10 – La revue Paysage et Aménagement (1984-1996)

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Chapitre 10

Paysage et Aménagement (1984-1996)

Une revue pionnière de paysage

Version du 20 mars 2019

Pierre Donadieu montre le rôle clé qu’a joué cette revue comme outil de diffusion des actions publiques de paysage et des compétences des paysagistes.

En octobre 1984, paraissait le premier numéro de la revue Paysage & Aménagement à l’occasion des «Assises du paysage» d’Aix-les-Bains, organisée par la toute jeune Fédération française du paysage, créée en 1982. Dix ans après, la revue célébrait ses dix ans d’existence dans un numéro qui faisait le point sur les politiques publiques des plans et chartes de paysage1. Mais son comité de rédaction ne se doutait pas que la revue allait cesser de paraitre deux ans après. Elle devait céder la place aux Carnets du paysage. Comment cette revue était née ? Qui en organisait la production ? Quel était son lectorat ? Pourquoi a-t-elle disparu au bout de 12 ans ?

P+A n° 29 en 1994.

Une initiative opportune

Paysage & Aménagement (P+A) est né en 1983 à l’École nationale supérieure de paysage de Versailles d’une initiative de Raymond Chaux, directeur de l’établissement, à un moment d’intenses turbulences de l’établissement (voir chapitre 8). Un projet d’Institut français du paysage était à l’étude en même temps que les enseignants de l’ENSH quittaient la formation des paysagistes. Les ateliers pédagogiques régionaux de quatrième année se mettaient en place, alors qu’était créée la Fédération française du paysage.

Elle était publiée quatre fois par an et comportait sous sa forme autonome2 environ 60 à 70 pages. L’objectif des fondateurs de la revue était de « promouvoir une politique de qualité d’aménagement de l’espace ». Elle s’adressait aux maîtres d’ouvrages et notamment aux élus des collectivités territoriales, aux « professionnels de l’aménagement et spécialistes de toutes disciplines concernées par les problèmes du paysage » et « d’une manière générale à tous ceux qui contribuent dans le cadre d’organismes privés ou de services publics à faire aujourd’hui le paysage de demain »3. Il fallait créer entre pouvoirs publics et praticiens un marché du paysage qui émergeait à peine.

Il s’agissait de s’inscrire dans la politique gouvernementale de paysage que développait depuis 1979 la Mission du paysage du ministère de l’Environnement en faisant appel autant aux chercheurs qu’aux praticiens. Et ainsi favoriser entre eux une communication qui n’existait pas.

Pour constituer un comité de rédaction, R. Chaux fit appel à des enseignants permanents de l’école, non paysagistes (P. Donadieu, M. Rumelhart) ou paysagiste (P. Dauvergne), à des paysagistes libéraux (D. Laroche, S. Eyzat, A. Freytet, T. Louf) ou fonctionnaires (Y-M. Allain, P.-M. Tricaud) et à des personnels de l’école (N. Delalande, C. Royer, B. Perez, N. Dupuy) ou issu du CNERP (S. Zarmati). Alain Fraval, rédacteur en chef du Courrier de l’environnement de l’INRA, rejoignit le comité au début des années 1990.

Des partenaires variables

La revue P+A était la propriété de l’association Promotion du paysage4, dont Raymond Chaux fut le premier président, Nicole Delalande la secrétaire, et Yves-Marie-Allain, chef du service des cultures du Muséum national d’histoire naturelle à Paris, le second responsable de 1994 à 1996.

Elle fut, dans un premier temps, éditée et diffusée par les éditions Lavoisier de 1984 à 1987. Tous les problèmes techniques de gestion (maquette, impression, diffusion, recherche d’abonnés, financement) étaient du ressort de l’éditeur Lavoisier. Les 12 personnes bénévoles du comité de rédaction devaient fournir les articles dactylographiés et les illustrations. R. Chaux assisté par N. Delalande coordonnait l’ensemble avec le soutien logistique des deux écoles. Quatre fois par an, R. Chaux et son assistante allaient à Paris livrer les textes5.

Puis le Groupe J (Paysage Actualités) a pris la succession sous la forme d’un cahier inséré dans la revue Paysage Actualités (entre mars 1988 et novembre 1990), et à nouveau de manière indépendante de février 1991 à 1996. La direction de la publication était prise en charge conjointement par le président de l’association et François Langendorff président du Groupe J à Poigny-la-Forêt et directeur de Paysage Actualités6.

