Pierre Donadieu

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Pierre Donadieu

Botaniste, géographe, historien : enseignant et chercheur

Son parcoursses publicationsses distinctionsses idées

Pierre Donadieu est né le 3 février 1945 à Louzy (Deux-Sévres). Il passe son enfance dans la campagne des Marches picto-angevines.

Son parcours

Le lycée (1956-1965)

De 1956 à 1965, il fait ses études au lycée Henri IV à Poitiers et s’oriente vers le métier d’agronome :

« Dans les premières années du lycée, je pensais au métier d’agronome mais sans savoir ce que signifiait exactement ce mot. Peut-être une sorte de super agriculteur sans les travaux des champs que je n’appréciais pas du tout dans la ferme familiale ? »1.

Ayant été admis dans les classes préparatoires aux grandes écoles (en section Agro), l’idée de devenir paysagiste apparait mystérieusement :

« Une idée me trottait derrière la tête depuis le début des classes prépas : devenir paysagiste, sans renoncer à être agronome. Non pour seulement dessiner et réaliser des jardins mais pour m’occuper également des paysages. Comment et pourquoi ? Je n’en savais rien mais cette curieuse intuition se révéla juste. La seule école qui semblait apporter cette compétence était l’École d’horticulture de Versailles qui offrait une spécialité Paysage et Art des jardins. Cette motivation reste pour moi obscure car je ne connaissais aucun paysagiste, mais en revanche je réussissais très bien en géographie. En outre j’adorais la botanique et commençais à savoir mettre des noms sur les arbres, les fleurs et les herbes. En réalisant mon premier herbier avec des récoltes botaniques à Louzy, je préparais sans le savoir ma carrière de botaniste et de phytogéographe. »

L’École nationale supérieure d’horticulture de Versailles (1965-1968)

Après avoir démissionné de l’École d’agronomie de Grignon où il était admis, il entre à l’ENSH pour obtenir son diplôme d’ingénieur horticole et suivre les enseignements de la Section du paysage, comme son voisin de table Gilles Clément :

« Mon premier voisin de table, à ma gauche sur la paillasse, dans la salle de travaux pratiques du bâtiment des Suisses, s’appelle Gilles Clément. Lui aussi a démissionné d’une école d’agronomie, celle de Rennes où il était reçu. Il veut devenir paysagiste et y parviendra avec succès. »

P. Donadieu renonce à suivre la Section et se prépare à l’INRA à une carrière dans les services de Protection des végétaux :

« Le printemps 1968 arriva. C’était ma troisième année d’école. La révolte grondait dans les milieux étudiants. J’étais en stage à l’Institut national de la recherche agronomique de Versailles dans un laboratoire de virologie, car j’avais décidé de ne pas m’inscrire dans la section de paysagiste. J’avais trouvé deux bonnes raisons : l’état de l’enseignement du paysage était, de mon point de vue, assez lamentable (pas ou peu d’enseignants permanents, des enseignants et des étudiants en grève, des ateliers souvent vides…), et surtout il fallait que je trouve un emploi rémunéré dès la sortie. »

La période dijonnaise (1968-1971)

Par concours, il entre à l’École nationale des sciences agronomiques appliquées de Dijon une jeune école de fonctionnaires qui formait les cadres des services agricoles ainsi que les enseignants des établissements d’enseignement secondaire agricole. Il y reste un an en suivant une formation à la faculté de droit, puis s’inscrit l’année suivante à l’université de Montpellier pour obtenir un diplôme d’études approfondies en écologie. Il y fait l’apprentissage de la recherche scientifique auprès des chercheurs du Centre d’études phytosociologiques et écologiques du CNRS.

« L’enseignement, placé sous la direction des botanistes et phytosociologues Louis Emberger et Charles Sauvage, transmet les méthodes informatiques nouvelles mises au point par les chercheurs Michel Godron et Gilbert Long. J’entre dans une grande famille scientifique qui m’ouvre les portes d’un nouveau domaine auquel Jacques Montégut m’avait initié. Elle partage l’idée que la plante spontanée informait sur les propriétés et la dynamique des milieux. Cartographier les formations végétales de pays connus ou inconnus revenait à informer sur les potentialités d’usage des terres : forestières, pastorales, agricoles ».

En 1970, il est admis à un poste de chef de travaux en écologie prairiale qui s’ouvre à l’École des ingénieurs des travaux agricoles de Dijon-Quetigny. Il ne rencontre pas J. Sgard et B. Lassus qui travaillent dans la ville nouvelle… Puis il part en coopération militaire en Algérie.

