8 – Quels rôles de la politique publique des Trames Vertes et Bleues dans les régions urbaines françaises ?

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Fiche n° 8

Quels rôles de la politique publique des Trames Vertes et Bleues dans les régions urbaines françaises ?

Philippe Clergeau, Académie d’Agriculture de France

Mise en place par les lois Grenelle de 2008 et 2010, la politique publique sectorielle de la Trame verte et bleue concerne autant l’espace urbain que l’espace rural. Quels sont ses objectifs et ses finalités ? Comment est-elle mise en œuvre dans les régions urbaines qui incluent des espaces agricoles et forestiers ?

Une nouvelle lecture écologique des paysages

L’écologie du paysage est une discipline scientifique qui est née au XXe siècle, avec notamment les premiers travaux du géographe allemand Carl Troll en 1939 qui s’est intéressé aux cartographies des potentialités naturelles aux grandes échelles. Les chercheurs R.T.T. Forman et M. Godron ont formalisé en 1986 cette interface écologie-géographie et identifié les grands concepts fondateurs, les éléments constitutifs d’un paysage écologique fonctionnel et les méthodes possibles d’analyse.

Cette Landscape Ecology souligne notamment un niveau de fonctionnement qui était peu pris en compte dans les études écologiques car elle considère les organisations des habitats et les mouvements des espèces dans des mosaïques plus ou moins hétérogènes. Ce niveau spatial de fonctionnement est compris entre le niveau des écosystèmes et celui de la région biogéographique. On pourrait aussi le dénommer complexe d’écosystèmes.

Cette échelle d’étude correspond à celle de l’aménagement du territoire et l’écologie du paysage a eu rapidement un grand succès car elle donnait une lecture complémentaire à une notion de paysage surtout abordé par les pratiques sociales, l’histoire et l’esthétique. Notamment le concept de continuité des liaisons nécessaires au déplacement des espèces dans un espace fragmenté a réinterrogé l’organisation et la gestion des taches d’habitat à conserver ou des corridors à recréer.

Dès les années 1970, des pays comme les Pays-Bas ont commencé à travailler sur ces organisations de paysage et en 1995 les membres du Conseil de l’Europe signent une stratégie pour la diversité biologique et paysagère ayant pour but de formaliser un réseau écologique paneuropéen. Très rapidement des pays comme la Pologne propose des cartes nationales de réservoirs de biodiversité (surtout les grands parcs nationaux) et des grands corridors à protéger (surtout des ripisylves).

Il a fallu attendre les réunions gouvernementales du Grenelle de l’Environnement en 2007 pour que la France s’engage officiellement dans ce programme en proposant une stratégie de « Trame Verte et Bleue » (TVB). Aujourd’hui les TVB sont inscrites dans la nouvelle stratégie 2020 de l’Union Européenne sur la Biodiversité. Mais avant que ne soit définie la politique de TVB, quelques régions (l’Ile-de-France par exemple) et certains Schémas de Cohérence Territoriale (par exemple le schéma de cohérence territoriale {SCOT} de Rennes Métropole) avaient déjà travaillé sur les continuités et inscrit des orientations écologiques dans les documents d’urbanisme.

Le ministère français a défini trois niveaux administratifs de mise en place : 1) un niveau national qui donne les grandes orientations (plusieurs guides sont disponibles en ligne), 2) un niveau régional où les instances se réunissent pour proposer des cartographies des habitats et des liaisons écologiques ; ce sont les Schémas Régionaux de Cohérence Ecologique (SRCE), et 3) un niveau local des mises en œuvre et des intégrations dans les documents d’urbanisme (Plan Local d’Urbanisme…). Il semble bien que les SCOT qui vont progressivement concerner toute la France soient l’échelle opérationnelle la plus pertinente pour que ces TVB deviennent de véritables outils d’aménagement.

Un maillage écologique à toutes les échelles géographiques

La trame verte et bleue a pour objectifs affichés par la loi française de réduire la fragmentation des milieux, d’identifier et de préserver les espaces de biodiversité et de les relier par des corridors écologiques, de mettre en œuvre des objectifs de qualités pour les zones humides et les eaux courantes, et d’améliorer la qualité des paysages (selon notamment les indications du code de l’environnement et du code de l’urbanisme).

Scientifiquement, elle est définie par une complémentarité entre des noyaux d’habitat (réservoirs de biodiversité) et des corridors écologiques. Cette complémentarité est identifiée pour différentes sous-trames en fonction des exigences des espèces (trame forestière, trame de zones humides, trame de landes…) et à travers leur croisement. C’est bien une préoccupation de conservation de la nature qui est le premier objectif des TVB mais aussi une ambition de son développement dans des contextes de territoire en mutation et sous pression humaine forte.

