établir un ordre de priorité d’intervention pour le Conservatoire des rives de la Loire et de ses affluents afin de garantir la qualité de ces espaces. Une approche nouvelle basée sur les enquêtes nous a permis de connaître les représentations du paysage des riverains et la valeur qui lui est attribué par les différents usagers. Cette méthode fut utilisée par la suite pour établir une méthodologie commune pour les Atlas de Paysages permettant de couvrir tout le territoire français. Cette étude a permis de rassembler les avis des communes par une enquête auprès des maires ou des secrétaires de mairie des communes riveraines de la Loire, soit 100 communes ; nous avons obtenu 80% de réponse et avons pu cartographier les paysages appréciés ou non par les habitants, les évolutions des paysages et les projets d’aménagement ; nous avions envoyé aux mairies une carte de la commune avec une légende. Le résultat a été présenté devant le Président du Conseil Régional des Pays de la Loire, Olivier Guichard et les maires. L’étude a été réalisée en parallèle avec une méthodologie d’identification et de caractérisation des paysages pour le Bureau des Paysages du ministère de l’environnement. Elle a ensuite permis d’aboutir à la première méthode des Atlas de paysages, publiée en 1994.

Iconographie et textes littéraires sur la Vallée de la Loire

Les enquêtes sont devenues des outils incontournables pour mieux connaître les attentes des utilisateurs vis à vis du paysage.

L’étude sur les paysages de la baie du Mont-Saint-Michel comprend deux parties. L’une basée sur l’analyse géographique et paysagiste visant à identifier les caractéristiques, la structure et les dynamiques des paysages de la baie, l’autre basée sur les enquêtes permettant de saisir les représentations que les acteurs de la baie, résidents permanents ou temporaires, touristes ou acteurs institutionnels se font du Mont-Saint-Michel et de sa baie. La stratégie des décideurs devait se nourrir de ces représentations pour mieux ancrer les projets d’aménagement dans le milieu social de la baie. Les entretiens réalisés ont permis de constater une évolution des représentations sociales des paysages chez les personnes interrogées qui ont évoqué en plus de la vue, les odeurs, celles des lisiers ou de la mer, les sons, comme les chants des oiseaux, le toucher, comme par exemple la marche sur la tangue, c’est-à-dire la plage. C’était la première fois que tous les sens humains apparaissaient ouvertement dans la perception du paysage par les habitants.

Acteurs enquêtés : agriculteurs, ostréiculteurs, pécheurs, chasseurs, résidents, résidents secondaire, touristes, institutionnels

Avec Mairie-Conseils2 nous avons organisé des ateliers pour la mise en place de communautés de communes. Les élus et les techniciens des différentes communes devaient réaliser les cartes thématiques avec l’aide des paysagistes, interpréter ensemble les résultats, faire une visite collective sur le terrain où chaque maire présentait les caractéristiques de sa propre commune et les projets souhaités. Cette méthode participative a permis de faciliter les échanges, de trouver un bon terrain d’entente pour travailler ensemble dans le cadre d’une nouvelle organisation intercommunale.

Cette méthode participative a été aussi exploitée dans le cadre du Plan Paysage de la vallée de la Dordogne pour EPIDOR avec la participation de 289 communes riveraines. Mais j’ai dû interrompre cette étude à cause de mon départ pour la Hongrie.

Entre 1993-2003 je suis retournée avec ma famille en Hongrie où mon mari a travaillé pour plusieurs sociétés franco-hongroises. Pour moi ces 10 années étaient des retrouvailles avec mon pays tout en gardant le contact avec la France et mes collègues français.

Je donnais des cours à l’Institut de Gestion de l’Environnement de l’Université d’Agriculture à Gödöllö et à l’Ecole du Paysage de Budapest. L’exposition présentée à Budapest au siège des Monuments Historiques ayant comme titre « Paysage culturel – Protection au niveau local » était l’occasion de montrer un petit coin bucolique de la Hongrie menacé par l’évolution récente de la ville au détriment de son environnement naturel.

