9 – Comment ont évolué les métiers de la conception des paysages ?

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Fiche n° 9

Comment ont évolué les métiers de la conception des paysages ?

Pierre Donadieu, Académie d’Agriculture de France

Du jardinier au peintre, à l’architecte de jardins, à l’ingénieur paysagiste et au paysagiste concepteur, les métiers du paysage n’ont cessé de se métamorphoser au cours de l’histoire. Ils se sont professionnalisés au cours de la seconde moitié du XXe siècle.

Depuis la Grèce antique, l’Empire romain et les dynasties chinoises, le paysagiste a d’abord été un jardinier (gardener), chargé de la création et de l’entretien des jardins des plus fortunés. Puis les meilleurs d’entre eux ont su les dessiner. Le plus souvent, surtout depuis la Renaissance européenne, ce sont les architectes qui dessinaient les jardins des demeures bourgeoises et aristocratiques, savoir-faire qui ont accompagné plus tard la construction des villes au cours des conquêtes coloniales en Amérique, en Asie et en Afrique.

Le temps des jardins et des peintres

Le métier de paysagiste s’est différencié entre les ouvriers paysagistes et les maîtres jardiniers qui concevaient et dessinaient les parcs et les jardins d’Europe au XVIe et au XVIIe siècle. C’est le cas d’André le Nôtre en France.

Joseph William Turner (1775-1851), peintre paysagiste anglais.

Parallèlement, le mot paysagiste a désigné le peintre paysagiste (landscape painter) qui représentait des scènes de nature, le plus souvent littorale et campagnarde. Cette référence a été ensuite essentielle au XVIIIe siècle qui a vu se développer en Grande-Bretagne, puis dans toute l’Europe et ses colonies, des jardins et des parcs paysagers jusqu’au milieu du XXe siècle. Le paysagiste jardinier (landscape gardener, garden architect), créateur et dessinateur de jardins, devait également être peintre et poète à cette époque. C’est le cas de William Kent et Humphrey Repton en Angleterre.

Au XIXe siècle, l’urbanisation et l’industrialisation des sociétés européennes se sont accompagnées de la mise en œuvre de doctrines hygiénistes et esthétiques pour requalifier les villes anciennes et créer les villes des nouveaux continents. Le paysagiste concepteur, architecte et/ou horticulteur, adopte alors le titre professionnel d’architecte paysagiste (landscape architect) en Europe et en Amérique du nord. Frederick Law Olmsted aux Etats-Unis, Jean-Pierre Barillet-Deschamps et Edouard André en France sont les figures professionnelles les plus connues de l’émergence de ce métier au milieu du siècle. Il faut leur ajouter celle des ingénieurs, notamment des Ponts-et-Chaussées, comme Adolph Alphand qui fut le maître d’œuvre de la création des parcs et jardins parisiens.

Bois de Boulogne, Paris, J.-P. Barillet-Deschamps, architecte-paysagiste et A. Alphand, ingénieur des Ponts-et-Chaussées (1860-70)

La professionnalisation des métiers

C’est au XXe siècle, en 1948, que la création de l’IFLA (fédération internationale des architectes paysagistes) consacre le métier d’architecte paysagiste et le professionnalise avec des organisations propres à chaque pays (une soixantaine aujourd’hui).

Plusieurs courants de pratiques de l’architecture de paysage vont alors s’individualiser dans la plupart des pays concernés, de plus en plus urbanisés.

Le paysagiste concepteur (landscape designer, landscape architect), chargé de la conception et de la réalisation des aménagements constitue le cœur de la profession. C’est un professionnel du projet de paysage et de jardin, formé dans les universités, à proximité des formations d’architecte, de designer, de planificateur, d’ingénieur et d’urbaniste. Ses marchés sont publics et privés. En France depuis la loi de 2016 : Reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, le titre de « paysagiste concepteur » est accessible aux titulaires du diplôme d’État de paysagiste (ex paysagiste DPLG depuis 2015) délivrés par cinq écoles de paysagistes situées à Versailles, Bordeaux, Lille, Blois et Angers).

Parc d’Éole, Paris, Agence M. et C. Corajoud, 2007

Issu du profil précédent, parfois plus scientifique, le paysagiste planificateur (landscape planner) dispose de compétences pour concevoir avec les urbanistes les infrastructures vertes et aquatiques, les systèmes de parcs publics et de circulations dans les villes et les régions urbaines. En Europe, cette compétence initiée par F.L. Olmsted, A. Alphand, puis I. McHarg aux Etats-Unis va se développer des deux côtés de l’Atlantique, notamment sous la forme au début du XXIe siècle de l’urbanisme paysagiste (landscape urbanism). Le marché est public et concerne aujourd’hui les espaces urbains, périurbains et ruraux et les compétences des paysagistes concepteurs.

Ecoquartier de Montévrain (Marne-la-Vallée), Agence Follea-Gauthier, paysagiste concepteur, Philippe Madec, architecte-urbaniste, Trente hectares de terres agricoles ont été protégés.

Un troisième courant, complémentaire et distinct des architectes paysagistes, concerne les paysagistes de formations scientifique et technique : les ingénieurs paysagistes et les entrepreneurs paysagistes (landscape contractors). Leurs emplois sont situés soit dans les services publics des villes et des territoires comme gestionnaires (landscape managers) des espaces verts ou ruraux, soit dans les entreprises privées qui réalisent et entretiennent les espaces verts et les jardins. Ils relèvent presque partout d’organisations professionnelles distinctes de l’IFLA et de formations agronomique, horticole ou environnementaliste. En France l’Union nationale des entrepreneurs paysagistes (UNEP) réunit ces professionnels et les organisent. Les marchés sont publics et privés.

Vers de nouveaux métiers

Un dernier courant de paysagiste médiateur des aménagements d’espaces, travaillant avec les habitants, émerge en Europe avec la mise en œuvre de la Convention européenne du paysage de Florence (2000) à finalités culturelle et démocratique. Les marchés, encore rares, sont publics.

En pratique, et selon l’histoire paysagiste des pays, ces quatre profils, issus de formations universitaires ou de Grandes Écoles, sont plus ou moins réunis chez les mêmes praticiens, ou bien se distinguent nettement dans des organisations professionnelles distinctes avec des diplômes différents. Des spécialités de métiers apparaissent selon les marchés publics ou privés : paysages culturels, planification écologique, jardins et patrimoines historiques, création artistique, médiation culturelle, conseils de l’Etat et des pouvoirs publics, entreprises de paysage et de jardin, enseignement et recherche….

Ce qu’il faut retenir

Deux profils majeurs de cadres paysagistes se distinguent : l’un à dominante scientifique et technique : les ingénieurs, planificateurs et entrepreneurs, l’autre, marqué par une culture de concepteurs de projets de paysage et de jardin, les apparente aux architectes et aux designers. L’effectif de ces derniers en France est d’environ 3000 en 2018. L’ensemble de la filière du paysage, publique et privée, représente environ 200 000 emplois, et fait partie des métiers de l’agriculture.

Pour en savoir plus

P. Donadieu, Les paysagistes dans le monde en 2014. http://topia.fr/archives/chroniques/

P. Donadieu, Les paysagistes ou les métamorphoses du jardinier, Arles, Actes Sud, 2009.

B. Follea, Une révolution pour la Transition, PAP n° 18, 2018.

8 – Quels rôles de la politique publique des Trames Vertes et Bleues dans les régions urbaines françaises ?

Fiche 7IntroductionFiche 9

Fiche n° 8

Quels rôles de la politique publique des Trames Vertes et Bleues dans les régions urbaines françaises ?

Philippe Clergeau, Académie d’Agriculture de France

Mise en place par les lois Grenelle de 2008 et 2010, la politique publique sectorielle de la Trame verte et bleue concerne autant l’espace urbain que l’espace rural. Quels sont ses objectifs et ses finalités ? Comment est-elle mise en œuvre dans les régions urbaines qui incluent des espaces agricoles et forestiers ?

Une nouvelle lecture écologique des paysages

L’écologie du paysage est une discipline scientifique qui est née au XXe siècle, avec notamment les premiers travaux du géographe allemand Carl Troll en 1939 qui s’est intéressé aux cartographies des potentialités naturelles aux grandes échelles. Les chercheurs R.T.T. Forman et M. Godron ont formalisé en 1986 cette interface écologie-géographie et identifié les grands concepts fondateurs, les éléments constitutifs d’un paysage écologique fonctionnel et les méthodes possibles d’analyse.

Cette Landscape Ecology souligne notamment un niveau de fonctionnement qui était peu pris en compte dans les études écologiques car elle considère les organisations des habitats et les mouvements des espèces dans des mosaïques plus ou moins hétérogènes. Ce niveau spatial de fonctionnement est compris entre le niveau des écosystèmes et celui de la région biogéographique. On pourrait aussi le dénommer complexe d’écosystèmes.

Cette échelle d’étude correspond à celle de l’aménagement du territoire et l’écologie du paysage a eu rapidement un grand succès car elle donnait une lecture complémentaire à une notion de paysage surtout abordé par les pratiques sociales, l’histoire et l’esthétique. Notamment le concept de continuité des liaisons nécessaires au déplacement des espèces dans un espace fragmenté a réinterrogé l’organisation et la gestion des taches d’habitat à conserver ou des corridors à recréer.

Dès les années 1970, des pays comme les Pays-Bas ont commencé à travailler sur ces organisations de paysage et en 1995 les membres du Conseil de l’Europe signent une stratégie pour la diversité biologique et paysagère ayant pour but de formaliser un réseau écologique paneuropéen. Très rapidement des pays comme la Pologne propose des cartes nationales de réservoirs de biodiversité (surtout les grands parcs nationaux) et des grands corridors à protéger (surtout des ripisylves).

Il a fallu attendre les réunions gouvernementales du Grenelle de l’Environnement en 2007 pour que la France s’engage officiellement dans ce programme en proposant une stratégie de « Trame Verte et Bleue » (TVB). Aujourd’hui les TVB sont inscrites dans la nouvelle stratégie 2020 de l’Union Européenne sur la Biodiversité. Mais avant que ne soit définie la politique de TVB, quelques régions (l’Ile-de-France par exemple) et certains Schémas de Cohérence Territoriale (par exemple le schéma de cohérence territoriale {SCOT} de Rennes Métropole) avaient déjà travaillé sur les continuités et inscrit des orientations écologiques dans les documents d’urbanisme.

Le ministère français a défini trois niveaux administratifs de mise en place : 1) un niveau national qui donne les grandes orientations (plusieurs guides sont disponibles en ligne), 2) un niveau régional où les instances se réunissent pour proposer des cartographies des habitats et des liaisons écologiques ; ce sont les Schémas Régionaux de Cohérence Ecologique (SRCE), et 3) un niveau local des mises en œuvre et des intégrations dans les documents d’urbanisme (Plan Local d’Urbanisme…). Il semble bien que les SCOT qui vont progressivement concerner toute la France soient l’échelle opérationnelle la plus pertinente pour que ces TVB deviennent de véritables outils d’aménagement.

Un maillage écologique à toutes les échelles géographiques

La trame verte et bleue a pour objectifs affichés par la loi française de réduire la fragmentation des milieux, d’identifier et de préserver les espaces de biodiversité et de les relier par des corridors écologiques, de mettre en œuvre des objectifs de qualités pour les zones humides et les eaux courantes, et d’améliorer la qualité des paysages (selon notamment les indications du code de l’environnement et du code de l’urbanisme).

Scientifiquement, elle est définie par une complémentarité entre des noyaux d’habitat (réservoirs de biodiversité) et des corridors écologiques. Cette complémentarité est identifiée pour différentes sous-trames en fonction des exigences des espèces (trame forestière, trame de zones humides, trame de landes…) et à travers leur croisement. C’est bien une préoccupation de conservation de la nature qui est le premier objectif des TVB mais aussi une ambition de son développement dans des contextes de territoire en mutation et sous pression humaine forte.

Figure 1 : Schéma de Trame verte avec ses noyaux d’habitat et ses corridors. La matrice est l’espace peu ou pas utilisable par les espèces.

Dans l’objectif d’une mise en place globale et dans la suite des demandes du Grenelle de l’Environnement, les TVB sont aussi attendues en milieu urbain1. Les enjeux sont alors différents : même si la biodiversité reste au cœur de la question, il s’agit avant tout d’envisager la manière dont citadins et nature peuvent cohabiter. Aujourd’hui, face à une forte demande habitante de nature, la tendance est au développement de liens variés avec une nature support de nombreux services, dont la plupart agissent directement sur la santé.

Mais l’approche reste essentiellement de l’ordre du discours et encore assez peu de municipalités ont franchi un pas qui permette de dire qu’il s’agit réellement de trame verte et bleue pour une biodiversité fonctionnelle. Car, dans la plupart des cas, il s’agit d’un verdissement assez identique à ce qu’il se faisait avant. L’exemple des éco-quartiers labellisés en France en est une illustration : la plupart présente des projets écologiques restreints aux techniques énergétiques ou aux traitements des flux (eaux, déchets), encore trop peu s’inscrivent dans une démarche de développement d’espaces à caractère naturel de qualité, c’est à dire riches en ressources pour les plantes et les animaux (voir encadré).

Concernant l’aménagement du territoire urbain, le paysagiste J. Ahern en 2007 a souligné l’importance de prendre en compte au moins deux échelles de fonctionnement : une échelle locale, celle du jardin, de la parcelle, et une échelle globale qui correspond à celle du quartier ou de la ville. Même si la nature en ville ne sera jamais celle de la campagne ou des zones plus « naturelles », plus on se rapproche d’un fonctionnement écologique, plus le milieu sera résistant aux agressions et aux contraintes de l’environnement. Et pour qu’un maximum d’espèces participent à cette nouvelle biodiversité, il faut qu’elles accèdent aux habitats que l’on restaure.

