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Chapitre 22
Le concours en loge de la Section du Paysage et de l’Art des Jardins de l’EN(S)H de Versailles
1951-1984
Pierre Donadieu et Pierre Dauvergne racontent le concours pour le diplôme de paysagiste DPLG des élèves de la Section.
Le concours en loge – Les règles du concours en loge des paysagistes – Les dossiers de diplôme de paysagiste DPLG de P. Dauvergne et A. Levavasseur – 1966-1984 : deux dossiers très différents, le métier change – Conclusion
Comment les élèves de la Section du paysage et de l’art des jardins (1946-1974) obtenaient-ils le titre professionnel de paysagiste diplômé par le gouvernement (paysagiste DPLG) ?
À l’issue d’une puis de deux années d’études, le certificat d’études de la Section leur était attribué s’ils avaient obtenu les notes suffisantes1. Commençait alors le parcours du concours en loge qui leur permettait d’accéder au titre professionnel (appelé diplôme) de paysagiste DPLG, après avoir effectué une année de stage au minimum.
Au XIXe siècle une loge était un petit atelier fermé où les élèves de l’Académie puis de l’École des Beaux-Arts2 préparaient le concours annuel du Grand Prix de Rome (peinture, sculpture, musique, architecture …). Sélection qui permettait, à partir de 1663, aux lauréats de résider à l’Académie de France à Rome pendant quatre à cinq ans.
Entrer en loge : renfermés dans des ateliers séparés, qu’on nomme loges, ils [les concurrents] exécutent, sans communication avec le dehors, dans un temps fixé, une composition sur ce programme (Mérimée, Mél. hist. et littér.,1855, p. 330).
Réservé jusqu’en 1903 aux jeunes élèves célibataires, le concours pour les peintres se déroulait en quelques semaines et en trois étapes : l’esquisse peinte à l’huile sur un sujet biblique ou mythologique, puis « À l’issue de cette épreuve, les sélectionnés doivent faire une étude de nu, peinte à l’huile en quatre sessions de sept heures. Enfin, pour les candidats restants, la troisième épreuve consiste à exécuter une esquisse et une grande toile sur un sujet historique imposé, isolés durant soixante-douze jours dans une loge »<3.
En architecture, de 1863 à 1968 à l’Ecole des Beaux-Arts et dans les écoles régionales d’architecture, « Le projet d’élève architecte s’effectuait de la façon suivante : dans un premier temps « montée en loge (à l’École des Beaux-Arts, cela se passait dans le bâtiment des loges). L’élève recevait un programme imprimé et élaboré par le professeur de théorie en titre, et devait rendre une esquisse au bout de huit à douze heures. Ensuite l’élève disposait d’un délai de trois semaines à un mois pour développer l’esquisse dont il devait garder les grandes lignes (le parti) et qu’il transformait en projet corrigé par le Patron et ses assistants, puis rendu à l’Ecole pour être jugé par un jury réuni à huis clos la semaine suivante »4
Dans le domaine de l’architecture des jardins et du paysage, le même type de concours en loge fut organisé et adapté d’abord par la Société Nationale d’Horticulture de France (SNHF), puis par l’EN(S)H de Versailles à partir de 1950.
Les règles du concours en loge des paysagistes
De 1951 jusqu’en 1984, des sessions régulières furent organisées à l’EN(S)H pour attribuer le titre de paysagiste DPLG aux élèves ayant obtenu le certificat de fin d’études de la Section. Le jury était constitué essentiellement par les enseignants de cette Section. 170 élèves environ ont été distingués sur les 310 inscrits dans cette formation de 1946 à 19725.
À la fin de la Section, et à la suite des grèves des élèves et des enseignants de 1967-68, l’arrêté du 21 juillet 1971 a redéfini les conditions de délivrance du diplôme de paysagiste DPLG (voir Chapitre 19 La saga des diplômes).6
Selon ce texte, au moment de son inscription, le candidat devait déposer « une note d’une à deux pages indiquant le thème qu’il se propose de traiter et les motifs de son choix, les esquisses qu’il envisage de présenter, ainsi que la liste des pièces techniques qu’il se propose de présenter pour le rendu ».7 Ces esquisses devaient être au minimum au nombre de trois, portant sur l’ensemble du projet (plan masse) ou sur une partie du projet.