Iconographie d’époques différentes représentant le village et le moulin d’eau près de Sopron en Hongrie

Pendant mon séjour en Hongrie j’ai participé au programme européen INTERREG sur les Paysages Viticoles, Patrimoine Mondial de l’UNESCO sur 7 sites européens dont le Tokaj. L’évolution de la région viticole de Tokajhegyalja et la renaissance du célèbre vin de Tokaj a été étudiée pendant plusieurs années par une équipe française (Nicole Mathieu, Françoise Plet, Yves Luginbuhl, Aline Brochot…dont je faisais partie en facilitant les échanges entre les chercheurs français et les acteurs hongrois). Les nombreuses visites effectuées dans la région, les enquêtes réalisées auprès des viticulteurs (œnologues, investisseurs étrangers, viticulteurs hongrois) des institutionnels, des habitants…ont donné une riche matière à exploiter. Plusieurs publications en français et en hongrois relatent les résultats de ce travail.

Nous avons aussi monté une coopération scientifique PICS dirigée par Françoise Plet, entre le LADYSS3, l’Académie des Sciences de Budapest (Victoria Szirmai) et celle de Varsovie où nous avons travaillé ensemble sur les jardins familiaux. Cf. : Yves Luginbuhl : Jardins de tous les désirs d’Europe centrale. In Les carnets du paysage – Acte sud n° 9&10 – pp. 229-255.

Par la suite j’ai travaillé avec Gabor Onodi et une équipe constituée avec les étudiants de l’Institut de Gestion de l’Environnement de Gödöllö sur la transformation des jardins ouvriers et familiaux en Hongrie en comparaison avec les tendances d’évolution dans d’autres pays européens. Un livre fut édité en hongrois ; Cf. :Cros Karpati Zsuzsa – Gubicza Csilla – Onodi Gàbor : Kertségek és kertmüvelök urbanizàcio vagy vidékfejlesztés ? MGK 2004. (Jardins et jardiniers, urbanisation ou développement rural ?)

Revenue en France, de 2003 à 2007, j’ai travaillé comme chercheur associé au LADYSS/CNRS sur la méthodologie des Atlas du Paysage. Nous avons contribué au lancement du Système d’Information sur la Nature et les Paysages (SINP) pour le Bureau des Paysages dirigé par Jean-François Seguin avec son adjointe Elise Soufflet. À partir de la méthodologie des Atlas de Paysage que nous avions élaborée en 1994 nous avons développé de nombreux aspects des atlas de paysage et engendré l’actualisation de la méthode à niveau national. Malheureusement, au départ à la retraite de Jean-François Seguin, ses successeurs n’ont pas continué et seule la nouvelle méthode a été publiée en 2015. En effet, la nouvelle méthode des Atlas de paysages a été rédigée par cette équipe du laboratoire LADYSS et elle a été publiée en 2015. Elle permet d’actualiser l’ancienne méthode ; la décision de réaliser un atlas de paysages tous les 10 ans a été prise par le Bureau des Paysages du ministère de l’environnement.

Couverture de la méthode des Atlas de paysages publiée en 2015.

Dans la perspective de notre retraite nous avons acheté en 2004 une vieille maison en face du Château de Villandry qui est devenue notre résidence principale. Après toutes ces années consacrées aux paysages c’était le retour aux jardins ; d’abord la création de mon propre jardin, puis en 2008 du réseau « Guest & Garden-Hôte et Jardin-G&G » pour valoriser le tourisme de jardins dans la Vallée de la Loire dont font partie nos chambres d’hôtes au jardin nommées « Petit Villandry ». J’ai également lancé l’association « L’embellie de Villandry » dont le but est de contribuer avec la participation active de la population du village de Villandry à l’embellissement floral et paysager de la commune. Je peux ainsi partager ma passion des jardins et des paysages avec des hôtes venant des quatre coins du monde.

Rémi Perelman et son épouse nous y ont retrouvés il y a 2 ans et nous avons naturellement remémoré nos souvenirs de l’époque du CNERP, parlé du paysage et de la possibilité de retrouvailles entre anciens « Cnerpiens ». Il nous reste à trouver le lieu et le moment !!! Pourquoi pas à Villandry ?

