Petite histoire du CNERP (1972-1979)

Article Ouvrage collectif Paysage

 

Petite histoire du Centre national d’étude et de recherche du paysage (1968-1979)

 

L’invention du « paysage d’aménagement »

 

 

 

Introduction

 

Aujourd’hui le plan de paysage, selon le ministère de la Transition écologique est  «un outil de prise en compte du paysage – qu’il s’agisse de sa protection, sa gestion ou de son aménagement – dans les politiques sectorielles d’aménagement du territoire (urbanisme, transports, infrastructures, énergies renouvelables, agriculture) à l’échelle opérationnelle du paysage et du bassin de vie, que sont les unités paysagères. »[1].

Dans la formation des paysagistes à l’ ENH de Versailles, il est apparu très progressivement depuis la fin des années 1930, dans la Section du paysage et de l’art des jardins, puis au CNERP (1972-1979) de Trappes, avant de s’imposer comme un apprentissage de base dans les ateliers de l’ENSP.

Comment cette idée exprimée par l’expression « paysage d’aménagement ou grand paysage » a-t-elle été introduite dans la formation des paysagistes concepteurs (les paysagistes DPLG de 1960 à 2018), initialement marqués par l’art des jardins ?

 

La chaire d’architecture des jardins et d’urbanisme de l’ENH

Construire une ville selon un plan dessiné, le plus souvent quadrillé est  une idée aussi ancienne que celle de son développement organique, sans plan. Elle sera théorisée par  l’ingénieur  Ildefons Cerda en 1867  avec le plan d’urbanisation de Barcelone.

C’est à la fin du XIXe siècle, avec le développement de l’industrie dans les villes et la création des villes coloniales, que de nouveaux modèles d’urbanisme sont développés dans le monde entier. Avec son ouvrage « Garden cities of to-morrow”, en 1898, Ebenezer Howard propose l’idée et la réalisation de cites-jardins, quartier planifié sur un modèle concentrique pourvu d’espaces ouverts et circulatoires jardinés. La première ville-jardin émerge en 1904 à Letchwork, construite par l’architecte et urbaniste Raymond Unwin. D’autres seront édifiées en Grande-Bretagne et concrétiseront l’utopie d’une ville verte accessible à tous.

En France, ce modèle devenu international est repris par Henri Sellier (1883-1943), ministre de la Santé dans le gouvernement de Léon Blum. Exprimant une politique innovante de logement social, il se traduit par une quinzaine de réalisations de cités jardins de 1920 à 1945. Parallèlement le mouvement moderne avec notamment l’architecte Le Corbusier propose de nouvelles visions de la « ville contemporaine » (le plan Voisin pour Paris en 1925 par exemple).

Après la première guerre mondiale, les premiers enseignements d’urbanisme concernant les villes jardins sont introduits à l’université d’Harvard en 1924, puis en Europe dans les écoles d’architecture et des Beaux-Arts,  et les nouveaux instituts d’urbanisme.

À cette époque l’École nationale d’horticulture (ENH) de Versailles, forme depuis 1927 des ingénieurs horticoles dont certains exercent le métier d’architecte-paysagiste à l’étranger notamment dans la fondation des villes coloniales à Rio de Janeiro, Montevideo, Rabat ou Marrakech.

L’architecte paysagiste, dont la compétence et la dénomination ont été alignée  s sur celle de l’Américain F.L. Olmsted (1822-1903), concepteur de Central Park à Manhattan et en France sur les pratiques de l’ingénieur Adolphe Alphand (1817-1891) à Paris, apparait d’abord comme un concepteur et réalisateur des parcs et jardins publics prévus par les plans d’urbanisme.

 

Les élèves de l’ENH ont acquis ces compétences au cours de leurs trois années de formation horticole, qui ont mobilisé (entre autres) les enseignements de la chaire d’architecture des jardins et des serres. Le titulaire au début des années 1930 était l’architecte paysagiste  René-Edouard André (1867-1942) qui fut après son père professeur de 1911 à 1934.

À cette époque, après la crise économique de 1929, la diminution considérable de la demande privée de création de jardins avait favorisé la réponse aux commandes publique et privée déclenchées par l’extension des villes. Aussi la chaire où fut recruté l’architecte paysagiste Ferdinand Duprat en 1934 fut-elle intitulée « Chaire d’architecture des jardins et d’urbanisme ».

 

Formé dans les jardins de Kew Garden, et expert en restauration/création de jardins privés, F. Duprat (1887-1976) connaissait bien les innovations urbaines anglaises et défendit l’idée, avec la profession d’architecte paysagiste qui commençait à s’organiser, d’une formation beaucoup plus importante dans le domaine de l’urbanisme et de la conception de projets aux échelles urbaines.

Dans son enseignement, il fit sans doute allusion aux collaborations qui s’établissaient entre architecte urbaniste et architecte paysagiste, entre Henri Prost (1879-1959), Jean-Claude-Nicolas Forestier et Marcel Zaborsky (1884-1980) dans la ville coloniale de Rabat (Maroc) par exemple[2].

Il constatait avec regret que, dans la pratique, les rares professionnels paysagistes français ne connaissaient pas ou peu l’urbanisme et que les architectes urbanistes ignoraient les compétences horticoles et jardinières. Parlait-il de plan de paysage à ses élèves ? Nous n’en savons rien, mais il ne pouvait ignorer Grandes Villes et systèmes de parcs (1906) de J.-C.-N. Forestier (1861-1930) et l’œuvre américaine de l’architecte paysagiste Frederick Law Olmsted qui avait autant inspiré J.-C.-N. Forestier qu’A. Alphand.