P. Dauvergne (2020) précise : « Le concours en loge durait une journée au cours de laquelle une esquisse devait être remise. Le jury donnait alors, ou non, le feu vert pour présenter après un an de stage minimum, le DPLG, consistant en un dossier complet comportant une analyse du site, toutes les pièces techniques et écrites, et bien sûr, le projet.
Les membres du jury, durant une journée, se partageaient les diverses pièces à évaluer, puis s’entretenaient avec le candidat ».
Le jury classait alors les thèmes en trois groupes : non retenus (car jugés hors d’une étude de paysage) ; acceptables sous réserve de modifications à présenter ; acceptés directement mais pouvant faire l’objet, à la demande du candidat, d’une audition.
Les candidats retenus devaient alors, à une date fixée par le jury, « exécuter en loge en 12 h, tout ou partie d’une des esquisses indiquées par lui (…), puis présenter au jury l’ensemble de son projet. À l’issue de cette présentation, le jury indiquait à chaque candidat s’il était admis ou non à poursuivre et quelles pièces, il devait remettre au moment du rendu final.
Enfin, les candidats retenus à l’admissibilité étaient avisés au moins un mois à l’avance de la date du rendu final. Les documents produits étaient examinés par le jury dans une réunion au cours de laquelle les candidats présentaient leurs travaux complets. À l’issue de cette réunion, le jury faisait connaitre ceux qui étaient proposés pour obtenir le diplôme de paysagiste DPLG.
Dans la négative, soit le candidat était invité à repasser devant le jury, lors de la session suivante en apportant les compléments demandés à son dossier. Soit le candidat était invité à se présenter à une nouvelle session. Cependant, il ne pouvait pas se présenter à plus de trois sessions.
Ce dispositif de sélection s’étalait sur des durées très variables en général de 6 à 8 mois, mais pouvant s’étendre à plus de trois ans. Quelques-uns s’arrêtaient en cours de route et d’autres plus nombreux oubliaient de s’inscrire, même en exerçant ensuite le métier de paysagiste concepteur8.
Quel était le contenu de ce concours ? Quelles compétences professionnelles cherchait-on à vérifier ? Il semble que deux périodes différentes se sont succédées. De 1951 aux environs de 1968, le jury a surtout validé des compétences de paysagiste maitre d’œuvre capable de concevoir et de réaliser des parcs et des jardins publics et privés. Ce qui explique les attendus du jury pour de nombreuses pièces techniques (plans techniques de nivellement, plantation, éclairage …, coupes, profils en long et en travers, devis estimatifs…). Pour l’illustrer, le dossier de concours de Pierre Dauvergne a été choisi. Il a été inscrit à la Section en 1963 et certifié en 1965. Il a présenté sa candidature au concours en loge en 1966 à l’issue de son stage d’un an, puis a participé aux enseignements de la Section (1972-1974), du CNERP (1972-79) et de l’ENSP jusqu’en 1985.
De 1969 à 1984, la naissance de la pensée et des pratiques du paysagisme d’aménagement au CNERP de Paris9 et Trappes a modifié les attendus du diplôme de paysagiste DPLG. Aux compétences traditionnelles de conception et de maitrise d’œuvre, se sont ajoutées celles de conseil de la maitrise d’ouvrage publique à des échelles territoriales variables (les études d’impact, les plans de paysage au niveau des POS et SDAU entre autres). Pour en rendre compte, le dossier de concours de Alain Levavasseur, inscrit à la Section en 1966, puis au CNERP en 1972, et à la session « balai » du diplôme de paysagiste DPLG en 1984 a été retenu. Les contenus et la présentation des deux dossiers sont assez différents.
Les dossiers de diplôme de paysagiste DPLG de Pierre Dauvergne et d’Alain Levavasseur
P. Dauvergne s’inscrit en 1966 au concours de paysagiste DPLG.
Pour cette session du concours en loge, le jury avait réuni : MM. Jussieu, ingénieur général d’agronomie, président ; E. Le Guélinel, Directeur de l’ENSH ; A. Audias, T. Leveau et J. Sgard paysagistes et enseignants ; J.-B. Perrin, chef du service des espaces verts à la direction de l’aménagement de la région parisienne ; D. Collin, ingénieur divisionnaire des services paysagers à la Ville de Paris, D. Cordeau professeur de dessin à la Section ; L.. Sabourin, ingénieur à la Ville de Paris, et R. Puget, urbaniste, inspecteur général au Ministère de la Construction et enseignants à la Section, ainsi que P. Grisvard conservateur des jardins du Luxembourg.