Figure 1 : Schéma de Trame verte avec ses noyaux d’habitat et ses corridors. La matrice est l’espace peu ou pas utilisable par les espèces.

Dans l’objectif d’une mise en place globale et dans la suite des demandes du Grenelle de l’Environnement, les TVB sont aussi attendues en milieu urbain1. Les enjeux sont alors différents : même si la biodiversité reste au cœur de la question, il s’agit avant tout d’envisager la manière dont citadins et nature peuvent cohabiter. Aujourd’hui, face à une forte demande habitante de nature, la tendance est au développement de liens variés avec une nature support de nombreux services, dont la plupart agissent directement sur la santé.

Mais l’approche reste essentiellement de l’ordre du discours et encore assez peu de municipalités ont franchi un pas qui permette de dire qu’il s’agit réellement de trame verte et bleue pour une biodiversité fonctionnelle. Car, dans la plupart des cas, il s’agit d’un verdissement assez identique à ce qu’il se faisait avant. L’exemple des éco-quartiers labellisés en France en est une illustration : la plupart présente des projets écologiques restreints aux techniques énergétiques ou aux traitements des flux (eaux, déchets), encore trop peu s’inscrivent dans une démarche de développement d’espaces à caractère naturel de qualité, c’est à dire riches en ressources pour les plantes et les animaux (voir encadré).

Concernant l’aménagement du territoire urbain, le paysagiste J. Ahern en 2007 a souligné l’importance de prendre en compte au moins deux échelles de fonctionnement : une échelle locale, celle du jardin, de la parcelle, et une échelle globale qui correspond à celle du quartier ou de la ville. Même si la nature en ville ne sera jamais celle de la campagne ou des zones plus « naturelles », plus on se rapproche d’un fonctionnement écologique, plus le milieu sera résistant aux agressions et aux contraintes de l’environnement. Et pour qu’un maximum d’espèces participent à cette nouvelle biodiversité, il faut qu’elles accèdent aux habitats que l’on restaure.

La démarche de trame verte et bleue implique aussi une intégration de la ville dans son contexte éco-paysager. Les continuités dans la ville doivent être connectées avec les sources d’espèces qui sont bien sûr dans l’espace périurbain ou même encore plus distantes des centres. Cependant une trame verte et bleue en zone urbaine peut, encore moins qu’en zone rurale, se suffire d’une analyse naturaliste. Il s’agit bien ici de prendre en compte les différents acteurs, leurs pratiques et leurs représentations qui sont des éléments fondamentaux de la mise en place de la trame et de leur durabilité. Inscription dans un patrimoine et une histoire locale, modes d’occupation des sols et pratiques développées, et projets architecturaux, urbains et paysagers sont autant de connaissances indispensables à la perception, l’appropriation et donc la construction efficace d’un projet urbain où la TVB a toute sa place.

Ce constat aboutit à une méthodologie de lecture pluridisciplinaire du territoire. P. Clergeau et N. Blanc ont ainsi proposé en 2013 de croiser différents diagnostics disciplinaires pour identifier les maillages écologiques potentiels les plus acceptables dans le contexte du territoire étudié. P. Clergeau avec d’autres auteurs en 2016 ont testé ce croisement des disciplines et le fonctionnement d’ateliers de concertation pour identifier les jeux de hiérarchisation des actions et aussi pour faire dialoguer tous les services d’aménagement d’un territoire très urbanisé. Ces travaux ont abouti à une cartographie discutée du territoire (Figure 2) que se sont appropriés presque tous les services de la collectivité, puisque tous ont participé aux ateliers.

Figure 2 : Exemple de réalisation d’un plan de trame verte sur la communauté de communes de Plaine Commune (Nord Paris). Plusieurs diagnostics (écologique, paysager, sociologique, des projets urbains, des plans de mobilités, etc.) sont croisés pour construire en discussion une carte de TVB avec propositions de phasage (hiérarchie des actions) et identification des contraintes.

Des premiers travaux, il ressort aussi que des corridors écologiques plus ou moins discontinus peuvent permettre des déplacements d’espèces en même temps que de participer au verdissement de la ville. Il a été démontré que des petits habitats répartis en « pas japonais » ou stepping stones peuvent être fonctionnels. Ce résultat devient important en milieu urbain où les coupures de voirie et de bâtiment sont très nombreuses2. Pour ces petits espaces à caractère naturel, on parle alors souvent d’espaces relais qui sont signifiants à différentes échelles s’ils présentent une bonne qualité écologique.