La démarche de trame verte et bleue implique aussi une intégration de la ville dans son contexte éco-paysager. Les continuités dans la ville doivent être connectées avec les sources d’espèces qui sont bien sûr dans l’espace périurbain ou même encore plus distantes des centres. Cependant une trame verte et bleue en zone urbaine peut, encore moins qu’en zone rurale, se suffire d’une analyse naturaliste. Il s’agit bien ici de prendre en compte les différents acteurs, leurs pratiques et leurs représentations qui sont des éléments fondamentaux de la mise en place de la trame et de leur durabilité. Inscription dans un patrimoine et une histoire locale, modes d’occupation des sols et pratiques développées, et projets architecturaux, urbains et paysagers sont autant de connaissances indispensables à la perception, l’appropriation et donc la construction efficace d’un projet urbain où la TVB a toute sa place.

Ce constat aboutit à une méthodologie de lecture pluridisciplinaire du territoire. P. Clergeau et N. Blanc ont ainsi proposé en 2013 de croiser différents diagnostics disciplinaires pour identifier les maillages écologiques potentiels les plus acceptables dans le contexte du territoire étudié. P. Clergeau avec d’autres auteurs en 2016 ont testé ce croisement des disciplines et le fonctionnement d’ateliers de concertation pour identifier les jeux de hiérarchisation des actions et aussi pour faire dialoguer tous les services d’aménagement d’un territoire très urbanisé. Ces travaux ont abouti à une cartographie discutée du territoire (Figure 2) que se sont appropriés presque tous les services de la collectivité, puisque tous ont participé aux ateliers.

Figure 2 : Exemple de réalisation d’un plan de trame verte sur la communauté de communes de Plaine Commune (Nord Paris). Plusieurs diagnostics (écologique, paysager, sociologique, des projets urbains, des plans de mobilités, etc.) sont croisés pour construire en discussion une carte de TVB avec propositions de phasage (hiérarchie des actions) et identification des contraintes.

Des premiers travaux, il ressort aussi que des corridors écologiques plus ou moins discontinus peuvent permettre des déplacements d’espèces en même temps que de participer au verdissement de la ville. Il a été démontré que des petits habitats répartis en « pas japonais » ou stepping stones peuvent être fonctionnels. Ce résultat devient important en milieu urbain où les coupures de voirie et de bâtiment sont très nombreuses2. Pour ces petits espaces à caractère naturel, on parle alors souvent d’espaces relais qui sont signifiants à différentes échelles s’ils présentent une bonne qualité écologique.

Par exemple, le sol des pieds d’arbres d’alignement dans un boulevard peut permettre la circulation de graines de diverses plantes d’une rue à l’autre. Autre exemple, des toitures ou des murs végétalisés peuvent accueillir une faune et une flore régionale et participer à certaines continuités3. Ou encore la multiplication de jardins partagés ou privés peut offrir des refuges (haies, sols) à certains arthropodes4. Pour l’instant, il s’agit la plupart du temps de potentialités car ces petits habitats urbains sont généralement trop dégradés ou trop simplifiés. Une réflexion sur l’agriculture urbaine doit aussi être menée pour y inclure un réel rôle dans la biodiversité urbaine. De nombreuses recherches se développent actuellement sur l’ingénierie écologique appliquée à la ville et aux paysages très urbanisés.


Encadré : Verdir la ville ou favoriser la biodiversité ?

Pour l’écologue, la définition de la biodiversité est précise : il s’agit d’une diversité en gènes, espèces ou écosystèmes et de leurs interrelations. La biodiversité n’est pas qu’une collection d’espèces mais bien un système avec ses processus (relations dans une chaine alimentaire par exemple.). En ville, les espèces sont majoritairement des espèces végétales ou animales domestiques, cultivées ou horticoles. Leur présence est liée aux comportements humains d’appréciation et non de fonctionnalité. La réflexion de l’écologue est de dire que si, a priori, une fleur sur un balcon n’est pas représentative de la biodiversité, mais un être vivant isolé et déplacé là, il peut cependant rentrer dans un fonctionnement de biodiversité quand un pollinisateur s’y attarde ou qu’un puceron s’y alimente. La présence d’un grand nombre d’espèces qui n’ont pourtant pas co-évolué ensemble peut donc créer une nouvelle biodiversité, si on s’appuie sur cette notion de fonctionnement.

Quel est alors l’intérêt de viser une biodiversité avec ses fonctionnements au lieu d’un verdissement que les paysagistes et les services des espaces verts savent déjà assez bien faire ? Ce qui est en jeu c’est la notion de durabilité et de résilience. Les grandes pelouses, les alignements de platanes ou les toitures de sedum sont de type monoculture, donc fragiles à tout accident climatique ou sanitaire. Ils nécessitent, comme en agriculture, des gestions et des soins réguliers. Une diversité d’espèces est bien plus résistante et donne une forme de stabilité aux systèmes écologiques et donc aux paysages. Une ou des espèces peuvent disparaitre sans que toute la plantation soit détruite. Par ailleurs, des habitats simplifiés comme les pelouses ou les toitures de sedum accueillent peu d’espèces animales et végétales. Reconstituer un habitat riche c’est donc à la fois lui garantir une forme de durabilité mais aussi lui donner un rôle dans une trame verte urbaine qui doit permettre la dispersion des espèces au sein des milieux urbanisés.


Ce qu’il faut retenir

La politique publique sectorielle de la Trame verte et bleue vise à renforcer la résilience écologique d’un territoire en favorisant la biodiversité végétale et animale dans les régions urbaines. Elle cherche à réunir les parties prenantes des projets, et à assurer une pérennité aux services écosystémiques rendus par les végétalisations. Ainsi, elle s’inscrit dans les politiques publiques transversales de paysage.


Pour en savoir plus

Ahern J., 2007. “Green infrastructure for cities: The spatial dimension”. In: Novotny V. & Brown P. (Eds.), Cities of the Future Towards Integrated Sustainable Water and Landscape Management. IWA Publishers, pp. 267–283.

Clergeau P., Linglart M., Morin S., Paris M., Dangeon M. (2016) « La trame verte et bleue à l’épreuve de la ville ». Traits Urbains 835, 37-40.

Clergeau P., 2007. Une écologie du paysage urbain. Apogée, Rennes, France.

Cormier L., De Lajartre A.B. & Carcaud N. (2010). « La planification des trames vertes, du global au local: réalités et limites ». Cybergeo : European Journal of Geography, https://cybergeo.revues.org/23187

Madre, F., Clergeau, P., Machon, N., & Vergnes, A. (2015). “Building biodiversity: Vegetated façades as habitats for spider and beetle assemblages”. Global Ecology and Conservation 3, 222-233.

Vergnes A., Le Viol I. & Clergeau P. (2012). « Green corridors in urban landscapes affect the arthropod communities of domestic gardens”. Biological Conservation 145: 171-178.


Notes

1 Clergeau 2007, Cormier et coll. 2010.

2 Gilbert-Norton, 2010.

3 Madre et coll., 2015.

4 Vergnes et coll. 2012.

7 – Pourquoi les agriculteurs devraient-ils s’intéresser à leurs paysages ?

Fiche 6IntroductionFiche 8

Fiche n° 7

Pourquoi les agriculteurs devraient-ils s’intéresser à leurs paysages ?

Pierre Donadieu, Académie d’Agriculture de France

En produisant des biens alimentaires et énergétiques, les agriculteurs approvisionnent le monde. En même temps ils produisent les paysages agricoles. Mais ce sont des sous-produits de leurs activités, appréciés par les uns, dépréciés par les autres, selon les cas. Pourquoi et comment les agriculteurs pourraient-ils contribuer à façonner les visages de leur territoire mieux qu’aujourd’hui ? De quelles façons les politiques publiques sectorielles, comme l’agriculture ou la biodiversité pourraient-elles s’inscrire dans les finalités des politiques publiques transversales comme celles du paysage ?

Environnement ou paysage ?

Il y a deux façons de comprendre un paysage agricole. Si ce qui est perçu par la vue est réduit à des objets matériels : des champs, des troupeaux, des serres, des fermes, des bois, des sols, des routes et des cours d’eau, cette vision relève de l’environnement explicable par les sciences physiques, naturelles, sociales, agronomiques et forestières, et à ce titre modifiable. Cette connaissance scientifique et technique permet en effet d’agir et de conduire un projet d’agriculture ou d’élevage ; de limiter les risques pour la santé de l’environnement et celle des hommes et d’adapter les productions agricoles et agroalimentaires aux transitions climatiques et agroécologiques en cours.

Si ce qui est perçu est réduit aux impressions, sensations et jugements de chacun, spectateur ou acteur d’une scène agricole, si l’on oublie un instant la réalité matérielle analysées par les scientifiques, cette perception relève du paysage1. Cette connaissance mentale et corporelle varie selon l’interprétation qu’en donne la culture de chacun, selon ses dispositions affectives et morales et le moment de l’expérience. Elle est le plus souvent insaisissable, et pourtant elle est partagée par les habitants d’une commune rurale, au sens de prendre part à des sentiments collectifs de plaisir, d’indifférence ou de méfiance.

Les agriculteurs peuvent-ils relier environnement et paysage ? Oui, en tenant compte autant de leurs propres regards que de ceux des publics. Car, sauf à soustraire les scènes agricoles aux regards des autres (ce qui est possible), les paysages agricoles sont depuis les routes et d’autres lieux publics ou privés accessibles visuellement à tous. D’autres points de vue que ceux des agriculteurs créent des paysages imaginaires avec des valeurs esthétiques et éthiques très variées : étonnement, admiration, inquiétude, perplexité, désarroi ou impuissance.

Certes, mais l’agriculteur n’est-il pas le maître exclusif de ses paysages ?

Plaine agricole de Versailles, 2012

Tenir compte du regard d’autrui ?

Chaque agriculteur fabrique lui aussi ses paysages avec les scènes de son environnement, avec les champs et les troupeaux, les siens et ceux des autres. Il regarde avec attention chaque jour l’évolution de ses récoltes à venir. Il guette les prévisions de la météo, les signes de maladies sur les vignes, les vergers, les céréales et les animaux. Il se réjouit ou s’inquiète, s’émerveille ou s’attriste. Il confond naturellement paysage et environnement agricoles. Ce sont ses paysages, son milieu de vie. Il voudrait en vivre bien avec sa famille, mais la météo, les prix du marché, les maladies des cultures et des troupeaux ou les variations imprévues des aides publiques en décident souvent autrement. Pourquoi tenir compte des regards souvent indifférents des passants ?

N’a-t-on jamais vu un randonneur venir critiquer un agriculteur parce que les paysages ne lui plaisent pas, ou inversement le féliciter du charme de son exploitation ? N’est-il pas inscrit dans la Constitution française, que l’État garantit le droit de pleine propriété au même titre que la liberté, et avec le code rural le droit des baux agricoles.

Tout entrepreneur agricole dispose de la liberté d’user de la terre qu’il cultive comme il l’entend à condition de ne pas nuire à autrui. S’il souhaite agrémenter le décor et favoriser la faune sauvage, parce que les pouvoirs publics le souhaitent et financent les frais, libre à lui de participer. C’est ce qui se passe pour les plantations de haies. Pour les bandes enherbées le long des cours d’eau, c’est une obligation pour laquelle il reçoit en compensation des subventions de l’Europe et de l’État français pour ne pas polluer. Quant aux doses de pesticides, cela ne se voit pas dans le paysage (sauf les épandages de glyphosate), mais peut nuire à la qualité de l’environnement et de ses habitants ! Et si les agriculteurs ont intérêt à évoluer vers l’agroécologie, voire l’agriculture biologique ou la permaculture, le changement se verra surtout par la diversification des cultures, les élevages de plein air et la diminution de la taille des parcelles. Ce qui plaira peut-être aux promeneurs qui déplorent les élevages industriels et les monocultures de maïs ou de vigne, mais pas les prairies bocagères.

Alors faut-il regretter la résistance relative des agriculteurs (pas tous) aux politiques de paysage du ministère de l’Environnement depuis une trentaine d’années ? Les céréaliculteurs n’aiment pas les arbres et les haies, car cela coûte cher à entretenir. Ce qui n’est pas le cas des éleveurs de plein air. Faut-il le leur reprocher ?

Plaine agricole de Versailles, 2017

Vivre avec son voisinage

Bien des exploitations agricoles dans le monde ont compris l’intérêt de s’ouvrir au public. Le plus souvent pour vendre des produits avec un meilleur bénéfice qu’avec un revendeur. C’est ce qui se passe dans les régions périurbaines avec les ventes à la ferme, mais beaucoup plus rarement loin des villes. On l’observe également avec les accueils d’agritourisme, de gîtes à la ferme et de chambres d’hôte pour le tourisme rural. C’est une conséquence de la nécessité économique de diversifier les revenus d’une exploitation.

Mais si les paysages, trop monotones, ne sont pas attractifs, si leur réputation paysagère n’en fait pas des lieux d’intérêt touristique, cette clientèle capricieuse ne viendra pas. Ce qui peut être un point de vue souhaité, légitime, d’un entrepreneur agricole.

Bandes enherbées protégeant la qualité de l’eau, Poitou, 2011

Mais on peut défendre un point de vue différent.

Dans beaucoup de collectivités rurales, les habitants des villes et des villages ne sont pas indifférents à la qualité de leur environnement et de leurs paysages. Grâce aux Conseils départementaux, les sentiers de randonnées pédestres et cyclistes se développent, les Offices de tourisme informent sur les hébergements ruraux et urbains et les centres d’intérêts pour les visiteurs : pêches, chasses, animations festives, patrimoines naturels et historiques.

Si les paysages agricoles sont suspectés de ne pas présenter les qualités environnementales requises – même s’ils paraissent sains-, si les campagnes ne sont pas accessibles au public, si les habitants des bourgs et des villages ne peuvent être rassurés par les exploitants, il est probable que les collectivités seront de plus en plus désertées ou accueilleront des populations à bas revenus qui y trouveront des habitations à faible coût. Autant d’inégalités territoriales que les agriculteurs peuvent éviter en ouvrant leurs chemins agricoles au public. En leur donnant un caractère accueillant grâce à des plantations d’arbres en bosquets ou en haies, en valorisant le petit patrimoine hydraulique et historique, en aménageant les petits cours d’eau et en veillant à la qualité de l’eau et des zones humides (mares et étangs).

Pour être cohérent, étant donnée la dispersion des parcelles, ce projet d’ouverture au public des espaces agricoles ne peut être organisé qu’avec la commune ou l’intercommunalité. Elles pourront prendre en charge la signalétique, le passage des clôtures (chicanes) et des fossés, des remembrements localisés et l’entretien de la propreté des chemins.

