Yves Luginbühl

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L’enseignement d’Yves Luginbühl

Histoire personnelle du Centre national d’étude et de recherche du paysage
CNERP (1972-79)

par Yves Luginbühl

Photo prise par mon père, Emile Luginbühl (1913-1956), en 1952.

 

Cette histoire singulière a commencé pour moi bien avant la création du CNERP par Robert Poujade en 1972. Après un passage dans la recherche scientifique comme entomologiste médical, spécialiste des insectes vecteurs de maladies tropicales, comme la fièvre jaune ou la malaria, j’ai eu l’occasion de me frotter à la pratique du paysage en entrant dans une entreprise d’espaces verts – du moins est-ce ainsi que l’on qualifiait alors les entreprises de jardins et de parcs – l’entreprise Georges MOSER, filiale de l’entreprise de travaux publics Jean Lefèvre, dont le siège était à Versailles. Je fus embauché comme assistant chef de chantier, commençant par des travaux de maçonnerie sur un chantier d’un ensemble immobilier dénommé « Versailles Grand Siècle ». C’était l’hiver 1970 et il faisait un froid intense, j’en avais les doigts gelés.

 
Mes premiers objets de recherche : à gauche, Aedes aegypti, moustique vecteur de la fièvre jaune ; à droite, la puce du rat, vecteur de la peste.

Un peu plus tard, avec le statut de chef de chantier, j’ai travaillé à la réalisation de l’une des résidences secondaires de Marcel Dassault, à Coignières, près de Trappes : un terrain plat, où nous avons planté plus de 6000 peupliers, environ 2000 tilleuls ; les peupliers étaient destinés à cacher les châteaux d’eau de la gare de triage de Trappes que Marcel Dassault ne voulait pas voir depuis sa résidence secondaire, réplique du petit Trianon, qu’il avait fait construire sur une petite colline artificielle, en faisant appel à des artistes connus comme le père de Jean-Paul Belmondo, sculpteur, et Jansen, décorateur alors très connu. C’est sans doute l’expérience de chantier la plus extraordinaire que j’ai connue, où j’ai pu observer les comportements humains les plus rapaces, avides et honteux. Tous les responsables du chantier en ont profité pour s’en mettre plein les poches, à commencer par l’architecte qui racontait partout qu’avec le fric qu’il ramassait, il pouvait se payer toutes les call-girls (pour être poli !) qu’il voulait.


Propriété de Marcel Dassault à Coignières, après sa mort. A gauche, vue aérienne de sa résidence secondaire, modifiée depuis que je l’ai vue en 1970 ; à droite, l’allée qui conduit à l’entrée du parc avec le mur d’enceinte.

Ce chantier fut sans doute le plus bénéfique financièrement que l’entreprise MOSER a connu, tout se faisait en régie, chaque peuplier a coûté l’équivalent d’un salaire d’ouvrier, soit 400 Francs de l’époque. Le mur d’enceinte de la propriété a coûté l’équivalent d’un avion de chasse Mirage, c’est-à-dire un milliard de francs. Je pourrais raconter un vrai roman sur cette expérience ; et en particulier les visites de Marcel Dassault, tous les 15 jours, un samedi matin où l’entreprise envoyait tous ses ouvriers sur le chantier, 500 environ. Ceux-ci se mettaient le long de la route qui faisait le tour du golf de 9 trous du milliardaire avec toujours un chapeau, une casquette ou un béret et lorsque Marcel Dassault passait dans sa Rolls-Royce avec son chauffeur, fenêtre ouverte, les ouvriers s’abaissaient en tendant leur couvre-chef et Dassault lâchait un billet de 100 Francs dedans. Tout fonctionnait comme cela, le gardien, ancien CRS, menaçait les chefs de chantier de dénoncer les problèmes de dégradation d’un arbre qui pouvait arriver et l’entreprise lui offrait des arbres, comme un cèdre en bac de 4 mètres de haut ou 50 rosiers tiges pour son propre jardin.

Je ne raconte pas cette aventure pour ses anecdotes, mais pour situer un contexte du domaine de la réalisation des parcs et jardins de l’époque. Il me semble que ce cas est significatif du climat de corruption qui régnait alors dans ce secteur (l’entreprise MOSER avait aussi le chantier des espaces verts du périphérique ouest de Paris et c’était là la corruption généralisée). Mais en même temps, cette expérience m’a permis d’apprendre beaucoup des pratiques paysagistes en les mettant en œuvre moi-même. Notamment lors du chantier du parc d’Elancourt dont Michel Corajoud était le concepteur, puis le parc André Malraux avec Jacques Sgard, à la Défense.

 
A gauche, le Parc André Malraux à la Défense réalisé par Jacques Sgard, dont j’ai dessiné les plans d’exécution ; à droite, le parc des Coudrays à Elancourt, conçu par Michel Corajoud, dont j’ai également réalisé les plans d’exécution.

Puis vint le CNERP : je ne sais plus vraiment comment j’ai eu connaissance de la création de cet organisme, sans doute par le bouche à oreilles ou la presse, mais j’ai su que le ministre chargé de l’environnement de l’époque, Robert Poujade allait le créer et lancer un concours de recrutement de stagiaires. Je me suis porté candidat en tant qu’ingénieur agronome et à ma grande surprise, j’ai été reçu. Je n’ai pas démissionné tout de suite de l’entreprise MOSER qui m’a permis de suivre les séminaires pendant environ deux ans tout en assurant le suivi des plans d’exécution du parc André Malraux à la Défense pour Jacques Sgard. Là également, je pourrais raconter pas mal d’anecdotes croustillantes.

Je me suis donc retrouvé 45, rue de Lisbonne à Paris avec les autres stagiaires, dont 6 paysagistes de Versailles, Alain Levavasseur, Georges Demouchy, Jean-Pierre Saurin, Didier Corot, France Trébucq et Jean-Pierre Clarac, une paysagiste hongroise, Zsuzsa Karpati-Cros, une sociologue, Christiane Tournier, un biologiste, Pierre Poupinet, un géographe, Bernard Brun, trois architectes, Luc Etivant, Bertrand Lavier et Claire Michenet, un juriste, Alain Sandoz. Nous étions donc 15 stagiaires.

Un premier constat : l’enseignement a été plutôt passionnant, presque luxueux, avec des séminaires mobilisant des noms de spécialistes animés par le personnel enseignant comme Bernard Lassus, Jacques Sgard, Charles Rossetti, Rémi Pérelman, ou Michel Macary, architecte, Jean Challet, paysagiste, Jacques Montegut, botaniste, et Pierre Dauvergne, notamment. Je me souviens surtout de la visite que les stagiaires ont faite à l’Institut du Pétrole pour apprendre la technique des photographies aériennes, puis le voyage que nous avons fait dans le midi, à l’étang de Berre, à Fos-sur-Mer, qui nous a donné l’occasion de voir les aménagements industriels et pétroliers et de les commenter avec le personnel encadrant. Certains séminaires sur la discipline de l’écologie m’ont permis de me familiariser aux nouvelles connaissances alors que j’avais un diplôme d’entomologiste avec une dimension écologique (j’avais fait un mémoire de DEA sur l’écologie des moustiques dans le Languedoc).

Je passe sur tous les séminaires qui ont été organisés et en particulier un séminaire sur l’esthétique avec un musicien (Pierre Mariétan) qui m’a vraiment frappé. Il s’agissait de nous sensibiliser à l’esthétique musicale contemporaine, qui pouvait paraître un peu barbare par rapport à la musique classique que j’ai pratiquée en faisant partie de la chorale du conservatoire de Grenoble. Je dois dire que c’était une expérience intéressante.

L’une des présentations d’étude qui m’a apporté beaucoup est celle qu’une équipe dirigée par Pierre Dauvergne a réalisée sur la vallée de la Loire lorsqu’il travaillait à l’OREALM, Organisation d’Études d’Aménagement de la Loire Moyenne. Cette étude a été la première étude de paysage à l’échelle de l’aménagement du territoire effectuée en France. Elle a été conduite par une équipe composée de paysagistes de la Section du paysage et de l’art des jardins de l’Ecole Nationale d’Horticulture de Versailles (Jean-Pierre Saurin, Georges Demouchy, Daniel Jarry, et Michèle Delaigue), et d’écologues du Centre d’Etudes Phytosociologiques et écologiques de Montpellier (CEPE). Cette étude a fait l’objet d’un long rapport publié sous le nom de « Le paysage rural et régional »1. Le contenu de l’étude est aussi intéressant que la méthodologie mise en œuvre : c’est en effet la première fois que le terme de sensible est utilisé pour désigner les manières dont le paysage est perçu, mais il est surtout question de perception visuelle à travers des vues et des points de vue ou des champs de vision précisés sur des coupes de la vallée de la Loire ; la perception se limite encore presque exclusivement au visuel, même si l’on parle de sensations. A travers cette étude, j’ai découvert un nouveau champ sémantique du paysage, celui des perceptions (ou des représentations sociales des paysages) qui deviendront plus tard un objet majeur de mes recherches. La méthodologie de cette étude consistait à analyser les paysages et leurs évolutions et à intégrer les prescriptions dans les documents d’urbanisme de l’époque, c’est-à-dire les POS et les SDAU. En fait, il s’agissait de faire un diagnostic de l’état des paysages et des évolutions qu’ils subissaient, puis de proposer des actions d’aménagement destinées à améliorer la qualité des paysages. Cette question de la qualité des paysages a donné lieu à des débats interminables qui ne sont toujours pas complètement terminés. En effet, ce problème n’est pas évident à conceptualiser, car les représentations sociales des paysages interviennent dans leur diversité et rien ne peut certifier que des acteurs de l’aménagement du territoire puissent définir ce que constitue la qualité d’un paysage. C’est pourquoi la recherche s’est orientée vers l’analyse des valeurs attribuées aux paysages par les populations concernées et s’est penchée sur l’étude des représentations sociales des paysages en réalisant des enquêtes ou des entretiens semi-directifs auprès de diverses catégories de population. C’est ce que l’on verra apparaître plus tard, bien après le CNERP, dans les années 1980 à 1990 avec les premiers appels d’offres de recherche pour la communauté scientifique.

Dans cette étude, la partie écologique se résumait à une analyse des formations phyto-sociologiques, et l’articulation avec les analyses des paysagistes n’était pas vraiment faite. On ne peut pas dire qu’il s’agissait d’interdisciplinarité telle qu’elle sera pratiquée plus tard dans les programmes de recherche sur l’environnement du CNRS. Mais elle avait l’avantage de révéler les paysages composés d’associations de plantes qui pouvaient correspondre à des unités de paysage telle que les paysagistes les définissaient.

Plus tard, le CNERP s’est engagé dans la réalisation d’études à caractère méthodologique pour passer du paysage de l’échelle du jardin à celle de l’aménagement du territoire ; cet objectif faisait partie de la mission de l’organisme. Comme celle de réunir la documentation spécifique confiée à Sarah Zarmati ; ou celle de la formation des cadres et techniciens des administrations concernées, qui a débuté la seconde année avec Anne Kriegel, stagiaire recrutée en 1973. Les premières études du CNERP ont été au nombre de trois : celle du PNR du Faou, c’est-à-dire du Parc Naturel d’Armorique, celle du plateau de Valbonne Sophia-Antipolis, et celle d’une route de Champagne, l’axe Reims-Chalon sur Seine, avec Bertrand Lavier et Claire Michenet. Trois équipes ont donc été formées pour assurer la réalisation de ces études. Je fis partie de celle de Valbonne Sophia-Antipolis avec Georges Demouchy, France Trébucq, Didier Corot et Georges Brun. Cette expérience fut à la fois profitable, intéressante, mais aussi un peu difficile ; je m’explique : en tant qu’agronome de formation, je fus considéré par mes collègues comme un ingénieur insensible au paysage, notamment par Georges Demouchy qui n’a pas cessé de me critiquer en raison de ma formation. Pourtant, je ne me considérais pas du tout comme insensible au paysage qui a, pendant toute ma jeunesse, été fondamental dans mon expérience personnelle de l’espace géographique ; j’ai vécu toute ma jeunesse dans un parc d’un ministre de Napoléon III, dans la vallée de l’Isère, face à la chaîne de Belledonne, que j’ai pu contempler chaque jour ; c’est aussi pour cette raison que j’ai fait de longs voyages, comme celui que j’ai eu la chance de réaliser en 1968 lorsque je suis parti avec trois amis en Afghanistan en voiture en traversant toute l’Europe, la Turquie, l’Iran.

Ce fut l’occasion de contempler de sublimes paysages, j’ai d’ailleurs appris à filmer lors d’un stage à l’ORTF et j’ai réalisé un film sur ce pays en 16mm. L’année suivante, je suis allé en Inde, à Ceylan, au Népal, puis au Pérou avec mon épouse qui m’a également accompagné lors d’un second voyage en Afghanistan, cette fois en avion. L’argument que m’opposaient certains paysagistes du CNERP était pour moi une sorte d’offense. En tout cas, cette opposition entre la vision de paysagistes sur une autre discipline en dit long sur les représentations que nous nous construisons des disciplines autres que celle à laquelle nous appartenons. C’est un sujet que j’ai pu approfondir plus tard, lorsque je suis devenu chercheur au CNRS. J’ai d’ailleurs écrit des articles et un ouvrage dans lequel un chapitre entier est consacré à la question de la sensibilité aux paysages.

Photographies de mon voyage en Afghanistan en 1968 : en haut à gauche, lac de Band-I-Amir ; au milieu, ancienne forteresse de Sohak ; à droite, l’un des Boudas de Bamyan qui a été détruit par les Talibans ; en bas, femmes turkmènes devant leurs yourtes à Band-I-Amir ; au milieu, près du col de Tajihak, à 4500 mètres d’altitude, devant un caravansérail en ruines ; à droite, une femme Kutchi et ses enfants, à Kunduz au nord du pays.


Les paysages de mon enfance : en haut à gauche, la dent de Crolles, à droite, la Meije et ses glaciers, spectacle quotidien pendant mes vacances d’été, en bas, chaîne de Belledonne et de la Chartreuse ; j’habitais dans la vallée de l’Isère, entre ces deux chaînes de montagne.

Toujours est-il que j’ai contribué à cette étude de Valbonne Sophia-Antipolis sur un territoire qui était alors presque sauvage, inoccupé, abandonné, mais très agréable à vivre et qui était destiné à un aménagement d’espaces de déploiement des nouvelles technologies. Il y avait, au milieu des 2500 hectares de ce terrain, une ancienne ferme entourée de terrasses de culture abandonnées, mais superbes et que nous pensions transformer en un centre à vocation culturelle autour du paysage ; dans cet espace peuplé de pins maritimes, de chênes verts et de plantes de garrigue, j’ai été frappé par les odeurs des végétaux qui me rappelaient les romans de Jean Giono.

Photographies de Sophia-Antipolis, en haut, une carte actuelle et le bâtiment de l’université.
En bas, vue aérienne et rivière La Bouillide qui traverse le site.

Je suis revenu bien plus tard à Sophia-Antipolis pour un colloque et je n’ai pratiquement rien reconnu. Tout l’espace avait été construit et il ne restait presque plus rien de ce que j’avais connu. Mais je n’ai pas pu m’aventurer dans tout l’espace et n’ai pas pu voir si cette ferme ancienne avait été conservée. Ceci pour dire que les souhaits des paysagistes du CNERP de conserver une grande part de l’espace naturel n’avaient pas été respectés et qui montre que le paysage passait alors très loin derrière les enjeux économiques. Certes, les choses ont un peu changé, mais le paysage passe toujours après la biodiversité ou le changement climatique, bien que ces deux enjeux puissent être informés par le paysage, notamment grâce aux structures paysagères qui sont assimilables aux zones de connexion biologique. Mais la communauté des écologues est beaucoup plus puissante que celle des paysagistes ou des chercheurs sur le paysage et ils imposent souvent leurs visions du monde naturel ou anthropisé.