12 candidats étaient inscrits à la première série d’épreuves (esquisse sur un thème proposé par J.-B. Perrin10) et 6 ont été déclarés admissibles. Parmi eux Pierre Dauvergne. À ces derniers se sont ajoutés dans la seconde série d’épreuves (le rendu final) trois candidats classés dans la session de 1965, mais non admis.
Les 3 et 4 mai, comme les autres candidats, il exécute en loge une esquisse sur le thème proposé par le jury, qui est accepté. Avec les 9 autres candidats, le 25 octobre il présente au jury « l’ensemble des documents constituant le « rendu » à l’issue d’un travail libre réalisé d’après l’esquisse retenue précédemment ».11 Répartie en trois sous-commissions : rendu et composition, projet technique, projet de plantation, le jury délibère et attribue les notes finales permettant un classement selon les deux sessions de concours en loge.
Ayant obtenu une moyenne supérieure à 11/20, 4 candidats, dont Pierre Dauvergne, Pierre Pillet, et Caroline Mollie, sont retenus par le jury qui proposera au ministre de l’Agriculture de leur décerner le « diplôme de paysagiste ».12 À cette date le titre de paysagiste DPLG pouvait cependant depuis 1961 être attribué à l’issue du concours en loge. Celui de paysagiste du ministère de l’Agriculture (DPLMA) en tenait formellement lieu. Quelques mois plus tard, le ministre de l’Agriculture lui a attribué le diplôme de paysagiste DPLG, sous le n° 107, par arrêté du 4 janvier 1967.13
Le concours en loge a été très combattu par les anciens élèves candidats au DPLG, par le Groupe d’études et de Recherches du Paysage (GERP). Ce dernier a publié une tribune dans Le Monde du 3 décembre 1970 “Pour un traité de paix avec le Paysage”, signé de Paul CLERC et Denis ROUVE. Le GERP est également intervenu vigoureusement lors d’une Assemblée générale de la Société des Paysagistes Français (SPF, alors présidée par Daniel COLLIN). Pierre Dauvergne était porteur d’une pétition signée d’une trentaine de jeunes paysagistes, afin d’obtenir le soutien de la SPF auprès de la tutelle pour la réforme du DPLG. Il s’agissait également d’obtenir la possibilité aux non encore diplômés, souvent déjà engagés dans la vie professionnelle, d’en être membre, dans l’attente de la reprise des DPLG sur une autre base14.
Alain Levavasseur a été inscrit à la Section à la rentrée de l’année scolaire 1966-67. Il obtient en 1968 son certificat d’études à la Section au bout de deux ans avec, comme enseignants, la presque totalité des membres du jury du concours en loge de Pierre Dauvergne. Mais il ne peut se présenter au concours en loge15.
De 1968 à 1972 il travaille pour des entreprises d’espace verts et des bureaux d’étude (SCT-BETURE), puis en agence d’architecture. En 1972, il s’inscrit dans la formation du CNERP à Paris puis l’année suivante il devient chef de l’atelier régional des sites et paysages de la région Auvergne. En 1975, il est de retour au CNERP de Trappes comme chargé d’études dans l’équipe permanente (avec R. Pérelman, P. Dauvergne et Y. Luginbühl entre autres) jusqu’à l’arrêt de cette institution interministérielle en 1979. Il travaille ensuite au ministère de l’Équipement (STU) jusqu’en 1981, année où il devient chargé d’études principal (responsable de la cellule aménagement foncier et paysage) à la DDE de Charente-Maritime.
Son parcours professionnel s’organise autour des compétences du « paysagisme ordinaire » comme il l’indique dans son dossier pour l’attribution du diplôme de paysagiste DPLG déposé en mars 198416. Les questions qu’il traite de 1973 à 1981 visent plus particulièrement « la prise en compte du paysage dans les SDAU et les POS », ainsi que les politiques publiques d’espaces verts, régionales et métropolitaines. À la DDE, il revient au « paysagisme ordinaire » (lotissements, permis de construire, certificat d’urbanisme), aux programmes d’équipement des communes, à l’aménagement du littoral et aux programmes routiers.