Habitants et agriculteurs ont intérêt à co-évoluer ensemble. Les habitants en étant informés des pratiques agricoles, de leurs contraintes et de leurs projets ; les agriculteurs en étant soucieux d’éclairer les habitants et de répondre à leurs questions légitimes, notamment sur la sécurité de leur environnement et de leur alimentation. L’évolution des paysages qui pourra en résulter passe alors par les nouvelles manières de se promener et de randonner dans les campagnes afin que les lieux agricoles deviennent familiers, même s’ils sont très ordinaires.

Sans doute est-il difficile de demander trop souvent à un agriculteur de jouer le rôle du guide ou de l’animateur. Mais des habitants peuvent être initiés et le faire.

C’est en multipliant la conscience des lieux que l’on peut favoriser l’appropriation des milieux de vie, en luttant contre les ségrégations qui confinent les habitants dans leurs pavillons ou leurs appartements, loin, trop loin des terres et des terroirs agricoles.

Plaine maraîchère de Montesson (ouest Paris), 2016

Ces pratiques existent déjà. Ce sont des exemples convaincants où les agriculteurs sont connus des habitants : fermes bio qui vendent sur place ou en circuits courts (AMAP), fermes pédagogiques accueillant les enfants des écoles, fermes communales, locations de jardins familiaux, de jardins thérapeutiques, de jardins partagés, repas et hébergements à la ferme, cueillettes directes, fermes d’accueil d’enfants handicapés, locations de camping, de pêches, de chasses, écomusées, réserves naturelles … Autant d’activités sociales, pédagogiques et de loisirs qui insèrent les agriculteurs dans la vie sociale des territoires ruraux. Qu’ils soient des entrepreneurs à fort capital ou de modestes agriculteurs.

Pays-Bas : circulations douces, 2006.

Ce qu’il faut retenir

S’ils souhaitent établir des relations à bénéfices réciproques avec leur territoire et ses habitants, les agriculteurs peuvent ouvrir leur exploitation à des fins sociales, alimentaires, environnementales, pédagogiques et de loisirs. Ils peuvent en tirer un bénéfice financier autant qu’humain : celui d’une reconnaissance par les habitants comme acteurs pertinents de la production de paysages agricoles multifonctionnels.

Ainsi la politique agricole sectorielle dont les agriculteurs sont parties prenantes, pourra-t-elle s’intégrer à une politique transversale de paysage dont tous les habitants d’un territoire devraient être bénéficiaires.


Pour en savoir plus

Ambroise R. « Dessiner les paysages agricoles pour un développement durable et harmonieux des territoires », 9eme conférence du Conseil de l’Europe sur la Convention européenne du paysage, 2017. Télécharger le pdf.

Ambroise R. et Toublanc M., Paysage et agriculture pour le meilleur ! Dijon, Educagri, 2015, 144 p.

Donadieu P., La société paysagiste, Arles, Actes Sud, 2002.

Toublanc M., Ambroise R., Pernot E., Herbin C. 2010.- “Paysages en herbe”, collection APPORT Paysages agricoles, Institut Français de la Vigne et du Vin, (documents téléchargeables sur www.agriculture-et-paysage.fr)


Note

1 Et de son interprétation phénoménologique (J.-M. Besse, Le goût du monde, Arles, Actes Sud, 2009).

6 – Pourquoi et comment améliorer la biodiversité dans les paysages agricoles ?

Fiche 5IntroductionFiche 7

Fiche n° 6

Pourquoi et comment améliorer la biodiversité dans les paysages agricoles ?

Françoise Burel, Académie d’Agriculture de France

Promouvoir la biodiversité dans les milieux ruraux représente un objectif majeur des politiques publiques environnementales. Quels rôles peut jouer la mise en place d’une trame verte et bleue dans les paysages agricoles ? Quels sont les avantages et les revers possibles des continuités écologiques ?

Les paysages agricoles représentent 60% du territoire de la France. Ils sont caractérisés par la présence de champs cultivés, de prairies permanentes, de vignes et vergers et d’éléments semi-naturels (bois, haies, landes…). Des transformations importantes ont eu lieu depuis les années 1950. L’évolution des systèmes de culture et des pratiques et techniques agricoles ont conduit à une intensification de l’agriculture sur une grande partie du territoire français, mais aussi à l’abandon des terres dans le quart sud-est. Dans les zones d’agriculture intensive la biodiversité a décliné fortement depuis quelques décennies1. Les causes en sont multiples depuis l’usage de produits phytosanitaires jusqu’à la perte d’habitats semi-naturels.

Le fonctionnement des paysages agricoles et la biodiversité

Dans ces paysages les éléments semi-naturels jouent un rôle clef pour la survie de la biodiversité. Ils servent de refuge aux espèces quand elles ne trouvent pas de ressources dans les champs cultivés. C’est par exemple le cas de certains coléoptères carabiques qui hivernent dans les bords de champ et se déploient dans les cultures par un phénomène de débordement (ou spill over) quand les cultures se développent. Ces milieux semi-naturels servent aussi d’habitat pour de nombreuses espèces sensibles aux perturbations liées à la conduite des cultures. Le pourcentage d’éléments semi-naturels dans des paysages agricoles européens est positivement corrélé à la biodiversité de différents groupes d’insectes, des oiseaux et des plantes2.

Quand le paysage est complexe c’est-à-dire présentant des éléments semi-naturels nombreux et diversifiés la biodiversité augmente et les chaines trophiques se complexifient. La biodiversité des paysages agricoles, outre son intérêt pour la conservation d’une flore et d’une faune originales, rend de nombreux services écosystémiques. Ce sont des services rendus par les écosystèmes et en particulier la biodiversité pour le bien être des sociétés humaines. Ils ont été définis par l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire, réalisé par des scientifiques du monde entier à la demande de l’ONU. On distingue des services de support, nécessaires à la réalisation des autres services (exemple la pédogénèse) des services de production (ex : l’alimentation), des services de régulation (ex : épuration des eaux) et des services culturels (ex esthétique, loisir)

Fig. 1 la richesse spécifique de ces trois groupes d’insectes prédateurs, auxiliaires des cultures, augmente quand le pourcentage d’éléments semi-naturels augmente au niveau du paysage.

En dehors des éléments semi-naturels, la mosaïque paysagère constituée par les différentes cultures a aussi un rôle important dans le contrôle de la biodiversité. Par exemple la connectivité spatio-temporelle entre cultures d’hiver et cultures de printemps favorise de nombreuses espèces de carabes auxiliaires de cultures. En effet les cultures d’hiver offrent des ressources au printemps et au début de l’été et les cultures de printemps en été et au début de l’automne et les espèces se déplacent des unes vers les autres en fonction de la disponibilité des ressources3. D’autre part la taille du parcellaire influence la biodiversité. Dans les paysages à petit parcellaire, pour lesquels le linéaire de contact avec les éléments voisins favorise les échanges, l’abondance de la faune et de la flore est plus grande que dans les paysages à grand parcellaire4.

La Trame Verte et Bleue dans les paysages agricoles

Pour favoriser la biodiversité et le fonctionnement des services écosystémiques, en particulier les régulations biologiques ou la pollinisation, une trame verte et bleue est mise en place dans les paysages agricoles. Il s’agit de connecter entre elles les zones de forte biodiversité ce qui a pour effet de favoriser les mouvements entre taches d’habitat limitant ainsi les risques d’extinction des populations locales ainsi que la perte de diversité génétique. La connectivité se définit comme l’ensemble des éléments du paysage qui favorisent ou limitent la dispersion d’une espèce donnée, et le corridor écologique est un élément linéaire particulier qui peut favoriser la connectivité. Dans les paysages agricoles la connectivité, ou les continuités écologiques sont souvent liées aux éléments semi-naturels comme les haies et les bois par exemple.

La Trame Verte et Bleue a été conçue de manière hiérarchique du niveau national au niveau communal, et un niveau particulièrement important a été le niveau régional avec la réalisation des Schémas régionaux de Cohérence Ecologiques. Ils ont pour objectif de déterminer les corridors écologiques reliant les zones de forte biodiversité de la région. Chaque région a développé sa méthode pour sa mise en place. Par exemple en Bretagne, le paysage agricole est très fragmenté et caractérisé par un réseau de haies et de boisements plus ou moins dense. Le parti pris a été de définir des zones de perméabilité définies par la densité de ce réseau qui permet le déplacement des espèces forestières. Des zones de continuité écologique relient entre elles les zones de forte perméabilité (Fig. 2).

Fig. 2 : le schéma régional de cohérence écologique de la région Bretagne. En vert foncé avec des étoiles sont identifiées les zones de très forte perméabilité avec une forte densité de réservoirs régionaux, plus on va vers le rose clair et plus la perméabilité est faible. Les flèches représentent les corridors écologiques régionaux à protéger ou à renforcer.

Il a été montré par exemple que l’abondance et la richesse spécifique des coléoptères carabiques forestiers sont favorisées par la densité du feuillage de la haie et la densité du réseau bocager environnant. Ici les haies jouent le rôle de corridor écologique pour ces espèces forestières et leur importance peut être identifiée sur de grandes surfaces grâce à l’utilisation d’images radar Terra-SarX qui déterminent la structure interne de la végétation des haies5.

Mais cet effet positif des haies sur la biodiversité n’est pas universel. Dans la région de la Bresse l’hypothèse a été posée que les haies étaient des corridors favorables aux déplacements des prédateurs, renards, martres et fouines, augmentant ainsi les dégâts causés aux élevages de poulets en plein air. Or, après suivi par télémétrie des mouvements du renard et étude de la connectivité fonctionnelle par analyse génétique pour la martre et la fouine, il a été montré que les haies ne jouent pas le rôle de corridor écologique et ne contribuent pas à la prédation dans les élevages avicoles. Les prédateurs se sont adaptés à l’hétérogénéité du paysage et utilisent indistinctement les différents éléments.

Bien qu’un intérêt particulier soit donné aux zones boisées dans la mise en place des trames vertes d’autres éléments sont importants dans les paysages agricoles. Les prairies permanentes ont un rôle fort pour la biodiversité en particulier pour les populations de papillons qui sont plus riches quand les surfaces de prairies sont importantes. Ces prairies sont aussi sources d’individus qui vont pouvoir coloniser les nouveaux éléments du paysage tels que les bandes enherbées et elles favorisent les flux de gènes des populations. Cependant la connectivité de ces prairies peut avoir un effet néfaste sur l’agriculture. C’est le cas dans le Jura et en Auvergne où les pullulations de campagnols terrestres se propagent en vague d’une extrémité à l’autre d’une région quand les prairies sont connectées. Il faut alors supprimer des éléments de cette connectivité, identifiables par des modèles spatialement explicites de dispersion des individus, basés sur la théorie des graphes, pour limiter la propagation des pullulations.

Ce qu’il faut retenir

L’aménagement des paysages agricoles pour favoriser la biodiversité et le fonctionnement des services écosystémiques ne peut s’appuyer uniquement sur les continuités de la Trame Verte et Bleue. Celle-ci doit aussi prendre en compte la mosaïque des surfaces agricoles exploitées et promouvoir une hétérogénéité choisie en fonction de l’arrangement spatial des assolements, de la taille du parcellaire et des discontinuités entre éléments particuliers.


Pour en savoir plus :

Burel, F. et Baudry, J. 1999. Ecologie du paysage : concepts, méthodes et applications. Lavoisier coll. Tech&Doc.

Leroux, X. (éditeur) 2012. Agriculture et biodiversité, valoriser les synergies. Quae. 178 p.

1 Robinson, R. A. and W. J. Sutherland (2002). “Post war changes in arable farming and biodiversity in Great Britain.” Journal of Applied Ecology 39: 157-176.

2 Billeter, R., et al. (2008). “Indicators for biodiversity in agricultural landscapes: a pan-European study.” Journal of Applied Ecology 45: 141-150.

3 Burel, F., et al. (2013). The structure and dynamics of agricultural landscapes as drivers of biodiversity. Landscape Ecology for Sustainable Environment and Culture. B. J. Fu, Elsevier: 285 – 308.

4 Fahrig, L., et al. (2015). “Farmlands with smaller crop fields have higher within-field biodiversity.” Agriculture, Ecosystems & Environment 200: 219-234.

5 Betbeder, J., et al. (2015). “Assessing ecologica habitat structure from local to landscape scales using synthetic aperture radar.” Ecological indicators 52: 545–557.

5 – Les paysages agricoles peuvent-ils devenir des patrimoines ruraux ?

Fiche 4IntroductionFiche 6

Fiche n° 5

Les paysages agricoles peuvent-ils devenir des patrimoines ruraux ?

Pierre-Marie Tricaud, Académie d’Agriculture de France

La notion culturelle de paysage, qui porte traditionnellement l’idée de conservation, s’est ouverte récemment à celle de transformation. Comment les politiques de paysages, notamment agricoles, peuvent-elles prendre en charge ces deux orientations ?

Les politiques publiques de paysage sont-elles des politiques patrimoniales ?

La notion de paysage est née de la peinture, dans l’Occident du xve siècle comme dans la Chine du IVe siècle. Elle est donc dès l’origine liée à une vision esthétique : l’intérêt porté au paysage est celui du sujet d’un beau tableau, plus tard d’une belle photographie. Et même si le regard, le cadrage, l’interprétation peuvent embellir tout sujet, les paysages pittoresques (c’est-à-dire dignes d’êtres peints) ont très tôt été appréciés pour eux-mêmes et fait l’objet d’une volonté de conservation, donc d’une valeur patrimoniale.

C’est ainsi que les premiers paysages protégés, les séries artistiques de la forêt de Fontainebleau, en 1861, l’ont été à l’initiative de peintres (comme leur nom le laisse entendre). Même les paysages emblématiques des États-Unis (Yellowstone, Yosemite…), pays pionnier dans le mouvement de conservation de la nature et des paysages, ont vu leur protection inspirée par les peintres de l’école de l’Hudson, qui les avaient peints au milieu du xixe siècle, autant que par les naturalistes.