  1. Sgard pionnier du « paysage d’aménagement »

Les démarches de F. Duprat et de la profession pour créer une nouvelle formation d’architecte paysagiste n’aboutiront qu’après la guerre 1939-45. À la rentrée de 1946, une nouvelle « Section du paysage et de l’art des jardins », indépendante de la formation des ingénieurs, recrute au Potager du Roi à Versailles trois ingénieurs horticoles pour une formation complémentaire en ateliers de projets, dessin et urbanisme pendant un an.

À la rentrée de l’année scolaire 1947-48, six autres élèves sont admis dont trois ingénieurs horticoles. Parmi les non ingénieurs, « un bachelier avec de réelles aptitudes au dessin, mais sans connaissances botaniques et horticoles » est sélectionné avec un traitement de faveur. Il s’agit de Jacques Sgard. Le directeur Jean Lenfant lui propose une année comme auditeur libre pour acquérir les connaissances horticoles nécessaires après sa sortie de la Section. Faveur (non reproductible décide le conseil des enseignants du 12 juillet 1948) qu’il mettra à profit comme « cuscute[3]» après sa formation en un an.

Il bénéficia, au cours des deux années de formation, des enseignements d’ateliers de l’architecte de jardins et urbaniste André Riousse, de l’architecte et urbaniste Roger Puget, de l’expérience de l’ingénieur horticole (élève de Ferdinand Duprat) Albert Audias, de l’érudition botanique de Henri Thébaud en connaissance et utilisation des végétaux, des cours de l’historienne des jardins Marguerite Charageat, de la formation technique de Robert Brice et Jean-Paul Bernard, ainsi que des cours de dessin de René Enard.

Autant de disciplines (12), qui complétaient la formation de l’ingénieur horticole auquel avaient été déjà enseignées les matières scientifiques (botanique, physique, chimie, mathématiques), biotechniques (arboriculture, floriculture, pépinières, maraichage), et économiques. Pour J. Sgard, elles étaient toutes nouvelles, car l’apprenti paysagiste n’était pas ingénieur horticole.

Après l’obtention de son diplôme de paysagiste (par un concours en loge inspiré de celui des Beaux-Arts) et des cours par correspondance auprès de l’Institut d’urbanisme de Paris, et ayant obtenu une bourse universitaire d’étude, il part en vélo aux Pays-Bas en 1954. Dès l’année suivante l’un de ses premiers projets fut le plan de paysage de la station thermale de Lamalou-les-Bains (Hérault) livré en 1955 en association avec le professeur de phytosociologie Georges Kuhnholtz-Lordat de la faculté de Montpellier.

Sous la conduite du paysagiste Jan This Peter Bijouhwer (1898-1974), J. Sgard avait découvert les projets néerlandais, notamment ceux de la reconstruction, des plans de paysage et de développement rural, et des polders comme celui de l’Isselmeer. En 1958, il soutient sous la direction de l’urbaniste Jean Royer, une « thèse » de fin d’étude, intitulée Récréation et espaces verts aux Pays-Bas3.

 

En tant que paysagiste DPLG et urbaniste, J. Sgard cherche donc très tôt à articuler la pensée de la fabrique urbaine avec celle de l’art des jardins. Mode connu de pensée et de pratique, mais un peu oublié après la guerre, qu’il transmet au jeune Pierre Dauvergne en 1965 au cours de son premier stage en agence. Qu’il développe dans les OREAM à partir de cette époque. Et qu’il enseigne aux étudiants de la section quand il est appelé en 1963, comme enseignant d’atelier, par J.-C. Saint-Maurice et le directeur de l’ENSH Etienne Le Guélinel   puis les années suivantes avec P. Roulet, G. Samel, B. Lassus et P. Dauvergne.

Mais, trop dépourvu de moyens et de possibilités d’adaptation à une nouvelle commande publique (l’urbanisme des villes nouvelles notamment), trop dépendant de l’ENSH, l’enseignement de la Section fut à la faveur des grèves étudiantes de 1968, remis en cause par les élèves et les enseignants.

 

La création du GERP (1967-71)

 

En 1968, les négociations de l’école pour obtenir du ministère de l’agriculture plus de moyens pour former les paysagistes en urbanisme et aménagement du territoire, ayant échoué, les étudiants se mettent en grève, les postulants au concours en loge refusent de s’y présenter le 28 mai 1970[4], et les enseignants cessent leurs activités. La fermeture de la Section est alors programmée pour 1974 par le ministère. Jacques Sgard et Bernard Lassus démissionnent et fondent avec Pierre Dauvergne et d’autres jeunes paysagistes le Groupe d’étude et de recherche sur le paysage (GERP).

 

Dès le départ, le GERP est structuré autour de groupes thématiques animée par des jeunes diplômés : « Information – Documentation » : Caroline Baudelot, « Environnement » : Paul CLERC, « Paysage » : Pierre DAUVERGNE, « Ecologie » : Denis ROUVE, puis Alain MIGNARD, « Enseignement » : Michel Viollet. Les divers bulletins rendent compte des activités des groupes.

 

Durant les débats, Bernard LASSUS, plasticien coloriste, recruté par J. Sgard à l’ENSP dès 1963, intervient sur les questions relatives à la recherche :

« … Il faut que le Gerp, fasse un inventaire de ce qui se dit, ce qui se fait et ce qui s’est fait. Il faut qu’il publie l’inventaire des questions même non résolues. Il faut qu’il répertorie suivant une méthode, les problèmes déjà situés … ».

 

Progressivement, le GERP attire et anime le monde professionnel, notamment par l’organisation de cinq conférences magistrales de personnalités de premier plan dans le grand amphi de l’école, durant lesquelles une centaine personnes est présente. Y participent le Directeur de l ’école, Etienne LE GUELINEL, des enseignants vacataires comme Roger PUGET, Jacques MONTEGUT, Jacques SIMON, des professionnels comme Pierre ROULET et Jean Claude SAINT-MAURICE, également, et plus nombreux, des étudiants et jeunes anciens., qui animeront les groupes de travail.