Raymond Chaux dirigea le comité de rédaction jusqu’en 1994 puis fut remplacé par Pierre Donadieu et Sarah Jenny-Zarmati avec Alain Fraval chargé de la réalisation avec Sébastien Rolland et Chantal Durand.

Une revue pluraliste

La structure de la revue évolua peu en 12 ans, à l’exception d’une période de numéros à thème au début des années 1990. Dans le premier numéro la volonté de transversalité et de pluridisciplinarité fut clairement affichée. Il fallait s’adresser à la fois aux décideurs, aux praticiens, concepteurs et gestionnaires, aux enseignants et aux chercheurs.

À l’éditorial de R. Chaux (« Pour une politique de paysage »), succédait une tribune consacrée à une question pratique d’aménagement (les relations agriculture-forêt avec P. Dauvergne, A. Mazas et le Directeur départemental de la Nièvre). Puis des chercheurs (les sociologues F. Dubost et J. Cloarec, le géoagronome de l’INRA J.-P. Deffontaines) étaient réunis par P. Donadieu dans « Réflexions et recherche ». À cet article succédaient des témoignages de praticiens maîtres d’œuvre et conseillers de la maîtrise d’ouvrage (A. Marguerit et J. Ricorday) rassemblés par D. Laroche dans la rubrique « Réalisations ». Puis des sujets pratiques dans « Gestion et techniques » étaient abordés par des écologues (la haie bocagère et le remembrement) sous la houlette de Y.-M. Allain. Suivait la rubrique « Histoire » avec l’œuvre de l’architecte paysagiste F. Duprat par J.-P. Bériac, des « Nouvelles » par C. Royer et un « dossier « de 15 pages réalisé par P. Dauvergne sur les institutions et l’aménagement du territoire dont un entretien avec Yves Dauge, directeur de l’urbanisme et des paysages, président du SIVOM de la rive gauche de la Vienne, et des textes sur les paysages du Chinonais.

Étaient en jeu à cette époque les effets de la décentralisation sur les territoires et la modification des pratiques de remembrement et d’enrésinement : « Une nouvelle ère s’ouvrait-elle pour le paysage ? » comme l’écrivait P. Dauvergne. D’autre part ne fallait-il pas rappeler les compétences des paysagistes pour réhabiliter l’habitat social par un projet de paysage, au-delà de démarches fonctionnalistes limitées ? Et signaler la mise en place par la DATAR d’une mission photographique des paysages français, la relance de la gestion des plantations d’alignement le long des routes (entre autres actions paysagères du CIQV) ou les formations continues sur le projet de paysage à l’ENSP de Versailles ?

Douze ans plus tard, lors de l’avant-dernière livraison de l’hiver 1995/96, l’éditorial de S. Zarmati rappelait que le paysage appartenait à tous et que « aucun spécialiste ne peut se l’approprier ». La rubrique « Réalisations et études » développait « une esthétique autoroutière indissociable du pays » (A. Mazas), , Y-M. Allain faisait le bilan des conventions internationales de protection de la nature et R. Jancel des règles d’installation des jeux d’enfants dans l’espace public. Dans un « Dossier », P. Donadieu et A. Fraval indiquaient les résultats d’une enquête sur les réactions des habitants et des agronomes à des images de paysages agricoles, alors que R. Chaux s’entretenait, dans la rubrique « Histoire » de la nature des jardins sénégalais, avec A. Dieye, président des architectes paysagistes du Sénégal et ancien élève de l’ENSP7.

Le projet initial, très œcuménique, avait été maintenu en dépit des difficultés de financement de l’édition. Il reposait entièrement sur le bénévolat, mais il ne faisait toutefois pas l’unanimité chez les jeunes paysagistes DPLG qui n’y publiaient pas ou peu. D’autant plus que d’autres revues paysagistes émergeaient à cette époque avec une sensibilité beaucoup plus professionnelle ou théoricienne. Le n° 5 de Pages Paysages publiait en 1994 des articles de G. Clément, P. Cribier, Yves Brunier, M. Corajoud, G. Vexlard … ; la revue Topos (n° 7) des textes de M. Desvigne et C. Dalnoky et une nouvelle revue Paysage des villes et des campagnes tentait sa chance (sans succès) avec un article de J. Osty (le parc Saint-Pierre à Amiens) et un interview d’Isabelle Auricoste. Sans compter le premier numéro du Visiteur avec un article remarqué du philosophe Sébastien Marot : « L’alternative du paysage ».