Au début des années 1860, au retour d’un voyage dans l’ouest américain, Albert Bierstadt, le plus connu des peintres de l’école de l’Hudson, peint une série de vues de la vallée de Yosemite, qui deviendra au même moment l’une des premières réserves naturelles et 25 ans plus tard un des premiers parcs nationaux des États-Unis.

Jusqu’aux années 1980, les politiques publiques de paysage sont essentiellement des politiques de protection en vue de leur conservation, en France comme dans le reste du monde. Les principaux jalons en France sont la loi de 1906, qui protège les « monuments naturels », puis celle de 1930, qui établit les sites classés et inscrits, sur le modèle des monuments historiques dans la loi de 1913.

Un sommet dans cette patrimonialisation a été atteint en 1992 avec l’entrée de la catégorie des paysages culturels au patrimoine mondial de l’Unesco, au même titre que les chefs-d’œuvre de l’art, de l’histoire ou de la nature. Certes, des sites qu’on qualifierait aujourd’hui de paysages naturels ou de paysages urbains étaient déjà inscrits sur la liste établie par la Convention du patrimoine mondial de 1972, mais c’était la première fois que le paysage était pris en compte en tant que tel.

À partir des années 1980, un mouvement se développe en France considérant le paysage comme l’objet d’un projet et plus seulement comme un bien à conserver. Cette « école française du paysage » se démarque non seulement des politiques essentiellement de préservation menées jusque-là en France, mais aussi du landscape planning anglo-saxon, où même de la planification qui vise principalement la conservation.

Ce mouvement se traduira notamment par l’émergence de politiques publiques du paysage visant, au-delà de la protection des paysages déjà de qualité, à introduire une qualité paysagère dans la gestion des espaces plus ordinaires et dans les nouveaux aménagements, même ceux qui n’ont pas une finalité d’embellissement (infrastructures, agriculture, urbanisation…). Des années 1980 aux années 2010, ces politiques ont été menées au niveau national au sein des ministères en charge de l’environnement et/ou de l’équipement, notamment par la Mission du Paysage, créée en 1979 et devenue bureau des Paysages en 1997. Elles l’ont aussi été par les collectivités locales et territoriales, soit en partenariat avec l’État (notamment avec les Plans et les Chartes de paysage, les Atlas de paysage, les Observatoires photographiques de paysage) soit dans le cadre de leurs politiques visant à développer leur attractivité (notamment de nombreuses villes qui ont fait du projet de paysage sur l’espace public le préalable au projet urbain et le levier d’une nouvelle image).

Dans le même sens, au niveau européen, la Convention européenne du paysage, signée à Florence en 2000, fait la synthèse de la vision anglaise tournée vers la conservation et de la vision française privilégiant le projet. La Convention vise ainsi à « promouvoir la protection, la gestion et l’aménagement des paysages » (art. 3).

Quels rôles des conservateurs et des créateurs de paysage ?

Malgré ces évolutions, il subsiste un clivage entre les tenants de la conservation et ceux de la transformation des paysages, entre associations de protection (de la nature, du patrimoine) et acteurs de la maîtrise d’œuvre et de la maîtrise d’ouvrage. Les uns comme les autres s’accordent à considérer que respecter un paysage consiste à le figer, et que cela ne concerne que certains paysages labellisés comme remarquables, tandis que tout est permis partout ailleurs.

La Convention européenne du paysage a cependant marqué un progrès dans le dépassement de cette opposition ; elle entend en effet s’appliquer, et rechercher des « objectifs de qualité paysagère », « dans les territoires dégradés comme dans ceux de grande qualité, dans les espaces remarquables comme dans ceux du quotidien » (préambule et article 2). Ces paysages du quotidien, encore appelés paysages ordinaires, ont fait l’objet d’un intérêt croissant dans les recherches, les publications et les politiques depuis une quinzaine d’années.

On peut aller plus loin, en considérant que tout paysage porte, dans des mesures variées, des valeurs patrimoniales en même temps que des caractères qui peuvent être modifiés ; que dans chaque paysage, un projet peut faire vivre les valeurs patrimoniales et s’appuyer sur elles pour faire une œuvre de création qui sera le patrimoine de demain.

Les professionnels du paysage (paysagistes concepteurs, ingénieurs paysagistes notamment) peuvent avoir la volonté et les compétences d’être à la fois conservateurs et créateurs, y compris dans la même personne, comme dans la demande sociale. Les mêmes citoyens, les mêmes élus sont porteurs de demandes contradictoires. D’un côté, ils veulent d’une façon générale un cadre de vie agréable. De l’ autre, dans chaque décision élémentaire qui affecte ce cadre de vie, la qualité de celui-ci s’efface devant de nombreuses autres considérations – d’ordre pratique essentiellement (équipement, infrastructure, urbanisation, pratiques agricoles…), mais aussi d’ordre symbolique. L’émergence de nouveaux paysages est ainsi prise en charge par les promoteurs d’éoliennes, de déviations routières, de centres commerciaux ou de lotissements pavillonnaires. Dans ce contexte, les paysagistes jouent souvent le rôle de médiateur des décisions publiques et privées.

Les paysages agricoles peuvent-ils devenir des patrimoines ?

Les paysages patrimonialisés sont presque tous appréciés comme de beaux paysages, et pourtant seule une minorité d’entre eux a été conçue avec une visée esthétique : les parcs et les jardins. Tous les autres sont le résultat soit de processus spontanés (les paysages naturels) soit de la réponse à des nécessités matérielles (les paysages agricoles, urbains, industriels).

La Convention du patrimoine mondial, signée sous l’égide de l’Unesco en 1972, a reconnu des sites façonnés par l’agriculture comme des « paysages culturels. » Certains montrent des formes particulièrement spectaculaires de mise en valeur du territoire : terrasses rizicoles d’Asie (Philippines, Chine), terrasses viticoles ou de polyculture méditerranéennes (Cinqueterre en Italie) ou alpines (Lavaux en Suisse), polders des Pays-Bas, oasis… D’autres témoignent d’une activité de grande importance culturelle, comme la transhumance et l’élevage extensif (Causses et Cévennes) ou la production de vins d’exception (Porto, Tokaj, Bordeaux, Champagne, Bourgogne). Et dans beaucoup de paysages agricoles, plusieurs de ces valeurs se combinent : les paysages viticoles, notamment, produisent à la fois des vins de grande qualité, témoins d’une histoire riche, et des paysages spectaculaires : parfois des terrasses, toujours un parcellaire soigné, souvent des caves monumentales.

La vallée du Haut Douro, au Portugal, inscrite sur la liste du patrimoine mondial en 2001, est à la fois le terroir qui produit les vins de Porto et un paysage de terrasses exceptionnel (photo P.-M. Tricaud).

S’agissant de paysages évolutifs (c’est l’appellation sous laquelle ils sont inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO), leur conservation pose des défis particuliers : puisque leur appréciation, même esthétique, se fonde sur la reconnaissance de leur histoire et des activités qui les ont façonnés, si ces activités évoluent ou disparaissent, entraînant l’altération des formes qu’elles ont créées, faut-il encore conserver ces formes ? Ne risque-t-on pas de faire un faux paysage, comme un bâtiment reconstruit qui se fait passer pour l’original ?

Cette question de l’authenticité se pose avec acuité pour les paysages, et surtout pour les paysages agricoles. La plupart des paysages agraires ne peuvent être entretenus que par les activités qui les soutiennent. Quand ces activités disparaissent, la déprise qui suit transforme ces paysages en friche. Quand elles changent, sous l’effet de la mécanisation notamment, les paysages produits sont irrémédiablement changés.

Certaines politiques publiques ont fait le choix de conserver des paysages qui n’étaient plus portés par une nécessité économique mais qui avaient une forte signification pour la population, par exemple en Suisse et en Autriche, qui subventionnent l’élevage de montagne pour entretenir les alpages. D’autres privilégient une approche par le produit, pour que le paysage continue d’être porté par une activité productive, comme en France, où dans les mêmes alpages, l’exploitation des pâturages d’altitude est encouragée par le cahier des charges des appellations d’origine des fromages.

Si l’on veut que le paysage continue d’être porté par une activité productive, il faut accepter certaines modifications du paysage à la mesure des changements économiques et techniques. Si des terrasses de culture, des caves vinicoles historiques, des parcellaires bocagers, des marais cultivés ne sont pas adaptés à une exploitation plus rentable, moins pénible, plus conforme aux demandes d’aujourd’hui, le risque est qu’ils soient abandonnés, éventuellement conservés comme des musées, et l’activité productive déplacée.

Ce qu’il faut retenir

Il n’y a pas de recette universelle pour la conservation des paysages agricoles patrimoniaux. On peut les conserver. Mais l’équilibre entre ce qui est à conserver et ce qui est à transformer est à rechercher dans chaque lieu, chaque région, chaque terroir, en fonction des spécificités locales et de l’articulation entre les projets publics et privés.


Pour en savoir plus

Conseil de l’Europe, Convention européenne du paysage, Florence, 2000 (texte).
URL : https://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list/-/conventions/treaty/176

Conseil de l’Europe, Convention européenne du paysage (actualités).
URL : https://www.coe.int/fr/web/landscape

Corinne Legenne et Pierre-Marie Tricaud (dir.), Le Paysage, du projet à la réalité. Les Cahiers de l’IAU Île-de-France, no 159, 2011. Consultable sur le site de l’IAU.

Anne Sgard, « Le paysage dans l’action publique : du patrimoine au bien commun », Développement durable et territoires [En ligne], Vol. 1, no 2, septembre 2010, mis en ligne le 23 septembre 2010, consulté le 5 avril 2018.

Unesco, Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, Paris, 1972 (texte).

Unesco, Paysages culturels.

4 – Comment faire avec la conflictualité paysagère ?

Fiche 3IntroductionFiche 5

Fiche n° 4

Comment faire avec la conflictualité paysagère ?

Hervé Davodeau,

Maître de conférences, Agrocampus Ouest, Angers

La notion de paysage n’est pas réductible à un sens écologique ou esthétique. Elle joue des rôles variables dans les conflits sociaux qui mettent en jeu le milieu de vie des habitants, notamment quand leur participation est requise.

La multiplication des conflits d’aménagement ne s’explique pas seulement par le jeu d’acteurs local, mais par des ressorts plus profonds : perte de légitimité et de puissance de l’Etat, transferts de compétences vers les collectivités décentralisées, reconnaissance progressive de la démocratie participative, savoirs experts discutés par une population de plus en plus éduquée, exigeante des qualités de son cadre de vie. Cette conflictualité n’est pas nécessairement négative pour les territoires, elle contribue aussi à les construire1.

Le cadre législatif en faveur du cadre de vie (loi Paysage de 1993 en France, Convention Européenne du Paysage –CEP– en 2000) offre potentiellement un terrain d’expression favorable aux controverses, car le paysage « partie de territoire telle que perçue par les populations » (CEP) peut être mobilisé comme argument pour ou contre les projets. En examinant les contenus de trois cas d’étude2, nous essaierons de penser le statut du paysage dans les conflits d’aménagement.

 

Trois exemples

Les Basses Vallées Angevines (image de gauche) sont une vaste étendue de prairies inondables en amont d’Angers. Dans les années 80, ce territoire est l’objet d’une déprise agricole entrainant une progression de la friche et le développement des peupleraies : cette évolution contestée par certains groupes d’acteurs est l’objet de la controverse. La tentative avortée de réserve naturelle portée par les naturalistes déclenche une vive polémique entre éleveurs, populiculteurs, chasseurs, associations de protection de la nature, propriétaires, professionnels du tourisme, élus, … La résolution du conflit au début des années 90 passe par la mise en œuvre d’une réglementation des boisements et d’une Opération Groupée d’Aménagement Foncier Environnement dont la finalité est de conserver l’élevage extensif, la biodiversité et les paysages de prairies qui lui sont associés. Depuis, ce territoire est l’objet de diverses actions cherchant à concilier production agricole, gestion de l’environnement et préservation du paysage.

Dans le Finistère, entre la pointe de Mousterlin et le Cap Coz (image centrale) se joue une controverse dont l’origine remonte à la création du sentier des douaniers (1791), à son intégration au domaine public maritime (1858), puis à l’application d’une servitude de passage des piétons (1976). Dans ce cadre législatif national, le conseil municipal de Fouesnant acte dès les années 70 la décision d’un sentier littoral, avec l’appui de l’association de sauvegarde du pays fouesnantais. Mais cette décision est contestée durant trois décennies par certains propriétaires de grands domaines côtiers qui attaquent en justice les délibérations du conseil municipal, les résultats des enquêtes publiques, et les arrêtés préfectoraux défavorables. Le rapport de force s’inverse contre les propriétaires jaloux de leur tranquillité suite à la médiatisation du conflit en 2010 ; la pression citoyenne sur les recours en justice conduit à un arrêté préfectoral d’approbation du sentier en 2011, puis à la réalisation des travaux en 2013. Cependant aujourd’hui la nature de l’ouvrage est critiquée et le conflit est régulièrement réactivé.

À l’ouest d’Angers, le Ministre de la Reconstruction décide en 1950 d’expérimenter dans le quartier de Belle-Beille (image de droite) une démarche de construction de logements collectifs (500) qui préfigurera la procédure administrative d’urbanisme opérationnel des Zones d’Urbanisation Prioritaire. Plus d’un demi-siècle plus tard, les indicateurs sociaux du quartier reflètent une paupérisation très marquée justifiant le soutien de l’Etat à travers une opération de renouvellement urbain (2016-2027). Le slogan « rénovation verte du grand Belle-Beille » traduit une volonté de changement d’image par une stratégie de verdissement et un recadrage du périmètre intégrant le pôle universitaire. L’objectif est de le requalifier en un éco-quartier mieux desservi avec l’arrivée du tramway en 2022. La controverse éclate en avril 2017 lors d’une réunion publique demandée à l’initiative des riverains, face à la volonté de la municipalitéde construire plusieurs logements (objectif de densité urbaine et de mixité sociale) sur leurs terrains de sport.

Quelle est la place du paysage dans chacune de ces controverses ?