 

Pierre DAUVERGNE publie des résumés des études paysagères menées à l’étranger  : « La mise en valeur et protection des paysages – De la protection des paysages à la mise en valeur du milieu de vie ». De même, pour les notes « Eléments principaux du site » du STCAU : La « végétation » et « la forêt ». Il anime le groupe jusqu’à la mi 1969, période où il intègre l’Organisme régional d’étude et d’aménagement de la Loire Moyenne (OREALM)[5].

 

L’activité intense du GERP fut fondatrice. Il fut lancé par des jeunes qui avait ressenti un besoin nouveau auquel n’avait su répondre que partiellement l’enseignement et les groupements professionnels …

Il s’agissait pour eux de définir de nouvelles démarches pour repenser les pratiques des paysagistes hors des compétences strictement horticoles et jardinières, mais sans en nier la nécessité pour les professionnels dont c’était les attributions attendues.

 

Le contexte de l’aménagement du territoire, et les perspectives de nouvelles commandes paysagistes avait en effet changé avec la promulgation le 30 décembre 1967 de la loi d’orientation foncière qui instituait les SDAU et les POS. Au sein du ministère de l’Equipement et du logement, le Service technique central d’aménagement et d’urbanisme (STCAU) réfléchissait avec quelques enseignants de la Section à la mise en application de cette loi autour de l’ ingénieur agronome Rémi Pérelman[6]. Il leur fallait trouver une réponse à la question : comment trouver une alternative aux modes d’une urbanisation qui se faisait aux dépens d’espaces « vides » disponibles et produisait des milieux de vie sans qualités, sans espaces ouverts végétalisés, inappropriés à l’habitat humain ?

 

Le fonctionnement des GEP (Groupement d’étude et de programmation auprès des Directions départementales de l’Equipement) comme les OREAM ne devait-il pas faire appel à des paysagistes ? A condition d’en former suffisamment, car indiquait le GERP en 1968 « nous constatons le manque de formation de paysagiste répondant à ce besoin (…) nous devons susciter l’intérêt d’une formation répondant à l’élaboration des POS qui suivront les SDAU »[7]

 

L’idée de paysage pouvait fédérer les réponses, mais elles étaient multiples avec peu de bases théoriques.

 

Les premières réflexions furent empiriques, et associèrent en fait quatre notions de paysage exprimant de manière différente la compréhension d’un milieu de vie humaine et la possibilité d’agir sur lui pour lui donner des qualités d’habitat :

 

Les Bulletins du GERP de 1967 à 1970 illustrent ces premiers tâtonnements :

 

– le paysage pouvait être une notion scientifique d’analyse de l’occupation végétale et de la dynamique spatiale  inspirée par les méthodes des géographes et/ou des phytoécologues : le paysage était alors réduit à un objet scientifique cartographiable (avec la carte des unités paysagères).

Pour un géographe issu de l’école de pensée de Paul Vidal de la Blache (1845-1918), le paysage n’est pas un produit voulu mais un produit cartographiable des activités sociales et économique dans un contexte physique donné. Il n’est ni beau ni laid, il est signifiant des caractères dynamiques d’un lieu qui méritent tous d’être analysés par la géographie physique et sociale.

Pour un phytogéographe ou un phytoécologue, issu du CNRS de Montpellier, l’analyse des végétations et des sols, écrit P. Dauvergne en 1969, en commentant les rapports d’un  colloque UNESCO sur l’homme et les ressources de la biosphère, devrait guider la nature des aménagements paysagers et le choix des espèces ou des communautés, notamment en orientant l’écologie vers, selon les travaux allemands[8], une « écologie du paysage ».

 

le paysage pouvait faire appel à une notion d’identité territoriale inspirée par les cultures anglo saxonnes : le paysage comme expression de l’attachement historique d’un groupe à son milieu de vie. Relation décrite scientifiquement à travers les représentations sociales d’un milieu de vie dans des cultures différentes. Cette idée apparait cependant peu dans les productions foisonnantes du GERP, mais sous tend les jugements de valeur sur la disparition ou l’altération des caractères visibles des territoires, et fondera plus tard les actions de politique paysagère patrimoniale et les recherches sur le paysage comme bien commun[9].

 

le paysage pouvait traduire une notion d’expérience sensible, surtout visuelle, esthétique, issue historiquement de la peinture de paysage et passant par la représentation artistique, picturale/photographique, et le goût du pittoresque et du sublime pour la contemplation des œuvres ou de leurs référents matériels éventuels. Culture dont les architectes de jardins étaient les héritiers dans la conception de leurs projets de jardins. L’architecte de jardin ne devait-il pas penser son projet non comme un architecte ou un jardinier mais comme un peintre disait le marquis de Girardin (1735-1808), concepteur des jardins d’Ermenonville. Cette dimension culturelle du paysage qui était également implicite dans les débats sera à l’origine plus tard des politiques patrimoniales du paysage (UNESCO notamment), mais sous une forme dépourvue de référents historiques et culturelles (les approches sensibles, les ambiances), l’accent étant mis sur la polysensorialité du paysage, elle refondera la spécificité de l’architecte paysagiste (ou du paysagiste concepteur).

 

l’idée de paysage pouvait également traduire une notion projectuelle et planificatrice dont Pierre Dauvergne, à la suite de son mentor Jacques Sgard, trouva les références au Pays-Bas :

« le Hollandais sont à un haut degré d’artificialisation. Le paysage est planifié à l’échelon du territoire. Aucun espace n’est considéré comme négatif (…) On peut donc parler de planification. Ce n’est pas encore le cas chez nous. (…) Aux Pays-Bas, une loi de 1954 prescrit « un plan de paysage » pour chaque projet de remembrement. Faudra t-il attendre des dégradations irreversibles en France pour procéder de la même façon ? »[10] S’oppose alors dans le débat l’argument économique de la maitrise d’ouvrage à celui de la qualité du mode de vie et du rôle du paysagiste « homme de l’espace » selon J. Sgard, plutôt que « homme du végétal ».

