Jacques Sgard

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Jacques Sgard

Paysagiste, urbaniste, enseignant

Sa formationSes principales réalisationsSon enseignementSes distinctionsSes idéesBibliographie

Jacques Sgard est né en 1929 à Calais. Il passe son enfance dans la campagne du Boulonnais. Il est le plus ancien et le plus expérimenté des paysagistes urbanistes français.

 

Sa formation

À l’âge de 18 ans, il entre dans la jeune Section du paysage et de l’art des jardins de l’Ecole nationale d’horticulture de Versailles (ENH). Elle a recruté ses premiers élèves en octobre 1946 : six ingénieurs horticoles diplômés de l’ENH qui ont fait leurs études en un an.

À la rentrée de l’année scolaire 1947-48, six autres élèves sont admis pour un an dont trois ingénieurs horticoles. Parmi les non ingénieurs, « un bachelier avec de réelles aptitudes au dessin, mais sans connaissances botaniques et horticoles » est sélectionné avec un traitement de faveur. Il s’agit de Jacques Sgard. Le directeur Jean Lenfant lui propose une année comme auditeur libre pour acquérir les connaissances horticoles nécessaires après sa sortie de la Section. Faveur (non reproductible décide le conseil des enseignants du 12 juillet 1948) qu’il mettra à profit comme « cuscute1 » après sa formation en un an.

Il bénéficia, au cours de ces deux années, des enseignements d’ateliers de l’architecte de jardins et urbaniste André Riousse, de l’architecte et urbaniste Roger Puget, de l’expérience de l’ingénieur horticole (élève de Ferdinand Duprat) Albert Audias, de l’érudition botanique de Henri Thébaud en connaissance et utilisation des végétaux, des cours de l’historienne des jardins Marguerite Charageat, de la formation technique de Robert Brice et Jean-Paul Bernard, ainsi que des cours de dessin de René Enard.

Autant de disciplines (12), qui complétaient la formation de l’ingénieur horticole auquel avaient été déjà enseignées les matières scientifiques (botanique, physique, chimie, mathématiques), biotechniques (arboriculture, floriculture, pépinières, maraichage), et économiques.

En développant l’histoire des jardins qui avait été dispensée par le professeur d’architecture des jardins, et le dessin artistique ; en conservant quelques matières techniques (nivellement, levée de plans, utilisation des végétaux dans les projets). Et surtout en créant des ateliers de projets et des cours d’urbanisme, la nouvelle formation de paysagiste était fondée sur un approfondissement de la compétence de concepteur.

À la fin de l’année scolaire, les élèves sortant (dont J. Sgard et J.-B. Perrin) obtiennent brillamment le certificat d’études de la Section. Les travaux remis donnent entière satisfaction à M. Charageat : « Ils ont valeur d’une thèse ».

Néanmoins, « on n’apprenait pas grand-chose, c’était un peu léger » juge J. Sgard, soixante-dix ans après2. Cette formation nouvelle n’avait que deux années d’expériences …

À la fin de l’année 1949, il n’avait pas trouvé le stage qui était nécessaire, suivi du concours en loge, pour obtenir le titre de paysagiste diplômé par le ministère de l’Agriculture. En novembre 1950, il est néanmoins autorisé à s’inscrire à ces épreuves. Celles-ci comprenaient une partie éliminatoire (un projet de composition à présenter sous forme d’esquisses), un projet technique et un projet de plantation entre autres pièces techniques. Il obtient le titre en 1953 (ou 1952).

Puis, après des cours par correspondance auprès de l’Institut d’urbanisme de Paris, et ayant obtenu une bourse universitaire d’étude, il part en vélo aux Pays-Bas en 1954.