Un panel vaste de sujets

Entre octobre 1984 et novembre 1994, 56 numéros sont parus dont 27 comme dossiers dans Paysage et Actualités. 423 articles de 277 auteurs ont été présentés dans les huit rubriques prévues à cet effet8.

172 articles dans trente dossiers, 62 dans « Réflexions et recherches », 49 dans « Réalisations et études ». Cette dernière rubrique est effectivement restée modeste avec seulement un quart des articles dont beaucoup d’études.

Parmi les 20 thématiques retenues, le thème des jardins et espaces de loisirs (119) devance largement celui des approches conceptuelles du paysage (99), puis le droit et la politique (75), les sujets situés à l’étranger-20 pays (72), les milieux ruraux (74), les projets réalisés (74), l’histoire du paysage (60). L’intérêt pour l’informatique (9) et les arts (9) est resté faible, alors que celui pour le végétal comme matériau vivant était dans la moyenne.

Les faiblesses de P+A

Au moment où en septembre 1994 S. Zarmati et P. Donadieu prennent la codirection du comité de rédaction, le bilan financier de l’association Promotion du paysage est positif d’environ 11 800 F. Situation qui est due à des subventions de la Région Centre (colloque de Blois pour les n° 21 et 23), du ministère des Transports (l’autoroute A75 du n° 22), de l’Environnement pour le n° 24 consacré à Droit et Paysages , ou du ministère de la Culture pour celui sur les jardins historiques (n° 26).9

Mais la mise en œuvre de la rédaction est plus complexe qu’au départ de l’aventure. 19 personnes font partie du comité de rédaction, les articles sont à livrer sur disquettes, les numéros spéciaux financés se sont multipliés, les déplacements se font à Poigny-la-Forêt à côté de Rambouillet, et l’association est réunie au groupe J dans une SARL de presse10.

Si bien que R. Chaux est à la fois président de l’association propriétaire du titre, président du comité de rédaction, et cogérant de la SARL P+A. À 69 ans, il souhaite une relève à trouver dès l’automne.

En septembre de nouvelles perspectives sont annoncées, car le nombre d’abonnés est toujours inférieur à 1 000 (environ 800)11. Malgré la comptabilité encourageante de l’association, la revue manque d’argent, faute d’abonnés, d’annonceurs pérennes, de sponsors publics et de mécènes. Sa maquette n’est pas assez attractive, parfois approximative, et les illustrations sont souvent de qualité médiocre12. Les numéros à thèmes, financés13, ont un peu marginalisé le comité de rédaction (revenir à une structure par responsable de rubriques devient prioritaire). Enfin la proximité des matériels et matériaux horticoles dans la publicité ne plait pas vraiment aux paysagistes concepteurs qui ne s’y reconnaissent pas.

Un dossier ambitieux est mis en chantier pour deux numéros : « Qui fait le paysage ? » par Serge Eyzat. Le numéro anniversaire de 10 ans de P&A n°29 approchant, il est prévu de faire paraitre l’index des articles parus dans le numéro grâce au travail de Sarah Zarmati14. L’héritage idéologique du CNERP semble en fait plus prégnant dans le groupe que le débat public auquel participent, dans d’autres enceintes, paysagistes concepteurs et maîtres d’œuvre, jeunes et anciens.

La revue n’est pas confidentielle, car quelques propositions d’articles arrivent spontanément jusqu’au comité de rédaction (un agent de la DIREN du Puy-de-Dôme sur les paysages et les agriculteurs, une enseignante de l’ENITHP d’Angers sur l’analyse du paysage comme outil pour la conception du projet et pour la planification15, un texte d’une conférence à Padoue de M. Rumelhart sur les relations entre écologie et projet de paysage … Cela ne suffit pas, on parle moins dans le monde des concepteurs de questions théoriques et rurales que de la réception des grands projets urbains à Guyancourt (M. Desvigne), ou concernant le prolongement de l’axe historique à la Défense. Bien que, à Villarceaux, un séminaire « Paysages à acteurs multiples » ait réuni le landscape planner d’Harvard Carl Steinitz, Jacques Sgard et les paysagistes et urbanistes de l’IAURIF.