 

Exploratrice cette première étape prépare la suivante quand se met en place le premier ministère chargé de l’Environnement.

 

L’association « Paysage »

De 1971 à 1975, l’association Paysages, qui préfigure le CNERP, prend le relais du GERP.

Lors de la création du premier Ministère chargé de l’Environnement par Robert Poujade (1971/1974), l’association « Paysage »  propose  à ce dernier de mettre en place une formation nouvelle au « paysage d’aménagement » destiné à des professionnels de l’aménagement et de l’urbanisme. Le Ministre, qui avait besoin d’asseoir son autorité le plus vite possible, donne son accord au projet de l’association, car il pouvait être mis en place très rapidement.

Un haut fonctionnaire de la Cour des comptes, Serge Antoine (1927-2006), du Haut Comité de l’Environnement, avait parallèlement suggéré au ministre la création d’un cycle de formation au paysage, projet qu’il connaissait, et qui de son point de vue, était mûr pour sa mise en œuvre. D’autre part, ce projet contribuerait à la formation de personnels compétents pour les futures politiques du ministère, et ses nouvelles structures administratives décentralisées.

Le 2 novembre 1971, un Conseil Interministériel charge l’association PAYSAGE de mettre en place un cycle professionnel annuel sur « le paysage d’aménagement »[11]. Grâce à une subvention du Ministère, le cycle est installé le 16 novembre 1972. Une petite équipe auprès de Rémi Pérelman prépare le cycle : Sarah Zarmati, Charles Rossetti et Pierre Dauvergne, puis est mis en place un conseil pédagogique (le Groupe d’Orientation Pédagogique et Scientifique (GOPS), avec la participation de membres de l’équipe plus Jacques Sgard et Bernard Lassus.

Les stagiaires font acte de candidature après parution d’annonces dans la presse, ou par connaissance de l’existence du cycle, notamment par les GERP et la section du paysage et de l’art des jardins de l’ENSH de Versailles. Ils sont recrutés après un entretien avec un jury.  De 1973 à 1974, Pierre Dauvergne est chargé de mission pour mettre en place l’« Appui Technique » aux Ateliers Régionaux des Sites et Paysage (ARSP), puis aux Directeurs Régionaux de l’Environnement (DRE), deux nouvelles structures de l’Administration. De 1972 à 1976 : quatre cycles longs interdisciplinaires de formation professionnelle au paysage (post 3ème cycle) se déroulent durant cette période.

L’association s’installe dans des locaux 45, rue de Lisbonne à Paris. La première promotion de quinze professionnels fut prolongée d’un an. Le bilan étant jugé très positif, ce cycle a été reconduit durant trois années.

En pratique, les paysagistes professionnels n’avaient pas attendu l’ouverture de la formation pour répondre aux questions qui étaient posées localement dans le cadre des OREAM et des DDE.

Depuis 1969 le paysagiste Jean Challet et son équipe, mais aussi les agences « API » et « Paysages » expérimentaient dans la région Nord Pas de Calais des « études paysagères » et les stagiaires de la première promotion étaient allés se former à leur contact dès 1973.[12]

En 1974, six d’études étaient faites ou en cours avec la participation de l’équipe de Jean Challet où figurait un écologue. : sur le canal de l’Aisne, la baie de Somme (pour donner un avis sur le SDAU de la « Cote picarde »), l’aménagement des étangs de Romelaere, le marais de Saint-Omer, le parc de la Deule et les tracés de futures autoroutes.

Ces « approches paysagères » étaient plus proches d’études d’impacts d’aménagement que de plans finalisés de paysage. Elles donnaient au paysagiste, avec un écologue et un géographe (université de Picardie), le rôle de l’expert qui répond, dans le cadre d’un contrat avec le commanditaire à des questions posées par la transformation prévue des paysages (par une autoroute, un canal, un lotissement…). Les cartes des unités paysagères indiquaient le degré de sensibilité (écologique, économique, visuelle …) aux modifications prévues, et le degré de protection ou de changement souhaitable.

Ces études, pluridisciplinaires, ont permis de relocaliser des zones de loisirs, de reconstituer des fragments forestiers ou de modifier un tracé autoroutier. Elles analysaient la dynamique des paysages, précisaient les critères de classement possible des sites et aboutissaient à des propositions de modification du SDAU. L’apport spécifique du paysagiste concernait l’analyse visuelle c’est-à-dire : » les relations existante entre les lignes de force qui déterminent l’impact visuel des espaces et des aménagements (…) par exemple l’impact à Abbeville des travaux de voiries et les possibilités d’occupation des sols, ou encore la vulnérabilité des milieux naturels (l’alimentation en eau des marais, et l’équilibre entre eaux douces et salées »).

De très nombreuses autres études du futur CNERP, notamment en Normandie (la Vallée de la Seine, 1974), en Seine-et Marne (les sablières, 1973),  en Bretagne (Le Faou) ou en Provence (le plateau de Valbonne[13]) réalisés avec l’encadrement de paysagistes professionnels serviront de support à la formation des stagiaires de l’association « Paysage ».

La démarche adoptée par exemple pour l’étude paysagère du plateau de Valbonne (de la mer aux Baoux et du massif du Tanneron à Nice) prévoyait « une reconnaissance légère du site (approche dite sensible avec des données socioéconomique et culturelles, (…) un premier diagnostic qui conclura à la nécessité d’éviter l’urbanisation et d’affirmer la vocation d’espace structurant de la région … tout en permettant l’implantation d’un centre international d’activité scientifiques, industrielles et tertiaires ».

Le principe du « paysage comme globalité et non comme addition de composantes » est alors utilisé  avec  des propositions de scénarios permettant «  de visualiser les conséquences possibles dans les domaines socioéconomiques, socioculturels, visuels et de la connaissance du milieu en général ».