Sous la conduite du paysagiste Jan This Peter Bijouhwer (1898-1974), il découvre les projets néerlandais, notamment ceux de la reconstruction, des plans de paysage et de développement rural, et des polders comme celui de l’Isselmeer. En 1958, il soutient sous la direction de l’urbaniste Jean Royer, une « thèse » de fin d’étude, intitulée Récréation et espaces verts aux Pays-Bas3

« la thèse a été un détonateur pour moi. Je sortais de la petite école de Versailles et on n’avait aucune idée de ce qui se passait ailleurs. On pensait jardins, espaces verts. On pensait à des espaces bien délimités qui n’avait rien à voir avec l’urbanisme et puis ça ne durait qu’un an. J’avais fait l’institut d’urbanisme pendant deux, trois ans et là ce n’était pas non plus une révolution ; c’était les ZUP, les grands ensembles. On faisait des projets de zones d’habitation en maquette mais il n’y avait pas de vision de territoire » .4

Il débute sa carrière avec les jeunes paysagistes Pierre Roulet et Jean-Claude Saint-Maurice, anciens élèves de la Section (entrés à la Section en 1948 et 1954) au sein de l’Atelier du paysage. Carrière qu’il avait déjà commencée seul avec le plan de paysage de la station thermale de Lamalou-les-Bains (Hérault) livré en 1955. P. Dauvergne, certifié de la Section, y sera accueilli pour son premier stage en agence en 1965. Il est probable que son intérêt pour les échelles géographiques de l’urbanisme de projet date de cette époque.

Parallèlement, à partir de la fin des années 1960, il répond aux demandes d’études paysagères pour les OREAM, avec Joël Ricorday et Pierre Pillet à Marseille (les rives de l’étang de Berre et Fos), avec Michel Citerne en Lorraine et en Alsace. Puis il intervient dans les régions de friches industrielles de l’est français à partir de 1972 pour proposer des plans de paysage.

« Les réponses émanent de recherches individuelles. Jacques Sgard s’appuie sur une série de concepts opératoires pour limiter l’extension urbaine. Dans les Vosges, il dénonce la fermeture des paysages liée à l’extension des forêts de résineux en montrant comment ce processus assombrit les perceptions de l’espace quotidien »5 .

Ses principales réalisations

1955 : Le plan du projet d’aménagement de Lamalou-les-Bains (Hérault), avec le professeur Kuhnholtz-Lordat, phytosociologue à l’université de Montpellier.

Plan du projet d’aménagement du vallon de Lamalou-les-Bains, 1955. Source: Annette Vigny, Jacques Sgard paysagiste et urbaniste, Liège, Mardaga, 1995,

1960-1990 : Espaces extérieurs de la ville nouvelle de Quétigny-les-Dijon, avec B. Lassus pour le traitement des façades.

1965 ? Parc de la Blumental (vallée des fleurs) à Sarrebrück avec G. Samel et J.-P. Bernard dans le cadre du concours du Gartenschau (exposition de jardins) de la ville.

1966-1967 : Espaces extérieurs des logements du quartier de la Maurelette au nord de Marseille avec B. Lassus comme coloriste.

« Le principe d’organisation de l’espace réside alors dans la création de places pour respecter le caractère méditerranéen de ce lieu avec un mail de platanes qui conserve la mémoire de ce territoire. Il travaille aussi sur l’implantation des bâtiments et des voies de circulation pour préserver des espaces publics qui profitent d’une situation dominante sur la ville de Marseille. » S.Kéravel.

La Maurelette, J. Sgard, B. Lassus, cl. B. Blanchon, 2007

1967-1970 : Jardins du château de Karlsruhe (Allemagne) avec G. Samel (entre autres)

« Jacques Sgard et Gilbert Samel reconduisirent en partie les parterres de broderies de style baroque tout en proposant une organisation contemporaine en lien avec le plan de 1715 et en organisant un grand demi-cercle et un miroir d’eau. Des bosquets de tilleul gommèrent les problèmes de nivellement que rencontrait le site ». C. Jacquand et al. 2010.

1970 : Jardin de sculptures du parc floral de Vincennes (Paris)

Jardin des sculptures, J. Sgard, 1970.

1967-1983 : Parc départemental André Malraux à Nanterre (Hauts-de-Seine)

En s’inspirant de ses visites scandinaves et hollandaises, il recherche le contraste entre la densité urbaine du quartier de la Défense et l’étendue des espaces ouverts, verts et aquatiques à créer.