Le divorce

20 janvier 1995. Le comité de rédaction se réunit à Paris, à l’INRA, dans les locaux de la cellule Environnement. C’est surtout l’équipe opérationnelle qui est présente : 8 personnes Y.M. Allain, R. Chaux, N. Delalande, N. Dupuy, A. Fraval, S. Zarmati et P. Donadieu. À l’ENSP, Jean-Baptiste Cuisinier a remplacé Alain Riquois comme administrateur provisoire.

Le tirage est passé de 2000 à 3000 exemplaires16 diffusés pour 672 abonnés payants. En fait il n’y a que 372 abonnés au 1er janvier 1995, les autres abonnements étant payés par un organisme professionnel. Seuls 59 paysagistes concepteurs (sur 350 estimés) sont abonnés, alors que l’enseignement et la recherche en représentent une centaine. 17

Une relance des abonnés potentiels s’impose et la recherche de subventions est d’autant plus nécessaire que la trésorerie de l’association est devenue préoccupante et qu’il faut payer la maquettiste Chantal Durand 4000 F par numéro.

5 mai 1995. J.-B. Cuisinier, administrateur provisoire de l’ENSP après l’annonce du départ de l’ENSH à Angers, propose que l’ENSP devienne éditrice de la revue en remplacement du groupe J, l’association Promotion du paysage restant propriétaire du titre. P. Donadieu est chargé de rédiger une convention entre les deux partis. Quelques jours après, Y.-M. Allain et R. Chaux n’évoquent pourtant pas cette perspective avec F. Langendorff.

28 juin 1995, une assemblée générale extraordinaire de l’association au service des cultures du Muséum est prévue mais est annulée18. Le 4 juillet le comité de rédaction décide de son côté de continuer la collaboration avec le groupe J sur des bases nouvelles (des collaborateurs du groupe J mieux motivés pour rechercher un mécénat19). Un nouveau projet de convention avec les écoles de paysage (Bordeaux et Versailles) avec un apport annuel de chaque établissement de 15 000 F sera soumis aux directeurs par P. Donadieu et S. Briffaud.20

Ce dernier propose que P+A devienne « la revue française de recherche sur le paysage »21, étant donné qu’il n’existe pas de périodique sur ce sujet et que des programmes de recherches sont en cours sur le paysage. Cette orientation nécessitera de créer un comité de lecture, mais pourrait s’accompagner d’une subvention du CNRS. De nombreuses réticences apparaissent, ne serait-ce que parce qu’il faudra changer d’éditeur et de ligne éditoriale. Un consensus provisoire se dessine en faisant du comité de rédaction un comité de lecture.

Le 7 décembre 1995 F. Langendorff fait savoir à Y.-M. Allain que « le partenariat entre le groupe J et P&A semble compromis » et renonce à publier en 1996 quatre numéros. Deux raisons sont invoquées : « les univers des annonceurs et des auteurs de P+A ne s’intéressent pas l’un à l’autre », et le déficit en 1995 du compte d’exploitation22.

Le conseil d’administration de l’ENSP du 23 janvier 1996 a acté la décision du Groupe J, en souhaitant publier le n° 33 de l’année 1996 grâce à une publicité de l’ENSP pour 7 500 F. Qu’en sera-t-il des numéros suivants ? La réponse dépend du conseil d’administration de l’ENSP qui doit valider une convention entre l’école et l’association. Le 4 juin 1996 le conseil d’administration de l’école confirme que «le directeur est mandaté pour finaliser la négociation avec reprise de la SARL de diffusion pour éviter la reparution du titre initial »23.

Une succession délicate

La direction de l’école a retenu des discussions en cours que P&A prenait une nouvelle direction éditoriale « en privilégiant une plus grande valorisation de la recherche paysagère et d’un regard critique et théorique »24. Un projet, associant éventuellement l’école de Bordeaux, sera soumis en juin au conseil d’administration. La rubrique « Gestion et technique » serait alors supprimée.