Il s’inscrit au début de l’année 1984 à la dernière session d’attribution du diplôme de paysagiste DPLG pour les anciens élèves de la Section, dont il a été informé par la direction de l’ENSP-ENSH à Versailles. Ce dossier d’inscription n’a plus rien de commun avec le concours en loge de 1966. L’esquisse et le rendu final ont disparu. Trois fascicules distincts sont désormais demandés : 1/ Un CV comportant les activités principales de la carrière et leurs commentaires 2/Un extrait des travaux représentatifs et 3/ un bilan critique de l’expérience professionnelle.
Depuis le dernier arrêté de 1971 concernant le concours en loge, en dix ans les compétences recherchées chez les paysagistes ont évolué avec la création des associations « Paysages » et « CNERP », et avec celle du ministère de l’Environnement en 1971. Les pratiques des paysagistes d’aménagement, notamment avec l’équipe du CTGREF de Grenoble, ont commencé à répondre aux besoins ministériels (Equipement, Agriculture, Environnement, Culture). En outre l’ENSP de Versailles a pris en 1976 la suite de la Section sans reconduire le concours en loge. Pour ces raisons, la dernière session d’attribution du diplôme de paysagiste DPLG (ancienne formule) a modifié ses règles en les adaptant à des candidats dont la plupart avait plus de 10 ans d’expériences à la fois dans la conception de projets, de programmation et de politiques publiques, dans la maitrise d’œuvre et dans le conseil des maîtres d’ouvrages publics.
1966-1984 : Deux dossiers très différents, le métier change
Pierre Dauvergne et Alain Levavasseur ont presque le même âge, le premier a 23 ans quand il se présente au concours en loge de 1966 et le second 40 ans quand il candidate à la session de 1984. Les deux concours sont très différents, même si le parcours professionnel des deux paysagistes est très comparable sur le fond. Ils ont été aussi proches l’un que l’autre de la maitrise d’ouvrage publique et de la réalisation matérielle, de la pratique du paysagisme d’aménagement et de l’architecture des parcs et des jardins. Avec des nuances certes. Comme fonctionnaire territorial, le premier a fait l’essentiel de sa carrière dans les services techniques publics du département du Val-de-Marne et le second à la DDE de Charente-Maritime.
P. Dauvergne a présenté, pour le concours donnant accès au diplôme de paysagiste DPLG, un dossier correspondant au sujet unique et imposé à tous les candidats, d’ ” un Parc urbain d’activités de plein air”. Son dossier comporte de nombreuses pièces techniques écrites et des devis estimatifs sous la forme d’un « Rapport de présentation », accompagné d’une esquisse (voir figure 1), un rendu final (Fig. 2), et une trentaine de planches techniques.
Comme dans les concours en loge de l’Ecole des Beaux-Arts et des écoles d’architecture, il devait montrer, avant d’entrer dans la vie active, une compétence d’excellence dans un contexte d’émulation individuelle. Mais sans rêver comme les architectes aux perspectives du Grand Prix de Rome !
Fig. 1 Esquisse pour un parc public d’activités de plein air,1/500e, concours en loge, 1966, Fonds P. Dauvergne, ENSP.
Fig. 2 Rendu final, Concours en loge, 1966, 1/500e, Fonds Dauvergne, Archives ENSP.
L’esquisse et le plan masse du rendu final représentent deux étapes de la conception du projet que résume le rapport de présentation. L’esquisse au 1/500e positionne les différents éléments de programme du parc dans le relief du site : le sentier fleuri, le belvédère, la salle de repos, l’aire de jeux, le théâtre de verdure, le patronage municipal, l’auberge de jeunesse. Ils prennent place, à titre d’hypothèses à justifier, dans un écrin d’espaces boisés et gazonnés, traversés par des allées piétonnières de taille variable.
Dans le rendu final, la distribution spatiale des équipements a été modifiée et les circulations simplifiées.
Fig. 3 P. Dauvergne, Extraits du rapport de présentation, description du projet, 1966
Le rapport accompagnant le rendu final précise tous les éléments techniques et financiers du projet, par exemple, la nature et le prix des végétaux plantés, ainsi que le coût des terrassements.