Il ne nous incombe pas disent les rédacteurs, à nous qui avons un rôle technique de conseil et d’incitation, et somme toute passager, de faire ces choix à la place de ceux qui vivent et font vivre ce paysage ».

Cette première étape expérimentale, financée surtout par la maitrise d’ouvrage d’Etat (DDE, OREAM, CETE, GP …) permit de mettre en place des réponses techniques empiriques à des problèmes locaux mal diagnostiqués faute de compétences, et une formation d’agents de conseil issus du monde de l’aménagement : architecte, paysagiste, ingénieur ….

Ayant fait ainsi ses preuves pendant 3 ans, l’Association Paysage laissa en 1975 la place à une autre association (loi 1901) qui devint le support juridique du Centre national d’étude et de recherche du paysage (CNERP), structure plus pérenne. Elle poursuivit le cycle de formation jusqu’en 1976.

Le CNERP (1975-1979)

Les missions du CNERP, dirigé par Rémi Pérelman, concernaient les études paysagères, la documentation, la conception et la diffusion de documents d’information, la mise en place de sessions de formation, et la formation proprement dite de « paysagistes d’aménagement » qui a duré 5 années, c’est-à-dire 4 cycles de formation.

Le cycle de formation professionnelle au paysage d’aménagement comprenait des séminaires animés par un groupe d’enseignants réunissant Jacques Sgard, Bernard Lassus, Charles Rossetti et Rémi Pérelman. S’y ajoutaient Michel Macary, architecte, Jean Challet, paysagiste, Jacques Montégut, écologue, et Pierre Dauvergne.

Les séminaires concernaient des sujets très divers, comme la poly-sensorialité du paysage, l’apprentissage de nouvelles sensations sensorielles avec l’écoute de musiques contemporaines (le compositeur Pierre Mariettan), les approches philosophiques de la sensorialité, la démarche écologique, la question du changement d’échelle, l’apprentissage de l’analyse des photographies aériennes, etc. Plusieurs voyages furent organisés pour la première promotion : autour de Fos-sur-Mer, au moment de la constitution du grand aménagement du terminal pétrolier et la découverte de l’étang de Berre, une journée au BRGM à Orléans pour découvrir les capacités du microscope électronique, notamment.

La présentation de la première étude sur le paysage à l’échelle de l’aménagement du territoire, en vallée de la Loire, est réalisée par l’OREALM et une équipe de jeunes paysagistes sous la direction de Pierre Dauvergne, avec des phyto-sociologues du Centre d’études phytosociologiques et écologiques (CEPE),un laboratoire du CNRS à Montpellier. Cette étude, publiée sous le nom « Le paysage rural et régional » a été l’occasion de découvrir l’approche poly-sensorielle et les méthodes de diagnostic paysager, d’évaluation des évolutions des paysages, et l’intégration des propositions dans les documents d’urbanisme tels que les POS et SDAU.

Les stagiaires ont participé à trois études de paysage à l’échelle de l’aménagement du territoire : l’étude paysagère du plateau de Valbonne-Sophia-Antipolis déjà évoquée, l’étude paysagère d’un périmètre dans le Parc naturel régional d’Armorique autour de la commune du Faou, et l’étude de paysage d’un axe routier en Champagne.

Installé à Trappes près de Versailles, dans un bâtiment expérimental d’une unité pédagogique d’architecture de Paris (UP6 ou 3 ?), le CNERP était organisé autour de quatre pôles :

  • Le Centre de Documentation du Paysage, dirigé par Sarah Zarmati, réunissait plusieurs milliers d’ouvrages et de publications diverses et réalisa des bibliographies, des notes et des recherches documentaires.
  • La cellule audiovisuelle,dirigée par l’ingénieur agronome Yves Luginbühl, assisté de Jean Pierre Boyer et Pierre Vantouroux ,avait constitué une diathèque et réalisé des documents audiovisuels de sensibilisation au paysage. Cette cellule concevait les maquettes des publications du CNERP.
  • La cellule de la Formation Continueanimée par l’architecte Anne Kriegel qui a organisé de nombreuses sessions de formation continue concernant les milieux professionnels de l’aménagement et de l’urbanisme. Voir par exemple, ci-dessous, le programme de l’année 1978.
  • Le groupe d’étude, de recherche et d’expérimentation :

Sous la direction du paysagiste DPLG Pierre Dauvergne, l’équipe est constituée principalement par des professionnels issus des cycles de formation du CNERP dont : Alain Levavasseur, paysagiste DPLG, Marie Noëlle Brault, paysagiste DPLG, Zsuza Cros, paysagiste hongroise, Jean Pierre Saurin, paysagiste DPLG, Jean Rémy Nègre, architecte-urbaniste. S’y joindront d’autres membres comme Marie Claude Diebold, géographe, Claude Bassin-Carlier, ingénieur écologue et Janine Grégoire, secrétaire.

Selon le Centre de Documentation, de 1973 à 1977, 127 rapports d’études, ou de recherches sont réalisés par les équipes du CNERP (7 en 1973, 24 en 1974, 28 en 1975, 34 en 1976 et 34 encore en 1977). À l’analyse de ces listes il est possible de recenser les thèmes qui préoccupaient le Ministère et ses services. En effet, la quasi-totalité de celles-ci correspondent à des commandes du Cabinet et des services centraux. Les contrats étaient négociés par Rémi Pérelman. Certains constituaient des formes de subvention publique de fonctionnement au CNERP.

Qu’ont apporté l’association Paysage et le CNERP à la profession et à ses pratiques ?.

 Les apports du CNERP

En se saisissant de questions qui n’étaient pas ou mal abordées par les aménageurs, les juristes, les chercheurs et les élus, les dix années de pratiques et d’enseignement ont révélé la plupart des lacunes des politiques d’aménagement du territoire en France.