Cette orientation nouvelle n’est pas du goût de tous. La plupart sont réticents à imaginer une restriction du champ de publication autour d’articles scientifiques. Pourtant directeur de recherches à l’INRA, P. Mainié démissionne le 3 mai25, défection qui s’ajoute à celles, déjà enregistrées en 1995, des paysagistes S. Eyzat, P.-M. Tricaud et D. Laroche. Le bateau commence à prendre l’eau …

Le 19 juin 1996, F. Langendorff restant en attente d’un accord avec les deux écoles pour mettre fin à un éventuel contentieux financier (rembourser les abonnés !) et publier les n° 34 et 35, Pierre Donadieu tente une ultime médiation avec J.-B. Cuisinier. Celui-ci souhaite en contrepartie d’une aide financière pour les numéros menacés que l’association cède le titre à l’école avec la liste des abonnés26. Il souhaite également savoir si le comité actuel de rédaction a l’intention de poursuivre dans une revue nouvelle qui ne s’appellera pas P&A. Comme le souhaite l’architecte paysagiste et enseignant Christophe Girot en charge provisoire de la création d’une nouvelle revue pour l’École. Et comme le confirmera Pierre-François Mourier27, recruté par J.-B. Cuisinier en septembre 1996 comme directeur des publications de l’École.

Le 28 juin l’association réunie en assemblée générale accepte de mettre à disposition de l’École le titre de la revue P&A selon les modalités d’une convention à signer28. Elle n’a guère le choix. La mise en œuvre est urgente car les abonnés n’ont reçu aucun numéro en 1996 et le comité de rédaction s’inquiète29.

La direction par la voix de P.-F. Mourier confirme en octobre à François Langendorff que l’école prendra à sa charge le n° 34, en modifiant l’éditorial qui annoncera une nouvelle revue « Les Cahiers du paysage »30. Car le directeur des publications recommande à J.-B. Cuisinier de ne pas envisager de travailler avec la SARL de presse (passif possible à reprendre), de revoir le projet de convention avec l’association et de penser à créer une revue ex nihilo. L’espoir pour l’école de trouver une compensation à la somme promise est rapidement déçue en novembre par le codirecteur de la SARL : « La vente au numéro est quasi nulle ; plus de 500 exemplaires ne seront pas écoulés ».

Le 2 décembre 1996, F. Langendorff prend acte par une lettre de P.-F. Mourier de l’accord de l’ENSP pour financer à hauteur de 30 174 F le n° 34, avec une publicité de l’ENSP en quatrième de couverture.

Le dernier numéro de P&A parait daté de l’ « Hiver 1996-97 ». C’est la fin d’une aventure éditoriale de 12 ans. Il n’y aura pas de n° 35.

La suite est autant une rupture (le comité de rédaction, l’association Promotion du paysage et la SARL de presse disparaitront) qu’une continuité des finalités éditoriales entre les deux revues. La première réunion du comité de rédaction de la nouvelle revue dirigée par P.-F. Mourier a lieu le 18 décembre 1996 à Paris. Avant de retenir définitivement le nom de Les Carnets du paysage (revue coéditée avec Actes Sud), d’autres titres furent suggérés : Paysages, Les Cahiers du paysage, Méthodos … Seuls trois membres du comité de rédaction de P&A, liés à l’école, s’engageront dans cette nouvelle aventure éditoriale : P. Donadieu, M. Rumelhart et N. Dupuy.

À gauche la lettre de Y.-M. Allain à J.-B. Cuisinier le 4 juillet 1996 (archives ENSP, Les Carnets du paysage) confirmant l’accord de l’assemblée générale pour une convention entre l’association Promotion du paysage et l’ENSP

À droite la note manuscrite de P.-F. Mourier à J.-B. Cuisinier du 1er novembre 1996 indiquant qu’il n’y a pas d’autre choix que de payer l’édition du dernier numéro de la revue (avec la contrepartie de la cession du titre P+A à l’école, d’une publicité pour l’ENSP en quatrième de couverture, d’un éditorial et de la liste des abonnés). Archives ENSP, Les Carnets du paysage.

Une revue pionnière ?