Les jardins de Villandry – Aquarelle de Florence d’Ersu

En guise de conclusion

Que pourrais-je dire de cette longue expérience au service des paysages français mais aussi au-delà de l’hexagone ? Le CNERP était sans doute le point de départ vers une autre façon d’aborder le paysage où l’approche visuel des paysagistes a été élargie par l’apport des autres disciplines scientifiques et sociologiques. Durant ce presque demi-siècle nous avons pu assister à l’évolution non seulement de la méthodologie mais aussi à celle des outils employés. L’étude du terrain permettant l’inventaire des composants du paysage, la compréhension de sa structure, de ses tendances d’évolution a été complétée par les enquêtes effectuées auprès des acteurs du paysage.

Il est intéressant de rappeler à quel point les outils employés ont changé pendant notre parcours professionnel avec l’apparition et le progrès de l’informatique ! Les cartes IGN indispensables lors du repérage sur le terrain étaient relayées par la géolocalisation, la cartographie manuelle par les cartes numériques, les photos argentiques par les photos numériques, les textes manuscrits ou tapés à la machine par l’ordinateur, la présentation orale des résultats de l’étude par la projection de diaporamas, de vidéos. Les seuls outils qui semblent immuables pour les paysagistes restent les dessins manuels sous forme de croquis, schémas, vol d’oiseau, blocs-diagramme.

Nous avons attribué beaucoup d’importance lors de nos études à l’iconographie ancienne pour sensibiliser à l’histoire des paysages et leur évolution dans le temps. Il est probable que nous, « anciens cnerpiens », avons pu y laisser aussi nos empreintes pour les générations futures.

Zsuzsa Cros, Mai 2019


Bibliographie

https://topia.fr/2018/11/30/les-debuts-de-lenseignement-a-lensp-2/


Notes

1 La formation de paysagistes (Landscape and Garden Engineer) a débuté dans les années 60 en Hongrie au sein de l’Institut d’Horticulture et de Viticulture avec un recrutement sur concours après le Bac, elle durait 9 semestres. Après 2 ans de formation générale de botanique, dendrologie, horticulture, pathologie végétale, biochimie…on pouvait choisir une discipline spécifique. Je faisais partie de la deuxième promotion de paysagistes qui comptait 10 élèves entre 1965 et 70. Depuis 1987, l’institut est devenu l’Université d’horticulture et d’industrie alimentaire avec des effectifs beaucoup plus élevés : actuellement, le nombre de personnes pouvant être inscrites à une formation spécialisée comme architecte-paysagiste ou paysagiste d’aménagement varie entre 25 et 140 en raison du besoin de spécialistes.

2 Groupe Caisse des dépôts et consignations

3 Laboratoire Dynamiques Sociales et Recomposition des Espaces

Synthèse VTP3

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3e séminaire « Ville, territoire, paysage »

Les écoles dans leur territoire

Les conclusions de Pierre Donadieu

 

Le séminaire cherchait à répondre aux questions suivantes :

– Quelles relations les enseignants et les chercheurs des écoles d’architecture et de paysage entretiennent-ils avec leur territoire d’enseignement ?

– Quelles pédagogies sont utilisées pour élaborer les projets spatiaux, d’architecture, de ville et de paysage ?

– Quelles idées de territoire et de paysage émergent aujourd’hui dans la formation des architectes et des paysagistes ?

13 interventions et 18 posters ont été présentés dans les deux écoles avec un public variant de 30 à 60 personnes, et une excursion dans le territoire de la plaine de Versailles a été organisée avec le concours de Manuel Pluvinage, directeur des services généraux de la communauté d’agglomération de Versailles Grand Parc. Sept écoles d’architecture (Versailles, Paris-Malaquais, Nantes, Montpellier, Marseille, Grenoble) et trois écoles de paysage (Versailles, Angers, Lille) étaient représentées.

Faites par des enseignants d’écoles de concepteurs d’espaces, les interventions présentent des points communs classiques. Elles se distinguent néanmoins par des choix différents de pédagogie du projet d’espace et des variations du sens des principaux éléments  de langage utilisés.