La lacune principale, tenant aux insuffisances de formation des urbanistes, des architectes, des économistes et des élus, concernait la manière de fabriquer la ville et le territoire, formation qui amenait à considérer comme « vide » (blanche sur les cartes) et disponible pour la construction, tout espace qui n’était pas construit. Remise en cause, cette idéologie de la « table rase », ne finit par s’effacer qu’à l’aune du contrefeu réglementaire (les politiques publiques environnementales, patrimoniales et de paysage) qui furent définies et appliquées ensuite.

Le laboratoire d’études paysagères que fut le CNERP apporta, grâce au début à des pionniers comme Jacques Sgard et Pierre Dauvergne, et à l’observation des pratiques dans les pays du nord de l’Europe, plusieurs changements de savoir-faire chez les professionnels  :

– en affirmant la nécessité de la pluridisciplinarité pour répondre avec les compétences nécessaires aux questions posées par les commanditaires d’ études,

-en mobilisant la compétence de paysagiste maitre d’œuvre comme complémentaire de la réponse paysagiste aux impacts des aménagements et de la proposition de documents de planification paysagère distinct des documents d’urbanisme, le CNERP indiquait ainsi que l’urbanisme de projet était aussi nécessaire à la qualité des paysages produits que l’urbanisme réglementaire. Démarche qui fit progressivement du projet de paysage un ensemble d’intentions dont la cohérence spatiale se construisait à plusieurs échelles dans les plans de paysage.

– en adoptant une nouvelle manière d’analyser le paysage qui lui attribuait une dimension sensible et imaginaire. Elle se traduisait par des schémas de vues qui faisaient exister le spectacle des paysages et leur contribution à la qualité du milieu de vie habité. En précisant les méthodologies d’analyse des paysages, alors que celles-ci s’appuyaient principalement sur l’étude de l’occupation des sols à l’aide de données statistiques quantitatives, notamment chez les géographes, les enseignants du CNERP, notamment Bernard Lassus, ont développé des approches qualitatives fondées sur des analyses visuelles. Les études précédentes qui utilisaient ces données des recensements de la population ou de l’agriculture étaient critiquées pour leur « froideur » qui ne rendait pas compte de la variation des sensibilités aux paysages.

La question des sensibilités sociales aux paysages n’était pas vraiment évoquée. Elle viendra plus tard, lors du premier appel d’offres de recherche engagé par la Mission de la Recherche Urbaine en 1983.   L’intérêt pour cette sensibilité fut cependant précurseur des nombreuses recherches qui ont commencé dans les années 1980 avec les notions de représentations sociales des paysages et qui ont marqué profondément un renouveau des approches paysagères ; ces représentations sociales ont été au cœur de toutes les recherches réalisées dans le cadre des programmes scientifiques engagés ensuite au ministère chargé de l’environnement[14]

Cette réflexion sur les modèles d’appréciation des paysages a permis d’engager un débat qui se cristallisera en 1991 lors du colloque organisé par Bernard Lassus, Augustin Berque, Alain Roger, Pierre Donadieu, Lucien Chabason et Bernard Kalaora au Centre Georges Pompidou et intitulé « Au-delà du paysage moderne »[15]. Il y fut en quelque sorte entériné la fin de l’esthétique du pittoresque et du sublime qui avaient déjà été critiquée dans les séminaires du CNERP.

– en sensibilisant les acteurs techniques du paysage aux possibilités d’adapter les projets d’équipement aux terrains concernés.  Par exemple en formant les ingénieurs du Centre d’Etude du Réseau de Transport (CERT) d’Electricité de France) (EDF),   le CNERP a été chargé de développer une culture du paysage chez ces « lignards » par des sessions courtes de formation, mais aussi par des exercices pratiques avec une maquette représentant le terrain. Au-dessus de celle-ci des caméras mobiles permettaient de visualiser et d’évaluer les simulations de tracé. Les lignards devaient justifier leur projet de tracé. En formant également les cadres des entreprises d’extraction des granulats grâce à des reconstitutions de l’évolution des paysages avec le développement des sablières et de l’urbanisation.

-En accompagnant entre autres « coaching », l’installation des villes nouvelles comme, de 1973 à 1984, pendant les 12 années d’assistance paysagiste à l’Etablissement Public d’Aménagement de la Ville Nouvelle du Vaudreuil près de Rouen, et à sa Cellule Environnement[16] 

– en modifiant, chez les acteurs et usagers des territoires, les significations du paysage, en particulier la double dimension, matérielle d’une part et immatérielle d’autre part en ayant recours à ce qui fut développé plus tard autour de la notion d’émotions paysagères dans la mise en œuvre de la Convention de Florence sur le paysage.

On peut affirmer en 2021 que tous les travaux qui ont été réalisés plus tard dans la communauté scientifique et dans celle des praticiens du paysage ont été marqués par les avancées du CNERP, même de manière inconsciente. Dans la sphère des administrations concernées par l’aménagement du territoire, il est certain également que ces avancées ont été significatives, notamment à la Mission Paysage devenue en 1993 Bureau des paysages. Il faut rappeler que la Mission Paysage a été composée dès sa création en 1979 de deux anciens stagiaires du CNERP, Yves Luginbühl et Anne Kriegel placés sous la direction de Lucien Chabason, au sein de la Direction de l’Urbanisme et des Paysages dirigée par Yves Dauge puis par Eudes Roullier. D’ailleurs, en 1993, Ségolène Royal a fait voter la première loi « Paysage » qui s’est inspirée indirectement des avancées du CNERP[17]

– en constituant une communauté renouvelée de praticiens du paysage qui sont passés de l’échelle du jardin à celle du territoire habité et ont structuré la collectivité des chercheurs en un grand groupe opératoire sur les analyses des paysages grâce à une forte diversité de démarches et de résultats.