Par exemple, le sol des pieds d’arbres d’alignement dans un boulevard peut permettre la circulation de graines de diverses plantes d’une rue à l’autre. Autre exemple, des toitures ou des murs végétalisés peuvent accueillir une faune et une flore régionale et participer à certaines continuités3. Ou encore la multiplication de jardins partagés ou privés peut offrir des refuges (haies, sols) à certains arthropodes4. Pour l’instant, il s’agit la plupart du temps de potentialités car ces petits habitats urbains sont généralement trop dégradés ou trop simplifiés. Une réflexion sur l’agriculture urbaine doit aussi être menée pour y inclure un réel rôle dans la biodiversité urbaine. De nombreuses recherches se développent actuellement sur l’ingénierie écologique appliquée à la ville et aux paysages très urbanisés.


Encadré : Verdir la ville ou favoriser la biodiversité ?

Pour l’écologue, la définition de la biodiversité est précise : il s’agit d’une diversité en gènes, espèces ou écosystèmes et de leurs interrelations. La biodiversité n’est pas qu’une collection d’espèces mais bien un système avec ses processus (relations dans une chaine alimentaire par exemple.). En ville, les espèces sont majoritairement des espèces végétales ou animales domestiques, cultivées ou horticoles. Leur présence est liée aux comportements humains d’appréciation et non de fonctionnalité. La réflexion de l’écologue est de dire que si, a priori, une fleur sur un balcon n’est pas représentative de la biodiversité, mais un être vivant isolé et déplacé là, il peut cependant rentrer dans un fonctionnement de biodiversité quand un pollinisateur s’y attarde ou qu’un puceron s’y alimente. La présence d’un grand nombre d’espèces qui n’ont pourtant pas co-évolué ensemble peut donc créer une nouvelle biodiversité, si on s’appuie sur cette notion de fonctionnement.

Quel est alors l’intérêt de viser une biodiversité avec ses fonctionnements au lieu d’un verdissement que les paysagistes et les services des espaces verts savent déjà assez bien faire ? Ce qui est en jeu c’est la notion de durabilité et de résilience. Les grandes pelouses, les alignements de platanes ou les toitures de sedum sont de type monoculture, donc fragiles à tout accident climatique ou sanitaire. Ils nécessitent, comme en agriculture, des gestions et des soins réguliers. Une diversité d’espèces est bien plus résistante et donne une forme de stabilité aux systèmes écologiques et donc aux paysages. Une ou des espèces peuvent disparaitre sans que toute la plantation soit détruite. Par ailleurs, des habitats simplifiés comme les pelouses ou les toitures de sedum accueillent peu d’espèces animales et végétales. Reconstituer un habitat riche c’est donc à la fois lui garantir une forme de durabilité mais aussi lui donner un rôle dans une trame verte urbaine qui doit permettre la dispersion des espèces au sein des milieux urbanisés.


Ce qu’il faut retenir

La politique publique sectorielle de la Trame verte et bleue vise à renforcer la résilience écologique d’un territoire en favorisant la biodiversité végétale et animale dans les régions urbaines. Elle cherche à réunir les parties prenantes des projets, et à assurer une pérennité aux services écosystémiques rendus par les végétalisations. Ainsi, elle s’inscrit dans les politiques publiques transversales de paysage.


Pour en savoir plus

Ahern J., 2007. “Green infrastructure for cities: The spatial dimension”. In: Novotny V. & Brown P. (Eds.), Cities of the Future Towards Integrated Sustainable Water and Landscape Management. IWA Publishers, pp. 267–283.

Clergeau P., Linglart M., Morin S., Paris M., Dangeon M. (2016) « La trame verte et bleue à l’épreuve de la ville ». Traits Urbains 835, 37-40.

Clergeau P., 2007. Une écologie du paysage urbain. Apogée, Rennes, France.

Cormier L., De Lajartre A.B. & Carcaud N. (2010). « La planification des trames vertes, du global au local: réalités et limites ». Cybergeo : European Journal of Geography, https://cybergeo.revues.org/23187

Madre, F., Clergeau, P., Machon, N., & Vergnes, A. (2015). “Building biodiversity: Vegetated façades as habitats for spider and beetle assemblages”. Global Ecology and Conservation 3, 222-233.

Vergnes A., Le Viol I. & Clergeau P. (2012). « Green corridors in urban landscapes affect the arthropod communities of domestic gardens”. Biological Conservation 145: 171-178.


Notes

1 Clergeau 2007, Cormier et coll. 2010.

2 Gilbert-Norton, 2010.

3 Madre et coll., 2015.

4 Vergnes et coll. 2012.

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