« Le parc Malraux se protège de l’extérieur grâce à des mouvements de terrain ; sa composition s’inspire du style paysager alternant des espaces ouverts et des espaces fermés ; elle privilégie des espaces amples qui permettent d’accueillir des activités variées dont un plan d’eau avec un canal au centre, des reliefs qui permettent de varier les points de vue, des espaces de jeu, une grande colline, une plaine de jeu, une mer de sable et une pataugeoire, plusieurs terrains de sport et, pour les amateurs d’essences rares, un jardin de collection. L’autre point essentiel, c’est que, suivant le modèle scandinave, le parc n’est pas cloisonné, il est ouvert de jour comme de nuit. ». S. Kéravel. 

Le parc André Malraux (cl. Hauts de Seine tourisme)

1973 : Esplanade Charles-de-Gaulle dans le quartier Mériadeck à Bordeaux

Bassin devant la préfecture, années 19806

1978 : Parc Léo-Lagrange à Reims

« Le plus grand des parcs urbains rémois (11,8 ha) a été conçu par le paysagiste Jacques Sgard, en 1978. Il s’articule autour d’un plan d’eau qui se termine dans sa partie Est par une zone humide, traitée de façon semi naturelle, réalisée en 1997.

Cet espace très prisé des Rémois accueille diverses manifestations de plein air. Un parcours de reconnaissance des oiseaux a été installé en 2003 avec la Ligue de Protection des Oiseaux »7.

Parc Léo-Lagrange, Skate park créé en 2013, cl. Mairie de Reims

1989-1990 : Réhabilitation de la friche industrielle de Micheville, Villerupt (Lorraine) avec le paysagiste J.-C. Hardy,

1991-2000 : Parc départemental de Chamarande (Essonne)

Cl. D. Benyeta, 20058

« Propriété du Conseil général de l’Essonne depuis 1978, le Domaine départemental de Chamarande est classé au titre des monuments historiques. Dans les années 1990, plusieurs chantiers de réhabilitation sont menés. Le parc de 98 hectares est réaménagé par l’architecte paysagiste Jacques Sgard et, en 1999, les Archives départementales prennent place dans la cour et les ailes des communs du château. Le Conseil général de l’Essonne décide alors de consacrer l’ensemble du site à la culture et à la création ».

? Golf de Vacquerolles (Nimes)

1992-1993 : Jardin des sculptures du musée Rodin (Paris)

« En 1993, le jardin est restauré par l’architecte-paysagiste Jacques Sgard qui fit le choix de conserver la trame classique de celui-ci mais en y ajoutant de belles étendues de pelouse et en créant des sentiers sinueux ».9

1994- 97 : Le parc du Bois des pins à Beyrouth (Liban), financé par le Conseil régional d’Ile-de-France, avec l’architecte Pierre Neema.

Parc du Bois des pins, Beyrouth, J. Sgard paysagiste et urbaniste, cl. J.-P. et T. Le Dantec, 2019

Au cours des vingt-cinq dernières années il poursuit son activité de paysagiste libéral en se consacrant surtout à des études de « Grand Paysage », notamment pour les dossiers de candidature de la région des Causses et des Cévennes et du géopark du Beaujolais au patrimoine mondial de l’Unesco.

Ses enseignements

En 1963, il revient dans la Section comme enseignant d’atelier, appelé avec J.-C. Saint-Maurice par le directeur de l’ENSH Etienne Le Guélinel (voir ci-dessous le plan du cycle de cours qu’il a proposé), puis les années suivantes avec P. Roulet, G. Samel, B. Lassus et P. Dauvergne. Il démissionne de ses fonctions d’enseignant en 1968 au moment des grèves étudiantes et enseignantes qui affectent la Section. Surtout en raison du manque flagrant de moyens financiers et d’autonomie de la formation qui, de plus, ne dispose pas d’enseignants titulaires comme l’ENSH.

Plan du cycle de conférences : Protection et aménagement du paysage rural, J. Sgard, 29 juin 1966, archives ENSP

La proposition prévoit 1/ Paysage naturel et paysage rural 2/Les types de paysage 3/ La formation du paysage rural 4/ Le paysage rural français 5/La protection de la nature et du paysage 6/ L’aménagement du paysage 7/ La lecture des photos aériennes et des cartes 8/La phytosociologie et l’écologie comme base de l’aménagement 9/Urbanisme et aménagement régional 9/Sociologie des loisirs de plein air 10/Techniques forestières et aménagement.