Dans les vallées angevines, l’analyse du conflit3 conduit à relativiser le poids de l’argumentaire strictement paysager face aux autres registres, en particulier économique (les peupliers nuisent à l’essor des usages récréatifs) ou écologique (ils menacent l’équilibre des milieux). Si l’argument esthétique est mobilisé pour dénoncer l’aspect géométrique des peupleraies, le mitage des paysages traditionnellement ouverts, l’obstruction de certaines vues, l’atteinte à « l’identité des lieux » etc., il souffre cependant d’être relatif à un point de vue et facilement retourné (des photographes amateurs ou l’écrivain Julien Gracq sont utilisés pour construire des représentations positives de ces paysages). La controverse « paysagère » tend donc à s’effacer derrière la question environnementale, dont les arguments sont plus objectivables quoique toujours très discutables (les peupliers ne sont-ils pas des pièges à carbone, ne permettent-ils pas de produire des cagettes en bois ?). Au-delà de la controverse argumentative, le conflit exprime la logique d’appropriation citadine des vallées autour d’Angers4 : tout autant qu’inondables ou agricoles, ces terres sont désormais périurbaines, et même urbaines pour l’île Saint-Aubin, véritable parc agricole situé dans les limites communales de la ville. Cette appropriation les soumet aux nouveaux usages récréatifs et nouvelles représentations paysagères qui produisent le conflit.

Dans le cas du sentier littoral à Fouesnant, l’enjeu est l’accessibilité physique et visuelle au littoral. Ici le paysage est revendiqué comme un droit confisqué aux usagers par les propriétaires. L’analyse du jeu d’acteurs local permet de prendre la mesure des contingences locales de l’application du droit sous l’effet du lobbying de propriétaires très influents (capital économique). Le droit « au » paysage revendiqué en application de la loi consiste donc à défendre un droit « du » paysage limitant le droit de propriété. Au-delà du contexte local, cette opposition entre l’intérêt général et le droit de propriété est le fondement de l’institutionnalisation du paysage dans les politiques publiques5 et il est au centre de la plupart des controverses paysagères6.

La mobilisation contre les constructions sur les terrains de sport du quartier de Belle-Beille ne s’appuie pas sur un argumentaire à propos du paysage, mais sur la diversité des pratiques informelles non prises en compte dans le projet : apprentissage du vélo par les enfants, barbecue entre voisins, cohabitation entre habitants et étudiants, etc. Les logements envisagés ne sont pas dénoncés en anticipant le paysage projeté, mais au regard des usages actuels menacés. Le paysage n’est donc ici ni le sujet dont on s’empare pour lutter contre un projet, ni le projet auquel on s’oppose, mais le cadre spatial dans lequel prennent place les usages quotidiens. Si la contestation d’abord assurée par les riverains immédiats (dans une logique Nimby) aurait pu les conduire à préserver pour leur tranquillité les terrains tels qu’ils sont, l’élargissement de la contestation aux habitants du quartier les conduit à défendre leurs usages indépendamment de la préservation des lieux en l’état : le dépassement de la logique Nimby est une condition essentielle pour échapper aux accusations de mobilisation en faveur d’intérêts particuliers7.

Conclusion

Pour dépasser ces conflits, une meilleure participation du public semble une réponse adaptée. De nombreuses expériences démontrent qu’il est possible de s’entendre sur un programme sur la base d’un diagnostic partagé, permettant d’impliquer le public dans le travail de (co)-conception, voire de réalisations (chantiers participatifs). Dans ces démarches, le statut du paysage est divers, allant du paysage-objet à aménager au paysage-outil pour aménager8. La « médiation paysagère » désigne alors les démarches participatives d’aménagement qui utilisent le paysage comme moyen pour faire participer le public à l’aménagement de leur cadre de vie.

Les controverses paysagères et environnementales étaient à l’origine de la mise à l’agenda politique du paysage à la fin du XIXème siècle. Elles sont aujourd’hui induites par cette institutionnalisation : de causes, elles deviennent conséquences, suite à la reconnaissance du paysage en tant qu’enjeu d’aménagement. Si l’intégration paysagère peut encore être pensée comme une solution pour résoudre un conflit d’aménagement autour d’une infrastructure, la participation est désormais la réponse la plus convaincante, en particulier pour résoudre les controverses centrées sur les paysages. Encore expérimentales mais pouvant être testées et évaluées dans le cadre de programme de recherche-action, les démarches participatives proposent une alternative aux processus d’aménagement trop descendants, et donc potentiellement conflictuels. Elles sont malheureusement souvent discréditées par les modalités de la participation institutionnelle offerte aux habitants, et productrices elles-mêmes de tensions. Dans ces démarches remontantes, la valeur patrimoniale du paysage tend à s’effacer au profit de valeurs d’usages : ici l’enjeu n’est plus de protéger le paysage-objet (en l’état) que le paysage-relation (conserver l’usage plutôt que la forme). Ainsi, dans les années à venir, des controverses d’aménagement s’appuieront sur le paysage de façon différente, plus en lien avec la notion de « commun »9.

Ce qu’il faut retenir

Selon les cas, la notion de paysage disparait au profit des enjeux environnementaux, ou bien cristallise la remise en cause du droit de propriété foncière ou un projet municipal urbain de logements. C’est pourquoi son statut varie de paysage-objet à aménager à paysage-outil pour aménager. D’une manière plus générale, dans les démarches participatives, les valeurs d’usage s’imposent souvent aux dépens des valeurs patrimoniales. Ce dont il faudra tenir compte dans les décisions d’arbitrage.


Pour en savoir plus

DAVODEAU H., 2008, « Des conflits révélateurs de la territorialisation du projet de paysage : exemples ligériens », Territoires de conflits, analyses des mutations de l’occupation de l’espace, (dir. KIRAT, TORRE), L’Harmattan, pp 49-61/322.

MELE P. (dir), 2003, Conflits et territoires, Presses universitaires François Rabelais, 2003, collection « Villes et territoires », 224 p.

MONTEMBAULT D., TOUBLANC M., DAVODEAU H., GEISLER E., LECONTE L., ROMAIN F., LUGINBUHL A., GUTTINGER P., 2015, « Participation et renouvellement des pratiques paysagistes, Biodiversité, paysage et cadre de vie ». La démocratie en pratique (dir. Y. Luginbühl), Victoire Edition, pp.171-187/287.

SGARD A., 2010, « Le paysage dans l’action publique : du patrimoine au bien commun », Développement durable et territoires [En ligne], Vol. 1, n° 2.

Trom D., 1999, « De la réfutation de l’effet NIMBY considérée comme une pratique militante. Notes pour une approche pragmatique de l’activité revendicative ». In: Revue française de sciences politique,s 49ᵉ année, n°1, 1999. pp. 31-50


Notes

1 P. Melé, 2003.

2 Cas d’étude travaillés par l’auteur et ses étudiants à travers la pratique jeu de rôle : DAVODEAU H., TOUBLANC M., 2019 (à paraître), « La pratique pédagogique du jeu de rôle auprès des étudiants en paysage », Actes du colloque Didactique du paysage, Université de Genève, Métis Press.

3 LE FLOCH S., 1993, « La prairie, l’oiseau et le peuplier. Réalités et représentations du peuplier à travers l’analyse du conflit dans les basses vallées angevines », mémoire de DEA, École d’architecture de Paris-La Villette.

4 MONTEMBAULT D., 2002, « Les vallées face à l’appropriation urbaine. Des mutations de l’occupation du sol dans les grandes vallées proches d’Angers aux nouveaux paysages », Thèse de Doctorat, Université d’Angers.

5 « L’histoire des lois françaises sur les sites et les paysages est d’abord l’histoire de la remise en cause progressive des droits sacrés de la propriété » (BARRAQUE B., 1985, Le paysage et l’administration, 219 p.)

6 H. Davodeau, 2008.

7 D. Trom, 1999.

8 D. Montembault et al., 2015.

9 A. Sgard, 2010.

3 – Le paysage : un outil majeur de la démocratie ?

Fiche 2IntroductionFiche 4

Fiche n° 3

Le paysage : un outil majeur de la démocratie ?

Yves Luginbühl

Directeur de recherche émérite au CNRS, UMR LADYSS, Paris.

Le paysage est un produit perceptible des activités humaines. Dans quelles conditions cette production peut-elle entrer dans un débat démocratique ? Les valeurs de la démocratie peuvent-elles ou doivent-elles inspirer les parties prenantes de cette production ? De quelles façons ?

Une idée ancienne, mais oubliée

La relation entre paysage et démocratie pourrait paraître anachronique à priori. Pourtant, elle est au cœur du message que le peintre Ambrogio Lorenzetti a tenté de faire passer dans sa célèbre fresque « Les effets des bon et mauvais gouvernements » située dans le Palais ducal de Sienne, peinte en 1338. Cette allégorie représente les paysages urbain et rural de Sienne et ses environs gérés d’une part par un gouvernement censé être « bon » et d’autre part par un « mauvais gouvernement » (Fig. 1).

Le message est suffisamment clair et expressif : le bon gouvernement est celui qui gère le paysage dans la paix et la justice. A côté de chaque personnage, le peintre a écrit en lettres d’or leurs statuts et leurs vertus : justice, paix, tempérance, fortune, etc. La scène représente une scène de tribunal pendant laquelle sont jugés des accusés entravés par des cordes ; ils ont commis la faute de pillage du territoire communal de Sienne.

Le mauvais gouvernement est l’inverse du bon : le personnage principal symbolise le mal sous la figure du diable, la justice est ligotée par les liens, et d’autres personnages apparaissent avec leur statut et leurs vices comme l’avarice, l’orgueil, la tyrannie. Les paysages du mauvais gouvernement évoquent d’une part la campagne pillée et les villages incendiés par des soudards, d’autre part la ville comme lieu du crime et des dégradations.

Fig. 1 Fresque d’Ambrogio Lorenzetti, 1338, « Les effets du bon gouvernement »,
Salle de la Pace, Palais ducal de Sienne. Ville et campagne (les deux fresques sont jointives).

Cette fresque est l’expression d’une gouvernance du paysage qui pourrait être assimilée à une gouvernance démocratique, mais qui, dans le contexte de l’époque, n’avait rien à voir avec ce que l’on entend par démocratie aujourd’hui.

La gouvernance paysagère est définie aujourd’hui comme une forme de gouvernance territoriale. Elle concerne la prise en charge et la régulation collective de la production des biens publics et privés « tels qu’ils sont perçus par les populations », si l’on a recours à la définition de la Convention européenne du paysage de Florence (2000). Quelle est l’origine historique de cette pratique ? Comment est-elle mise en œuvre en Europe aujourd’hui ?

L’évolution des régimes de gouvernance et le paysage en Europe

Il existe de nombreux exemples historiques en Europe de relation entre le paysage et la gouvernance politique qui peut s’apparenter à la démocratie. L’un des premiers connus est celui des terpènes de la mer du Nord, qui apparaissent avant l’an mille et qui constituent des cas uniques en Europe de situation politique singulière1. Les terpènes sont des buttes de terre élevées dans les marais maritimes par les paysans des Frises hollandaise, allemande et danoise pour échapper aux grandes marées ; ils échappent aussi au contrôle politique coercitif des seigneurs installés sur la terre ferme et gèrent selon le droit coutumier de petits territoires.

 

 

Fig. 2 Terpènes de la Frise hollandaise au Xe siècle, reconstitution.

Quatre siècles après, le mot paysage apparaît en 1462 dans la langue flamande sous le terme « Lantscap » qui, confronté au mot allemand Landschaft revient à l’association de deux termes, Land et Schaft, c’est-à-dire pays et communauté, forme de gestion territoriale assurée par la société locale. C’est le moment de la création des polders. Les Pays-Bas, territoire exigu est alors constitué de nombreux marais maritimes que le gouvernement de l’époque va coloniser pour former des espaces agricoles dédiés à la production de fourrage ; cette économie, soutenue par une activité de commerce maritime intense, connaît alors un développement important qui permet au pays de produire du lait, du fromage et de la viande à un moment où les protéines étaient très déficientes dans l’alimentation humaine (Fig. 3).

Fig. 3 Polder à Enkhuizen, peinture de 1606 située dans l’hôtel de ville de la cité flamande. Stadthuis Collectif Enkhuisen.

Il faudra attendre le XVIIIe siècle pour voir l’avènement des deux premières démocraties du monde : les Etats-Unis tout d’abord puis la France lors de la Révolution de 1789. Mais il est difficile de dire qu’à cette époque, la qualité des paysages constituait une préoccupation première pour les pouvoirs politiques. Même si quelques personnalités s’y intéressaient du point de vue de l’intérêt public, comme François de Neufchâteau. Ce ministre des Arts, de l’Agriculture et de l’Intérieur sous la Révolution française engagea un vaste programme de plantation d’arbres2 pour produire du bois et des fruits alors que les forêts françaises étaient dans un état déplorable, sollicitées par les paysans pour se chauffer ou pour construire des charpentes ou des outils.

Le moment où la question de la relation entre paysage et démocratie a été vraiment posée date des années 1980, lorsque le Conseil de l’Europe engagea les travaux d’élaboration de la Convention Européenne du Paysage, en 1987. Cette Convention, réalisée par le Congrès des Pouvoirs locaux du Conseil de l’Europe, a été inscrite dans le cadre des droits de l’homme et de la démocratie. C’est en 2000 que le texte a été adopté par 18 Etats membres du Conseil de l’Europe, dont la France. Aujourd’hui, il est ratifié par 38 Etats membres, le seul grand Etat à ne l’avoir ni signé, ni ratifié est l’Allemagne en raison de sa structure fédérale et du sens que le terme Landschaft, plus proche de la conception écologique du paysage que dans de nombreux autres pays.

Émergence d’une démocratie européenne par le paysage.

C’est en tout cas grâce à la Convention Européenne du Paysage et à des expériences novatrices antérieures que la relation entre paysage et démocratie s’est développée et a été mise en œuvre progressivement. Dans son préambule, la Convention Européenne du Paysage stipule :

« Considérant que le but du Conseil de l’Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres, afin de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes qui sont leur patrimoine commun, et que ce but est poursuivi en particulier par la conclusion d’accords dans les domaines économique et social. »

Les idéaux dont il est question sont bien les droits de l’homme et la démocratie ; les premières expériences de démocratie locale et participative eurent lieu un peu partout en Europe ; en France, c’est la Caisse des Dépôts et Consignations qui s’engagea dans ce processus avec un service dénommé « Mairie Conseils » ; celui-ci expérimenta en 1993 une opération d’aménagement paysager dans le département de la Vienne à Sainte-Hermine où Mairie Conseils et ses spécialistes, réunirent la population, les élus et des agents administratifs pour débattre collectivement de l’aménagement du paysage de la commune.