Les moment algériens (1971-73) et marocains (1973-1977)

Il est affecté à l’Institut agronomique d’El Harrach à Alger pour enseigner la botanique et l’écologie végétale. Avec D. Chessel de l’Université de Lyon, il commence et publie ses premières recherches sur la structure des végétations steppiques des hauts plateaux algériens en même temps qu’il se consacre avec une équipe de la FAO à la cartographie de la végétation dans la région des Aurès.

« Quelles que soient les saisons, nous parcourons les steppes glaciales ou torrides, en land rover en général, les montagnes hérissées de genévriers ou de chênes verts, les lacs salés, les pâturages d’armoise, les nappes alfatières, les maigres cultures d’orge parsemées de mechtas… Je m’associe à eux pour réaliser une superbe carte de la végétation de la région des monts du Hodna, entre Biskra, Bou Saada et Batna dans les Aurès, ainsi que le rapport descriptif qui l’accompagne. On évaluait la valeur fourragère des parcours sur des bases très empiriques. Les expériences tunisiennes et soviétiques nous servaient de référence. ».

Puis il est recruté comme pastoraliste, écologue et bioclimatologue à l’Institut national agronomique et vétérinaire Hassan II de Rabat en tant que coopérant civil.

« J’entreprends des travaux de bioclimatologie et de phytogéographie qui précisent la répartition de la flore et de la végétation au Maroc, puis sur l’ensemble du Maghreb. J’en tirerai une belle carte synthétique de la végétation marocaine, trop empirique pour être validée par les scientifiques, mais qui sera publiée en 1978 par les services de cartographie de Rabat. Après la conquête pacifique du Sahara espagnol par la monarchie marocaine, la Marche verte de 1977, il me sera demandé de l’étendre jusqu’à la Mauritanie, régions que je ne connaissais pas. Je le fis, sans trop de scrupules, à partir des travaux du botaniste Pierre Quézel. »

Avec l’agronome A. Bourbouze et l’éthnologue A. Hammoudi, il participe à un nouveau type de recherche-action sur le développement de la vallée de l’Azzaden dans le Haut-Atlas au sud de Marrakech2.

« Nous avions la conviction de participer à des pratiques innovantes. L’étude de la vallée de l’Azzaden était pour moi semblable à une étude d’écologie systémique dont j’avais lu un exemple en Tunisie aride. Je traduisis cette interprétation par une étude des valeurs des parcours et un grand tableau écosystémique qui tenait davantage du schéma de câblage électrique ! J’en étais très fier puisqu’il fut publié et que je le montrerai quelques années plus tard au géographe Olivier Dollfus qui allait devenir mon directeur de thèse de doctorat à Paris. »

L’enseignement d’écologie à l’École nationale supérieure du paysage de Versailles (1977-1986)

De la même façon que M. Rumelhart un an auparavant en Algérie, P. Donadieu est recruté à l’ENSP par J. Montégut qu’il avait invité à des excursions botaniques au Maroc. Ils sont chargés de la mise en place du département d’écologie et du laboratoire du même nom. Dans ce cadre, ils enseignent la botanique en première année, la phytoécologie et l’écologie urbaine en 2ème et 3ème année.

Participant avec les paysagistes aux grands concours de parcs publics de cette période (Le Sausset, Les Tuileries, La Villette …), ils partagent leurs services entre l’agence de M. et C. Corajoud (pour M. Rumelhart), et celle de Bernard Lassus (pour Pierre Donadieu).

Parallèlement, P. Donadieu poursuit ses activités de pastoraliste pour la FAO et des sociétés d’étude, et enseigne au Maroc jusqu’en 1990.

En 1986, il cède la direction du département d’écologie à M. Rumelhart devenu maitre de conférences en « écologie appliquée au projet de paysage ». Il passe alors un an au Centre International des Hautes études méditerranéennes de Montpellier, puis revient en 1988 à l’ENSP où l’École lui confie l’organisation des Ateliers régionaux de quatrième année qu’il assure avec B. Follea jusqu’en 1996.

«  R. Chaux me confie la mise en place de deux nouvelles structures de l’école : les ateliers pédagogiques régionaux de quatrième année, et le département de sciences humaines et sociales. J’ai quarante-deux ans et vais me tourner vers une nouvelle activité pédagogique et de recherche à laquelle je me prépare depuis quelques années. À cela s’ajoute ma contribution à la revue de l’école, Paysage et Aménagement, en tant que membre du comité de rédaction. Je vais quitter progressivement le monde scientifique de l’écologie et du pastoralisme pour entrer dans le champ des Landscape studies comme disent les chercheurs américains et anglais que je lis beaucoup. ».