Fig. 4 P. Dauvergne, Extraits du rapport de présentation, coûts des terrassements et des végétaux plantés, 1966.
Le rendu final témoigne ainsi de la capacité de Pierre Dauvergne à concevoir, puis à évaluer, les coûts d’un projet d’aménagement paysager. Compétences indispensables à l’exercice de la profession de paysagiste concepteur et maitre d’œuvre. Compétences transmises par les enseignants de l’école en atelier de projet et par les nombreuses visites de chantiers et de réalisations.
Dans le fascicule 2 : « Travaux représentatifs » d’Alain Levavasseur, paysagiste déjà expérimenté, les principes de présentation sont différents. Sont montrées des réalisations d’espace verts (2), des études de paysage liées à des documents de planification (6), des études de programmation d’espaces verts (6), des recherches sur les espaces verts et le paysage (8) et des missions de paysagiste en DDE (10). La plupart de ces travaux ont été réalisés avec d’autres paysagistes, notamment J.P. Saurin, C. Bassin-Carlier et P. Dauvergne.
L’essentiel des documents indique les pratiques de « l’exercice quotidien du paysagiste en DDE » (gérer les arbres le long des routes, les parkings, les carrefours, les plages littorales). Il montre l’investissement du paysagiste dans l’aménagement de la Corderie royale de Rochefort, de la rocade et de la plage de Chef de Baie de la Rochelle. Ses compétences ne sont plus seulement celles d’un concepteur d’espaces publics verts. Elles s’étendent à tout espace visible par tous, public ou privé. Le paysagiste est devenu gestionnaire de paysages pour l’agrément des publics.
Fig. 5, A. Levavasseur, I969, Aménagement du plan d’eau de la Maine à Angers, Diplôme de paysagiste DPLG, 1984 Archives ENSP
Fig. 6, gauche : A. Levavasseur, Aménagements routiers et carrefour de la Palmyre (Royan), diplôme de paysagiste DPLG, 1984, Archives ENSP
Droite : A. Levavasseur, Aménagements de la plage de Chef de Baie, La Rochelle, diplôme de paysagiste DPLG, 1984, Archives ENSP
Le fascicule de 45 pages « Bilan critique de l’expérience professionnelle » s’intitule « le retour des paysages ». Le propos est réaliste : « Insuffisamment préparés, peu nombreux, les paysagistes n’ont pas encore su intégrer leur savoir-faire « de base » dans une plus grande dynamique : celle de l’économie et de la société » (p. 3). La critique s’adosse à une évocation de l’art pictural du paysage et des jardins, aux deux ateliers de l’ENSP (Le Notre et C.-R. Dufresny), à la sociologie de l’art de P. Francastel et aux travaux de B. Lassus. Alain Levavasseur raconte sa formation au CNERP, distingue après le colloque de Cabourg de 1975 parmi les praticiens : « les globalistes, les naturalistes et les visualistes », déplore les limites de la loi de protection de la nature de 1976, s’inquiète d’une politique de paysage limitée à la protection des sites classés, se réjouit de la décentralisation de 1984, compare les concours du parc du Sausset au nord de Paris, avec ceux de la Corderie Royale à Rochefort et du parc de la Villette à Paris et fait confiance aux habitants pour accompagner l’art du paysagiste.
« Faire du paysage, écrit-il, c’est gérer le vu et le non vu, c’est gérer le sensible dont nul n’a le privilège ».
À lire ce dossier, on mesure le chemin parcouru de 1966 à 1984 par la pensée et la pratique paysagiste. En 18 ans, les paradigmes de la pensée paysagiste ont changé sans renier les pratiques traditionnelles de l’art des jardins. Ils ont commencé à sortir de l’hygiénisme urbain et de l’esthétisme jardinier codé de la fin du XIXe siècle pour s’intéresser aux besoins immédiats des habitants et aux usagers, mais en ayant peu recours aux sciences analytiques. Le laboratoire qu’a été le CNERP de Paris et Trappes, accompagné par les ministères, a joué un rôle déterminant dans la mutation de ce métier avant qu’il ne devienne, 45 ans après, une profession réglementée d’intérêt public.