Une autre expérience s’est déroulée dans la vallée de la Dordogne la même année. Après une enquête réalisée auprès des 289 communes de la vallée, une lecture collective du paysage fut organisée avec certains maires, les agents des administrations concernées et des habitants. Puis des ateliers permirent de valider les cartes réalisées et d’engager un débat entre les participants pour examiner les problèmes de paysage qui se posaient comme l’urbanisation des coteaux de la vallée, le remplacement des plantations de noyers par des cultures de maïs, l’augmentation de la fréquentation touristique, etc.

Outre que la prolifération des pavillons sur les pentes de la vallée constituait un problème en elle-même, elle entraînait des surcoûts pour le budget municipal. Lors d’un atelier final, les participants ont proposé des mesures susceptibles d’améliorer la situation, comme par exemple la rénovation de maisons dégradées dans les centres-bourgs, qui ont permis l’installation de jeunes couples, favorable au maintien de l’école communale. Ou bien, après une contamination bactérienne de l’eau, de mieux contrôler l’écoulement des eaux de surface et d’irrigation et de réaliser un projet de station d’épuration.

Faire participer le public

La grande nouveauté dans la gouvernance paysagère contemporaine vient des projets participatifs. L’idée de participation du public est venue des Etats-Unis et du philosophe pragmatiste John Dewey qui inaugura les dispositifs participatifs dans l’éducation. Importés en Europe, ces dispositifs ont donné lieu à la Convention d’Aarhus, adoptée en 1998 par le Conseil de l’Europe. Mais auparavant, le principe 10 de l’article 2 de la Convention sur la diversité biologique signée à Rio de Janeiro lors du Sommet de la Terre de 1992 stipulait que « La meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, en mettant les informations à la disposition de celuici ». La Convention d’Aarhus a aujourd’hui pour objectif, entre autres, de favoriser la participation du public à la prise des décisions ayant des incidences sur l’environnement (par exemple, sous la forme d’enquêtes publiques). Elle est mentionnée dans le préambule de la Convention Européenne du Paysage.

L’idée de paysage constitue donc un concept transversal pouvant contribuer à engager des projets participatifs parce qu’ils permettent d’englober tous les domaines de l’économie locale et leurs conséquences sur la qualité de vie. Aujourd’hui, dans pratiquement tous les pays européens, des opérations participatives d’aménagement des paysages ont été engagées.

Cependant, rien ne permet d’affirmer que les projets de paysage participatifs sont la panacée. Tout dépend de l’animateur, des équipes mobilisées, des connaissances et données utilisées, du débat organisé avec les habitants, de l’origine de l’initiative et de l’échelle du territoire sur lequel l’expérience est conduite. Si ces opérations constituent un espoir pour la démocratie, il reste qu’elles sont possibles à l’échelle locale, alors que les plus importantes décisions pour l’avenir des paysages sont à l’échelle internationale, avec les négociations concernant le changement climatique, l’organisation mondiale du commerce, les marchés des productions agricoles qui fixent les prix des denrées alimentaires et qui ne peuvent se décider à l’échelle locale.

La qualité des paysages est l’enjeu des interactions entre le niveau local et les niveaux nationaux et internationaux, avec, pour ce qui concerne l’Europe, le rôle de la Commission Européenne. C’est donc l’enjeu de l’avenir de la démocratie.

La gouvernance implique la responsabilité de tous les acteurs concernés et une éthique qui les oblige à des droits et des devoirs à l’égard du cadre de vie commun et de son avenir pour les générations futures.

Ce qu’il faut retenir

Le paysage est un concept transversal dont l’usage peut contribuer à engager des projets territoriaux participatifs et donc démocratiques. Ces derniers permettent d’englober tous les domaines de l’économie locale et leurs conséquences sur la qualité du milieu de vie des habitants.


Pour en savoir plus

Berque Augustin, 2000, Médiance, De milieux en paysages, Belin, Paris.

Conseil de l’Europe, Dimensions paysagères, Strasbourg, 2017.

Luginbühl Yves, Toublanc Monique, 2007, « Des talus arborés aux haies bocagères : des dynamiques de pensée du paysage inspiratrices de politiques publiques », in Luginbühl Yves, Berlan-Darque (M.), Terrasson (D.), Paysages, de la connaissance à l’action, ouvrage collectif publié aux éditions QUAE, pages 163-177.

Luginbühl Yves, 2014, La mise en scène du monde, Construction du paysage européen, Editions CNRS, Prix Edouard Bonnefous 2015 de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, 430 pages.


Notes

1 LEBECQ Stéphane, 1980, « De la protohistoire au Haut Moyen Âge : le paysage des « Terpènes », le long des côtes de la mer du nord, spécialement dans l’ancienne Frise », In Le paysage, réalités et représentations, X° colloque des Historiens médiévistes, Revue du Nord, Lille 1979, pages 125-148.

2 François de Neufchâteau, Culture des Arbres, 1er, « Les administrateurs du département de Gironde à leurs concitoyens. Avis du ministre de l’Intérieur aux administrations centrales des départements et aux commissaires de directoire exécutif près ces administrations », 25 vendémiaire an VII, Archives Nationales, série F.

Pourquoi et comment gouverner les paysages ?

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Pourquoi et comment gouverner les paysages ?

Yves Luginbühl, Directeur de recherche émérite au CNRS

 

La gouvernance paysagère est une forme de gouvernance territoriale. Elle concerne la prise en charge et la régulation collective de la production des biens publics et privés « tels qu’ils sont perçus par les populations », si l’on a recours à la définition de la Convention européenne du paysage de Florence (2000). Quelle est l’origine historique de cette pratique ? Comment est-elle mise en œuvre en Europe aujourd’hui ?

 

Les premières formes de gouvernance paysagère

La gouvernance des paysages n’est pas nouvelle et l’on pourrait dire que les civilisations antiques gouvernaient les paysages lorsqu’elles engageaient le drainage des marais Pontins ou du Guadalquivir, lorsqu’elles construisaient l’aqueduc du Gard ou qu’elles établissaient les cadastres romains dans le Languedoc ou la plaine du Rhône1, ou encore quand elles édifiaient des cités avec leur forum, leurs temples et leurs palais, comme à Nîmes ou bien sûr à Pompéi. Et même avant les Romains et les Grecs, les sociétés néolithiques contribuaient à la construction de paysages lorsqu’elles construisaient des villages lacustres, cultivaient en défrichant ou délimitaient les pâturages par des enclos. Mais le terme paysage n’existant pas encore, en avaient-ils conscience ? Certains spécialistes du paysage, comme le géographe Augustin Berque2, ont affirmé que le sentiment paysager n’existait pas tant que le mot n’avait pas été pensé et prononcé. Ce principe de l’énonciation a été critiqué, notamment par l’historien Michel Baridon3, parce que le sentiment peut exister même en l’absence du terme paysage : si ce mot signifie une sensibilité à l’égard de la nature et du spectacle qu’elle offre aux yeux, que penser de la vue depuis le théâtre gréco-romain de Taormina en Sicile donnant un spectacle impressionnant sur la mer et le cône volcanique fumant de l’Etna ?

Quoiqu’il en soit, les paysages ont toujours été organisés pour la survie des communautés humaines, que ce soit à l’époque néolithique, dans l’Antiquité, au Moyen-Âge et dans les périodes postérieures. C’est d’ailleurs sans doute à la Renaissance que la conscience paysagère s’est développée avec l’apparition des mots équivalents à « paysage » dans les langues européennes et en particulier aux Pays-Bas4, en Italie, en France ou en Angleterre. L’exemple des enclosures anglaises qui apparaissent dès le XIIIème siècle est symptomatique de cette gouvernance paysagère même en l’absence du terme Landscape qui apparaît en 1598, importé du Danemark (Landskap). Elle traduit une volonté de changer un paysage, celui des commons qui était dédié principalement à la culture céréalière avec des terres collectives réservées aux paysans pauvres, en vue du développement de l’élevage bovin et ovin, destiné à améliorer l’alimentation humaine par l’apport de protéines. Mais l’extension des enclosures se produit surtout plus tard, aux XVIIIème et XIXème siècles, avec l’intervention du Parlement Britannique ; elles s’étendent alors à tout le territoire du Royaume Uni, dans une gouvernance politique libérale prônant la suppression des commons et l’établissement de grands domaines dévolus à l’élevage.

En Italie, le même processus se produit avec l’intervention des grandes familles comme celles des Médicis et des Sforza, qui investissent dans l’agriculture : les premiers en Toscane, en organisant l’élevage ovin transhumant des Pouilles vers les Abruzzes et produisant de la laine et des fromages, le Pecorino, ce qui permit à cette famille illustre de Florence de devenir l’une des plus riches d’Europe. Quant aux Sforza, ils développèrent l’élevage bovin dans la plaine du Pô, en favorisant un système d’irrigation ingénieux, les Marcite, consistant en des parcelles pentues irriguées par ruissellement à partir de canaux alimentés par la nappe phréatique tiède de la plaine.

Dans ce cas également, ce fut un grand changement de paysage et l’occasion pour cette famille de s’enrichir grâce à cet élevage, en contribuant à la production du fromage Parmigiano et du cuir issu des bovins. Cependant, ce qui est le plus intéressant dans cette entreprise italienne, c’est le développement de la peinture de paysage avec les grands maîtres de la Renaissance comme Pietro della Francesca, Fra Angelico, Bellini, etc., qui contribuèrent à la diffusion d’images des paysages italiens. On peut d’ailleurs affirmer qu’ils ont permis une forme de gouvernance paysagère en offrant aux yeux du monde des tableaux de paysages que les familles de l’aristocratie italienne ont construits en établissant des villas somptueuses sur les collines de Toscane avec des jardins qui ont constitué un modèle pour le style français importé par François Ier lors des guerres d’Italie.

 

Les premiers rudiments d’une gouvernance paysagère organisée.

Les premiers signes d’une gouvernance paysagère apparaissent vraiment en France au moment où la monarchie s’engage dans de vastes programmes d’aménagement du territoire, comme les forêts et l’assainissement des marais et des zones incultes. Colbert s’intéresse aux forêts, peu étendues, où la paysannerie prélève du bois ; le domaine forestier royal est instauré par les lois de 1666 et des années suivantes ; Colbert crée des bergeries à Sceaux, et tente d’importer la race Mérinos d’Espagne, mais c’est au XVIIIème siècle seulement que cette race fut importée en France et que Napoléon créa plus de 500 lieux d’élevage sur le territoire national. Affirmer qu’il s’agit d’une gouvernance paysagère est sans doute un peu exagéré, mais il faut reconnaître que le développement de l’élevage ovin contribua à créer de nouveaux paysages, plus verdoyants. L’opération d’aménagement la plus représentative d’une gouvernance paysagère est cependant celle qu’engagea François 1er avec les plantations routières ; elle fut poursuivie par Henri II puis Henri IV et tout le long de l’histoire jusqu’à Napoléon 1er5 et Napoléon III. L’objectif consistait à procurer du bois pour les affuts des canons. C’est surtout Sully, ministre d’Henri IV qui fit planter des arbres le long des routes royales, des ormes tout d’abord, puis d’autres essences destinées par exemple à la production de soie avec les muriers. L’intention paysagère était affirmée, les textes de l’époque en attestent, comme les Lettres missives d’Henri II6.

C’est cependant le banquier anglais John Law (1671-1729), bien connu pour l’opération financière qu’il engagea au début du XVIIIème siècle, qui poursuivit la voie de ces plantations routières. En 1720, peu avant de quitter les responsabilités qui lui avaient été confiées par Louis XV, il crée les pépinières royales dont l’objectif consistait à fournir les plants destinés aux plantations routières. Théoriquement créés pour chaque province, ces établissements devaient remplir également la fonction de formation de spécialistes forestiers et de jardiniers7. Les pépinières royales procuraient aux Intendants du Roi des plants pour garnir les bords des routes du royaume. C’est pourquoi la France a possédé un patrimoine considérable de plantations routières qui fit que l’image paysagère de la France8 est marquée par ces doubles alignements de platanes taillés structurant les campagnes et rappelant la présence de l’État dans le territoire national. Pourtant, ces plantations n’étaient pas du goût de tout le monde : les paysans s’y opposèrent radicalement en arrachant les jeunes plants la nuit parce que les arbres faisaient de l’ombre aux cultures. Pour leur faire accepter, le Conseil Général des Ponts & Chaussées, dans les années 1830 à 1833, fit planter des arbres fruitiers en Lorraine pour en distribuer les fruits à chaque famille qui avait donc le droit, sur une portion de route qui lui était attribuée, de cueillir les fruits et en particulier les mirabelles, mais aussi les poires ou les pommes.

Cette culture singulière des plantations routières a permis d’élaborer un véritable code paysager des routes, avec des platanes le plus souvent dans les campagnes, des tilleuls taillés en marquises pour rappeler les formes urbaines dans les bourgs et villages ou villes, des peupliers élancés au passage d’un pont ou un cercle de tilleuls à un croisement de routes. C’est ce type de paysage que l’on retrouve encore, bien que de nombreuses plantations aient disparu en raison de l’élargissement des routes à cause des voitures et des accidents que les platanes, en particulier, étaient censés provoquer.

À l’étranger, il existe un exemple significatif de projet de paysage en Vénétie, lorsqu’à la demande du Doge, l’ingénieur Cristoforo Sabbadino, au XVIème siècle, engagea un vaste programme d’aménagement du territoire qui avait une dimension paysagère indéniable : ce projet consistait à maîtriser les divagations du Pô qui inondait régulièrement la plaine, à régulariser les débits de ses affluents comme la Brenta par des barrages, à planter de très nombreux arbres dans les terres collectives (beni inculti) afin de fournir du bois aux navires commerciaux et aux galères militaires à la République de Venise ; à étendre la ville sur la lagune9 et renforcer les places-fortes (Corfou) dans la Méditerranée et protéger ainsi les convois de bateaux contre les pirates et les Ottomans avec lesquels la Sérénissime était en guerre. Il s’agissait également de développer l’agriculture dans la plaine du Pô. Ce projet avait aussi pour but d’embellir le pays : « Le seigneur a tout droit d’embellir de vilains pays, d’améliorer ce qui est triste et de rendre cultivable ce qui ne l’est pas »10. On retrouve d’ailleurs ici les mêmes objectifs qu’en Toscane à la Renaissance.