Après cette expérience, j’ai pu participer à d’autres études, comme celle du Plan d’aménagement rural de l’Argonne. Ce fut, je pense, une autre expérience autrement enrichissante où j’ai pu mesurer le poids de l’histoire dans la formation d’un paysage martyrisé par la Guerre de 14-18. Avec la petite équipe qui contribuait à cette étude, nous pouvions, lors de nos explorations pour analyser ce paysage, observer les anciennes tranchées, les trous d’obus, les balles de mitrailleuses dans les chemins ou dans les écorces et troncs des arbres. C’est d’ailleurs pourquoi, lors de mes travaux ultérieurs de recherche, j’ai toujours donné à la dimension historique une importance capitale. Je pense par ailleurs que la dimension historique n’était pas assez développée au CNERP, notamment dans les séminaires. C’est pourtant par la dimension historique que l’on a pu, dans les années 1990 et plus tard, théoriser les sens du terme paysage à travers l’analyse des premières occurrences du mot dans les langues européennes et les évolutions des significations du paysage avec celles des contextes sociaux, politiques et économiques.

Paysage d’Argonne, où j’ai participé à l’étude paysagère du Plan d’aménagement rural ; on y voit la forêt, siège de terribles combats pendant la Guerre de 1914-18.

Une autre étude qui m’a passionnée lors de mon séjour au CNERP fut celle que nous avons entreprise en 1977 avec Pierre Dauvergne dans les Pyrénées centrales, dans la vallée d’Aspe, à Aydius, petit village perdu dans la montagne, isolé, seulement accessible par un chemin non goudronné et pour lequel la direction départementale de l’équipement nous demandait notre avis sur les effets de la construction d’une route sur le paysage de la vallée2. Ce paysage était surprenant, surtout en raison des sentiers bordés de buis taillés serpentant sur les flancs de la vallée : c’était magnifique et nous craignions que la route fasse disparaître ces sentiers qui n’auraient alors plus d’utilité ; les buis servaient aux paysans à confectionner des boules pour les chapelets vendus à Lourdes. Cette étude fut pour moi l’occasion de réfléchir à la création de paysages par des communautés paysannes, avec leurs propres savoir-faire et leur culture de la nature ; une manière de se distinguer d’une esthétique formelle et officielle, défendue par les esthètes des associations de protection du paysage, comme la SPPEF, créée au début du 20ème siècle.


Aydius, village de la vallée d’Aspe, dans les Pyrénées, lieu de l’étude paysagère réalisée par une équipe du CNERP. A gauche, on voit bien les haies de buis qui bordent les sentiers d’accès aux fermes.

Entre temps, le CNERP avait déménagé à Trappes, dans un bâtiment mal isolé, avec du bardage de tôles dans un coin pourri, à l’intersection de deux routes et à 5 minutes à pied de la gare de Trappes. L’hiver, il y faisait froid et en été, on y crevait de chaud. Une vraie catastrophe énergétique. Le CNERP avait beaucoup changé, le directeur était Rémi Perelman, le responsable des études Pierre Dauvergne et je me suis retrouvé responsable de la cellule audiovisuelle, chargé de monter une collection de photos de paysages (une diathèque) et de réaliser des montages audiovisuels sur des thèmes divers. Je m’étais spécialisé sur les carrières et sablières et je me suis formé une connaissance du sujet, en visitant des carrières et sablières pour sensibiliser les techniciens des administrations concernées aux effets paysagers de ces lieux d’extraction des matériaux du sol. A cette époque existait une taxe parafiscale sur les tonnages de granulats extraits qui permettait d’aménager les lieux après extraction. C’est ce qui a permis de réaliser des documents de sensibilisation au réaménagement des carrières et sablières et même un film en 16 mm sur l’évolution des sablières de la confluence entre la Seine et l’Yonne ; j’avais alors une caméra 16 mm Beaulieu que j’avais acquise pour mes voyages en Asie et en Amérique du sud. C’était la seconde année du CNERP qui avait recruté la seconde promotion de stagiaires et notamment Anne Kriegel, architecte qui s’occupa des opérations de sensibilisation. Le CNERP avait aussi recruté des personnels spécialisés, en l’occurrence Jean-Pierre Boyer qui m’assista dans la cellule audiovisuelle, ainsi que Pierre Vantouroux, technicien de l’audiovisuel. C’est avec eux que le film fut réalisé.

Dans l’action sur les carrières, je me souviens également d’une opération dans les Alpes Maritimes qui avait été peinte en vert pour l’intégrer au paysage. J’étais effaré par une telle opération qui ne résolvait rien, mais qui répondait aux exigences esthétiques de l’époque. J’ai pu aussi assister au réaménagement d’une carrière près de Mantes-la-Jolie, près de l’autoroute A13, qui avait un objectif de remettre en état paysager et écologique les fronts de taille du calcaire. C’était quand même plus pertinent que de peindre en vert une falaise de calcaire. Les opérations de sensibilisation sur les carrières et sablières furent conduites en association avec Anne Kriegel et nous organisions les débats avec les participants, toujours perplexes sur des objectifs à caractère paysager ; il était plutôt question de réaménager ces lieux avec un objectif agricole, la remise en culture, ou écologique, favoriser le développement de la flore ou de la faune. Il fallait alors montrer que les objectifs agricoles ou écologiques n’étaient pas incompatibles avec un objectif paysager ; de nombreuses sablières furent aménagées en étangs de pêche.

L’activité audiovisuelle dont j’étais chargé ne m’a pas empêché de participer à d’autres études paysagères ; et notamment une étude sur le patrimoine paysager dans la vallée de l’Armançon, affluent de l’Yonne. Ce patrimoine était très important, il s’agissait de petits éléments du paysage rural le long de la rivière, comme les lavoirs, les abreuvoirs pour les animaux et surtout en amont, dans trois vallées parallèles en Bourgogne du patrimoine vigneron qui était menacé de disparition, en raison de l’abandon de la vigne après la crise du phylloxéra. Cette étude fut conduite avec une paysagiste, Marie-Noëlle Brault qui fit partie d’une promotion de stagiaires. Je me souviens surtout d’une mission en plein hiver où le givre ornait tous les arbres proches de l’Armançon et qui donnait au paysage un aspect singulier, particulièrement magnifique.

Je me suis également intéressé aux paysages de montagne : avec le CEMAGREF de Grenoble et surtout Bernard Fichesser, nous avons réalisé un document audiovisuel sur les paysages de montagne avec des diapositives venant de la diathèque du CNERP et de celle du CEMAGREF. Avec Bernard Fichesser, nous avions des divergences de sens sur le paysage, mais nous parvenions à surmonter nos différences de conception. Lui-même avait une vision relativement esthétique du paysage, alors que pour moi, le paysage était d’abord un objet d’aménagement du territoire et soumis à des valeurs diverses selon les acteurs. Dans le domaine du paysage de montagne, il existait une théorie dénommée « sitologie », issue des travaux de deux architectes, Faye et Tournaire ; ils proposaient des principes de construction fondés sur la pente du terrain et sur les pentes des toits des bâtiments : ainsi, si un versant avait une pente de 45°, il fallait que les toits des constructions aient une pente de 45°. J’estimais pour ma part que cette pratique était simpliste pour ne pas dire stupide. Alors que je venais des Alpes où j’avais passé toute ma jeunesse et mon adolescence, j’avais pu observer les chalets ou les fermes d’alpages ou les villages de haute montagne et jamais je n’ai pu affirmer que les toits de ces constructions avaient une pente égale à celle des versants, et d’autant plus que si on observait un bâtiment d’un autre côté, il n’avait pas du tout la même configuration.

En tout cas le travail réalisé avec Bernard Fichesser a quand même abouti à ce document audiovisuel qui fut un moyen de sensibiliser les élus des communes de montagne à la question du paysage. Et je peux également dire que ce travail m’a permis d’acquérir de nouvelles connaissances sur le paysage de montagne, comme ce que l’on appelait la zone de combat, à la limite des forêts, là où commencent les prairies d’alpage ou d’estive. Pourquoi combat ? Parce que c’est la lutte des arbres contre l’âpreté de la nature, les conditions de froid et d’enneigement. C’est pourquoi, dans cet espace, les arbres sont souvent chétifs, en raison des conditions climatiques extrêmes.

Après la première année du CNERP, les séminaires de formation tels que je les ai connus, ont cessé et je pense que c’était regrettable. Il existait une tension entre les paysagistes internes à l’organisme et la communauté externe des praticiens du paysage, ces derniers estimant que le CNERP leur faisait une concurrence déloyale. C’était notamment le cas de Michel Corajoud qui vint au CNERP pour une formation des stagiaires et qui ne décolérait pas devant la capacité du CNERP de conduire des études opérationnelles. Pour ma part, je pense qu’il y avait dans cette position une certaine mauvaise foi, car ce paysagiste n’avait pas à se plaindre des contrats qu’il avait lui-même avec des collectivités territoriales. Evidemment, il pouvait prendre cette position pour les autres, et notamment les plus jeunes qui cherchaient du travail. Plus tard, j’ai eu l’occasion de réfléchir à cette question de l’accès des paysagistes aux appels d’offre des collectivités territoriales. Il me paraît clair que le domaine du paysage fonctionne comme celui de l’architecture où des praticiens connus, voire des stars du métier n’ont aucun problème pour accéder à des opérations bien payées. Mais les plus jeunes souffrent de leur non reconnaissance dans le domaine. Je sais d’ailleurs que certains jeunes paysagistes ont abandonné leur métier pour se retrouver caissier à la FNAC ou dans un supermarché.

Un jour, je déjeunais avec un élu d’une ville où avait été lancé un appel d’offres sur un plan de paysage : je connaissais une jeune équipe qui avait répondu ; je demandais à l’élu qui avait eu une réponse positive ; il me répondit que c’était un certain paysagiste bien connu et je lui demandais ce qu’il en était de la jeune équipe : il me répondit qu’ils n’avaient pas assez d’expérience. Bien évidemment, si une collectivité ne leur attribue pas d’opération, ils ne risquent pas d’avoir de l’expérience. En outre, je connaissais le paysagiste qui avait obtenu l’opération, et je pense qu’il n’avait pas plus de capacités que la jeune équipe qui cherchait à innover dans les méthodes et en particulier par des dispositifs participatifs. Bref, il me semble qu’il y aurait une sérieuse réflexion à engager sur la manière dont les appels d’offre sont organisés et attribués.

Le CNERP s’est étoffé, avec un centre de documentation créé dès le début et dirigé par Sarah Zarmati, assisté ensuite par Nicole de Gouttes et Claudine Zysberg. Ce centre a rassemblé plusieurs milliers de livres, a réalisé des notes bibliographiques et des recherches documentaires. Le grand problème de cet organisme est son mode de financement. Le budget ne repose pas sur une subvention du ministère chargé de l’environnement, mais sur la recherche de contrats avec des institutions et des collectivités territoriales : c’est la course au contrat. Pour faire fonctionner l’organisme, il faut que son directeur, Rémi Perelman, plus ou moins assisté de Pierre Dauvergne ou d’autres membres chargés de mission, cherchent des opérations d’étude qui sont financées par une institution. C’est un cercle infernal et il est arrivé que nous attendions nos salaires pendant un mois, parfois plus. Faire rentrer de l’argent était difficile et c’est d’ailleurs ce qui aura raison de la pérennité du CNERP. Mais en attendant sa fin, seul le recours à un financement extérieur est possible.

Le CNERP s’est aussi équipé, de plusieurs voitures de fonction qui permettent aux membres d’aller sur le terrain pour les études. Il faut donc payer les voitures, leurs assurances, l’essence et les réparations éventuelles ou l’entretien. En outre, les études s’accompagnent toujours de nombreuses photos dont il faut acheter les pellicules et les faire développer. C’est la cellule audiovisuelle qui s’en charge et j’ai passé un accord avec un magasin de photographies qui nous fournit en matériel et en pellicules. Parfois, nous avons recours à un laboratoire de photographie qui est de grande qualité, mais bien plus onéreux. Tout ceci a un coût qui ne cesse d’augmenter et les problèmes financiers du CNERP croissent avec le temps.

Mon intention n’est pas de développer l’ensemble des travaux que le CNERP a réalisés dans sa courte existence. Je souhaite mentionner cependant un voyage en Angleterre qui était l’un des pays les plus avancés alors sur la question de l’aménagement des paysages avec les Pays-Bas. Ce voyage conduisit la totalité de l’équipe du CNERP dans la région de Sheffield où l’université avait conduit des études et des recherches sur le paysage : nous avons visité le Peak Park, où le paysage est composé de prairies d’élevage de moutons principalement, celles-ci étant séparées par des murets de pierres sèches. Puis nous sommes allés à Glasgow, pour rencontrer les chercheurs de l’université qui avait développé des études et recherches sur le paysage. Ce fut une expérience instructive pendant laquelle nous avons pu mesurer les différences de conception et de méthodes. Personnellement, j’en ai retenu des connaissances qui m’ont servi plus tard dans ma carrière de chercheur, lorsque je me suis intéressé à la formation historique des enclosures et en particulier du bocage. Ce domaine a constitué un axe de recherche important de mes recherches qui ont donné lieu à de nombreuses enquêtes auprès des habitants et surtout des agriculteurs ; les entretiens m’ont ouvert les yeux sur la diversité des pensées du paysage.

Il me semble que le plus important, après cette expérience du CNERP qui prit fin en février 1979, est de réfléchir à ce qu’elle m’a apporté. Le premier point concerne la question de la sensibilité au paysage ; dans les études du CNERP ou dans celles que j’ai eu l’occasion de consulter ou de conduire moi-même, la sensibilité renvoyait à celle du paysagiste. C’est ainsi qu’elle était formulée dans l’étude de paysage sur la Loire moyenne que j’ai mentionnée précédemment. Dans celles que j’ai conduite moi-même plus tard, la question de la sensibilité était et demeure différente : il s’agissait de savoir comment les acteurs locaux et en particulier les habitants percevaient le paysage de leur territoire. C’est d’ailleurs de cette manière que j’ai envisagé d’identifier les sensibilités aux paysages dans ma thèse de doctorat sur le vignoble de Bourgogne. C’est pourquoi j’ai réalisé des enquêtes sous deux formes : entretiens semi-directifs (environ 40) avec des habitants de six communes de la Côte viticole bourguignonne et enquêtes par questionnaires distribués dans les boîtes aux lettres (200). A cette époque, on ne parlait pas encore de représentations sociales des paysages, mais de valeurs attribuées aux paysages. C’est donc ces valeurs que j’ai cherchées à identifier auprès de cet échantillon d’habitants, vignerons ou d’autres catégories sociales. C’est ce qui m’a permis de constater un fort écart entre les valeurs attribuées aux paysages du vignoble et aux paysages des « montagnes », petits plateaux calcaires au-dessus des coteaux, couverts de friches ou de boisements sans intérêt forestier, où les petits vignerons ont cultivé de la vigne, du seigle ou des légumes, envoyé leur animaux alors qu’ils étaient polyculteurs ; les montagnes, d’altitude égale à environ 500 mètres ont été désertées après la Seconde Guerre Mondiale et surtout après la crise du phylloxéra, alors qu’elles avaient été occupées depuis une vingtaine de siècles au moins3. Cette crise avait fait chuter radicalement les prix du foncier sur les coteaux, c’est-à-dire les meilleures terres à vignes et les petits vignerons en ont profité pour acheter une parcelle ou deux.


Divers aspects de la côte viticole de Bourgogne : en haut, le village d’Auxey-Duresses (à gauche), la montagne en vue aérienne en infrarouge pour montrer les différentes espèces végétales (à droite)
En bas, l’occupation du sol de la montagne à partir du cadastre de 1826 (à gauche), la montagne et sa végétation d’épineux, de pins rabougris et de genévriers (à droite).