Avant 1984, l’édition de revues consacrées au paysage et aux paysagistes en France n’était pas un désert. Mais les articles qui traitaient ces questions étaient éparpillés entre plusieurs revues. Les unes relevaient d’une sensibilité technique (surtout horticole et jardinière), du design paysagiste (« Espaces verts » de J. Simon, « Archivert » de J. Magerand et E. Mortemais entre autres), les autres de diverses disciplines artistiques (dont l’art des jardins et le land art), professionnelles (urbanisme, architecture, agriculture), littéraires ou scientifiques, notamment en géographie, en écologie et en sciences de l’environnement.

La documentation du CNERP (1972-79) en avait montré la diversité dont témoignent aujourd’hui les documentations et archives des écoles de paysage, notamment celle de Versailles depuis la fin du XIXe siècle.

L’intention éditoriale de P&A était très ambitieuse : vouloir informer et faire communiquer entre eux des catégories sociales qui s’ignoraient souvent : les paysagistes concepteurs, maitres d’œuvre et gestionnaires, les décideurs et les maîtres d’ouvrages publics de projet d’aménagement de l’espace, les enseignants et les chercheurs. Et pour cela réunir dans différentes rubriques les informations qui permettaient à chacun de mieux jouer son rôle en connaissant celui des autres. La revue y est-elle parvenue au cours de ces douze années ?

En tant que support de communication réunissant des informations éclairantes sur des sujets en évolution permanente ? Sans aucun doute. C’était le seul périodique français capable d’une telle diversité de sujets dans ce domaine qui intéressait les politiques publiques gouvernementales des années 1980 et début 1990. Mais atteignait-il toutes ses cibles avec les messages appropriés ?

La ligne éditoriale touchait plus les enseignants et les chercheurs que les praticiens (concepteurs et entrepreneurs) qui avaient leurs propres médias comme « Paysage et Actualités » pour les gestionnaires publics et les entrepreneurs privés, ou que les élus (qui disposaient de l’assistance de Mairie-Conseil). Pas plus de 400 abonnés ont été fidélisés chaque année alors que les questions abordées concernaient des questions transversales politiques autant que techniques (parcs naturels régionaux, politiques d’urbanisme, restauration du patrimoine naturel et de jardins, paysages agricoles, intégration paysagère de l’architecture, …). En fait ces messages dilués dans de multiples rubriques n’étaient pas assez perceptibles pour que le lecteur se sente concerné par l’ensemble très riche de l’information. Trop d’informations tue l’information !

Alors que, en même temps, d’autres revues francophone, tout aussi ambitieuses, concentraient leur politique éditoriale autour de questions vives et ciblées concernant le champ du projet et de l’espace public (le Visiteur, Pages Paysage), l’histoire et la pratique des jardins (Jardins de France, l’Art des jardins et du paysage), la géographie des paysages (Hérodote, l’Espace géographique, Espaces et sociétés …), la conservation de la nature (Aménagement et Nature …) …

Faut-il en conclure que le concept de P&A n’était pas adapté au lectorat potentiel qui attendait une information plus concentrée et spécialisée sur des sujets cadrés et approfondis ? À moins que le lectorat concerné par une approche transversale du paysage et des jardins fut encore à cette époque trop restreint et confidentiel ? Je préfère cette deuxième explication.

Si on ajoute à cette critique, une maquette peu créative et souvent discutable, et une communication trop timide, on peut comprendre que P&A n’ait pas eu le succès escompté. Le choix du noir et blanc n’est pas en cause, comme le montre aux Etats-Unis la revue Landscape (avec un lectorat anglophone potentiel plus important, certes …).

En se recentrant sur le projet de paysage, l’espace public et des apports scientifiques pointus, en choisissant surtout une maquette renouvelée en permanence avec une place importante faite à la création artistique, Les Carnets du paysage ont adopté une ligne éditoriale originale, hybride entre créations paysagistes et artistiques, littérature et sciences humaines et sociales. La revue a choisi de promouvoir, non la qualité des paysages en France (comme P+A), mais la profession de paysagiste concepteur. Elle a bénéficié de l’expérience de P+A, mais aussi de Pages Paysages, conçu par des jeunes paysagistes DPLG.

Du fait de ce positionnement original, elle a engendré en 2008 la revue électronique inter-écoles de paysage Projets de Paysage faite pour les chercheurs31… En ce sens, elle a été pionnière, puisqu’elle a ouvert le chemin aux titres prestigieux qui l’ont suivie32.