Mais d’une certaine manière, le fait d’avoir contribué à la reconnaissance et à la requalification des compétences paysagistes a conduit le CNERP à sa perte.

Fin et renaissance d’une aventure pionnière

En 1976, la création de l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles au Potager du roi a provoqué la fin du CNERP. De nombreux paysagistes, qui n’étaient pas passés par cet organisme, le considérèrent comme un concurrent à leurs propres agences libérales. En outre,le CNERP connut une période finale de difficultés financières en raison de son mode de fonctionnement, fondé sur des contrats, sans subvention régulière qui aurait pu assurer sa survie.

En février 1979, le ministère de l’Environnement mit fin au CNERP. Ses agents partirent soit au Service Technique de l’Urbanisme, soit à la Mission Paysage, soit à l’Atelier Central de l’Environnement ; les autres suivirent une autre voie, en dehors des institutions publiques.

Une grande partie des missions du CNERP furent repris par l’ENSP, notamment la formation au « paysage d’aménagement », la documentation et la recherche.

Les réunions périodiques des chefs des ateliers régionaux des sites et paysages (ARSP) à Trappes avec l’Appui Technique ont finalement été suspendues et rapatriées au ministère, ce dernier vivant mal l’influence des idées du CNERP sur ses jeunes services…

Avant la dissolution du CNERP, les agents entreprirent une grève. À la fin de 1978, les personnels, une vingtaine de personnes, mènent une série d’actions pour défendre l’existence du CNERP, outil expérimenté dans le domaine du paysage, et bien sûr pour la défense de leur emploi. Avec le soutien de l’Union locale de la CGT, de nombreuses interventions sont menées. Deux parlementaires se mobilisent et posent une question orale tant à l’Assemblée Nationale, qu’au Sénat : Michel Rocard, député des Yvelines, maire de Conflans-Sainte-Honorine, et Bernard Hugo, sénateur, maire de Trappes, Président de l’EPA de la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines. Les préoccupations des personnels sont prises en considération, comme l’intérêt de préserver l’expérience du CNERP, notamment lors d’une Inspection générale du Ministère. La création d’une nouvelle direction, celle de la Direction de l’Urbanisme et du Paysage (DUP), est une grande première ! Et en son sein, la Mission du Paysage ! Le CNERP n’a pas été inutile, il pouvait laisser la place à des administrations et des institutions durables.

Conclusion

L’apport indéniable du CNERP a été de chercher à réunir dans la compétence paysagiste le savoir voir et comprendre des sciences et des techniques, à l’art de regarder le monde sensible ambiant, la compétence de l’analyse pluridisciplinaire du devenir des paysages d’un site, et la capacité de lui projeter un devenir habitable d’intérêt commun.

Ce passage de l’échelle du jardin et du lieu à celui du territoire et du paysage n’était pas nouveau, puisque à la fin du XIXème siècle, il avait déjà réuni les constructeurs de ville, pionniers de l’alliance de l’urbanisme et du paysagisme. Il fut redécouvert et adapté par les paysagistes enseignants de la Section du paysage et de l’art des jardins de l’ENSH de Versailles, puis par le CNERP, l’ENSP et les autres écoles françaises de paysage.

Les premiers apports paysagistes à la fabrique urbaine des années 1970 furent d’abord de tenter de combler les lacunes importantes de l’urbanisation et de l’équipement du territoire. Les paysagistes arrivaient souvent trop tard, mais évitaient en général aux pouvoirs publics, politiques et techniciens, les erreurs grossières.

Ce n’est que plus tard, à partir des années 1990 qu’ils purent affiner et affirmer leur rôle spécifique consistant à (dé)montrer les identités possibles des territoires ruraux et urbains. En reconnaissant les caractères distinctifs sensibles et les dynamiques potentielles des périmètres de projet, ils purent, sans renoncer à leur histoire horticole et jardinière, développer des compétences nouvelles et ambitieuses de créateur et régulateur de paysages, à « toutes échelles d’espace et de temps »…

Aujourd’hui, le paysage s’est relativement bien imposé chez les acteurs de l’aménagement du territoire. Il y occupe une place stable mais évidemment inégale selon les projets,  notamment avec les dispositifs participatifs à l’échelle locale.  Ces démarches ne sont pas, cependant, toujours au niveau des enjeux actuels du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité.

Par ailleurs, il signifie souvent pour les élus davantage protection plutôt qu’aménagement du territoire ou création de nouveaux paysages concertés. En conséquence, il devient parfois une contrainte plutôt qu’un atout. En outre, il est le plus souvent invoqué dans les opérations de tourisme qui devient ainsi l’une des activités économiques les plus attractives des collectivités territoriales.

Pourtant, à l’échelle européenne, grâce à la Convention Européenne du Paysage de 2000, la qualité du paysage est devenue fréquemment un facteur territorial de développement économique et de bien-être social. Mais il reste du chemin à parcourir pour que l’idée complexe, et pas toujours comprise de paysage, devienne un objectif à part entière distinct de la régulation du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité. Bien qu’il puisse, par la prise en compte des structures paysagères territoriales, pouvoir servir ces deux causes essentielles pour l’avenir de l’humanité et de la planète.

Pierre Dauvergne, Pierre Donadieu, Yves Luginbühl , 2021

 

Ce texte est repris de plusieurs articles publiés (ou non) dans www. topia.fr

Pierre Dauvergne, L’émergence du « paysage d’aménagement » en France1967-1985Topia/Histoire et mémoire/Biographies, 2019.

Pierre Donadieu, Biographies , 14 figures, 2019

Pierre Donadieu,  Histoire de l’ENSP en 24 chapitres, 2017-2020

Pierre Donadieu, Courte histoire des formations de paysagiste concepteur en France, Ruptures et continuités (1873-1979), 2021, à paraitre.