C’est de cette manière que la structure sociale du vignoble a fortement changé à partir de 1900 et surtout après 1950. Grâce aux enquêtes, j’ai pu me rendre compte de ce que représentait la sensibilité sociale aux paysages de cette région. Alors que celle qui concernait les paysages du vignoble était surtout des valeurs économiques, celle attribuée aux montagnes renvoyait à l’affectif, à la mémoire sociale, à la culture de la nature des petits vignerons, à l’imaginaire social où se déployaient des contes et légendes comme celle de la Vouivre chère à Henri Vincenot. La montagne, c’était et c’est toujours le lieu de la liberté, des pratiques marginales, le braconnage, les rencontres des amoureux, la recherche des escargots ou des fruits sauvages et des champignons : dans la montagne, parcourues de murgers, longs tas de cailloux que les paysans ont extraits des sols maigres pour pouvoir cultiver, chacun ou chacune à ses coins et ses recoins ; c’est ce qui m’a permis de comparer l’ensemble vignoble et montagne à la maison dans la conception de Gaston Bachelard (La poétique de l’espace)4 ; dans le vignoble comme dans les pièces de la maison, le salon ou la salle à manger, chacun respecte les règles communes ; dans le vignoble, tout est normé, chaque parcelle à droit ou non à une appellation (Appellation d’Origine Protégée) qui lui confère un statut singulier : vin régional ou communal, premier cru, premier grand cru ; dans le salon ou la salle à manger de la maison, on met les mains sur la table, on dit bonjour, on respecte son voisin et l’on se tient correctement. Sur la montagne, on est libre, on se moque des règles, on à ses coins ou ses recoins comme dans le grenier de la maison où l’on se retranche pour rêver. On rêve sur la montagne, on s’y isole seul ou avec son ami(e), d’ailleurs, lorsqu’on est au cœur de la montagne, on ne voit rien de la vallée et des coteaux ; parfois, après la pluie, le ciel se dégage au loin et on peut voir le Mont Blanc très loin. C’est comme dans le grenier d’où le regard s’évade par la lucarne. D’une certaine manière, mon passage au CNERP m’a permis de m’aventurer dans ce domaine de la sensibilité au paysage. En tout cas, j’ai retrouvé cette situation tout en analysant à partir des années 1990, après des recherches sur les représentations sociales, des paysages dans d’autres lieux ; c’est à partir de ces analyses que j’ai pu élaborer ma propre théorie des trois échelles des représentations collectives des paysages.

 

Complémentarité entre la montagne et le vignoble : en haut, deux aspects de la montagne avec une « cabotte », construction de pierres sèches où s’abritaient les petits paysans vignerons et un murger, sorte de ligne de cailloux de calcaire extraits du sol pour pouvoir cultiver. En bas, schéma des complémentarités entre le vignoble, la montagne et la plaine, et une vue du vignoble avec ses parcelles de vignes soigneusement ordonnées.

Le second enseignement de mon passage au CNERP concerne la question du projet de paysage. Celui-ci est le leitmotiv des paysagistes de l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles où j’ai enseigné pendant plus de 20 ans. Or, ce terme n’a jamais fait l’objet, à ma connaissance d’une véritable définition. Il s’apparente le plus souvent au projet d’architecture alors qu’un objet architectural se distingue fortement d’un paysage ; un paysage évolue sans cesse, une construction peut évoluer, mais pas dans les mêmes conditions ni dans la même ampleur. Par ailleurs, la formulation d’un projet de paysage repose sur une étude relativement formelle et ne mobilise pas de données quantitatives, mais uniquement qualitatives. C’est ce qui distingue l’approche paysagiste de celle des géographes, des sociologues, anthropologues ou d’autres disciplines comme l’écologie notamment. Dans mon enseignement à l’ENSP de Versailles, j’avais introduit un exercice d’analyse du paysage d’un canton français et je tentais d’apprendre aux étudiants à utiliser les données statistiques qui peuvent, utilement, permettre d’étudier les évolutions d’un paysage : par exemple, les données des recensements de population (RGP) peuvent renseigner sur l’urbanisation, la qualité des logements, les résidences secondaires ; celles du recensement de l’agriculture (RGA) permettent de suivre l’évolution des cultures, de l’élevage, des prairies, des boisements, des bâtiments agricoles dans un paysage, notamment à l’aide de cartes d’évolution. Certes, il ne faut pas confondre paysage avec l’occupation du sol, mais on peut sans problème transformer une carte en deux dimensions en un bloc-diagramme en trois dimensions ; c’est d’ailleurs cet outil qu’utilisent souvent les paysagistes.

Cet enseignement rencontra l’opposition des professeurs de projet de l’école qui estimaient que l’usage de chiffres allait à l’encontre de la dimension sensible contenue dans le paysage. Si je fais cette remarque, c’est parce que dès le début du CNERP, dans les principes de la méthode paysagiste, les enseignants ou les intervenants lors des séminaires critiquaient souvent l’approche classique de l’aménagement du territoire, trop quantitative, qualifiée parfois de « froide », sans dimension sensible. Cette affirmation m’a souvent marqué et j’estime que l’on peut quand même utiliser des données quantitatives tout en étant à l’écoute des sensibilités sociales aux paysages. Dans cet enseignement du canton, les étudiants parvenaient toutefois à réaliser des cartes de l’évolution des logements, de l’agriculture et ils arrivaient à en tirer des conclusions pour le paysage qu’ils étudiaient.

J’en reviens au projet ; j’ai eu l’occasion d’étudier, à travers les programmes de recherche sur le paysage dont j’ai présidé les comités scientifiques au ministère chargé de l’environnement, de nombreuses approches du projet de paysage, en France ou dans d’autres pays d’Europe et même d’autres continents (Chine, Chili, notamment). Or, le terme de projet de paysage ne recouvre pas les mêmes principes dans d’autres pays. Au Royaume-Uni, le projet de paysage (Land planning) s’apparente davantage à un projet d’aménagement du territoire avec une dimension formelle, esthétique et parfois sociologique. Lors d’un colloque organisé dans le cadre des programmes de recherche du ministère de l’environnement, une équipe autrichienne exposa sa conception du projet de paysage : pour eux, le projet se distinguait du projet classique livré « clés en mains », par son caractère adaptatif ; que signifie ce qualificatif ? Il s’agit d’un projet qui n’est jamais terminé et qui évolue au fur et à mesure de son avancement. Plus précisément, lorsqu’une proposition d’aménagement d’un lieu est avancée, de nouvelles connaissances sont produites et il s’agit alors de les introduire dans le projet qui en sera modifié et ainsi de suite. D’une certaine manière, le projet avance avec une boucle de rétroaction. J’ai été assez captivé par cette méthode et ai pu l’analyser plus profondément dans l’un de mes ouvrages.

Une autre remarque sur le projet de paysage : dans les théories les plus répandues chez les paysagistes, le projet est l’œuvre de l’artiste qui le dessine en tenant compte de son environnement paysager et de ses propres idées de ce que celui-ci peut imposer au dessin. Du moins était-ce la conception la plus répandue dans un premier temps. A partir du moment où la Convention Européenne du Paysage5 a été adoptée (octobre 2000 à Florence) et ratifiée par la France (juillet 2006), les conditions d’élaboration d’un projet de paysage ont fortement changé. En effet, la convention prône la prise en compte de ce qu’elle dénomme « aspirations des populations », dans un objectif louable de mettre le citoyen au cœur du projet, pour la qualité de son cadre de vie. La convention n’est plus centrée sur les paysages remarquables, mais sur les paysages du quotidien, c’est-à-dire le cadre de vie des populations. En termes de projet, il est clair ainsi que l’artiste, si tel doit se considérer un paysagiste, ne peut décider tout seul de ses orientations et qu’il doit modifier sa posture en écoutant les acteurs du paysage ou de l’aménagement du territoire. Les nouvelles générations de paysagistes ont pris la mesure de cette tendance qui est d’ailleurs mondiale, surtout celles issues de l’école de Bordeaux, alors que ceux qui sortent de l’enseignement de Versailles ont plus de difficulté à s’orienter vers des dispositifs de participation citoyenne, tant la pédagogie les a persuadés de s’en tenir au projet proche de celui de l’architecture, plus ou moins fermé sur lui-même.

Toujours est-il que les projets de paysage participatifs se sont développés et qu’il en existe de très nombreux désormais dans tous les pays d’Europe, sur le continent américain, au nord comme au sud et même en Chine. J’ai eu l’occasion d’entendre une communication sur un projet participatif de jardins partagés dans une banlieue de Shanghai lors d’un colloque à Fuzhou dans le sud du pays. Dans un rapport sur le thème « Paysage et démocratie », que j’ai rédigé pour le Conseil de l’Europe, j’ai ajouté en annexe de nombreux exemples de projets de paysage participatifs en Europe. Ils sont maintenant assez connus et d’autres chercheurs se sont penchés sur la question. Ceci dit, il existe de multiples formes de participation, depuis la sensibilisation jusqu’à la négociation. Mais la participation citoyenne n’est pas la panacée : certains projets réussissent, et d’autres échouent, car les conditions de leur réussite sont complexes ; le plus souvent, si le projet participatif provient d’une collectivité territoriale, il a moins de chance de réussir qu’un projet issu d’une association, tout simplement parce que ce qui émane d’institutions politiques provoquent la méfiance des électeurs. Il est aussi clair que la question de l’animation est importante, celle des connaissances mobilisées également. En tout cas, lors de l’existence du CNERP, on ne parlait pas de projet participatif, alors qu’ils existaient aux Etats-Unis depuis les années 1960, grâce à John Dewey, philosophe et spécialiste des questions d’éducation.

Lors de mon séjour au CNERP, il y a eu une tentative de s’interroger sur les perceptions sociales des habitants ; je me souviens qu’une étude menée dans la vallée de la Loire avait envisagé d’interroger des habitants, mais ce n’est pas allé plus loin.

Quant à la recherche, dont le terme figure dans le nom de l’organisme, je pense que malgré deux tentatives avec des réponses positives à l’appel d’offres du ministère de la culture, les résultats ne furent pas très probants. J’y participais, sur les paysages de coteaux, en Bourgogne, et ce fut là le début de ma thèse.

Finalement, le paysage est resté plutôt attaché à la valorisation touristique des territoires, ce que certains appellent le marketing territorial. Ce n’est pas nouveau : le paysage est à vendre, comme le dit Alain Levavasseur à propos de A. Huxley ; bien avant ce célèbre écologue avant la lettre, Elisée Reclus, en 1866, avait écrit :

« Sur le bord de la mer, les falaises les plus pittoresques, les plages les plus charmantes sont aussi en maints endroits accaparées soit par des propriétaires jaloux, soit par des spectateurs qui apprirent les beautés de la nature à la manière des changeurs évaluant un lingot d’or (…). Ces paysages sont découpés en carrés et vendus au plus fort enchérisseur (…). Puisque la nature est profanée par tant de spectateurs à cause de sa beauté, il n’est pas étonnant que dans leurs travaux d’exploitation, les agriculteurs et les industriels négligent de se demander s’ils ne contribuent pas à l’enlaidissement de la terre (…). Quant à l’ingénieur, ses ponts et ses viaducs sont toujours les mêmes, dans la plaine la plus abrupte ; il se préoccupe non de mettre ses constructions en harmonie avec le paysage, mais uniquement d’équilibrer la poussée et la résistance des matériaux. »6

J’ai déjà dit qu’aujourd’hui, le paysage passe après les enjeux du changement climatique et l’érosion de la biodiversité ; c’est un fait reconnu par tous les paysagistes qui sont passés par le CNERP, mais il ne faut pas abandonner l’idée que le paysage peut aussi servir ces causes planétaires. Sur cette question, la communauté des écologues est divisée entre les opposants au paysage et ceux qui estiment que ce concept peut être utile pour analyser les flux de biomasse, c’est-à-dire des espèces végétales ou animales. Il est même curieux d’entendre des écologues prétendre qu’il vaut mieux protéger le loup dans les alpages plutôt que les moutons, au nom de la biodiversité. Or, on le sait, la biodiversité est bien plus maintenue par les moutons que par l’absence de pastoralisme ; l’exemple du narcisse des Glénan est là pour le confirmer : l’espace où poussaient ces narcisses endémiques avait été enclos pour les protéger des moutons ; une autre végétation s’est développée, et les narcisses ont disparu. Lorsque l’on a enlevé les clôtures et remis les moutons, les narcisses sont revenus. Ceci dit, dans toute communauté, il existe toujours des individus radicaux et des individus plus ouverts à des idées nouvelles et ouvertes sur les autres pensées. C’est aussi vrai pour les écologues et les paysagistes. Il est finalement heureux que des controverses existent, car c’est d’elles que naît le débat et peut aboutir à des compromis et non à un consensus, car ce dernier est la pire des solutions, il aplanit la diversité des idées et favorise la langue de bois.

J’aurais sans doute encore de nombreuses remarques à faire sur le CNERP, je regrette seulement que cet organisme innovant et qui aurait pu apporter de nouvelles méthodes et réflexions ait subi l’inconséquence des institutions de l’Etat qui ne lui ont pas donné les ressources financières auxquelles il aurait dû avoir droit, et aussi d’un certain corporatisme des paysagistes qui le considéraient comme un concurrent et qui ont tout fait pour sa disparition ; le CNERP s’est terminé en février 1979, ses membres en sont partis ou ont été répartis dans des services du ministère de l’environnement ; moi-même ai été recruté à la Mission Paysage ; malgré le bref séjour que je fis à la Mission Paysage, j’ai pu, à l’initiative de Lucien Chabason, chef de la mission, développer une approche originale du paysage : il s’agissait de relancer une activité économique en perte de vitesse qui produisait un paysage singulier, la culture de la lavande dans le sud-est de la France ; Lucien Chabason avait lui-même une maison dans le Vaucluse, près des « Dentelles de Montmirail » et il était inquiet sur l’avenir de la lavande, touchée par un parasite qui mettait en péril sa culture. J’ai donc pris contact avec l’organisation professionnelle des lavandiculteurs pour leur proposer des aides financières afin de les aider à relancer leur activité. Ce fut une expérience intéressante, mais plutôt décevante, car ces professionnels de la lavande n’étaient pas vraiment convaincus de l’intérêt paysager de leur production. J’engageais néanmoins une action en faveur du soutien de la culture de la lavande, mais je n’ai pas pu en voir le résultat, car j’avais d’autres objectifs personnels : un poste de chercheur s’ouvrait en Espagne, à la Casa de Velázquez, dont le directeur souhaitait recruter un chercheur pour travailler sur le paysage d’Andalousie ; je fus même invité au siège de la Casa à Madrid, pour rencontrer son directeur afin de préciser mon projet de recherche. Je parlais de ce projet à Lucien Chabason et il ne s’y opposa pas, me disant qu’il garderait mon poste le plus longtemps possible.

J’ai donc posé ma candidature en faisant, comme il se devait à l’époque (1979), le tour de certains des membres du jury qui allaient évaluer les candidats. Et, oh, surprise, j’ai été recruté pour octobre 1979. Avec mon épouse, nous sommes partis de Paris à Séville en voiture et nous avons trouvé assez vite un appartement dans le cœur de la capitale andalouse, où nous sommes restés 3 ans, jusqu’en juillet 1982, avec nos deux enfants. Ce fut une expérience formidable, où j’ai pu réaliser de nombreuses enquêtes auprès des viticulteurs du vignoble de Jerez-de-la-Frontera (Xérès), ou de la campagne proche de Séville. En même temps, l’équipe qui travaillait sous ma responsabilité a réalisé des cartes de l’évolution de l’occupation du sol sur deux secteurs, l’un proche de Séville (environ 90.000 hectares), l’autre autour de Jerez-de-la-Frontera (environ 250.000 hectares), entre 1956, 1972 et 1977, grâce à l’analyse des photographies aériennes ; il est certain que l’apprentissage que j’avais fait au CNERP de cette technique m’a beaucoup aidé.