Ces deux exemples montrent comment les anciens élèves de la Section ont accédé au diplôme de paysagiste DPLG avant 1985, soit immédiatement après les deux ans d’étude, suivies d’un an de stage minimum (la majorité comme P. Dauvergne), soit beaucoup plus tard (18 ans comme dans le cas de A. Levavasseur).
Le premier s’inscrit dans la tradition du concours en loge de l’École des Beaux-Arts, en montrant ses compétences de concepteur maître d’œuvre selon un « cérémonial académique » qui sera remis en cause à la fin des années 1960. Le second témoigne plus librement des étapes d’un début de carrière où il est à la fois maitre d’œuvre d’aménagement paysager et conseiller de la politique foncière des collectivités locales.
En 1979, le ministère de l’Agriculture a attribué par arrêté aux dix-neuf premiers diplômés de l’ENSP (4 années d’études), le diplôme de paysagiste DPLG. Pour y parvenir chaque étudiant(e) devait avoir réalisé de manière satisfaisante, au cours de la quatrième année, un stage de 6 mois dans une agence de paysagiste, un bureau d’étude ou une institution publique, et avoir présenté un travail personnel de fin d’étude (TPFE). Ce travail était composé d’un projet et d’un mémoire, soutenus devant un jury composé d’enseignants et de personnalités extérieures. Cette nouvelle méthode sera utilisée pendant 39 ans jusqu’en 2018 et la réforme de la durée d’enseignement réduite de 4 à 3 ans.
Pierre Donadieu 17 février 2020
Merci à Pierre Dauvergne pour sa contribution
Bibliographie
Pierre Donadieu, Histoire de l’ENSP, https://topia.fr/2018/03/27/histoire-de-lensp-2/
Notes
1 Un peu plus de la moitié des inscrits y sont parvenus.
2 Créée en 1816 par la réunion de l’Académie de peinture et de sculpture, fondée en 1648, de l’Académie de musique, fondée en 1669 et de l’Académie d’architecture, fondée en 1671, l’Académie des Beaux-Arts est une institution qui rassemble les artistes distingués par une assemblée de pairs et travaillant le plus souvent pour la Couronne. Elle définit les règles de l’art et du bon goût, forme les artistes, organise des expositions (C. Denoël, op. cit.).
3 Charlotte DENOËL, « Le concours du Prix de Rome », Histoire par l’image[en ligne], consulté le 07 février 2020. URL : http://www.histoire-image.org/fr/etudes/concours-prix-rome
4 https://www.grandemasse.org/?c=actu&p=ENSBA-ENSA_genese_evolution_enseignement_et_lieux_enseignement
5 Les archives de l’ENSP en ont conservé environ 70 dossiers. La plupart sont ceux déposés lors de la dernière session de 1983-84.
6 Note à l’attention des candidats au diplôme de paysagiste DPLG, 2 p. ronéo., 10.11.1976
7 Op. cit., p1.
8 Le dossier des archives administratives du concours en loge des élèves de la Section n’a pas encore été identifié. Il est difficile d’être plus précis.
9 À Paris c’était l’Association PAYSAGE qui préfigurait le CNERP installé ensuite à Trappes.
10 Le sujet de la session a été donné par Jean-Bernard PERRIN : l’aménagement d’un parc sur le versant du Mont Valérien, sous l’esplanade du Mémorial de la France Combattante (Rueil-Malmaison, Nanterre, Suresnes). Ce lieu fait partie aujourd’hui du Parc-Promenade Départemental Jacques BAUMEL (1979) et du Cimetière-Parc de Nanterre (1969-1979) – (J. DARRAS, architecte, Michel CASSIN et Pierre ROULET paysagistes). P. Dauvergne, 2020.
11 Selon le certificat établi le 20 février 1979 par Jean Pasquier directeur adjoint de l’ENSH
12 PV de la deuxième série d’épreuves, en date du 25 octobre 1966, du concours en loge ouvert les 4 et 5 mai 1966 pour l’attribution du diplôme de paysagiste du ministère de l’Agriculture.
13 Certificat du 20 février 1979. Fonds Dauvergne, ENSP.
14 Pierre Dauvergne, complément du 10 02 2020.
15 Remis en cause par les étudiants en grève.
16 A. Levavasseur, Dossier d’inscription à la session d’attribution du diplôme de paysagiste DPLG, 3 fascicules, 14 mars 1984.
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