Le premier numéro des Carnets du paysage, 1998.

Quelques membres du comité de rédaction :

       

De g. à d. : R. Chaux, S. Zarmati, Y.M. Allain, A. Fraval , P. Donadieu

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Notes

1 « P+A a dix ans, de la continuité à l’innovation », R. Chaux, éditorial, P+A n° 29, novembre 1994. Archives ENSP/P. Donadieu, n°29.

2 Elle fut publiée de 1988 à 1990 comme un dossier de la revue Paysages et Actualités

3 «Paysage et aménagement, Projet pour une revue », mars 1984, anonyme.

4 Les statuts de l’association Promotion du paysage ont été enregistrés le 14 février 1986. Archives ENSP.

5 Note aux membres de l’association Promotion du paysage du 7 février 1994, 2 p.

6 Une SARL « P+A » au capital social de 3000 francs a été constituée le 30 novembre 1990 entre la société « Editions J » et l’association « Promotion du paysage ». Elle était présidée par R. Chaux, ce dernier avec F. Langendorff étant associés comme cogérants. Archives ENSP.

7 P&A, n° 33, hiver 95-96.

8 Petite analyse quantitative et qualitative de P+A 1984-1994, S. Zarmati, 2 p., nov. 1994.

9 S. Zarmati, ibid.

10 Note aux membres de l’association Promotion du paysage du 7 février 1994, 2 p

11 396 au 23/9/1994 + 400 abonnements payés par Provert pour des destinataires choisis par lui

12 CR du comité de rédaction du 25 septembre 1984.

13 La convention avec le ministère de la Culture pour le financement du n° spécial jardins historiques (colloque de Blois de 1992) a été réduit de 60 000 F à 30 000 F. Rapport moral de l’AG Promotion du paysage du 23 septembre 1994.

14 Lettre de Y.-M. Allain au comité de rédaction du 4 octobre 1994.

15 Lettre de Frédérique Tanguy du 29 aout 1994.

16 L’édition de 300 exemplaires d’un n° est facturé 30 500 F (HT) par l’imprimerie Laboureur à Issoudun.

17 Compte-rendu du comité de rédaction du 20 janvier 1995, 4 p.

18 Pas de compte-rendu.

19 Deux mécènes se sont manifestés par des dons financiers en 1995 (la société d’élagage Moquet et fils et Moizard Environnement)

20 Compte-rendu du comité de rédaction du 4 juillet 1995, 6 p.

21 Compte-rendu du comité de rédaction du 10 novembre 1995, 4 p.

22 Lettre de F. Langendorff à Y.-M. Allain, 7 décembre 1995.

23 CR du conseil d’administration de l’ENSP du 4 juin 1996. Archives ENSP.

24 CR du comité de rédaction du 14 mars 1996, p. 1.

25 Plus sans doute pour un désaccord sur un article qu’il avait présenté et qui avait été refusé, que pour une opposition à la nouvelle orientation de P&A.

26 Lettres de P. Donadieu à Y-M. Allain, S. Zarmati et A. Fraval du 9 et 19 juin 1996. Archives ENSP.

27 Elève de l’École normale supérieure, Pierre-François Mourier fut enseignant à l’ENSP de 1986 à 2000. Il dirigea les publications de l’école et le département de Sciences Humaines.

28 Lettre de YM Allain à J.-B. Cuisinier du 4 juillet. Cette convention prévoit également de refondre le comité de rédaction et de modifier les responsabilités de directeur de la publication et de directeur de rédaction. A-t-elle été signée ? Aucun exemplaire paraphé n’a été retrouvé dans les archives connues.

29 Lettre de S. Zarmati à Jean-Baptiste Cuisinier du 19 septembre 1996. Archives P.-F. Mourier

30 Lettre de P.-F. Mourier à F. Langendorff du 17 octobre 1996. Archives P.-F. Mourier.

31 Elle a été créée par Pierre Donadieu et Catherine Chomarat-Ruiz, enseignants et chercheurs à l’ENSP.

32 Outre l’ENSP, deux autres écoles ont créé leur propre revue : l’École nationale supérieure de la nature et du paysage de Blois, et l’École nationale supérieure de paysage de Lille.

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