 

H. Mainardo, Carte de la basse plaine du Pô, 1568, Archivio di Stato, Venise

 

Cristoforo Sabbadino, projet d’ensemble pour Venise, 1557, Biblioteca Nazionale, Venise

 

Pour une gouvernance paysagère délibérée

C’est à partir des années 1970 que le paysage émergea comme un nouveau concept de l’aménagement du territoire avec la création du Centre National d’Etude et de Recherche du Paysage (CNERP) par Robert Poujade, ministre chargé de l’Environnement. Cet organisme avait pour mission de former des « paysagistes d’aménagement » et d’innover dans les méthodes du paysagisme en passant de l’échelle du jardin à celle du « grand » territoire. Le recrutement de quinze stagiaires issus de disciplines différentes devait permettre d’assurer la pluridisciplinarité des études de paysage. Fondées le plus souvent sur un même programme, sur un diagnostic paysager, des enjeux et des propositions de mesures destinées à améliorer le paysage (appelées projet de paysage), elles furent à l’origine de la plupart des études postérieures, de plus en plus nombreuses. Après la disparition du CNERP en 1978, l’École Nationale Supérieure de Paysage de Versailles reprit les mêmes méthodes, mais sans avoir recours à une pluridisciplinarité stricte. L’orientation des méthodes utilisées donna plus de place à ce que les paysagistes concepteurs ont appelé le « sensible », c’est-à-dire une approche esthétique fondée sur la qualité des ambiances.

Si les études de paysage se sont multipliées, elles ont évolué et donné lieu à de nouvelles formes d’aménagement paysager comme les plans de paysage en 1993, les atlas de paysage en 1994 et les observatoires photographiques des paysages. Les plans de paysage représentent une forme de gouvernance paysagère basée sur le débat entre le maître d’œuvre, un paysagiste, et la maîtrise d’ouvrage et l’aboutissement à un compromis sous forme de projet de paysage. L’un des premiers plans de paysage dû à Alain Marguerit à Saint-Flour Garabit sur le tracé de l’autoroute A 75 a permis de modifier des aménagements prévus grâce au débat local engagé à cette occasion, et notamment le détournement d’une route d’accès à la ville, le déplacement des zones constructibles et d’une zone artisanale11. Depuis cette date, les plans de paysage se sont multipliés en France, mais on en trouve aussi dans de nombreux pays européens, notamment en Italie (Piani territoriale paesistici) ; aujourd’hui, les plans de paysage sont engagés par les collectivités territoriales avec l’aide financière de l’Etat, en l’occurrence le ministère de la Transition écologique et solidaire dirigé par Nicolas Hulot.

 

Faire participer le public

La grande nouveauté dans la gouvernance paysagère vient des projets participatifs. La participation est venue des Etats-Unis et du philosophe pragmatiste John Dewey qui inaugura les dispositifs participatifs dans l’éducation. Importés en Europe, ces dispositifs ont donné lieu à la Convention d’Aarhus, adoptée en 1998 par le Conseil de l’Europe, mais auparavant, le Principe 10 de l’article 2 de la Convention sur la diversité biologique signée à Rio de Janeiro lors du Sommet de la Terre de 1992 stipule que « La meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, en mettant les informations à la disposition de celui‐ci ». La Convention d’Aarhus a pour objectif notamment de favoriser la participation du public à la prise de décisions ayant des incidences sur l’environnement (par exemple, sous la forme d’enquêtes publiques). Elle est mentionnée dans le préambule de la Convention Européenne du Paysage qui, elle-même, précise que les Etats Parties sont appelés à : c) à mettre en place des procédures de participation du public, des autorités locales et régionales, et des autres acteurs concernés par la conception et la réalisation des politiques du paysage ; (Article 5 – Mesures générales) ; par ailleurs, elle met en place les Objectifs de qualité paysagère : Chaque Partie s’engage à formuler des objectifs de qualité paysagère pour les paysages identifiés et qualifiés, après consultation du public conformément à l’article 5.c. La participation s’est ainsi fortement développée en Europe autour du paysage et de son aménagement12. La participation recouvre en réalité de multiples formes, depuis la consultation, l’information, la négociation, etc. Yves Michelin, géographe, a rédigé une fiche sur la participation dans le cadre du programme de recherche Paysage et développement durable13 où il énumère les formes de participation : 1) Communication à flux unique. Elle vise à obtenir l’adhésion d’un groupe cible ; 2) Information à flux unique. Elle donne du pouvoir dans la mesure où elle renforce la capacité d’agir ; 3) Consultation : pas de partage du pouvoir de décision, aucune garantie sur la prise en compte des avis exprimés ; 4) Dialogue et échange, qui visent à mieux se connaître. Acteurs mis sur un pied d’égalité ; 5) Concertation qui vise la construction collective de visions, d’objectifs, … Il n’y a pas obligatoirement partage du pouvoir de décision ; 6) Négociation qui vise l’obtention d’un accord. Rapports de force.

 

Quels résultats ?

Comme on peut le constater, la participation citoyenne en matière de paysage peut revêtir de nombreuses formes et en particulier ne pas aboutir à un projet concret. Certaines associations ont souvent engagé des dispositifs de participation sans vraiment parvenir à un programme d’aménagement ; l’objectif est de réunir des habitants, dans un quartier, une commune, d’organiser une fête conviviale et sympathique, mais sans les élus et une fois la réunion terminée, tout le monde rentre chez soi et l’opération est sans suite.

Un exemple de dispositif de participation a été organisé en Bretagne autour de la question des haies et du remembrement : des agriculteurs ont rassemblé des habitants pour une manifestation festive sur la question de la qualité de l’eau, qui, on le sait, est un problème important dans cette région. Habitants et agriculteurs, élus, agents de la Chambre d’Agriculture se sont réunis sur les bords d’un petit cours d’eau et, après avoir festoyé, ont longé le cours d’eau en observant, photos aériennes et cartes topographique à l’appui, l’emplacement des haies et ont tenté de retrouver les haies disparues. C’est cette manifestation qui a donné lieu à un programme de replantations de haies pour éviter le ruissellement des eaux superficielles et surtout celui des lisiers répandus dans les champs comme engrais. L’opération a été une réussite qui a marqué les esprits dans la région.

Si quelques opérations réussissent, certains dispositifs échouent parce qu’ils ne sont pas assez pensés à l’avance, les animateurs prennent parti, ou les habitants contestent trop les projets proposés. De nombreuses questions se posent sur ces dispositifs de participation, et notamment leur origine : si ce sont les élus, il y a de grandes chances pour que les habitants se méfient, dans un contexte de défiance à l’égard du monde politique, où les taux d’abstention aux élections n’ont jamais été aussi élevés. L’initiative peut venir d’une association d’habitants, comme cela se fait souvent : il sera alors essentiel que d’autres habitants participent, ainsi que des élus et une équipe de maîtres d’œuvre et de scientifiques. L’animateur doit être neutre et ne pas prendre parti pour une partie des participants ; il peut être le paysagiste de l’équipe ou venir d’un organisme extérieur.

La question des connaissances mobilisées est cruciale : les collectivités locales doivent mettre à la disposition des participants toutes les données sur l’urbanisme, l’agriculture, le tourisme, etc. ; une équipe de scientifiques doit rassembler les connaissances actualisées sur le territoire concerné et notamment les résultats d’éventuels entretiens avec les habitants. Ceux-ci sont vivement conseillés, parce qu’ils informent le groupe sur les représentations sociales des paysages des résidents et des visiteurs, indispensables à connaître pour élaborer le projet. Le moment où les connaissances sont insérées dans le dispositif est également important. Les diverses expériences n’utilisent pas toutes les connaissances au même moment, certaines les mobilisent au tout début, d’autres au milieu du déroulement de l’opération. La solution des parcours de lecture collective du paysage et les ateliers sont aussi des moments d’échange et de discussion importants. Enfin, il existe un rapport sur le paysage et la démocratie réalisé pour le Conseil de l’Europe et qui fait mention de nombreuses expériences de participation dans plusieurs pays européens14.

Il paraît essentiel de rappeler que la gouvernance paysagère n’est pas une politique uniquement dédiée à cet objet, mais que toutes les politiques sectorielles, du logement, de l’urbanisme, de l’agriculture, de l’industrie, de l’éducation ou du tourisme, etc., ont un rôle déterminant dans l’évolution des paysages et qu’il est évidemment indispensable de les prendre en compte. La gouvernance implique la responsabilité de tous les acteurs concernés et une éthique qui les oblige à des droits et des devoirs à l’égard du cadre de vie et de son avenir pour les générations futures.

La gouvernance des paysages est une méthode de construction collective de l’organisation spatiale d’un territoire. Elle fait appel, en France notamment, à des outils juridiques comme les plans de paysage, les chartes de paysage, les atlas de paysage et les observatoires photographiques du paysage. Elle part du principe que les paysages sont des biens collectifs territoriaux à transmettre aux générations futures.

 

Bibliographie :

Conseil de l’Europe, Dimensions paysagères, Strasbourg, 2017.

Luginbühl Y. La mise en scène du monde, Construction européenne du paysage, Paris, CNRS, 2014.

Luginbühl Y., Toublanc M., 2007, « Des talus arborés aux haies bocagères : des dynamiques de pensée du paysage inspiratrices de politiques publiques », in Luginbühl Yves, Berlan-Darque (m.), Terrasson (D.), Paysages, de la connaissance à l’action, ouvrage collectif publié aux Editions QUAE, pages 163-177.

1 Voir à cet égard : Chouquer Gérard, 1996, Les formes des paysages, Tomes 1 à 3, Editions Errance, Paris. Cet archéologue démontre que 60% du cadastre romain de la plaine du Rhône est encore opérationnel aujourd’hui.

2 Berque Augustin, 2000, Médiance, De milieux en paysages, Belin, Paris.

3 Baridon Michel, 2006, Naissance et renaissance du paysage, Actes-Sud, 415 p., environ 50 illustrations.

4 Voir la fiche paysage et démocratie du même auteur.

5 Loi relative aux plantations des grandes routes et chemins vicinaux, loi du 9 Ventôse an XII, signée Napoléon 1er, Archives Nationales, série F.

6 Lettres missives d’Henri II, vers 1550, « sur le faict de planter ormes es voyes et chemins du royaume », Archives Nationales, série F.

7 Voir notamment le Dictionnaire raisonné et universel d’Agriculture de l’Abbé Rozier, chez Deterville, 1809.

8 Une affiche de promotion du tourisme américain en France représente une route bordée de platanes sur laquelle circule à bicyclette un homme, dont la tête est couverte d’un béret, portant sur son porte-bagages une baguette de pain.

9 Il fallait également du bois pour les pieux enfoncés dans la vase de la lagune sur lesquels étaient construits les palais vénitiens.

10 Concina Ennio, 1992, « La Renaissance : Venise, le territoire, le paysage », in Paysage méditerranéen, catalogue de l’exposition sur le paysage méditerranéen, dir. Luginbühl Yves, Electa, Milan, p. 134.

11 Direction de l’Architecture et de l’Urbanisme, 1993, Plans de Paysage, repères. Ministère de l’Equipement, du Logement et des transports, Ministère de l’Environnement, 34 pages, page 23.

12 Voir également la fiche « Paysage et démocratie » du même auteur.

13 Programme de recherche Paysage et développement durable, (PDD1), Yves Michelin, 2009, fiche technique participation, l’auteur cite Beuret et al., 2006 pour les diverses formes de participation.

14 Les rapports et publications sont consultables sur le site https://www.coe.int/fr/web/landscape

2 – Qu’est-ce que le paysage ?

IntroductionFiche 3

Fiche n° 2

Qu’est-ce que le paysage ?

Pierre Donadieu, professeur émérite en sciences du paysage

Pour le sens commun, le paysage est ce qui se voit d’un pays. Il suppose un spectateur, un point de vue (un lieu pour voir), engendre une appréciation (un jugement, une émotion, un sentiment) et permet une connaissance, scientifique ou non.

Un double sens artistique et géographique

Connue dès l’époque romaine, la notion de paysage est réapparue avec force à la fin du XVème siècle dans le langage des peintres aux Pays-Bas, puis en Italie et en France au XVIème siècle. Elle fait référence à deux significations historiquement conjointes : d’une part à un genre de peinture de scènes en général rurales (la peinture de paysage), d’autre part à un territoire sociopolitique identifié par des caractéristiques historiques et géographiques propres. Cette identité est souvent idéalisée par les images de paysage, hier comme aujourd’hui (Fig. 1).

Fig. 1 Pieter Brueghel l’Ancien, La moisson, 1565.

En Europe, le mot est formé à partir de pays (paysage en français, paesaggio en italien …), de land (landchap en flamand, landscape en anglais), ou de kraj (krajina en slovène et en tchèque).

À l’origine, la notion de paysage existe dans d’autres cultures que celles de l’Europe, notamment en Chine où elle est apparue au VIIème siècle après J.-C. Dans les sociétés traditionnelles, totémistes et animistes, la notion implicite de paysage (le mot n’existe pas) fait appel à des relations symboliques à l’espace et à la nature.

Dans les domaines des arts visuels et de la littérature, le paysage prend un sens culturel, notamment esthétique et poétique, mais aussi vernaculaire : comme le montrent les scènes valorisées par les pratiques touristiques ou artistiques (Land art par exemple). Dans celui des sciences, son sens varie avec les disciplines qui en font usage.

Le paysage des géographes et des écologues

Depuis le début du XIXème siècle jusqu’aux années 1950, la géographie physique et humaine a considéré le paysage comme un objet majeur de connaissance scientifique. Avec la notion de genre de vie, variable avec les régions, Paul Vidal de la Blache (1845-1918) a fait du paysage une production des sociétés confrontées aux ressources et contraintes locales de la nature. Tombé en disgrâce après la seconde guerre mondiale, le paysage sera réhabilité dans les années 1970 par le géographe Georges Bertrand en associant son sens esthétique et symbolique aux notions naturaliste et politique de géosystème et de territoire. On dénombre aujourd’hui environ 2 000 types de paysages en France (Fig. 2).