Yves Luginbühl, Pour une histoire personnelle du CNERPTopia/Histoire et mémoire/Biographies, 2019.

Zsuza Cros, paysagiste hongroise, ancienne élève du CNERP (1972-79), raconte sa carrière en France et en Hongrie. Topia/Histoire et mémoire/Biographies, 2019.

 

Notes (non reprises mais peuvent être replacées)

[1] Loi sur la protection des sites et monuments naturels de 1906 pour leur intérêt artistique, légendaire, scientifique et esthétique. Cette loi a concrétisé un long parcours de diverses personnalités françaises dont Prosper Mérimée et le Touring Club de France. C’est Charles Beauquier, député du Doubs qui fit voter la loi à la Chambre des Députés.

[2] Loi de 1930 sur les sites classés et inscrits remplaçant celle de 1906.

[3] Reclus Elisée, 15 mai 1866, « Du sentiment de la nature dans les sociétés modernes », Revue des Deux Mondes, Paris.

[4] Cette loi permettait de mettre en œuvre les Schémas Directeurs d’Aménagement et d’Urbanisme (SDAU), les Plans d’Occupation des Sols (POS), les Coefficients d’Occupation des sols (COS), la Taxe Locale d’Equipement (TLE), et les Zones d’Aménagement Concertée (ZAC).

[5] Note rééditée en 1971 par Rémi Pérelman.

[6] En effet, la LOF l’autorisait à condition de laisser ouvert au public les 9/10ème du massif urbanisé

[7] Voir les lotissements de maisons individuelles dites « Chalandonnettes »

[8  Zeitoun,1969, « La notion de paysage », in L’architecture d’aujourd’hui – N° 145.

[9] Brunet Roger, 1974, « Analyse des paysages et sémiologie, Eléments pour un débat », L’espace géographique, n° 2, pp 120-126, Paris.

[10] Sautter Gilles, 1979, « Le paysage comme connivence »- Hérodote (16), p. 41-66.

[11] Ce texte est intégré dans son ouvrage de 1975 « Le ministère de l’impossible ».

[12] Par ailleurs l’un des dirigeants de la Barclay’s Bank.

[13]  phase 2, de 2010 à 2015, Paysage, Territoires, Transitions, à partir de 2015. Yves Luginbühl, membre du CNERP a été président des comités scientifiques de ces programmes.

[15] A noter, qu’EDF faisait partie du Conseil d’Administration du CNERP.

 

 

 

 

 

 

[1] https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Annexe_2_Elements_de_cadrage_de_la_demarche_VF.pdf

[2] Mounia Bennani, Villes-paysage du Maroc, La Découverte, 2017.

[3] Sobriquet attribué par les élèves ingénieurs aux élèves paysagistes qui préparaient le concours d’entrée à  la Section en suivant les cours des enseignants de l’ENH. La cuscute est une plante parasite de la luzerne …

[4] « Certains membres du jury sont dépassés par l’évolution considérable des notions de paysage » , écriront  P. Clerc et Denis Rouves, Pour un traité de paix avec le paysage, Le Monde, 3/12/1970

[5] D’après « Autobiographie de Pierre Dauvergne, https://topia.fr/2019/01/11/autobiographie-de-pierre-dauvergne/

[6] R. Perelman indiquait dans une conférence donnée au GERP que dans une étude d’aménagement foncier de la SAFER dans la région de Saumur « on aurait pu repenser le problème (résolu sur le plan quantitatif) d’une façon qui aboutisse à une solution matérielle d’une qualité bien supérieure » GERP, Bulletin n° 1, 1968.

Dans un autre exemple dans la même région, il avait préconisé d’ajouter une vue sur Le village de Fontevrault et son abbatiale. Et à Quétigny près de Dijon (où il rencontra B. Lassus et J. Sgard) l’enjeu était de « conserver son caractère de campagne à une future ville verte ». Il esquisse le profil de compétence d’un « paysagiste régional » et J. Sgard précise dans le débat que dans ce contexte « qu’au paysagiste artiste qui est une notion des plus dangereuses du fait de décisions arbitraires, il préfère le recours à l’utilisateur (du paysage) »

[7] GERP, Bulletin n°1, 1968, op. cit.

[8] Le naturaliste allemand Carl Troll (1899-1975) est un des pionniers de l’écologie du paysage en Europe.

[9] https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2018-4-page-105.htm (Sgard et al., 2018)

[10] GERP, Bulletin du GERP dans le cadre de la Section du paysage, 1968, np.

[11] Appellation qui sera retenue par la postérité, malgré son sens hybride mystérieux qu’éclaire mal la traduction anglaise (landscape planning + landscape management)

[12] D’après P. Dauvergne avec Z. Cros, A. Sandoz, J.-P. Saurin et S. Zarmati,  Compte-rendu de la présentation des études de paysage dans la région Nord Pas de Calais, 22 mai 1974, rapport n° 2, 51 p., 1975. Fonds Dauvergne, Archives ENSP Versailles

[13] Etude paysagère du plateau de Valbonne, CNERP 1973 confiée à l’association Paysage et réalisée par F. Trébuq, B. Brun, J.-P. Clarac, D. Corot, G. Demouchy et Y. Luginbühl.

[14] Programmes de recherche : Paysage et Politiques Publiques, de 1998 à 2003, Paysage et Développement Durable, phase 1, de 2005 à 2010, Paysage et Développement Durable,

[15] Le Débat (1991). « Au-delà du paysage moderne ». Paris, Gallimard, n° 65, mai-août.

 

[16] P. Dauvergne et A. Levavasseur, Landscape management : a case study : Le Vaudreuil new town, Landscape planning, 7, 247-262, 1980.

[17] LOI n° 93-24 du 8 janvier 1993 sur la protection et la mise en valeur des paysages et modifiant certaines dispositions législatives en matière d’enquêtes publiques.