De 1969 à 1974, le « schisme » naissant du « paysagisme d’aménagement » au sein de la Section du paysage de l’ENSH se traduit par la création du GERP (groupe d’étude et de recherche sur le paysage), de l’association « Paysages » en 1972, puis de la formation post diplôme du CNERP (Centre national d’étude et de recherche du paysage) en 1974 où il se réinvestit comme enseignant jusqu’à sa fermeture en 1979. Il contribue ainsi à former l’agronome Y. Luginbühl, les paysagistes A. Levavasseur, J.P. Saurin, H. Lambert et J.-P. Clarac, et l’ingénieur du Génie rural, des eaux et des forêts B. Fischesser, entre autres10.

En 1976, l’ENSP est créée après la disparition en 1974 de la Section de l’ENSH qui est réformée. J. Sgard revient alors enseigner dans la quatrième et dernière année de formation à partir de 1983. Presque chaque année pendant trente ans, il encadrera un atelier pédagogique régional (une étude paysagère en situation de commande publique réelle) et un ou deux mémoires de fin d’études.

Ses principales publications

 Jacques Sgard, Bertrand Folléa, Claire Gautier, France Trébucq, Les grands paysages d’Ile-de-France, document d’appui aux démarches d’aménagement,  Institut d’aménagement et d’urbanisme de la Région d’Île-de-France, Division Aménagement de l’espace, Ile-de-France, Préfecture de Région, Iaurif, Paris, 1995.

Il a effectué et publié de nombreuses autres études consacrées au réaménagement de carrières, aux chartes de paysage des parcs naturels régionaux, aux aménagements routiers, aux friches industrielles et aux études d’impact pour EDF.

« Ses études d’aménagement ont couvert toutes les échelles concernées : du niveau communal (plan de paysage de Lamalou-les-Bains, 1955), au niveau régional (étude d’aménagement de la côte aquitaine, 1968 ; côte de Bourgogne, 1969 ; OREAM-Lorraine, 1969-1970), en passant par l’échelon supra-communal (étude de paysage pour l’OREAM- Marseille, 1970-1977 ; Carrières de Marquise, 1991 ; Vallée d’Aspe et tunnel du Somport, 1992-1993). Différentes problématiques motivent ses réponses à des commandes publiques : la prospective (Vallon du lyonnais, 1987), la création et l’insertion des projets (autoroute A 6 à Beaune, 1969-1970 ;le périphérique ouest de Lille, 1978 ; les études d’impact EDF, Lorraine 1980-1989), la reconversion des territoires (friches industrielles de Lorraine, 1986-1990), la préservation des milieux (Les Faux de Verzy, 1989-1994) ou la conservation des paysages (vignoble alsacien, 1978-1979) ». (C. Jaquand et al. 2010)

SGARD, J., 1981, « Quel paysage et pour qui ? » In CCI. Paysages. Paris : Centre Georges Pompidou. p. 64-71.

SGARD, J., 1973, « Le Centre National d’Étude et de Recherche du Paysage », Urbanisme. n° 137. p. 67.

Ses distinctions

Grand prix du Paysage en 1994 avec Allain Provost

Ses idées11

Le plan de paysage : une cohérence des échelles spatiales d’actions publiques

Ses idées prennent leur source dans sa thèse d’urbanisme, soutenue en 1958 et analysée par la paysagiste Sonia Keravel. J. Sgard souligne l’importance politique accordée aux « besoins de délassement et d’évasion » de la population hollandaise. Les services publics veillent à établir une cohérence entre les actions publiques aux différentes échelles géographiques du territoire :

«  Dans un article paru dans la revue Urbanisme en 1960, Le délassement et l’espace vert aux Pays-Bas, un problème national, il reprend de manière synthétique le propos de sa thèse en partant du constat que les Pays Bas sont surpeuplés et que cette densité urbaine considérable pour l’époque entraîne « un puissant besoin de récréation et d’évasion de la population et l’importance de créer des lieux de délassement public pour y répondre ». (…). « Le hollandais, écrit-il, considère le besoin de délassement et d’évasion comme une fonction élémentaire et lui donne place dans les œuvres d’aménagement ». S. Kéravel.