Paysages d’Andalousie que j’ai pu étudier, admirer, savourer : en haut à gauche, « Dehesa », c’est-à-dire forêt claire de chênes verts et porcs ibériques, à droite, idem sans les porcs ; en bas, à gauche, village blanc d’Andalousie (Zahara de la Sierra) et à droite, immensité des plantations d’oliviers, près de Jaen.

Ce séjour en Andalousie m’a permis de découvrir des paysages superbes, comme les forêts de chênes verts et liège, où l’on élève les fameux porcs ibériques qui se nourrissent de glands et donnent des jambons célèbres, les « Jamones de pata negra de bellota », sans doute les meilleurs du monde. J’ai pu admirer également les paysages de la campagne andalouse, où les immenses exploitations latifondiaires produisent des céréales ou du coton, des betteraves en employant des ouvriers agricoles, les « peones » qui viennent se louer au printemps sur les places des villages (comme en Beauce où j’ai fait de nombreuses enquêtes à mon retour en France). Il s’agit d’un système profondément injuste, où les grands latifondiaires exploitent des milliers d’hectares en faisant appel à des ingénieurs agronomes pour gérer leurs exploitations, eux-mêmes ne faisant rien que de s’adonner à des loisirs comme le golf ou les voitures de sport, alors que les ouvriers agricoles n’ont que de petites parcelles de moins d’un hectare, souvent dans des villages de colonisation et sont employés dans les grandes haciendas ou « cortijos » des latifondiaires pour des salaires de misère. Cette expérience andalouse m’a permis de découvrir non seulement des paysages somptueux, mais aussi un système économique singulier, d’origine romaine et arabe, qui existe toujours et n’a pas beaucoup changé ; j’ai pu également constater la disparition des oliviers des campagnes proches de Séville, remplacés par des cultures de colza. Ces oliviers furent souvent arrachés et mis en bac, pour être vendus en Europe, comme en France où on les retrouve dans les pépinières, puis dans certains jardins. Mais depuis, la politique agricole espagnole a modifié ses objectifs et les oliviers ont été replantés.

Jardins de l’Alcazar à Séville, où j’ai vécu 3 ans (en bas à gauche, azulejos de l’Alcazar) ; je venais promener mes enfants dans ces jardins qui étaient merveilleux et frais lorsque la température dépassait 50°.

Après ce séjour à la Casa de Velázquez, à mon retour en France, après 3 ans de séjour à Séville et un moment de divers travaux dans des bureaux d’étude, je suis entré au CNRS où je suis toujours en tant que directeur de recherche émérite. Les expériences du CNERP, de la Mission Paysage et de la Casa de Velázquez m’ont permis d’approcher une démarche d’analyse économique et sociale du paysage en développant récemment une méthode fondée sur l’évaluation socio-économique du bien-être par le paysage lors d’une recherche engagée dans la vallée de la Loire en interrogeant des habitants, des élus, des acteurs divers de l’aménagement du territoire et en réalisant des cartes des lieux de bien-être ou de mal-être ; ce qui a permis ensuite d’identifier 52 critères de bien-être ou de mal-être par le paysage considéré comme cadre de la vie quotidienne.

Je souhaite terminer cette histoire personnelle du CNERP en rappelant ma trajectoire familiale : mon grand-père était un paysan suisse, qui faisait de l’élevage dans les Alpes bernoises, à Oberthal. La situation des paysans suisses à la fin du 19ème siècle était catastrophique, car ils étaient trop nombreux pour des terres insuffisantes ; c’est pourquoi mon grand-père a migré vers la France, dans le Jura, a épousé une française en se convertissant au catholicisme alors qu’il était protestant, et est devenu boulanger, l’un de ses fils, mon propre père, est devenu ingénieur agronome spécialisé dans l’élevage alpin dans le département de l’Isère (après le Jura et la Haute-Loire). Je suis devenu également ingénieur agronome, spécialisé dans la recherche sur le paysage et mon fils est désormais paysagiste DPLG, il a fait ses études à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture et du Paysage de Bordeaux.

J’ai eu l’occasion d’aller voir le village de mon grand-père qui n’était qu’un ensemble de hameaux dispersés sur les collines ; du chalet où il vivait et que j’ai retrouvé, on peut voir un sublime paysage : tous les grands sommets des Alpes suisses, avec le Cervin, le Matterhorn, la Jungfrau. Je demandais à une vieille paysanne dans quelle maison habitent des personnes du nom de Luginbühl ; elle tendit son doigt tout autour et me dit : « là, là, là et encore là. » Il y avait donc de très nombreuses personnes s’appelant de ce nom dans ce village. Avec mon épouse et mes enfants, nous fîmes une promenade près du chalet de mon grand-père et nous nous assîmes sur un banc placé devant le spectacle des Alpes suisses. Ce fut une surprise de découvrir sur le banc une plaque avec le nom d’Otto Luginbühl ; c’était le nom du fabricant du banc et en regardant sur internet, nous nous sommes aperçu que c’était une entreprise qui fournissait de nombreux équipements pour les collectivités locales suisses comme les bancs, mais également les jeux pour enfants dans les parcs publiques, des clôtures, etc. Quelle drôle d’histoire familiale, n’est-ce-pas, représentative du nom de famille, Luginbühl, qui signifie en suisse allemand : « Regarde vers la colline »7, un nom prédestiné !

Diverses photos de mes voyages, en Iran, en Inde, au Maroc, au Chili, au Brésil, en Chine, au Pérou, etc.


Vues depuis le village de mon grand-père Friedrich Luginbühl, dans les Alpes suisses de l’Oberland bernois, à Oberthal, d’où l’on peut voir la chaîne des Alpes avec notamment le Cervin. Au milieu, à gauche, l’entrée du village d’Oberthal, le chalet où vivait mon grand-père, en bas, à gauche, ma famille sur le banc fabriqué par Otto Luginbühl et à droite, le paysage depuis le chalet.

FIN DE MON HISTOIRE DU CNERP

 

Je précise que j’ai publié deux ouvrages sur le paysage : le premier en 1989, aux Editions de la Manufacture, intitulé : « Paysages, textes et représentations des paysages de la Révolution à nos jours »8, puis « La mise en scène du monde, construction du paysage européen, aux Editions du CNRS, en 20129.

J’ai aussi publié des ouvrages collectifs suite aux programmes de recherche dont j’ai présidé les comités scientifiques :

Luginbühl Yves, Berlan-Darque Martine, Terrasson Daniel, 2007, Paysages, de la connaissance à l’action, ouvrage collectif publié aux Editions QUAE.

Luginbühl Yves, Berlan-Darque Martine, Terrasson Daniel, 2007, Landscapes : from knowledge to action, ouvrage collectif publié aux Editions QUAE.

Luginbühl Yves, Guillaumin Gérard, Terrasson Daniel, dir., 2012, Paysage et développement durable, Editions QUAE, Paris, 300 pages.

Luginbühl Yves, Guillaumin Gérard, 2013, Terrasson Daniel, dir., 2012, Conclusion, ouvrage collectif du programme de recherche Paysage et développement durable, Editions QUAE, pages 205-215.

Luginbühl Yves, 2013, dir. et conclusion, Infrastructures de transports terrestres, écosystèmes et paysages. Des liaisons dangereuses ? PREDIT, programme de recherche ITTECOP du MEDDE, La documentation française, pages 245-258, 280 pages.

Luginbühl Yves, dir. 2015, Biodiversité, paysage et cadre de vie. La démocratie en pratique, Victoires Editions, Paris, 290 pages.

En outre, j’ai publié environ 130 articles ou chapitres d’ouvrages collectifs et de nombreux rapports, notamment pour le Conseil de l’Europe autour de la Convention Européenne du Paysage.


1 Le « Paysage rural et régional – 2e partie » parue à la Documentation française.
2 Réalisée pour le compte du Conseil général des Pyrénées atlantiques.
3 On retrouve sur les montagnes des vestiges de l’époque néolithique, comme des enclos.
4 Bachelard Gaston, 1972, La poétique de l’espace. Presses Universitaires de France, 214 pages.
5 https://www.coe.int/fr/web/landscape
6 RECLUS, Elisée, 1866, Du sentiment de la nature dans les sociétés modernes, In Revue des Deux Mondes, Paris.
7 « Lug-in-Bühl », c’est comme Look at the Hill, en anglais, « lugen » est un verbe du suisse allemand inusité qui signifie regarder, à ne pas confondre avec « lügen » qui signifie mentir.
8 Luginbühl Yves, 1989, – Paysages. Textes et représentations du paysage du Siècle des Lumières à nos jours, Lyon, La Manufacture, 1989, 270 p., 101 illustrations. Prix Conrad Malte-Brun de la Société française de Géographie.
9 Luginbühl Yves, 2012, La mise en scène du monde, construction du paysage européen, CNRS Editions, Paris, Prix Edouard Bonnefous 2013 de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, 430 pages.

Pierre Dauvergne autobiographie

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L’enseignement de Pierre DauvergnePierre Dauvergne au Conseil Général du Val-de-marne

Pierre Dauvergne

L’émergence du « paysage d’aménagement » en France

1967-1985

Témoin et acteur de cette période historique, Pierre Dauvergne, paysagiste DPLG, raconte le début de sa carrière.

Ce texte est un matériau de recherche utilisable par les chercheurs en le citant.

Avant-guerre, à Paris mon père a eu une activité commerciale en contact avec des décorateurs et architectes d’Intérieur : les Établissements PERZEL (luminaires) et le groupe DIM (Décoration Intérieure Moderne). Luminaires et meubles de ces établissements étaient présents chez mes parents et, pour certains, m’accompagnent aujourd’hui.

Puis mes parents se sont installés à l’angle de la rue Guénégaud et du quai de Conti. Nous étions au-dessus d’un magasin d’antiquités « A la reine Margot », véritable petit musée.

C’était l’après-guerre. Mon père, toujours dans le commercial, a travaillé quelques années à la Halle aux vins chez un négociant. Il y a fait la connaissance d’un voisin, le peintre Jean DUBUFFET, qui avait repris l’activité de son père. C’était avant ses activités d’artiste. Quelques années plus tard, en 1954 (j’avais 11 ans), il invite mon père au vernissage d’une exposition à la galerie Drouin, rue Visconti. Accompagnant mon père, je suis profondément surpris par cette exposition intitulée « Les petites statuettes de la vie précaire ». J’ai eu un choc sur ce que pouvait être l’art … faire des statuettes en assemblant des scories de mâchefer ! c’était vraiment un choc !

Avec mes parents, nous faisions aussi des visites régulières des nombreuses galeries d’art dans le quartier, dans les rues Mazarine, Jacques Callot, de Seine, des Beaux-Arts, Bonaparte, rues Guénégaud, Visconti, … De plus, mes parents avaient des amis artistes, dont Frans MASEREEL, peintre et graveur sur bois, Pinchas Burstein, dit MARYAN, peintre. Ce dernier venait très régulièrement à la maison, souvent avec des amis dont, Irving PETLIN, peintre et pastelliste, June LEAF, peintre et sculpteur, Sam ANDEL, peintre (cf. mon document « Les Maryan et la tribu Dauvergne » – 2013). Aux murs de la maison, les œuvres étaient nombreuses.

Sans aucun doute ces visites ont développé ma sensibilité et mon ouverture aux arts. De 1953 à 1958, avec les encouragements de mes parents, je pratique la gouache, l’aquarelle, le dessin…

L’Institut et la passerelle des Arts- dessin au Flo Pen, 21 x 29,7 vers 1957

…notamment sur les quais de la Seine, à la hauteur du Vert Galant. De 1956 à 1958 je participe à l’Atelier d’arts plastiques des moins de 15 ans au Musée des Arts Décoratifs avec Colette COULON (peintre et graveur) et Pierre BELVES (illustrateur de livres).

En 1943, à ma naissance, mes parents achètent un terrain sur un versant du début de la vallée de l’Yvette aux Essarts-le-Roi, ceci pour mettre ma mère et moi-même à l’abri … Un abri rudimentaire a même été creusé dans la pente sableuse pour se protéger d’éventuels bombardements du triage de la gare de Trappes. Ce terrain de 5 000 m2 est rapidement devenue un lieu d’autosubsistance, voir de troc : légumes, fruits, volailles, lapins, et produits du braconnage de mon frère aîné.

Au fil des années, ce terrain est devenu un terrain d’expérience, de chasse, et de découverte de la nature. Nous y allions quasiment toutes les fins de semaine et durant les vacances scolaires. Le terrain était boisé dans sa partie haute, en friche dans sa pente, et herbue dans la partie basse, où coulait l’Yvette.

Moi, marchant le long de l’Yvette, dans le bas du terrain, le chalet et les terrasses.

La gestion de ce petit territoire était une grosse charge pour protéger les cultures, contenir l’enfrichement, voir l’embroussaillement de la pente, et lutter contre l’érosion des berges de l’Yvette. C’était mon apprentissage à la gestion de milieux végétaux, à la culture potagère, et fruitières (petits fruits).

Je chassais et collectionnait les papillons et insectes divers (il y en avait à cette époque … !). Je capturais les reptiles : couleuvres à collier, coronelles, mais aussi des lézards, dont orvets, lézards des souches, gris, verts et ocellés. Également, des grenouilles, divers petits rongeurs pour nourrir mes reptiles avant de les « livrer » au vivarium du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris, un lieu magique pour moi. J’y étais accueilli par son responsable, un ami de mon père connu durant la guerre. J’échangeais avec lui mes captures contre des insectes tropicaux et des chenilles, qui faisaient ensuite leur cocon où elles pouvaient à la maison. Je faisais aussi un peu de commerce avec les animaleries du Quai de la Mégisserie.

J’ai également vu la paysannerie de près. En effet j’allai chercher œufs et lait à la ferme MERELLI, du nom de l’agriculteur. J’ai eu la chance de voir cette paysannerie à la veille de sa disparition. C’était une petite exploitation. Et, puisque nous habitions sur la Seine, face au Pont Neuf et au Vert Galant, il m’arrivait de pêcher à pied !!! des écrevisses, car à l’époque l’essentiel des barrages réservoirs en amont de Paris n’était pas encore construits.

LES PRÉMICES : MA FORMATION AUX VEGETAUX, AUX JARDINS, PUIS AU PAYSAGE (1959 – 1966).

En 1959 : Etant très mauvais au collège, sauf en dessin et en sciences naturelles, … l’Orientation Professionnelle suggère, qu’entre nature et peinture, ma voie devrait être celle de “Paysagiste”. Elle indique alors l’existence de l’Ecole Du Breuil, l’Ecole d’Horticulture de la Ville de Paris. À cette époque, il faut entendre un jardinier plus qu’un paysagiste concepteur, métier alors quasi inexistant. J’obtiens, contre toute attente, mon Brevet.

De 1959 à 1962, je suis les enseignements de l’Ecole d’horticulture de la Ville de Paris, dite “Ecole DU BREUIL” :

1959 – Concours d’entrée à l’Ecole du Breuil : reçu 13éme sur 40.

1959 – Les Floralies au Palais de la Défense (CNIT) sont organisées par la Société Nationale d’Horticulture de France (SNHF), et la Ville de Paris me conforte d’emblée dans mon orientation professionnelle. J’ai en effet un véritable coup de foudre pour le grand stand central réalisé par les Établissement Vilmorin-Andrieux, et conçu par le grand paysagiste britannique RUSSEL-PAGE (1er prix). En particulier les scènes végétales à base d’azalées et de lys dont les teintes multiples d’oranges et de jaunes me subjuguent. Sans le savoir à ce moment-là, j’allais rencontrer plus tard certains concepteurs d’autres stands, comme enseignants : Jacques SGARD (déjà !!!), et Henri BRISON.