La « Mouvance » (1989- 2008)

De retour à l’ENSP, P. Donadieu est associé en 1989 à la création du DEA « Jardins, Paysages, Territoires » à l’École nationale d’architecture de Paris-la-Villette avec B. Lassus et A. Berque. Il y crée des enseignements différents de ceux du département d’écologie de l’ENSP, fondés sur les nombreuses publications universitaires de cette période. Elles concernent à la fois les idées de paysage chez les géographes (R. et P. Brunet, Y. Lacoste … ), et chez les agronomes (J.-P. Deffontaines et l’INRA-SAD), autant que les travaux de recherche en cours (le paysagisme montagnard de B. Fischesser et H. Lambert au CTGREF de Grenoble par exemple).

« Après son départ de l’ENSP, B. Lassus, qui est professeur titulaire à l’École d’architecture de Paris-la-Villette, rassemble un cercle international d’universitaires et de praticiens qui ont déjà acquis une notoriété dans le domaine du paysage et des jardins : l’historien des jardins John Dixon Hunt (USA), le critique d’art anglais Stephen Bann, l’esthéticien du paysage Alain Roger, le géographe, spécialiste du Japon, Augustin Berque, le haut fonctionnaire du ministère de l’Environnement Alain Chabason, le polytechnicien, sociologue et historien des jardins, Michel Conan, … et moi. ».

Avec Hypothèses pour une troisième nature en 1987 (B. Lassus édit.), Cinq hypothèses pour une théorie du paysage en 1995 (A. Berque édit.), La Théorie du paysage (A. Roger édit.) en 1998, Mouvance II, soixante-dix mots pour le paysage (A. Berque édit.) en 2006, il découvre l’intérêt des manifestes : des proclamations d’idées nouvelles qui engagent un collectif ou une personne. Il se retrouve engagé dans une aventure intellectuelle que A. Berque appellera plus tard La Mouvance. Autrement dit un domaine d’idées et de pratiques changeant ou non au gré des influences subies, une auberge espagnole où chacun apporte son savoir et ses intérêts. Et les défend avec ou sans concession.

Grâce à cette formation doctorale, qui sera dirigée à partir du départ de B. Lassus en retraite en 1999 par Y. Luginbühl, agrogéographe, directeur de recherche au CNRS, il s’oriente vers l’encadrement de thèses de doctorat en « sciences et architecture du paysage » avec l’école doctorale ABIES d’AgroParisTech.

« Le DEA cesse son activité en 2008. Nous avons formé environ 600 étudiants aux concepts et méthodes de la recherche en paysage. Une centaine, français et étrangers, ont pu ensuite préparer une thèse de doctorat et accéder aux métiers de l’enseignement et de la recherche. À cette formation pionnière succèdent plusieurs cursus identiques dans les écoles d’architectes et de concepteurs paysagistes en France et à l’étranger. »

La recherche et la formation doctorale à Versailles (1993-2018)

En 1993 et 1997, il soutient une thèse de doctorat en géographie sous la direction de Olivier Dollfus, puis une habilitation à diriger des recherches à l’université Paris VII. Il devient professeur titulaire affecté à l’ENSP en 1995.

Après la délocalisation de l’ENSH à Angers en 1993, l’ENSP a besoin d’enseignants titulaires et d’un laboratoire de recherches. Celui-ci est créé la même année par P. Donadieu et l’agronome A. Fleury (professeur titulaire issu de l’ENSH), qui deviendra enseignant d’agriculture urbaine à l’ENSP.

« La création du laboratoire de recherches se fit difficilement. Une partie des enseignants paysagistes de l’école, qui avaient leurs propres agences et bureaux d’études n’était pas favorable à la mise en place d’un laboratoire de recherche et d’une formation doctorale. La tutelle l’exigeait dans toutes ses écoles. Mes collègues craignaient d’être évincés de leur enseignement par de jeunes docteurs. Ils n’avaient pas envisagé que certains de leurs élèves paysagistes deviendraient plus tard enseignants avec un doctorat … »

En 2006, il crée le master Théories et démarches du projet de paysage avec l’Université Paris 1, Panthéon Sorbonne et AgroParisTech. L’essentiel de ses doctorants seront inscrits dans l’école doctorale ABIES.

Il enseigne également en Tunisie (Institut national agronomique de Chott Mariem), au Liban et donne de nombreuses conférences dans les écoles d’architecture en Europe (Italie, Suisse, Portugal), en Russie, en Amérique du sud (Argentine, Brésil) et en Asie (Chine, Viet-Nam).