Aux Pays-Bas, cette politique de l’espace vert et du délassement en plein air s’effectue à tous les niveaux d’autorités : communale, provinciale, nationale. Jacques Sgard fait la démonstration d’une continuité existant entre les différentes échelles de territoire depuis l’aménagement des îlots urbains d’Amsterdam ou d’Utrecht jusqu’aux polders qui sont créés sur les bords du Zuidersee ou dans l’embouchure de l’Escaut12.

Cette idée sera ensuite reprise très largement dans la formation des écoles de paysage à partir de 1976. Elle sera nommée « l’emboitement des échelles » ou, par M. Corajoud, « la descente des échelles ».

Jacques Sgard, écrit S. Keravel, explique que les parcs urbains doivent être pensés en fonction des autres espaces et en particulier des espaces naturels alentour. Il donne l’exemple d’Amsterdam qui, en 1935, a inscrit sur son plan d’aménagement 900 hectares de bois ou encore l’exemple de Rotterdam qui dispose de très peu d’espaces naturels et qui propose en revanche une ceinture verte de parcs populaires récréatifs.

« Il faut concevoir le problème de l’espace vert urbain en fonction des espaces naturels existants, écrit Jacques Sgard, les parcs urbains ou les bois doivent être pensés suivant les espaces naturels à proximité ». S. Kéravel.

Au milieu des années 1950, les plans de paysage aux Pays-Bas couvrent une surface de 270 000 hectares. Les plus importants sont le delta de la Meuse et les polders du Zuidersee au nord-est. À propos des polders le paysagiste raconte :

« Il faut imaginer le polder à sa naissance : on établit une digue dans la mer, on vide l’eau, on assèche le terrain puis on le met en culture de façon à faire un grand territoire agricole. On crée un milieu de vie: la ville, les fermes, les petits villages, les équipements sportifs etc. Ce qui était très intéressant c’est leur façon d’organiser la ville sur les espaces vierges, c’est une chose qu’on ne se représente jamais ailleurs ».J. Sgard, in S. Keravel.

En développant la démarche des plans de paysage en France, Jacques Sgard adaptera cette méthode d’accompagnement de l’urbanisation à partir des années 1990. Il retient la façon hollandaise de protéger les vides et les grands espaces, ainsi que la continuité et la capacité de synthèse des échelles cartographiques dans les régions urbaines et rurales.

« Je n’ai pas trouvé en Hollande de grands programmes ni de grandes problématiques de paysage sinon celle-ci de protéger l’espace ouvert, le vide, les peupliers tout simplement puis le bétail, tout ce qui donne vie au paysage».

Ces idées ont été reprises et développées par la suite, dans le cadre de la Convention européenne du paysage de Florence (2000), par l’Etat français.

« Le plan de paysage est une démarche volontaire, qui vise à définir un projet de territoire reposant sur la qualité, l’originalité et la richesse de celui-ci, permettant de rechercher une cohérence d’ensemble. Le paysage constitue à ce titre un élément fédérateur.

Le processus d’étude repose sur un travail en trois temps, mais avec le souci d’une concertation permanente et d’une appropriation du plus grand nombre, afin de rendre la démarche vivante et d’en assurer la pérennité.

Ces trois temps sont : 
 Le diagnostic (intégrant le constat, les dynamiques et les enjeux) 
 La définition des objectif de qualité paysagère (les bases du projet de territoire) 
 Le plan d’actions (les différentes actions à mener dans le temps pour mettre en œuvre ce plan de paysage) ». DRAE Occitanie, 2020.

Construire avec la nature

Pendant les années 1950, J. Sgard, marié à une Suédoise, fait de nombreux voyages dans les pays scandinaves. Il retient de ses visites un art de la fabrique urbaine qui n’existe pas en France, où les villes nouvelles ne sont pas encore à l’ordre du jour :

« Il visite avec grand intérêt la cité-jardin de Tapiola à Espoo au sud d’Helsinski. Ce premier projet européen de ville nouvelle réalisé après-guerre deviendra pour lui, comme pour d’autres, une référence. Le plan de Tapiola, ancré dans le grand paysage et dans la topographie existante, s’organise autour de grandes prairies qui relient tous les quartiers nouveaux ».S. Kéravel.