Trois années d’études : Enseignants principaux : CLEMENT (Culture potagère), BRETAUDEAU (Arboriculture fruitière), CHANTRIER (arboriculture d’ornement), Lucien SABOURIN (floriculture), Pierre GRISON (parasitologie), GOUET (botanique), Henri BRISON (art des jardins). Malheureusement, pour ce dernier, son enseignement ne dura qu’un an. En effet, il meurt prématurément des suites d’un accident de la route. Il était paysagiste à la Ville de Paris avec Daniel COLLIN, dans l’équipe dirigée par Robert JOFFET. Il me révèle mieux ce qu’est un paysagiste. Nous faisions avec lui des projets de petits jardins ou de scènes végétales.

Pour les travaux pratiques (50 % du temps de l’enseignement), nous avions de nombreux enseignants techniques, principalement LEFEBRE, qui a rejoint le Potager du Roi de Versailles, bien après. Également, BESNIER pour les vergers où je me passionne pour la formation et la taille des fruitiers, PAULIN pour le potager, …De cette période, date une profonde amitié avec Pierre PILLET, élève comme moi.

Dès le départ, en première année, j’ai été très surpris, ne voyant pas le rapport avec les jardins et le métier de paysagiste. En effet les matières principales étaient la culture potagère, l’horticulture générale, et la connaissance des végétaux par leur appellation en latin. Ce fut dur ! J’étais loin des Floralies … et de ce qui me passionnait dans la vallée de l’Yvette, mon territoire de chasse et de captures de batraciens, reptiles, rongeurs et insectes.

Par la suite, je suis devenu un véritable connaisseur des végétaux horticoles, et pris goût aux travaux pratiques, d’autant que j’en avais menés auparavant, durant mon enfance, dans la maison de campagne de mes parents aux Essarts-le-Roi. J’ai également pris goût à la formation des arbres fruitiers et à leur taille, que je pratique toujours dans les jardins de la famille et d’amis.

J’ai découvert aussi, avec un professeur remarquable Pierre GRISON et son assistant, tous deux à l’INRA, la parasitologie et la lutte biologique (Elle en était à ses tous débuts). Un premier contact avec l’écologie avant l’heure ! À partir de la deuxième année, nous étions dans notre sujet avec Henri BRISON. Enfin, Lucien SABOURIN (Ville de Paris, Conservateur des Serres d’Auteuil), avec son enseignement tourné vers la floriculture, un grand pédagogue. Au total, un enseignement complet, transversal, avec des enseignants de qualité alliant connaissances et pratiques. Un enseignement qui n’existe plus, nulle part.

1962 : diplôme de fin d’études, dit de “Jardinier quatre branches” (culture potagère, floriculture, arboriculture fruitière, et arboriculture d’ornement), diplôme équivalent aujourd’hui à un BTS. Classement : 2ème / 40. Chez Jacques YOVANE, architecte, amateur de jardins, je contribue à la conception d’un jardin d’esprit japonais au Salon des Arts Ménagers. Avec Pierre PILLET, nous participons au concours de la Société Nationale d’Horticulture de France (SNHF) pour la conception du jardin d’essais de Melun. Classés 10ème sur 11. A cette époque, nous faisions aussi, avec ma mère et ma sœur, de la céramique chez un potier dans le quartier d’Alésia. Pierre PILLET était avec nous.

L’école nous encourage à passer le concours à L’ENSH / SPAJ (Section du Paysage et de l’Art des Jardins), afin de nous former véritablement au Paysage et à l’Art des Jardins. La Direction de l’école, et Lucien SABOURIN (Ville de Paris), qui enseignait aussi à L’ENSH, nous présentent très favorablement à l’ENSH. Mon père exerce aussi auprès de la Direction ses talents de diplomate, sachant que Pierre PILLET et moi-même, nous n’avions pas le niveau pour nous présenter au concours (nécessité d’un Bac).

De 1962 à 1965 : LA SECTION DU PAYSAGE ET DE L’ART DES JARDINS (SPAJ) DE L’ECOLE NATIONALE SUPERIEURE D’HORTICULTURE (ENSH) de Versailles

1962 – 1963 : Cours privés de rattrapage, et en autoformation, afin de préparer l’examen probatoire, pour pouvoir se présenter au concours d’entrée à la SPAJ. Il s’agissait d’un “examen Maison” d’équivalence du Bac. Il s’adressait aux candidats non bacheliers.

Par ailleurs, cours de composition avec Guy MARANDET (peintre, élève d’André LHOTE), dans les Ateliers des Beaux-Arts de la Ville de Paris (cours du soir à Montparnasse), que m’a fait connaître Pierre PILLET.

Composition, gouache, 43,5 x 75 en 1963.

C’est dans cet atelier que je rencontre Monique POUSSARD, costumière de théâtre, épousée en 1964 à la fin de la 1ère année de la SPAJ. En parallèle, auditeur libre à l’ENSH : essentiellement en dessin avec René ENARD.

1963 – Avec Pierre PILLET, obtention de l’examen probatoire pour nous présenter au concours d’entrée de la SPAJ Puis de 1963 à 1965 après un concours, entrée à la SPAJ (deux années). Je suis classé 1er. À noter que les ingénieurs horticoles et les candidats externes se répartissaient à l’époque plus ou moins par moitié.

L’équipe pédagogique de la SPAJ :

En 1ère année :

Albert AUDIAS (technique), Théodore LEVEAU (Composition, ancien élève de J.C.N. Forestier), Jeanne HUGUENEY (Histoire de l’art), Simone HOOG (Histoire de l’art des jardins), les BERNARD Jean et Jean Pierre (Techniques), Roger PUGET et DESCATOIRE (Urbanisme), THOMAS (sols sportifs), René ENARD, puis Jacques CORDEAU (Dessin), …

Les matières enseignées concernent l’architecture et la construction, la composition, la construction des sols sportifs, le dessin, le droit foncier, les espaces verts, l’histoire de l’art des jardins, la technique des travaux, les travaux publics, l’urbanisme et l’utilisation des végétaux.

Nous avions des cours et des exercices sur des espaces limités, comme par exemple l”aménagement d’une terrasse d’immeuble, la conception d’escaliers et de gradines… et ceci, à des échelles dépassant rarement le 1/200ème.

Cette équipe pédagogique s’ouvre à de nouveaux enseignants paysagistes, sous la pression des étudiants, dont Caroline MOLLIE, Michel-François CITERNE, Michel VIOLLET, Allain PROVOST, …

En 2ème année, ce sont Jacques SGARD, Bernard LASSUS, Pierre ROULET, Jean-Claude SAINT-MAURICE, Jean Pierre BERNARD, Alain SPAKE, Elie MAURET, qui enseignent. Après l’école du Breuil, la plongée à Versailles fut brutale en 2ème année ! Changement complet d’échelle. Deux enseignants m’ont particulièrement marqué : le paysagiste et urbaniste Jacques SGARD et le plasticien coloriste Bernard LASSUS

Jacques SGARD :

Il nous a ouvert à la géographie, à l’« écologie végétale », et déjà au « grand paysage », avec d’emblée un projet d’aménagement d’un terrain d’environ 200 hectares à Bruyères-le-Châtel, un milieu très fragile, comparable aux milieux du massif forestier de Fontainebleau.

Nous n’étions plus à des échelles du 1/50ème ou 1/200ème. Nous devions caractériser le site, ses composantes pour justifier et argumenter ensuite un projet, qui consistait à accueillir de la voirie et un certain nombre d’habitations, ou un lotissement.

J’ai déniché un livre à la bibliothèque du Muséum d’Histoire naturelle de Paris sur les milieux du Massif de Fontainebleau, un ouvrage d’A.K. IABLOKOFF, “Un carrefour biogéographique – le Massif de Fontainebleau – Ecologie des réserves – 1953 ». Du coup, j’y appris énormément sur les milieux. C’était de l’écologie avant l’heure. Je regrette, à posteriori de ne pas avoir pu bénéficier à l’époque de l’enseignement du botaniste et écologue Jacques MONTEGUT qui enseignait la malherbologie à l’ENSH.

Je me confronte avec le site des boucles de l’Oise, futur Base de Plein Air et de Loisirs de Cergy-Pontoise.

Pause avec Jacques SGARD assis, Chantal DUCRUIX au centre Bernard LASSUS debout et moi couché. Photo de Pierre PILLET

Nous participons au séminaire de Royaumont en 1965, organisé par l’Association “Aménagement et Nature” présidée par Roland BECHMANN. Ce séminaire était une sorte d’école des futurs directeurs des Parcs Nationaux (création institutionnelle en 1960 – La Vanoise, premier parc créé en 1963). Encore un saut d’échelle ! un brillant exposé me marque, celui de Jean BLANC, animateur de l’école des directeurs des parcs. Il interviendra dans le cadre du cycle de conférences du GERP en 1969.

Bernard LASSUS :

Il nous a appris à regarder et à analyser avec rigueur le pourquoi de nos sensations en rapport avec les apparences des espaces urbains ou naturels. Il nous a obligé à relativiser nos premiers jugements de valeur, à décortiquer la notion du beau. Il nous a ouvert à la physiologie et à la psychologie de la perception, aux modes de représentations du réel en nous encourageant à lire des ouvrages, comme ceux de Pierre FRANCASTEL, Fernand LEGER, Gaston BACHELARD, … Il nous conseillait les expositions d’artistes à voir.

Nous faisions des exercices plastiques, dont les fameux “bouchons”, des études visuelles d’espaces proches de l’école, des études sur la mobilité des apparences selon les saisons et les heures de la journée. (Étude de la Plaine de Stains en 1965).

L’une des trois planches

Des extraits de cette étude sont parus dans le Livre d’or de l’architecture et de l’urbanisme” publié par la Grande Masse de l’ENSBA en 1966).

Avec Jean Pierre-BERNARD et Alain SPAKE, nous avons été confrontés au problème de l’insertion d’infrastructures routières et autoroutières dans le paysage, avec notamment un exercice portant sur une future aire de repos et sa bretelle d’accès et de sortie de l’autoroute du Nord vers Compiègne. Avec Pierre ROULET, Gilbert SAMEL et Jean-Claude SAINT-MAURICE, nous découvrions la problématique des Grands Ensembles d’Habitations, avec des projets d’espaces publics. Au total, nous étions, d’emblée, confrontés aux nouvelles et grandes questions posées par le développement du pays aux lendemains de la guerre : construction massive de logements, exploitation de carrières, réalisation du programme autoroutier, aménagements touristiques du littoral (Languedoc-Roussillon, Côte Aquitaine), création des parcs nationaux, des villes nouvelles, et des bases de loisirs, …

1965 – Obtention du certificat de fin d’études de la SPAJ, classé 1er.

1965 – 1966 – L’ANNEE DE STAGE à « l’ATELIER DE PAYSAGE »

À la fin de la SPAJ, le paysagiste Elie MAURET a proposé à Pierre PILLET un stage à la Compagnie Nationale d’Aménagement du Bas-Rhône-Languedoc (CNABRL), et Jacques SGARD m’a proposé d’effectuer mon stage à l’ATELIER DE PAYSAGE. Ce stage était d’une durée minimale d’un an avant de pouvoir présenter le DPLG – C’était en fait une 3ème année.

Cet atelier était à l’époque l’une des plus importantes agences paysagistes. Trois paysagistes y étaient associés : Jacques SGARD, Jean-Claude SAINT-MAURICE (Assistant Michel VIOLLET) et Pierre ROULET (Assistant Michel CASSIN). Cette agence était au cœur des nouvelles commandes dépendant des politiques d’après-guerre en urbanisme, environnement, et aménagement. Je travaillais principalement sur les projets de Pierre ROULET, fortement axés sur les espaces extérieurs de grands ensembles, comme celui du Grand Ensemble de Massy.

J’ai vite compris, que ma voie ne serait pas dans ce domaine. En effet les marges de manœuvres y sont très faibles pour s’exprimer. Les espaces sont réduits par la découpe du plan masse résultant bien souvent des chemins de grues pour la construction, et la présence des VRD en surface, comme en souterrain …1 L’année passée dans cet atelier a été très fructueuse. C’était un lieu où régnait une ambiance extraordinaire, “une ruche”, où cohabitaient plusieurs stagiaires étrangers : Angrid TILANUS, hollandaise, Léandro Sylva DELGADO, uruguayen et disciple de Roberto BURLE MARX, et Wilfried KIRCHNER, autrichien. Aussi, Paul CLERC, autodidacte en reconversion professionnelle, Samuel ADELAÏDE, moi-même, tous trois futurs cofondateurs du GERP. Les discussions, confrontations et échanges entre nous étaient nourris et souvent enragés : l’œuvre de Le Corbusier, son modulor, le freudisme, les royautés en Espagne et aux Pays-Bas ……

J’ai malheureusement peu travaillé pour Jacques SGARD : seulement pour le plan de réaménagement des sablières en cours d’exploitation dans les boucles de la Seine aux Andelys. Je voyais l’avancement de son travail sur le parc André Malraux à Nanterre, en particulier pour le jardin de collection, sur lequel travaillait la stagiaire hollandaise Angrid TILANUS, savante en végétaux ; également ses travaux, plus d’urbanisme, sur la côte Landaise. C’est à cette occasion, que j’ai pris une nouvelle leçon d’écologie en découvrant les travaux de Georges KUHNHOTZ-LORDAT – “Essai de géographie botanique sur les dunes du Golfe du Lion – 1924. » Il mettait en évidence la dynamique de colonisation des dunes par la végétation. J’ai alors, par moi-même, senti le besoin d’approfondir mes connaissances en lisant des ouvrages comme ceux d’OZENDA, (Biogéographie végétale – Edit. Doin – 1964), ou de TRICART (J.) – (“L’épiderme de la terre – esquisse d’une géomorphologie appliquée” – Coll. Evolution des sciences – Edit. Masson et Cie – 1962). J’ai également eu accès à la thèse de J. Sgard à l’Institut d’Urbanisme de l’Université de Paris (1958) « Récréation et Espaces Verts aux Pays-Bas”, qui m’a ouvert sur les possibilités de travail aux échelles de la planification et de l’aménagement du territoire. Je me rappelle aussi des cotés très perfectionnistes de Jean Claude SAINT-MAURICE et de Pierre ROULET pour les tracés des circulations piétonnes, qu’il fallait anticiper : courbes tendues, contrariées, contre courbes, … et longuement mises au point. La gomme de Michel VIOLLET était très active …Un bon exemple : les allées du parc de la République à Pierrefitte-sur-Seine, que concevait Léandro Sylva DELGADO pour le compte de Pierre ROULET.

1966 : Obtention du titre de paysagiste DPMA (Diplôme de Paysagiste du Ministère de l’Agriculture), après concours en loge. Je suis classé 1er et Pierre PILLET, second.

Le concours en loge durait une journée au cours de laquelle une esquisse devait être remise. Le jury donnait alors, ou non, le feu vert pour présenter après un an de stage minimum le DPLG, soit un dossier complet comportant une analyse du site, toutes les pièces techniques et écrites, et bien sûr, le projet. Les membres du jury, durant une journée, se partageaient les diverses pièces à évaluer, puis s’entretenaient avec le candidat.

Le jury était composé de :

M.M. JUSSIAUX, Ingénieur général d’agronomie, Président du jury, Le GUELINEL, Ingénieur général d’agronomie, Directeur de l’ENSH, AUDIAS, paysagiste, professeur, COLLIN, paysagiste, ingénieur à la Ville de Paris, Président de l’Association des anciens élèves, CORDEAU, professeur de dessin, GRISVARD, Conservateur des jardins du Luxembourg, LEVEAU, architecte et urbaniste en chef honoraire des bâtiments civils et palais nationaux, professeur, PERRIN, chef du service des espaces verts à la direction de l’aménagement de la région parisienne, PUGET, Inspecteur général au Ministère de la Construction, professeur, SABOURIN, Ingénieur à la Ville de Paris, professeur, SGARD, paysagiste et urbaniste, professeur.