Les points communs

D’abord une évidence pour tous (ou presque) : il est nécessaire, sinon essentiel, de connaitre les territoires, et d’en reconnaitre les caractères morphologiques, sociaux et économiques, pour fonder des projets d’espace qui s’y inscrivent, qu’ils soient d’architecture ou de paysage. Les pédagogies ont intérêt à tirer parti autant de la forme des paysages que des dynamiques sociales et économiques des espaces où s’ancrent les projets ; des identités sociales locales que des jeux d’acteurs (élus, habitants, associations …) sur lesquels elles peuvent s’appuyer.

La pluridisciplinarité semble de plus en plus s’imposer pour diversifier et enrichir la lecture des sites et l’imagination des projets dans les ateliers. Sont mobilisées, non seulement la géographie physique et sociale (notions d’échelles spatiales et d’acteurs sociaux multiples), mais également l’histoire locale, la sociologie et l’anthropologie sociale et culturelle.

Les mêmes outils de projets (plans, maquettes, dessins, coupes, cartes, photographies…) utilisés par les architectes et les paysagistes inscrivent enseignants et étudiants dans des communautés professionnelles voisines de praticiens de projets. Les compétences sont cependant distinctes et en général complémentaires.

Dans les interventions, le problème commun de la distinction entre démarches de projets de paysage et de projets d’architecture est abordé de deux façons différentes. Soit en associant dans les ateliers explicitement sur un site les compétences qui permettent la construction des objets architecturaux et celle des relations sensibles entre les objets (mise en paysage des sites). Un exemple est celui des paysages de l’eau à Dunkerque. Soit en admettant une porosité des notions de paysage, d’architecture, d’urbanisme et de patrimoine pour imaginer un projet inscrit dans un territoire réel ou imaginaire. Dans ce cas, on peut assimiler la notion de territoire, plus à un concept de milieu (au sens de la mésologie de A. Berque), qu’à une notion administrative ou sociogéographique (appartenance), par exemple dans le cas des workshops de l’estuaire de la Loire

En bref, soit on clarifie en distinguant et associant (les deux compétences architecturales et paysagistes sont alors identifiées), soit on redéfinit les idées de territoire et de paysage en tant que milieux de vie humaine et sociale à reconnaitre (de nouvelles compétences hybrides de projet situé émergent).

Les points de différence pédagogique

Nombreux, ils peuvent être néanmoins réunis en cinq polarités. Chacune peut se retrouver avec des dosages variables dans la plupart des exercices pédagogiques

Le pôle de l’arpentage topographique du site de projet apparait clairement dans les ateliers de l’ENSP de Versailles ; Il fonde également la production de l’atlas métropolitain de Marseille. La lecture du site de projet ou du territoire mobilise les outils de la description et de l’analyse critique (croquis, coupes, cartes, photographies…) pour fonder un parti personnel ou collectif de projet en fonction de ce qui est compris des enjeux locaux (habitat, logement, patrimoine, mobilité, création, réhabilitation…).

Le pôle de la construction d’un récit inspirant le projet est soit explicite soit subliminal. C’est le cas des travaux recherchant l’imaginaire culturel des objets ordinaires nomades (le peigne, le balai) et fondant des projets d’architecture (ENSA Paris Malaquais). Mais il est possible également de mobiliser les étudiants sur le devenir d’un bâti (un mas abandonné) en s’appuyant sur les acteurs locaux concernés. Le récit utopique situé fonde alors « une programmation générative » du territoire (ENSA Montpellier).

Le pôle de l’enquête pour le projet s’appuie sur les méthodes de l’anthropologie sociale et culturelle, et de la sociologie. Cette approche expérimentale conjuguée à celle du projet d’architecture permet de reconnaitre les situations sociales difficiles telles qu’elles sont dites par les habitants, notamment dans les territoires péri-métropolitains des villes moyennes de Nevers et Dieppe, ou le long de l’estuaire de la Loire (ENSA Paris Malaquais et Nantes). L’acte de projet d’architecte est alors décentré du « je » vers les intérêts des habitants enquêtés.