À Stockholm, il est frappé par la présence de la nature sauvage et la sobriété des ambiances urbaines :

« (par) les rochers arrondis et usés par les glaciers quaternaires, tous ces reliefs en dos de baleine entre lesquels poussent les pins sylvestres et la callune (qui) m’ont beaucoup impressionné. Ils affirment une présence de la nature sauvage au cœur des ensembles d’habitation qui, à une époque où en France les grands ensembles se construisaient sur des terres à blé, m’apparaissaient comme un idéal inaccessible » JS in SK.

Dans la même décennie, il met en œuvre ses références nordiques en proposant son premier plan de paysage pour un vallon à Lamalou-les-Bains,une ville thermale de l’Hérault, en s’aidant des analyses du botaniste Kuhnholtz-Lordat.

Dans le parc André Malraux à Nanterre, 25 ans plus tard, il adopte pour le boisement des buttes une palette végétale rustique qui se démarque des palettes horticoles habituelles. Ce que pratiquaient également Jacques Simon et Michel Corajoud à Grenoble.

« Pour les boisements, il utilise des espèces robustes qui sont adaptées aux remblais calcaires et une palette végétale sobre entretenue selon des techniques forestières de plantation ». SK

Enfin, dans le cadre des OREAM comme à Marseille, il privilégie la protection des espaces naturels, préconisation pionnière qui aboutira plusieurs décennies après à la création du parc national des Calanques.

« S’inspirant du modèle des plans de paysages hollandais, Jacques Sgard travaille d’abord pour l’OREAM Marseille sur le schéma de l’aire métropolitaine où il insiste beaucoup pour que soit conservé l’aspect sauvage au sortir de Marseille vers le massif des calanques » SK

Dessiner l’espace minéral

La mise en forme de l’espace ne peut pas tout attendre des préconisations des plans de paysage. À l’échelle des usagers, J. Sgard, qui a peut-être retenu les leçons d’environnement cinétique de B. Lassus, s’emploie à jouer avec les contrastes (« retardées » ?) entre les masses végétales boisées (symbole de la nature sauvage), les formes minérales propres au jardin, et l’environnement urbain, plus ou moins dense.

Avant de devenir urbaniste, J. Sgard a appris la conception et la réalisation de l’architecture des jardins à Versailles. Il fait une place importante aux formes minérales. Formes qu’il dessinent soigneusement comme dans le jardin des sculptures du parc de Vincennes, dans le parc André Malraux à Nanterre (la pataugeoire, la mer de sable), le parc du Bois des pins à Beyrouth (les buttes), ou bien des formes que le jardin accueille (les sculptures du musée Rodin).

Peut-être les reliefs en forme de dos de baleine (le parc du Bois des pins) sont-ils inspirés par la topographie naturelle de certains espaces ouverts de Stockholm ?

Pour conclure

Jacques Sgard est devenu le modèle des paysagistes d’aujourd’hui, capables d’élaborer des documents d’urbanisme pour les maîtres d’ouvrage publics et d’être également maîtres d’œuvre d’aménagements paysagers. C’était tout l’enjeu politique de la création de l’ENSP après la disparition de la Section du paysage et de l’art des jardins de l’ENSH, et celle du CNERP.

Dans la génération de ceux qui ont plus de 80 ans en 2020, il est le seul à avoir suivi une double formation d’architecte de jardins et d’urbaniste. Quelques-uns de ses élèves (Michel Desvigne, Bertrand Follea, l’Agence TER, Jacqueline Osty…) suivront ce chemin et disposeront d’une compétence professionnelle élargi en obtenant des Grands prix nationaux d’urbanisme ou de paysage.

À ce titre il est le pionnier en France du mariage de l’urbanisme et du paysagisme connu depuis les années 2000 sous le nom de landscape urbanism «Faire la ville non avec l’architecture mais avec le paysage »13.