À l’issue de la soutenance, le diplôme était attribué, ou non. Dans la négative, soit le candidat était invité à repasser devant le jury, lors de la session suivante en apportant les compléments demandés à son dossier. Soit le candidat était invité à se présenter à une nouvelle session. Cependant, le candidat ne pouvait pas se présenter à plus de trois sessions. Au-delà, il ne pouvait obtenir le titre de paysagiste DPLG, et n’avait que le certificat de fin d’études de la SPAJ.

Le sujet de ma session a été donné par Jean-Bernard PERRIN : » l ‘aménagement d’un parc sur le versant du Mont Valérien, sous l’esplanade du Mémorial de la France Combattante (Rueil-Malmaison, Nanterre, Suresnes) ». Ce lieu fait partie aujourd’hui du Parc-Promenade Départemental Jacques BAUMEL (1979) et du Cimetière-Parc de Nanterre (1969-1979) – (J. DARRAS, architecte, Michel CASSIN et Pierre ROULET paysagistes)

Ce concours en loge a été très combattu par les élèves, les anciens élèves candidats au DPLG, par le Groupe d’études et de Recherches du Paysage (GERP). Ce dernier a signé une tribune dans Le Monde du 3 décembre 1970 “Pour un traité de paix avec le Paysage”, signé de Paul CLERC et Denis ROUVE. Le GERP est également intervenu vigoureusement lors d’une assemblée générale de la Société des Paysagistes français (SPF, alors présidée par Daniel COLLIN). J’étais porteur d’une pétition signée d’une trentaine de jeunes paysagistes, afin d’obtenir le soutien de la SPF auprès de la tutelle ministérielle pour la réforme du DPLG. Également, pour obtenir la possibilité aux non encore diplômés, souvent déjà engagés dans la vie professionnelle, d’en être membre, en l’attente de la reprise des DPLG sur une autre base.

SERVICE NATIONAL en 1966 – 1967

Libéré à 12 mois, car soutien de famille indispensable (un enfant et un à naître).

UN RICHE ET INTENSE DEBUT PROFESSIONNEL :

1 – 1967 – 1969 : STCAU

2 – 1967 – 1970 – Association GERP

3 – 1968 – 1975 – Association PAYSAGE

4 – 1969 – 1974 : OREALM *

5 – 1975 – 1979 – CNERP

6 – 1979 – 1984 – STU

Puis, 20 ans en collectivité territoriale,

7 – 1985 – 2005 – CG 94 *

* Qui fera plus tard l’objet d’un texte spécifique.

1 – LE S.T.C.A.U. (1967 – 1969), point de départ :

Le Service Central d’Aménagement et d’Urbanisme dépendait de la Direction de l’Aménagement Foncier et de l’Urbanisme (DAFU), du Ministère de l’Equipement et de l’urbanisme (MEL). Ce service a été mis en place pour mettre en application la Loi d’Orientation Foncière, la LOF de 1967. Cette loi permettait de mettre en œuvre les Schémas Directeurs d’Aménagement et d’Urbanisme (SDAU), les Plans d’Occupation des Sols (POS), les Coefficients d’Occupation des sols (COS), la Taxe Locale d’Equipement (TLE), et les Zones d’Aménagement Concertée (ZAC).

Pour ce faire, dans le même temps, une administration territoriale technique se met en place et se renforce : les Directions Départementales de l’Equipement (DDE), les Groupe d’études et de programmation (les GEP). Ces services étaient pour la plupart dirigés par de jeunes Ingénieurs des Travaux Publics. Sont également mis en place les Services Régionaux de l’Equipement (SRE).

Le STCAU a été créé, afin de les aider dans leurs nouvelles tâches par des assistances techniques, méthodologiques, documentaires, … Ainsi, le STCAU a été structuré autour de groupes d’études et de recherches thématiques, comme le Centre de Documentation sur l’Urbanisme (CDU), le Groupe de travail “Relations Ville Campagne ».

Ce groupe était dirigé par Rémi PERELMAN, Ingénieur agronome. Il était composé d’une petite équipe interdisciplinaire : Colette SAUVANT, géographe, Florence MAROT, sociologue, Claude LELONG, architecte à mi-temps, chercheur au CDU, et moi-même, paysagiste. J’y ai été recruté, grâce à Jacques SGARD, conseiller paysage auprès de la direction du STCAU, tout comme Bernard LASSUS.

Des consultants étaient mobilisés, dont Charles ROSSETTI, ingénieur écologue, CLAUZURE, et LASSEIGNE, forestiers, de François BRUN, Denis POUPARDIN, Sané de PARCEVAUX, et Jean-Pierre DEFFONTAINES, agronomes, tous de l’INRA. Le STCAU a édité de nombreuses notes techniques à l’adresse des équipes d’urbanisme sur le terrain. Ce sont les fameuses “notes violettes”, couleur déterminée par Bernard LASSUS, afin de contraster avec la masse habituelle des documents sur les bureaux … ! Par ailleurs, le Centre de Documentation de l’Urbanisme, le CDU édite en particulier le “BULLDOC”.

Le Groupe Relations Ville Campagne a été très productif en notices violettes sous l’intitulé “les éléments principaux du site”. L’objectif était d’informer les DDE sur le fait que les espaces à urbaniser n’étaient pas des pages blanches, comme indiqué sur la plupart des fonds de plan de l’époque… ! Ainsi, de 1967 à 1970, les notes ont balayé la quasi-totalité des éléments physiques et naturels des sites, dont les exploitations agricoles, la bioclimatologie, la géomorphologie, la géologie, l’hydrologie…Pour ma part, j’ai travaillé sur les notes « Végétation » (1968), et « Forêt » (1969) avec l’aide d’ingénieurs forestiers, Mrs CLAUZURE conseiller technique auprès du Préfet de la région parisienne, et LASSEIGNE, du département tourisme, chasse et pêche à la Direction Technique de l’ONF (note rééditée en 1971 par Rémi PERELMAN).

Ces deux notes d’information accompagnaient en particulier la politique du ministre Albin CHALANDON, qui souhaitait développer l’urbanisation dans les massifs forestiers (en effet, la LOF l’autorisait à condition de laisser ouvert au public les 9/10ème du massif urbanisé), ainsi qu’autour de plans d’eau, afin de « rapprocher les français de la nature ». (Voir les lotissements de maisons individuelles dites « Chalandonnettes »).

Une note sur l’expérience des Pays-Bas en matière d’environnement et d’aménagement a également été diffusée. Une note sur le « Paysage » était prévue. Le groupe a eu à suivre et à conclure en 1969 une recherche menée par les bureaux d’étude CINAM-SCAUE lancée par la DAFU – “La mise en valeur et la protection des paysages – De la protection des paysages à la mise en valeur du milieu de vie”. Cette recherche a été menée à la demande de Paul DUFOURNET, architecte, Inspecteur Général de la Construction. C’est certainement la première étude générale recensant les diverses approches du paysage, principalement à l’étranger, et proposant des axes d’action. Jean ZEITOUN, polytechnicien, l’un des membres de l’équipe, a publié un long article « La notion de paysage » dans la revue « L’architecture d’aujourd’hui » – N° 145.- 1969. Cette recherche a été exploitée par les travaux du GERP (Groupe « Paysage »), par l’Association “PAYSAGE”, pour mes enseignements : SPAJ de l’ENSH, UV dans plusieurs Universités, sessions de formation continue, colloques, articles, …

Dans le même temps, le Centre de documentation livrait un numéro de son bulletin, dénommé le BULLDOC. Il comprenait deux articles principaux, très remarqués, mais guère apprécié par la hiérarchie (DAFU et Cabinet).

– DREYFUS (Jacques) – Les ambigüités de la notion d’environnement (critique sur la naissance de la politique d’environnement),

– LASSUS (Bernard) – Les habitants face aux structures dans la création du paysage urbain.

Le STCAU était une véritable plaque tournante pour échanger connaissances, expériences avec les équipes de terrain, et vice versa. Ainsi, le groupe relation ville campagne a animé le Club des paysagistes d’OREAM”, avec la participation du responsable de l’environnement de l’Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture, l’APCA : Jacques SGARD (Nancy-Metz-Thionville, et Aix-Marseille-Fos), Michel-François CITERNE (Nancy-Metz-Thionville), Jean CHALLET et Pierre MAS (Nord – Pas de Calais), et Michel VIOLLET, (Nantes-Saint-Nazaire)

C’était bien nécessaire à une période où nous étions tous confrontés à des échelles et à des questionnements totalement nouveaux, en particulier la protection et l’aménagement des espaces agricoles, et des projets de « ceintures vertes », « coupures vertes », « coulées vertes », … dans les aires urbaines.

Ce rôle de “plaque tournante” a joué à plein durant les évènements de 1968… Le STCAU a été en grève et en assemblée générale durant plusieurs semaines. Avec son central téléphonique, le STCAU était en lien permanent avec les équipes de terrain et vice versa… De ces évènements ont été élaborés des motions, textes, qui ont fait la une des Revues d’Urbanisme au plan international. Cela n’a pas été pardonné, … et à partir de 1969, le STCAU a été démantelé en douceur, moi-même étant invité à rejoindre l’équipe de l’Organisation d’Etude, d’Aménagement de la Loire Moyenne en cours de constitution (OREALM).

En marge des activités du groupe « relations Ville Campagne », nombre d’intervenants se sont mobilisés pour agir et poursuivre la défense des idées de paysage, et tout particulièrement pour demander la création de formations de professionnels, sachant que le Ministère de l’Agriculture avait l’intention d’arrêter la Section du Paysage et de l’Art des Jardins, la SPAJ de l’ENSH. Pour ce faire, en 1968, ils se sont constitués en Association « PAYSAGE ». Voir le chapitre 4.

2 – 1967 – 1970 : LE G.E.R.P.  GROUPE D’ETUDE ET RECHERCHE SUR LE PAYSAGE 

A cette période, les enseignants et élèves de l’ENSH-SPAJ revendiquent auprès de la tutelle des moyens pour développer les enseignements au regard des forts développements de la demande en paysagiste préparés pour les actions dans les domaines de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire.

1968 – Grève des étudiants. Leur représentant EICHENBAUM monte à la tribune de la Mutualité lors du meeting du 18 juin « non aux bidonvilles, non aux villes bidons ».

mission des principaux enseignants de la SPAJ, après le refus de la tutelle de prendre en considération leurs propositions, les enseignants ne poursuivent plus leur enseignement. Ils jugent les conditions déplorables. Dans le même temps, le Ministère de l’Agriculture, décide de ne pas poursuivre la SPAJ. Il restait à assurer l’enseignement des étudiants présents en 1ère et 2ème année, et de ceux fraîchement recrutés … ! la fermeture de la SPAJ étant programmée pour 1974. En attendant l’obtention de ces moyens, les étudiants et jeunes anciens élèves décident la création du GERP pour à la fois compenser les manques de l’enseignement, et en même temps, s’organiser pour mener des actions, tant auprès de l’école, que de la tutelle pour faire évoluer la situation. Ainsi, Philippe TREYVE, Paul CLERC, Samuel ADELAÏDE, et moi-même fondront l’association GERP avec le soutien d’enseignants, en particulier de Jacques SGARD, et de Bernard LASSUS. Philippe TREYVE en sera le Président, très charismatique.

L’association rassemble de 30 à une centaine de membres à la fin de son existence. Ce sont des étudiants, de jeunes anciens, notamment en attente d’obtention de leur diplôme, des enseignants, et même des professionnels. Lors de l’assemblée générale de janvier 1969 (cf. pages 3 et 4 du bulletin N° 5), Bernard LASSUS, chargé de la présider, a introduit la réunion comme suit :

Après avoir brossé rapidement «la croissance du GERP, en la qualifiant d’initiative heureuse et circonstancielle par rapport à un enseignement du paysage très insuffisant.”, il indique que pour lui le GERP est d’utilité double, à savoir :

– Prolongation d’une scolarité.

– Etablissement de liens entre les anciens élèves autour de problèmes de recherche en élargissant la profession et les activités professionnelles.

– Le GERP doit faire face à la demande de paysagistes et défendre une optique du Paysage.

– Le GERP doit promouvoir le paysagiste au sein de la Collectivité Publique.

Et cela, face à une prise en compte du paysage par de nombreuses disciplines.

Ce contexte nécessite la participation à certains travaux et le GERP pourrait être une esquisse à la recherche d’une méthode d’approche du paysage.

Enfin, il faut mettre l’accent sur un Centre de Documentation, qui est le moteur de la transformation de l’enseignement, et l’embryon d’un Centre de Recherche »  

Dès le départ, le GERP s’est structuré autour de groupes thématiques dont l’organisation a été confortée lors de l’assemblée générale : « Information – Documentation » : Caroline Baudelot, « Environnement » : Paul CLERC, « Paysage » : Pierre DAUVERGNE, « Ecologie » : Denis ROUVE, puis Alain MIGNARD, « Enseignement » : Michel Viollet. Les divers bulletins rendent compte des activités des groupes et mentionnent nombre de participants.

Durant les débats, Bernard LASSUS, intervient sur les questions relatives à la recherche :

« … Il faut que le Gerp, fasse un inventaire de ce qui se dit, ce qui se fait et ce qui s’est fait. Il faut qu’il publie l’inventaire des questions même non résolues. Il faut qu’il répertorie suivant une méthode, les problèmes déjà situés … »

Progressivement, le GERP attire et anime le monde professionnel, notamment par l’organisation de cinq conférences magistrales de personnalités de premier plan dans le grand amphi de l’école, durant lesquelles une centaine personnes est présente. A noter la participation du Directeur de l ’école, Etienne LE GUELINEL, PUGET, Jacques MONTEGUT, Jacques SIMON, des professionnels comme Pierre ROULET, Jean Claude SAINT-MAURICE, BIZE, CLOUZEAU, CAMAND. Également, plus nombreux, des étudiants et jeunes anciens., qui animeront les groupes de travail.

Les groupes « Ecologie » de Denis ROUVE, et « Paysage » ont souvent mené des travaux en commun, réalisé des bibliographies. Pierre DAUVERGNE a publié dans trois bulletins un résumé des études paysagères menées à l’étranger en exploitant l’étude de la CINAM – SCAUE pilotée au STCAU : « La mise en valeur et protection des paysages – De la protection des paysages à la mise en valeur du milieu de vie ». De même, pour les notes « Eléments principaux du site » du STCAU : La « végétation » et « la forêt ». Il anime le groupe jusqu’à la mi 1969, période où il intègre l’OREALM.

Le groupe « environnement » animé par Paul Clerc a cherché à approfondir les réflexions menées dans le cadre du cours d’études visuelles » à la SPAJ avec Bernard LASSUS, puis aux Beaux-Arts. Des bulletins de 1968 et 1969 présentent « Le plan d’intentions ou plan psychologique », Une méthode en trois étapes : Objectifs et motivations, Qualités d’espaces, Relation entre les espaces : cheminements.

Enfin, un exemple d’étude visuelle menée à la SPAJ par Georges DEMOUCHY, Elisabeth FREMOLLE et Pascal AUBRY.

Les premières conférences en 1968 :

– Jean COIGNET, urbaniste (IAURP) et Jacques BOUBAUD, paysagiste (Ville nouvelle de Cergy-Pontoise) : “Architecture du Bassin Parisien”, Rémi PERELMAN, ingénieur agronome (STCAU) : “Paysagisme et espace rural », Lucien HERVE, photographe de Le Corbusier : “Environnement”

Celles en 1969 :

– Jean BLANC, Dr. des cycles d’études de formation des Dlrs des parcs nationaux et régionaux : “Les mécanismes des paysages”, Mr DENANTES, IPC, (SCET nord-est) : “Le paysagiste dans l’aménagement urbain”

Chaque conférence a fait l’objet d’un compte rendu dans le bulletin du GERP.