Fig.2 Carte synthétique des paysages en France, 2015, Jean-Benoît Bouron, http://geotheque.org/carte-des-paysages-ruraux-francais-bouron-georges/

Fig. 2 bis Carte des grands types de paysage en France, Pierre Brunet

Fig. 3 Paysage agricole de Champagne, Y. Arthus-Bertrand,

Aujourd’hui, pour les géographes, le paysage peut prendre trois sens complémentaires : le paysage comme filtre socioculturel des relations sensibles et utilitaires à l’espace et à la nature, variable avec l’histoire locale des sociétés ; le paysage comme géosystème, produit des interactions de facteurs abiotiques (le sol et le climat) et biotiques (le végétal, l’animal et l’homme) ; et le paysage comme construction sociale et politique propre à un territoire et à la société qui l’habite.

Développée aux Etats-Unis dans les années 1980, puis importée en Europe où elle était née, l’écologie du paysage (landscape ecology) a introduit l’espace et les activités humaines dans les sciences des écosystèmes et de la biodiversité. Elle s’intéresse à la structure spatiale des paysages qui détermine les capacités de circulation et de reproduction des populations animales et végétales spontanées. À cet effet, elle distingue dans la matrice agricole (les champs), forestière ou urbaine, les réservoirs de biodiversité (les taches) et les couloirs de connexion (les corridors) qui relient les premiers. Cette connaissance se déploie depuis l’échelle géographique de la biosphère jusqu’à celle de la haie, de la parcelle agricole ou du jardin public. Elle nourrit les politiques publiques qui luttent contre la fragmentation et l’homogénéisation des paysages, dommageables à la biodiversité. Pour cette discipline, le paysage a un sens dérivé de celui de géosystème (Fig. 4).

Fig. 4-Paysages de milieux humides, Affiche de la FRAPNA (fédération des associations de protection de la nature du Rhône), 1992

D’autres définitions, toutes aussi légitimes que les précédentes, ont été données par les historiens de l’art et des jardins, les archéologues, les économistes, les anthropologues, ainsi que par les spécialistes de littérature, d’esthétique et de philosophie. Celle donnée par la Convention européenne du paysage de Florence en 2000, qui est d’inspiration juridique et géographique, fournit le cadre des politiques publiques de paysage mises en œuvre par les gouvernements. Elle souligne clairement le double visage, matériel et immatériel, objectif et subjectif, naturel et culturel de la notion de paysage, et peut être prise comme référence commune.

«Paysage» désigne une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations» (Article 1 de la Convention).

En 2009, cette définition est interprétée par le Réseau européen des autorités régionales et locales pour le développement de la Convention européenne, sous la forme suivante : « Le paysage est chaque chose qui nous environne : de notre voisinage aux routes que nous empruntons, jusqu’aux lieux les plus extraordinaires … » (We are the landscape, RECEP-ENELC, 2009). Le paysage n’est plus seulement vu mais vécu.

Le paysage des politiques publiques

Les paysages sont des productions des activités humaines pour des raisons sociales (habiter quelque part), économiques (produire et vendre des biens notamment agricoles et forestiers) et culturels en fonction des règles et des croyances admises par chaque société.

Dans tous les pays, existent des règles, juridiques ou non, implicites ou explicites, pour encadrer la production des paysages. Mais, du point de vue de l’intérêt général, le devenir des paysages est partagé entre deux enjeux majeurs, soit le souvenir et la conservation de ce qui a été, soit l’oubli pour faire place à de nouvelles activités, notamment économiques.

En France, depuis la fin du XIXème siècle, les paysages ont donc fait l’objet d’une régulation juridique intense selon trois processus historiques qui se superposent.

Au cours de la première étape dite culturelle, toujours actuelle, la notion de paysage, réduite à des valeurs d’identité nationale ou régionale, se traduit de façon institutionnelle par la production d’un patrimoine archéologique et historique, notamment architectural et artistique. Ce processus de conservation s’appuie, notamment, sur la loi de conservation des monuments historiques de 1913, et sur celle de protection des sites à caractère pittoresque, historique, artistique, légendaire et scientifique de 1930, puis sur les actions de l’UNESCO pour inscrire les sites remarquables au patrimoine mondial depuis 1972.

À partir du début du XXème siècle (second processus) une politique naturaliste de protection des patrimoines naturels commence à être appliquée en France. Avec la création du ministère de l’Environnement en 1971, la fondation du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres en 1975 et la loi sur la protection de la nature de 1976, la France traduit dans le droit les premières injonctions internationales (la convention internationale de Ramsar sur la protection des zones humides en 1971 par exemple). Suivront les directives européennes de 1992 sur la protection des habitats naturels, celles de la stratégie paneuropéenne de la diversité de 1995 et du réseau européen Natura 2000, et enfin les lois Grenelle de 2008 et 2010 créant la politique de la Trame verte et bleue et les schémas régionaux de cohérence écologique (Fig. 4).

La troisième étape s’intéresse en priorité aux paysages ordinaires. Avec la promulgation de la loi sur la protection et la mise en valeur des paysages de 1993, sont prévue en particulier l’approbation et la mise en œuvre d’une charte de paysage par les élus dans le cadre de la charte intercommunale des parcs naturels régionaux. Puis, en 1995, une circulaire du ministère de l’Équipement met en place les plans de paysage à intégrer aux documents d’urbanisme, une autre lance les atlas de paysages départementaux et régionaux aujourd’hui terminés. Parallèlement sont mis en place les observatoires photographiques de paysage. Dans cette troisième phase, la notion de paysage est traduite surtout en termes de cadre de vie ordinaire et quotidien. Elle cherche à s’ajuster aux injonctions internationales du développement durable et de la transition climatique et énergétique, et européennes relatives au débat public démocratique. Cette nouvelle interprétation qui introduit la notion de gouvernance paysagère des territoires, toujours actuelle, s’ajoute aux précédentes étapes de réglementation. Elle s’inscrit dans le cadre de l’application de la Convention européenne du paysage signée à Florence en 2000, et ratifiée par la France en 2006.

Fig. 5 Extrait d’une plaquette de vulgarisation du ministère de l’Environnement, (à gauche, paysage fragmenté, à droite, paysage non fragmenté), 2008.

Ces trois catégories de politiques publiques paysagères, et notamment la dernière, ont amené l’État à former des professionnels du paysage pour mettre en œuvre avec les collectivités les actions de régulation prévues par les lois.

Le paysage des professionnels du paysage

Pour ces praticiens, le paysage est un outil des actions d’aménagement des espaces ruraux et urbains.

Pour les paysagistes concepteurs (les architectes paysagistes dans une soixantaine de pays), le paysage (ou paysagisme) est un métier (landscaping) et une profession organisée (landscape architecture). Pour la fédération internationale des architectes paysagistes (IFLA) créée en 1947 : « Landscape architects create places for people to live, work and play, and places for plants and animals to thrive. They also speak up for and care our landscapes ». Leur outil principal est le projet dit de paysage qui indique comment les espaces extérieurs aux édifices, autant que les territoires dans leur ensemble, peuvent être aménagés en y apportant la qualité esthétique et fonctionnelle recherchée. Ils en sont les maîtres d’œuvre et souvent deviennent des conseillers des maîtres d’ouvrage publics ou privés. Leurs compétences s’exercent à différentes échelles spatiales (du périmètre d’un département ou d’une commune aux détails d’un espace public urbain). Le plus souvent ces savoir-faire sont hérités des paysagistes architectes ou jardiniers, mais se transforment en Europe en fonction des orientations de la Convention européenne du paysage de Florence.

Fig. 6 Le vignoble de la commune de Saint-Emilion, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco en décembre 1999 en tant que paysage culturel. Cl. P. Donadieu
Critère (iii) : La Juridiction de Saint-Emilion est un exemple remarquable d’un paysage viticole historique qui a survécu intact et est en activité de nos jours.
Critère (iv) : La Juridiction historique de Saint-Emilion illustre de manière exceptionnelle la culture intensive de la vigne à vin dans une région délimitée avec précision.

Pour les experts de l’UNESCO comme pour ceux du Conseil de l’Europe (CE), les professionnels du paysage sont surtout des gestionnaires de paysage qui « accompagnent un processus de formulation, d’articulation et de déploiement d’un ensemble de stratégies visant à valoriser un paysage donné, et à améliorer la qualité de vie de la population dans le cadre du développement durable … » (CE, 2016). Pour ces professionnels, qui peuvent être paysagistes concepteurs, mais également géographes, écologues, environnementalistes, agronomes, forestiers, urbanistes … la gestion du paysage est d’abord un programme d’actions au service du bien-être des populations et de la construction de l’identité visible des territoires locaux et régionaux.

Retenons que le paysage est une notion polysémique ancienne qui rend compte des relations réelles et souhaitables établies par les sociétés humaines avec leurs espaces de vie. C’est à la fois une ressource économique, sociale et environnementale, un outil d’aménageur et un horizon de l’action publique. Le paysage donne un visage aux territoires, exprime l’intention visible de construire et de transmettre des biens communs et informe sur la transformation des espaces de la vie humaine et non humaine. Il a pris le sens de milieu vivant, individuel et collectif.


Bibliographie

Conseil de l’Europe, Dimensions paysagères, Strasbourg, 2017.
Donadieu P., Sciences du paysage, entre théories et pratiques, Paris, Lavoisier, 2012.
Luginbühl Y. La mise en scène du monde, Construction européenne du paysage, Paris, CNRS, 2014.
Jean-Luc CABRIT (coordonnateur), Marie-Christine SOULIÉ et Jean-Pierre THIBAULT, Démarches paysagères en Europe, Eléments de parangonnage pour les politiques publiques françaises, CGEDD, 2017.
http://www.cgedd.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/010731-01_rapport_cle22f995.pdf

Le paysage en douze questions

Fiche 2

Fiche n° 1

Le paysage en douze questions

Pierre Donadieu, Académie d’Agriculture de France

Sommaire

La notion de paysage fait partie des thèmes principaux abordés par la section 7, environnement et territoire, de l’Académie d’Agriculture de France. Car les paysages ruraux, agricoles et forestiers, comme ceux des villes et des villages, sont l’objet de politiques publiques, nationales et européennes, depuis un siècle. Au cours du XXIe siècle et des transitions environnementales importantes qui vont l’affecter, doit-on et peut-on en modifier la production ?

Pour éclairer la situation actuelle, les textes qui suivent exposent de manière synthétique : comment définir la notion de paysage (2), la nature des actions publiques de paysage (3-4-5-10), les démarches scientifiques d’écologie du paysage (6-8), les démarches patrimoniales (5), les questions posées par les paysages agricoles (7) et urbains (9-11-12) et l’évolution des formations des professionnels du paysage (9).

Cette notion n’est pas indépendante des neuf autres thèmes abordés par ailleurs dans la section 7, notamment territoire, agriculture, biodiversité, eau, service écosystémique, climat et sol. Cette relation est approfondie dans le thème territoire (territoire et paysage, territoire et communs).

1 – Le paysage en douze questions, P. Donadieu

2 – Qu’est-ce-que le paysage ? P. Donadieu

3 – Le paysage : un outil de la démocratie ? Y. Luginbühl

4 – Comment faire avec la conflictualité paysagère ? H. Davodeau

5 – Les paysages agricoles peuvent-il devenir des patrimoines ruraux ? P. M. Tricaud

6 – Pourquoi et comment améliorer la biodiversité dans les paysages agricoles ? F. Burel

7 – Pourquoi les agriculteurs devraient-ils s’intéresser à leurs paysages ? P. Donadieu

8Quels rôles des trames vertes et bleues dans les milieux (péri)urbains ? P. Clergeau

9 – Comment ont évolué les métiers du paysage ? P. Donadieu

10 – Les politiques publiques de paysage : quels enjeux ? P. Moquay (texte à venir)

11 – Le végétal en ville : quels impacts sur le microclimat urbain et sur la qualité de l’air ? Y. Brunet (texte à venir)

12 – Le paysage, l’urbanisme et les agriculteurs en Europe. D. Vancutsem (à venir)

 

Avant-Propos

Dans ces textes, la notion de paysage relève de deux paradigmes de pensée peu éloignés. L’un relève de la pensée scientifique systémique (non analytique et non linéaire par définition) et du concept écologique universel d’écosystème. Ce dernier inspire, notamment, des analyses fonctionnelles de la biodiversité, des sols et des climats, lesquelles débouchent sur la notion utilitaire de services écosystémiques (approvisionnement, régulation environnementale, services sociaux et culturels).

L’autre paradigme, inspiré en Europe par l’histoire politique et sociale des territoires et les arts visuels, développe une approche pragmatique, souvent holistique et transversale aux actions publiques sectorielles, des relations du vivant humain et non humain avec son milieu. Il s’appuie en particulier sur la définition juridique du paysage donnée par la Convention européenne du paysage de Florence (2000). Celle-ci vise la définition et la mise en place de « politiques de paysage et d’objectifs de qualité paysagère » dans les territoires.

Dans le premier cas, le paysage exprime soit un niveau géographique d’analyse sectorielle (l’écologie des paysages ruraux et urbains, les infrastructures vertes et aquatiques, l’ingéniérie écologique), soit des aménités paysagères ou environnementales du cadre de vie. Dans le second cas, les pouvoirs et les politiques publics (notamment l’État en France), grâce à des outils spécifiques de régulation transversale des paysages (plan, atlas, charte, observatoire de paysage …) et aux professionnels du paysage, sont mis en situation de construire empiriquement des relations concertées, évolutives et singulières entre les milieux de vie et les habitants des territoires.

Ces deux paradigmes, fonctionnel/systémique (écologique ou environnemental) et relationnel/pragmatique (paysager), peuvent soit se compléter (consensus territorial), soit s’affronter (controverses sociales et scientifiques), soit encore susciter l’indifférence ou la méfiance voire le rejet, notamment de certains acteurs du monde professionnel agricole ou des sociétés habitantes.

P. Donadieu 12 décembre 2018