Bibliographie

Bernadette Blanchon, « Les paysagistes français de 1945 à 1975 », Les Annales de la Recherche Urbaine,1999, n° 85,  pp. 20-29. 

Bernadette Blanchon-Caillot, « Pratiques et compétences paysagistes dans les grands ensembles d’habitation, 1945-1975 », Strates [En ligne], 13 | 2007, mis en ligne le 05 novembre 2008, consulté le 17 mars 2020.

Emmanuelle Bonneau, l’urbanisme paysager, une pédagogie de projet territorial. Télécharger.

Delbaere Denis, « Grand paysage : le projet est dans l’écart entre la carte et le terrain. Entretien avec Jacques Sgard », Les Carnets du paysage, n°20, 2010, p. 134-139.

Donadieu Pierre (édit), Histoire de l’ENSP.

Corinne Jaquand, Caroline Maniaque, Karin Helms, Armelle Varcin, Philippe Nys : Renouveler les territoires par le paysage ; aus der landschaft (um)-planen, expériences France-Allemagne, Programme interdisciplinaire de recherche DAPA/PUCA « Architecture de la grande échelle » 4e session, 2011, 208 p.

Sonia Keravel, « L’approche planificatrice de Jacques Sgard : références et réalisations » 2018. En ligne.

Fanny Romain, Sonia Keravel. Parc André Malraux, rénovation d’une aire de jeux, Nanterre : disparition de la mer de sable. Banc Public, 2019. halshs-02477440

Jean-Pierre et Tangi le Dantec, Le sauvage et le régulier, histoire contemporaine des paysages, parcs et jardins, Paris, Le Moniteur, 2019

Y. Luginbühl et P. Donadieu, Histoire et mémoire de l’ENSP et du CNERP, sur Topia.

Jacques Sgard, « Le Centre National d’Étude et de Recherche du Paysage », in Urbanisme, n°137, 1973, p. 67.

Annette Vigny, Jacques Sgard paysagiste et urbaniste, Liège, Mardaga, 1995.


Notes

1 Cuscute : petite plante parasite de la luzerne… surnom utilisé à l’ENH pour désigner les élèves en cours préparatoire au concours d’entrée à la Section.

2 Entretien avec Y. Luginbühl et P. Donadieu le 9 mai 2019.

3 A. Vigny, Jacques Sgard, paysagiste et urbaniste, Liège, Mardaga, 1995, p. 11. Voir également S. Keravel.

4S. Keravel, L’approche planificatrice de Jacques Sgard : références et réalisations par Sonia Keravel, 2018. En ligne.

5 C. Jacqand et al., 2010

6 Voir ici.

7 Voir ici.

8 Voir ici.

9 Voir ici.

10 Voir Y. Luginbühl et P. Dauvergne, « Vers une histoire du CNERP », in Histoire et Mémoire, Topia, 2019

11 D’après S. Keravel (voir ici).

12 S. Keravel, op. cit.

13 C. Waldheim édit., The landscape urbanism reader, 2006.

2 réflexions au sujet de « Jacques Sgard »

  1. Bonjour,

    Par hasard, je trouve une de mes photos de Jacques Sgard sur votre site…
    C’est une bonne chose qui cette bio de Jacques existe mais, s’il vous plait, cité vos sources !
    D’une simple demande, je vous aurai donné accès à une photo en meilleur définition que cette
    photo “volée” sur le net que je ne vous autorise pas à utiliser ainsi appauvri.
    De plus sa bio ne mentionne pas le grand entretien que nous avons fait avec lui, ce qui est bien dommage. Grand entretien produit par La Huit avec le soutien du Ministère de la Culture / Direction des Patrimoines.
    Tout cela n’est pas bien grave mais merci de me joindre.
    Bien à vous,
    Gilles Le Mao.

    1. Avec toutes mes excuses. Si j’avais pu savoir que vous étiez à l’origine de ces images je vous aurai demandé la permission de les publier. Comme vous le souhaitez je vais supprimer l’image . Si vous avez de meilleures images,je les publierai volontiers avec le nom de l’auteur (ce que je fais quand je le connais) et les publications à associer.
      Bien à vous
      Pierre Donadieu

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