Dans le bulletin N° 4 de janvier 1969, l’éditorial exprime clairement le contexte ambiant, presque un manifeste !

« …Le GERP a l’avantage d’exister, d’avoir un nombre non négligeable d’adhérents, d’avoir été créé par une équipe neuve, peu soucieuse des barrières, des protections, du mandarinat.

Si un dialogue permanent et direct pouvait s’établir, il serait répondu :

– A ceux qui croient que le GERP repousse certaine tendance ou génération,

– A ceux qui lui prêtent, telle ou telle arrière-pensée et qui pensent à tort ou a raison que nous sommes trop jeunes.

– A ceux pour qui le GERP doit être un recueil d’expériences et non pas, comme nous le souhaitons, un moyen de permettre à chacun, quel que soit son niveau et son expérience, de trouver le temps d’accomplir des recherches en dehors de l’accaparent travail journalier.

– A ceux qui croient voir dans ses travaux une intellectualisation systématique des questions traitées.

– A ceux qui craignent que le GERP s’attribue leurs méthodes ou es fruits de leurs mûres réflexions

– A ceux qui seraient tenter de limiter dès le départ ses ambitions….

Le GERP a été lancé par des jeunes qui ont ressenti un besoin auquel n’avait su répondre que partiellement l’enseignement et les groupements professionnels … »

Il est effectif, que les organisations professionnelles ne croyaient pas aux préoccupations du GERP. En effet, la réalisation de contrats d’étude, encore peu nombreux à l’époque, était de plus jugés peu rénumérateurs au regard du montant des honoraires liés aux marchés de travaux pour la réalisation de projets.

En 1969, un peu en apothéose, le GERP organise à l’INA deux journées d’études sur « L’AVENIR DU PAYSAGE RURAL ». Ce fut un grand succès, et un évènement remarqué avec la participation de conférenciers de premier plan dont :

– Philippe de SAINT-MARC, Directeur de la Mission Aquitaine  “Problèmes et principes d’aménagement du territoire”, Paul REY, Directeur de la carte de la végétation de la France  “Ecologie et aménagement”, Nicole MATHIEU, géographe au CNRS «Formation et évolution des paysages ruraux », Mr LEYNAUD, Chef de l’Atelier central d’Etudes d’Aménagement Rural , « Aménagement de l’espace rural », Jacques SGARD, paysagiste-urbaniste « Paysage et espace rural », Bernard LASSUS, «  Complexité visuelle et lisibilité relative données pour l’élaboration d’un paysage global ».

Chacune de ces conférences ont été suivies de débats importants. Le bulletin N° 6 de 1969 (le dernier) les relate. De même, pour la table ronde, qui a réuni 12 personnalités, dont :

Bernard LATARJET, Igref, mission d’étude d’aménagement rural pour la région parisienne, François – – François LAPOIX, assistant au Museum et FNPN, Mr MAZZOLINI, conseiller technique au District de la région parisienne, Mr DELLUS, urbaniste, à l’IAURP, Mr CLAUZURE, IGREF, Chargé de mission auprès du Préfet de Région, Mr BETHOLAUD, Directeur de l’espace rural au Ministère de l’Agriculture, Mr PESSON, Professeur d’écologie à l’INA, Mr ROGER, Dr de la SAFER Ile de France, Rémi PERELMAN, ingénieur agronome, STCAU, Mme BONNAMOUR, géographe, Professeur à la Faculté de Rouen, Phillipe TREYVE, ingénieur INA, paysagiste à l’IAURP, qui a introduit la table ronde, et Pierre Dauvergne, paysagiste à l’OREALM, qui a tiré les conclusions.

Le GERP participe à la Commission Harvois (voir Pierre Donadieu dans Histoire et mémoire de l’ENSP, Topia …).

En 1970, il intervient pour une réforme du diplôme de paysagiste. Voir Le Monde du 3 décembre : Paul CLERC et Denis ROUVE, au titre du GERP (représentants les anciens élèves diplômés et les élèves diplômables, “Pour un traité de paix avec le paysage. ».

1970 – Dissolution du GERP à la suite des deux journées d’études.

1971 – Philippe TREYVE rejoint l’entreprise familiale près de MOULINS

C’est alors, que, l’Association « PAYSAGE » prend le relai avec les mêmes objectifs, mais à une autre échelle, et préparera la naissance du CNERP…

3 – 1968 – 1975 : L’ASSOCIATION PAYSAGE :

Douze fondateurs dont :

Jacques SGARD, paysagiste-urbaniste, Président, Bernard LASSUS, plasticien, Vice Président, Rémi PERELMAN, ingénieur agronome, Secrétaire général, Pierre DAUVERGNE, paysagiste, Secrétaire, Paul CLERC, paysagiste, du bureau d’étude PAYSA, Trésorier.

Autres membres : Jean CHALLET, paysagiste-urbaniste à l’OREAM Nord, Charles ROSSETTI, ingénieur écologue, Claude AUBER, architecte, directeur adjoint du STCAU, CLAUZURE, ingénieur forestier, conseiller technique auprès du Préfet de la région parisienne, Jean-Pierre DEFFONTAINES, ingénieur agronome à l’INRA, Olivier DOLLFUS, géographe, Paul RENDU sociologue au Centre de Sociologie Urbaine, le CSU.

C’est un regroupement de disciplines variées pour aborder les questions de paysage dans toute leur ampleur, et en cela bien au-delà des questions esthétisantes et protectionnistes, qui ont cours … Comme on l’a vu précédemment, le GERP mène en parallèle ses propres activités en lien avec le STCAU et l’association.

1971 – Lors de la création du premier ministère de l’Environnement par Robert POUJADE, l’association PAYSAGE lui fait part de ses préoccupations et propositions, soit de mettre en place une formation au paysage d’aménagement pour des professionnels de l’aménagement et de l’urbanisme.

Le Ministre, qui avait besoin d’asseoir son autorité le plus vite possible, donne son accord au projet de l’association, car il pouvait être mis en place très rapidement. Ainsi, l’association est chargée par le Ministère de l’environnement de créer un cycle d’un an pour une formation expérimentale au “paysage d’aménagement” destinée à des professionnels de l’aménagement et de l’urbanisme, et pour développer la recherche. Ce cycle a été mis en place en 1972.

1973 : Le Ministre prend publiquement position dans LE MONDE du 22 septembre 1973 par un article en pleine page, intitulé “Vie et mort des paysages – Les pouvoirs publics peuvent-ils sauver les sites ?”.

L’association s’installe dans des locaux rue de Lisbonne à Paris. La première promotion de quinze professionnels a été prolongée d’un an. Le bilan étant jugé très positif, ce cycle a été reconduit durant trois ou quatre années. Il était animé par le Groupe d’Orientation Pédagogique et scientifique (GOPS). C’est la mise en place expérimentale du CYCLE PROFESSIONNEL DE FORMATION AU PAYSAGE D’AMENAGEMENT.

Robert POUJADE est le premier Ministre de l’Environnement, (1971 – 1974). Dès sa nomination, il cherche à lancer le plus rapidement possible un projet. Serge ANTOINE au Haut Comité de l’Environnement lui suggère la création du cycle de formation au paysage, projet qu’il connait et qui de son point de vue est mûr pour sa mise en œuvre. D’autre part, ce projet contribuerait à la formation de personnels compétents pour les futures politiques du ministère et ses nouvelles structures administratives décentralisées.

Le 2 novembre 1971, un Conseil Interministériel charge l’Association de mettre en place un cycle professionnel annuel sur le paysage d’aménagement. Grâce à une subvention du Ministère le cycle est installé le 16 novembre 1972, rue de Lisbonne à Paris, près du parc Monceau. Une petite équipe auprès de Rémi PERELMAN prépare le cycle : Sarah ZARMATI, Charles ROSSETTI, et moi-même, puis, mise en place du Groupe d’Orientation Pédagogique et Scientifique, le GOPS, avec la participation de C. ROSSETTI, Jacques SGARD, Bernard LASSUS et Rémi PERELMAN.

Les stagiaires font acte de candidature après parution d’annonces dans la presse, ou par connaissance de l’existence du cycle, notamment par les GERP et la SPAJ. Ils sont recrutés après entretien. Il est veillé à la constitution de promotions équilibrées entre les paysagistes et les autres disciplines.

Le premier cycle expérimental s’est déroulé sur deux années, et non pas une comme prévu à l’origine. Les trois suivants (ou quatre ?) ont bien été d’un an.

De 1973 à 1974, je suis chargé de mission pour mettre en place l’ « appui technique » aux Ateliers Régionaux des Sites et Paysage (ARSP), puis aux Directeurs Régionaux de l’Environnement (DRE), deux nouvelles structures de l’Administration.

1972 à 1976 : Quatre (ou cinq) cycles longs interdisciplinaires de formation professionnelle au paysage (post 3ème cycle) se déroulent durant cette période. Le Groupe d’Orientation Pédagogique et Scientifique, le GOPS, rassemble Jacques SGARD, Bernard LASSUS, Charles ROSSETTI, Jean CHALLET, Jacques MONTEGUT, Michel MACARY, moi-même et d’autres intervenants ponctuels.

En 1975, l’Association PAYSAGE laisse la place à l’association (loi de 1901), dite CENTRE NATIONAL D’ETUDE ET DE RECHERCHE DU PAYSAGE, le CNERP, structure plus pérenne. Elle poursuit le cycle de formation jusqu’en 1976.

1973 – 1974, Je suis détaché par l’Organisation d’Etudes d’aménagement de la Région Centre (OREALM), auprès de l’Association Paysage, pour la mise en place et l’animation de l’appui technique en matière de paysage auprès des nouveaux chefs des ateliers régionaux des sites et des paysages (ARSP), et des délégations régionales de l’environnement (DRE), mais aussi auprès des services décentralisés du Ministère : SRE, CETE, DDE. 7 Feuilles « Informations Appui Technique » rendent compte des contacts avec le terrain.

1976 : l’Association est érigée en Centre National d’Etudes et de Recherches du Paysage (CNERP) jusqu’au début de 1979.

4 – 1969 – 1974 : L’OREALM – La « METROLE JARDIN »

ORGANISATION D’ETUDES D’AMENAGEMENT DE LA LOIRE MOYENNE :

Bien que ce moment professionnel ne durât que près de cinq ans, il fut extrêmement riche sur le plan méthodologique, et constitue une véritable recherche appliquée. Ce moment sera décrit dans un chapitre particulier ultérieurement. La bibliographie sommaire présentée ci-après permet, en l’attente, d’en prendre connaissance sous certains de ses aspects.

5 – Le CNERP : CENTRE NATIONAL D’ETUDE ET DE RECHERCHE DU PAYSAGE.

Par commodité et compréhension nous entendrons le CNERP comme la somme de l’Association PAYSAGE, période où elle est chargée du cycle expérimental de formation professionnelle au « paysage d’aménagement » (1971 à 1974), puis du CNERP stricto sensu (Décembre 1974 à janvier 1979).

Quelques documents (B. Barraqué, 1985) relatent plus ou moins bien l’histoire du CNERP. Il est bon de s’y référer. Cependant, les différentes sources sont souvent fragmentaires, partielles, voir contradictoires sur les dates. Accéder aux archives du CNERP déposées au Ministère permettrait de progresser pour cerner avec justesse cette période.

Après les deux premières années, le cycle est institutionnalisé en CNERP le 31 mars 1975 par le Ministre de la Qualité de la Vie, André JARROT, à Trappes, dans les locaux d’une antenne pédagogique d’une école d’architecture parisienne. Il reste une Association loi de 1901, qui dispose d’un Conseil d’Administration Interministériel, présidé par Pierre de la Lande de Calan de la Fondation de France (il est par ailleurs l’un des dirigeants de la Barclay s Bank).

Le CNERP est confirmé par le Ministre André FOSSET le 27 avril 1976. Mais à l’issue de l’Assemblée générale du CNERP du 24 janvier 1979, le Ministre Michel d’ORNANO décide de fermer le CNERP. Au total, presque 7 années et … quatre Ministres !

Sur toutes ces périodes d’activités, exploiter en particulier :

– La Plaquette du CNERP.

– R. PERELMAN – L’aménagement de la nature – cf. encadré sur le CNERP en page 12 – et dans la Revue Sciences et Avenir – N° spécial « La science du Paysage. 1974

– Les Nouvelles du Paysage n° 1 de juin/juillet 1975 au N° 8 de novembre/décembre 1976,

– le bulletin de la Documentation d’avril 1977.

– le rapport de 1985 de Bernard BARRAQUE « Le Paysage de l’Administration » Mission de la Recherche urbaine DUP / MULT. 

LE CNERP à partir de 1975 :

En résumé :

– La direction est assurée par Rémy PERELMAN et un secrétariat,

– Le cycle de formation professionnelle au paysage d’aménagement :

Jacques SGARD, Bernard LASSUS, Charles ROSSETTI, Rémi PERELMAN. D’autres enseignants participent également à l’enseignement comme Michel MACARY, architecte, Jean CHALLET, paysagiste, Jacques MONTEGUT, écologue, moi-même.

Se sont déroulés quatre (ou cinq ?) cycles, soit plus de 60 professionnels formés au paysage d’aménagement. Certains d’entre eux intègreront les structures du CNERP, et plus tard, la plupart occuperont des postes dans les services du Ministère.

– Le Centre de Documentation du Paysage, dirigé par Sarah ZARMATI, est assistée par Claudine ZYSBERG, Nicole DE GOUTTE, Alain SANDOZ, puis Luc VOYENNE pour « les Nouvelles du Paysage ». Le centre réunira plusieurs milliers d’ouvrages, publications diverses. Il réalisera des bibliographies, des notes et recherches documentaires

La cellule audiovisuelle : dirigée par Yves LUGINBUHL, assisté de Jean Pierre BOYER et Pierre VANTOUROUX, constituera une diathèque, réalisera des documents audiovisuels de sensibilisation au paysage. Cette cellule concevra les maquettes des publications du CNERP.

– La cellule de la Formation Continue animée par Anne KRIEGEL a réalisé de nombreuses sessions de formation continue à l’adresse des milieux professionnels de l’aménagement et de l’urbanisme. Voir par exemple le programme de l’année 78.

Le groupe d’étude, de recherche, et d’expérimentation (ERE) :

Avant la mise en place du groupe, l’Appui Technique, 1973-1975, animé par moi-même, a fonctionné principalement auprès des Chefs des Ateliers Régionaux des Sites et Paysage (ARSP), puis des Directeurs Régionaux de l’Environnement (DRE).

Par ailleurs, Alain MIGNARD, paysagiste, a été recruté temporairement en 1973-1974 et mis à disposition de l’Etablissement Public d’Aménagement de la Ville Nouvelle du VAUDREUIL.

Voir les documents internes suivants :

– Les notes « Informations Appui Technique » N°1 à 7 – novembre 1973 / juillet-aout 1974.

– Note d’aout 1973 sur les demandes enregistrées à l’Appui Technique.

– Note du 28 aout 1973 sur les préoccupations des ARSP et DRE

À leur lecture, il est possible de bien prendre la température de la période en matière de préoccupations des administrations et du Ministère.

À partir de 1975, je suis recruté au 31 01 1975, en tant que directeur d’étude responsable de l’équipe des études, recherches et expérimentations. L’équipe est rapidement constituée principalement par des professionnels issus des cycles de formation du CNERP dont : Alain LEVAVASSEUR, paysagiste, Marie Noëlle BRAULT, paysagiste, Zsuza CROS, paysagiste polonaise, Jean Pierre SAURIN, paysagiste, Jean Rémy NEGRE, architecte-urbaniste. Autres membres de l’équipe : Marie Claude DIEBOLD, géographe, Claude BASSIN-CARLIER, ingénieur écologue, Janine GREGOIRE, secrétaire. IL était fréquent que des travaux mobilisent des membres de plusieurs unités en même temps.