Le pôle de la participation sociale permet dans les ateliers d’aller jusqu’à des décisions et des réalisations effectives. L’étudiant, le stagiaire deviennent partie prenante d’un projet abouti. Par exemple en réalisant avec les agriculteurs un jardin vernaculaire dans les chinampas menacés de Mexico. Ou avec les habitants du quartier de Belle-Beille à Angers, en contribuant aux décisions collectives de renouvellement urbain (Agrocampus ouest).

Le dernier pôle est celui d’une connaissance universitaire des processus éducatifs de projet (thèses de doctorat). Pour l’architecture en rendant compte des modèles successifs de l’enseignement des pratiques constructives (les Grands ateliers de l’Isle d’Abeau), et pour le paysage des vertus didactiques de l’iconographie des atlas de paysage du Grand Est. Ces derniers ont été réalisés davantage pour des professionnels et des experts du projet de paysage que pour des étudiants et des scolaires.

Dans la réalité des pratiques pédagogiques, l’importance explicite donnée au contexte des projets d’architecture et de paysage amène à ne pas privilégier une seule méthode d’enseignement car c’est l’étudiant qui décide de la démarche qui lui convient. C’est pourquoi, dans les territoires choisis par les workshops, arpentages méthodiques, lectures critiques, enquêtes, productions de récits et pratiques participatives s’entremêlent pour aboutir à un parti attendu de projet de paysage ou d’architecture.

Conclusions

Si l’on s’en tient aux expériences pédagogiques d’enseignement du projet présentées, on peut constater que certaines relèvent d’une tradition pédagogique d’école (l’arpentage méthodique du site et du territoire chez les paysagistes), et que d’autres sont expérimentales (la participation habitante, l’enquête anthropologique). Dans les deux cas, il s’agit bien de renouveler les réponses à la question de la prise en compte des contextes dans l’acte intuitif/déductif de projet spatial. Intention qui hésite en général à se prononcer comme projet social et politique.

Ces pédagogies portent, selon les finalités enseignantes/étudiantes, soit sur l’espace physique (les caractères matériels perceptibles), soit sur les représentations sociales de l’espace, parfois, et plus rarement sur les deux à la fois. Dans les trois cas émergent une pédagogie du projet de territoire à toute échelle spatiale et de temps (en principe chez les paysagistes) et plus locale voire ponctuelle dans le cas des architectes. Pourtant l’idée de l’apprentissage de la gouvernance des projets de territoires n’apparait pas, même avec l’idée de patrimoine et de biens communs à transmettre.

On peut s’étonner également que des choix pédagogiques qui privilégient les contextes territoriaux soient décrits sans référence aux problèmes de transitions climatiques, énergétiques et de biodiversité du XXIe siècle. S’agit-il d’un non-dit, qui n’est sans doute pas un déni ?

Le point essentiel à retenir, qui est confirmé par les expositions de la biennale architecture et paysage de l’Ile-de-France à Versailles, est la disparition des éléments de langage de l’urbanisme, notamment du projet urbain. Est-ce que, dans les formations, la pensée de l’urbanisme de projet est absorbée par celles de l’architecte et du paysagiste concepteur ?

Est-ce que l’on peut encore dire avec le manifeste international de l’urbanisme paysagiste (C. Waldheim et J. Corner, 2006) que « la ville doit être construite non par l’architecture mais par le paysage » ?

Ou bien devrait-on le remplacer par : « le territoire habité (la région urbaine notamment) se construit à la fois par l’architecture, le patrimoine et le paysage » ? Ce qu’a théorisé la société des territorialistes italiens (A. Magnaghi, 2014) en s’adossant à la philosophie du biorégionalisme (Berg, 1977).

Avec ce seul échantillon, il est prématuré de conclure …

Ajoutons qu’en réponse aux questions posées au début, on peut constater des expériences pédagogiques différentes dans les territoires où les formations de concepteurs de projets s’implantent. Celles-ci semblent évoluer de pédagogies de la forme centrées sur le faire, vers des configurations privilégiant les rencontres avec ceux et celles que les formes et les actes constructifs concernent. Le sens des notions clés de territoire et de paysage, peu ou pas définies en général, semble cependant converger vers celui de milieu habité, tel que le définit « mésologiquement » le géographe et philosophe A. Berque.

P. Donadieu, 18 juin 2019