Selon le Centre de Documentation, de 1973 à 1977, 127 rapports d’études, ou de recherches sont réalisés par les équipes du CNERP (7 en 1973, 24 en 1974, 28 en 1975, 34 en 1976 et 34 encore en 1977).

Voir :

– L’Inventaire des études dressé par le Centre de documentation au 5 octobre 1978

– L’actualisation des études et recherches à la date du 18 octobre 1978 et études en cours 1978/1979.

A l’analyse de ces listes il est possible de recenser les thèmes, qui préoccupaient le Ministère et ses services.

En effet, la quasi-totalité de celles-ci correspondent à des commandes du Cabinet et des services centraux. Les contrats étaient négociés par Rémi Perelman. Certains constituaient des formes de subvention de fonctionnement.

Pour ma part, je citerai cinq travaux particuliers du CNERP :

La formation de tous les ingénieurs (dits lignards) du Centre d’Etude du Réseau de Transport (CERT) de l’EDF dans les années 1975 et 1976.

Ainsi, la totalité des 200 ingénieurs du CERT, ont participé à u formation exemplaire sur deux années. Ces ingénieurs, dits les « lignards » étaient responsables des tracés des lignes à très haute tension et hautes tensions pour transporter l’énergie produite par les nouvelles centrales nucléaires.

Les études se heurtaient à de fortes oppositions, car les lignards élaboraient des tracés linéaires faisant fi des singularités géographiques. Parfois, les tracés évitaient des secteurs trop sensibles. Ainsi, le CNERP a été chargé de développer une culture du paysage à ces lignards par des sessions courtes de formation organisées par Anne Kriegel. Des exercices pratiques, à partir d’une maquette au 1/ 1000ème d’un territoire de 9 x 6,6 km conçue par Y. LUGINBUHL et représentant de nombreuses situations géographiques. Au-dessus de celle-ci des caméras mobiles permettaient de visualiser et d’évaluer des simulations de tracé. Les lignards devaient justifier leur projet de tracé. Le déroulement de ces sessions alternait des exposés généraux (Rémi PERELMAN et Pierre DAUVERGNE), une visite de terrain proche du Centre (Alain LEVAVASSEUR), et des relations de cas par des intervenants extérieurs (Jacques SGARD, Caroline BAUDELOT et Martine GUITTON). A noter qu’EDF faisait partie du Conseil d’Administration du CNERP. (Voir deux dossiers de sessions de 1976).

En 1977, une expertise éclair sur le projet d’implantation de la station de sports d’hiver de Barca dans la vallée d’Aspe, près du village d’Aydius. Elle a été réalisée pour le compte du Conseil Général des Pyrénées Atlantiques par Yves LUGINBUHL, Sarah ZARMATI, Janine GREGOIRE et moi-même. Il était demandé d’évaluer le volume bâti dans le paysage et de mesurer l’impact de la voirie d’accès à créer.

Cette expertise réalisée en un temps record est exemplaire de l’approche paysagère du CNERP, à la fin de son existence. Cette approche globalisante affiche une problématique en termes de développement et d’aménagement d’un territoire, bien au-delà des simples impacts visuels.

De 1973 à 1984, 12 années d’assistance à l’Etablissement Public d’Aménagement de la Ville Nouvelle du Vaudreuil (EPVNV) et à sa Cellule Environnement. Cette assistance correspondait à l’une des « 100 mesures pour l’environnement » puis, a été inscrite dans le programme de la DGRST. Ont été réalisées plusieurs études méthodologiques, recherches et une présence au sein du Conseil scientifique environnement. C’est un ensemble de travaux mené par le CNERP dans la durée, puis, à partir de 1979, par le STU-ENSP, dont :

Présentation de la maquette du « germe de ville » par Gérard THUNAUER, architecte, à Paul DELOUVRIER. Suis à gauche – cliché EPVNV

– Le conseil scientifique de la cellule environnement. Il comprenait un géographe, un sociologue, un acousticien, un hydrogéologue, un naturaliste pour la faune, et un paysagiste. Le conseil a particulièrement travaillé sur les dossiers d’impact.

– en 1974, l’étude paysagère du site de la ville nouvelle du Vaudreuil par Alain MIGNARD,

– en 1978, avec Alain LEVAVASSEUR recherche méthodologique pour l’établissement de palettes végétales des sites en voie d’urbanisation.

– de 1978 à 1980 : Recherche sur « la production, la gestion et l’appropriation des espaces extérieurs en milieu urbain nouveaux ». Recherche menée par Sarah ZARMATI, Alain LEVAVASSEUR, moi-même avec les sociologues Maurice IMBERT et Jean Charles LAGREE du Centre d’Ethnologie Sociale et de Psychologie du CNRES, enfin avec Michel GANTIER, photographe à l’EPAVNV.

Les 6 et 7 mai 1976, à Cabourg, présentation des résultats de l’étude sur « les approches paysagères ». Ce fut le séminaire « Paysage et Aménagement » de CABOURG. Travail mené par Sarah ZARMATI, Jean Pierre SAURIN, Ssuzsa CROS, et moi-même. Graphisme de Jean Pierre SAURIN et Jean Pierre BOYER.

C’était une commande importante du ministère de la Qualité de la vie. La restitution de l’étude s’est faite dans le Grand Hôtel de Cabourg devant une centaine de personnalités des différentes directions et services des ministères en charge des questions de sites, paysage et environnement.

1978 à 1981 – Préparation et exploitation du concours du parc départemental du SAUSSET pour la Société d’Economie Mixte du Conseil Général de la Seine-Saint-Denis (la SODEDAT 93). Sous la Direction de de C. BOUZEMBERG, architecte-urbaniste, une équipe a été constituée avec, pour le CNERP : Alain LEVAVASSEUR, Claude BASSIN-CARLIER, et moi-même, pour l’Université de Paris Nord (Villetaneuse), le Professeur SIVIGNON, géographe, et pour le laboratoire d’économétrie de l’Ecole polytechnique, Robert BALLION, sociologue.

Les propositions remises ont mis en évidence nettement les deux tendances conceptuelles du moment dont l’une récente, qui s’est affirmée lors du concours. Maquette du projet lauréat : Equipe Michel CORAJOUD.

À ce titre, ce concours présente une certaine exemplarité, qui a d’ailleurs inspiré les responsables de la mission parc de l’Etablissement Public d’Aménagement du Parc de la Villette.

BILAN ET FIN DU CNERP. Une appréciation personnelle 

Cette fin, ou pour certains la « mort du CNERP, vive le paysage », tient à plusieurs raisons concomitantes :

Une gestion désastreuse a-t-on dit … !

C’est vers l’année 77, que les premiers signes de difficultés financières se font sentir. Celles-ci deviennent permanentes dans le courant de l’année 78 avec en particulier des retards dans les versements des salaires en fin de mois.

Cette situation s’explique par la forte diminution des subventions à l’issue des cycles de formation, et par le désengagement progressif de certains ministères (le ministère de l’agriculture n’a jamais apporté une aide). C’est en quelque sorte un désengagement général des ministères.

La compensation à ces manques s’est faite par la réalisation d’études de plus en plus nombreuses, « alimentaires » pour certaines, faisant dériver ainsi l’équipe vers un bureau d’étude classique, et des études éloignées des objectifs assignés au Centre, soit des études méthodologiques et des recherches.

D’ailleurs, à ce propos, la profession a dénoncé cette situation jugée déloyale et concurrentielle. C’est un retournement de situation par rapport au début des années 70, où cette même profession critiquait l’orientation de la formation vers le « paysage d’aménagement », sachant que pour elle, le métier était avant tout de faire de la maitrise d’œuvre. Pour les « Cnerpiens », les deux approches, s’exercent à des échelles différentes, et font partie du même métier.

Des différences de points de vue avec la tutelle …

Par exemple, sur les dossiers d’impact, le CNERP ne s’est pas engagé auprès de l’Atelier Central de l’environnement pour faire des guides méthodologiques à l’adresse des maîtres d’ouvrage. Ces dossiers développaient forcément une démarche déductive, et non pas inductive, c’est-à-dire en termes de projet.

Par exemple, encore, une entreprise importante, mais en difficulté, fabricant des poteaux métalliques pour supporter les câbles électriques ou téléphoniques, était combattue par des associations, ces poteaux étant jugés disgracieux dans les sites et paysages. Le ministère souhaitant défendre les emplois de cette entreprise, a demandé au CNERP des arguments pour poursuivre, selon des modalités à définir, la fabrication de ces poteaux.

Le CNERP a proposé d’implanter ces poteaux dans les paysages artificialisés, du type de la Beauce, et de réserver l’implantation des poteaux en bois dans les paysages de bocage, boisés ou forestiers. Le ministère a fait le choix inverse. Incompréhension donc …

Le séminaire de Cabourg a engendré quelques mouvements. D’abord sur le caractère somptuaire du lieu (choisi avec l’accord du Ministère …), mais plus sur la défense de méthodes d’approche large, par rapport aux approches esthétisantes et règlementaires, soit le quotidien des services.

Les réunions périodiques des chefs des ARSP à Trappes avec l’Appui technique ont finalement été suspendues et rapatriées au ministère, ce dernier vivant mal l’imprégnation des idées du CNERP à ses jeunes services… sans compter avec les difficultés d’accès depuis la province.

Une grève et des interventions des personnels :

À la fin de 78, les personnels, une vingtaine, mènent une série d’actions pour défendre l’existence du CNERP, outil expérimenté dans le domaine du paysage, et bien sûr pour la défense de leur emploi. Avec le soutien de l’Union locale de la CGT, de nombreuses interventions sont menées. Deux parlementaires des Yvelines se mobilisent et posent une question orale tant à l’Assemblée Nationale, qu’au Sénat : Michel ROCARD, député des Yvelines, Maire de Conflans Sainte Honorine, et Bernard HUGO, sénateur, maire de Trappes, Président de l’EPA de la ville nouvelle de Saint Quentin en Yvelines. Les préoccupations des personnels sont prises en considération, comme l’intérêt de préserver l’expérience du CNERP, notamment lors d’une Inspection générale du Ministère.

L’évolution du contexte administratif du ministère …

La création d’une nouvelle direction, celle de la Direction de l’Urbanisme et du Paysage (DUP), une grande première ! et en son sein, la Mission du Paysage ! Le CNERP n’a pas été inutile, il pouvait laisser la place à une administration durable.

Pour une part, des personnels du CNERP, intègreront ces nouveaux services, tandis que l’essentiel de l’équipe d’études, de recherche et d’expérimentations, contribuera à renforcer l’« Atelier » du Service Technique de l’Urbanisme (STU).

Les observations de la Cour des Comptes :

La Cour des Comptes venait de faire des observations à l’Etat sur le recours fréquent à des associations loi 1901 pour créer avec souplesse des services en marge de l’administration. Tel était le cas, d’une certaine manière, du CNERP. Il en a été de même, à la même période du Centre de Recherche d’Urbanisme (CRU).

______________________________

Au total, le bilan n’est pas si négatif, qu’on l’entend encore souvent … Le CNERP a joué sans conteste un rôle utile dans l’émergence des idées nouvelles de paysage, dans la formation de nouveaux professionnels, et l’engagement de nouvelles pratiques professionnelles.

Une recherche documentaire à partir des archives du CNERP permettrait de mieux cerner le rôle joué par le CNERP, et son utilité.

6 – 1979 – 1984 : LE STU, SERVICE TECHNIQUE DE L’URBANISME

Après la fermeture du CNERP, l’essentiel de l’équipe « Etudes, Recherches et Expérimentations », est reprise par le Ministère, et affectée à l’Atelier d’aménagement et d’urbanisme du STU.

Ainsi, Alain LEVAVASSEUR, Marie Claude DIEBOLD, Marie Noëlle BRAULT, Claude BASSIN-CARLIER, et moi-même, sommes affectés au sein de l’Atelier dirigé par Claude BREVAN, Urbaniste de l’Etat. Au fil des années, chacun quitte le STU pour occuper des postes ailleurs dont Alain LEVAVASSEUR, qui part pour la DDE de la Charente Maritime, Marie Claude DIEBOLD pour la direction de la revue « Diagonal ». Marie Noëlle BRAULT et Claude BASSIN-CARLIER quittèrent le Ministère.

Nous y menions des assistances techniques auprès des services déconcentrés du Ministère, ainsi qu’auprès de collectivités territoriales : La Rochelle, Besançon, …

J’ai proposé un « projet de programme d’actions 1980 du STU dans le domaine du paysage, « Les interventions paysagères dans l’aménagement et l’urbanisme », programme peu suivi d’actions.

Plusieurs assistances techniques ont été assurées : La Rochelle, Besançon, …

Pour ce qui me concerne, je tenais à poursuivre mon enseignement à L’ENSP. J’y suis détaché à 50 % de mon temps, puis à 100 % deux après, jusqu’ en décembre 1984. Ce détachement était la contribution en nature du Ministère au fonctionnement de l’ENSP récemment crée. Je devais y développer un enseignement orienté vers l’aménagement et l’urbanisme.

De 1979 à 1980, J’ai eu la chance de participer à une coopération du Ministère auprès de la Tunisie sous l’égide de l’UNESCO, pour la création du « Parc National Archéologique et Naturel de Carthage – Sidi Bou Saïd » financé par le PNUD et exécuté par l’UNESCO. Le ministère a désigné Lucien Chabason, juriste, mais aussi directeur de l’Urbanisme et du paysage, de conduire une équipe composée de Jacques de Courson, économiste, Jean Paul Dumontier, urbaniste, Denise Taillandier, architecte et moi-même paysagiste. Nos travaux étaient coordonnés par Dorothée Barbier-Vauzelles, architecte-urbaniste pour le compte de l’UNESCO. Ainsi, j’ai assuré quatre missions d’environ une semaine chacune. A chaque fois, je rendais compte de mes réflexions et des contacts sur place, principalement auprès du Conservateur du site et directeur du musée de Carthage, et de responsables de la Direction de l’Aménagement du Territoire. Je participais également aux réunions périodiques consacrées à l’avancement des fouilles archéologiques. L’ensemble de ces travaux s’est traduit dans un plan de paysage prenant appui sur la cadastrationne rurale romaine. Ces travaux sont consignés dans l’article « Le parc national archéologique de Carthage- Sidi Bou Saïd, près de Tunis » – Revue « L’Architecture d’Aujourd’hui » – N ° 218 spécial « Paysages » – 1981.

Les citernes romaines de la Maalga après débroussaillage.

Fin 1984, lassé des études générales, des guides méthodologiques, je souhaite retourner sur le terrain au contact du réel, des acteurs locaux, et de pratiques opérationnelles. Je démissionne du Ministère, et par voie de conséquence, de mes responsabilités d’enseignant à l’ENSP, et de ma participation au Conseil scientifique environnement de la Ville Nouvelle du Vaudreuil.

 

7 – CG 94, CONSEIL GENERAL DU VAL DE MARNE

La Décentralisation de 1983, un grand tournant, m’encourage à intégrer une grande collectivité territoriale, soit le Conseil Général du Val de Marne. Responsable au départ du service départemental des espaces verts, j’occupe par la suite, la Direction de l’aménagement, puis dirige la plupart des directions techniques, jusqu’à participer à la Direction générale des services départementaux. Cet engagement, durera 20 ans, jusqu’au début de 2005.

C’est une autre histoire singulière d’un paysagiste dans une grande collectivité publique, qui fait l’objet d’une contribution particulière.

Version du 30 décembre 2018 (mise en forme de P. Donadieu), modifiée par des ajouts de 10/01/2019 par P. Dauvergne et l’introduction d’images par Yves Lüginbühl.


1 Voir à ce sujet BLANCHON (Bernadette) – Les paysagistes en France dans les grands ensembles d’habitations – Programme architecture des espaces publics modernes – Plan construction et architecture – MEL – 1998