En 2008, avec Catherine Chomarat, philosophe et historienne des jardins, qui lui a succédé à la direction du LAREP, il créé la revue électronique Projets de paysage destiné aux jeunes chercheurs.

En 2011, il fait valoir ses droits à la retraite, et poursuit son activité comme professeur émérite et chercheur associé au sein du LAREP.

Distinctions

Prix de l’Académie des sciences morales et politiques pour l’ouvrage collectif Paysages de Marais (1996), éd. J.-P. de Monza.

Professeur invité à l’Université de Sousse (Tunisie) (2005-2008)

Officier des Palmes académiques (2008)

Membre titulaire de l’Académie d’Agriculture de France, section environnement et territoire, (2015).

Professeur émérite à l’ENSP de Versailles-Marseille (2011-2017)

Ses principales publications

1970-1980

Le Houerou, J. Claudin, Donadieu P., Etude phytoécologique et pastoraliste du Bassin du Hodna (Algérie), FAO, Rome, 1971-72

Jacquard P., Poissonet P., P. Donadieu, A. Trouvat, A. Gallais, “Relations between diversity and stability in experimental plants system”, Communication Proc. 1st Congress of ecology, 1974.

Donadieu P., D. Chessel et al.,1. « Introduction à l’étude de la structure végétale en milieu steppique, Echantillonnage systématique », Oecologia Plantarum, 1975-77

Donadieu P. et al. La vallée de l’Azzaden (étude de la végétation des parcours), Institut agronomique et vétérinaire Hassan II, Rabat, 1975,

Donadieu P., D. Chessel et al, 2. « Introduction à l’étude de la structure végétale en milieu steppique, Traitement systématique », Oecologia Plantarum, 1975-77,

Donadieu P., Chessel D. et al 3., « Introduction à l’étude de la structure végétale en milieu steppique, dispersion locale », Oecologia Plantarum, 1975-77

Donadieu P., L’écosystème montagnard de la Vallée de l’Azzaden (Haut Atlas de Marrakech), plan de l’écosystème, IAV Hassan II, Rabat, 1977.

Donadieu P., Bioclimatologie et phytogéographie de la région méditerranéenne française, 1979, ENSP, Versailles.

1980-1990

Donadieu P, « L’itinéraire paysager de B. Lassus », P& A, n°3, 1985,

Donadieu P. « Gérer le paysage littoral », P&A, n°5, 1985,

Donadieu P. 1/Géographie et écologie des végétations pastorales 2/Méthode d’étude des végétations pastorales, 3/ La production fourragère des parcours méditerranéens, 3 tomes, ENSP/IAV Hassan II, Rabat, 1985,

Donadieu P. « Repérage géographique de la rusticité thermique », Revue horticole, n° 272 1986,

Donadieu P. « Paysage et aménagement de l’espace », in Lectures du paysage, INRAP, 1986,

Donadieu P. Dossier B. Fischesser, « Quinze ans de paysagisme au service de la montagne et de la forêt, A travers les mots, le pouvoir des mots », P&A, n°11, 1987,

Donadieu P. et A. Bourbouze, « L’élevage sur parcours en régions méditerranéennes », Options Méditerranéennes, novembre 1987, 104 p.

Donadieu P. Dossier : « Des paysages sans paysans », P& A n° 107 (dans Paysages-Actualités), 1989,

Donadieu P., Bourbouze A. et Herzenni A., « La gestion de l’espace rural dans le Haut atlas marocain », in P&A , n° 128, 1990,

1991-2000

Donadieu P. et Bertin J., « Les sanctuaires de nature (le spectacle de la nature dans le golfe du Morbihan), P&A n ° 19, 1991,

Donadieu P., « Le projet de paysage , un outil de négociation », Cahier de l’IAURIF n° 106, 1996,

Donadieu P., « Paysages européens protégés, zones naturelles et sites historiques », P&A n° 23, 1993,

Donadieu P. Du désir de patrimoine aux territoires de projets, paysage et gestion conservatoire des milieux humides protégés : le cas des réserves naturelles du plateau de Versailles-Rambouillet et de quelques marais de l’Ouest, thèse de doctorat en géographie, Université Paris 7, 1993,

Donadieu P., « La paludiculture au pays des grenouilles bleues », in Bull. de l’association des géographes français, 3, 1994.

Donadieu P., « Experts et expertise sociale, le cas des autoroutes », in Autoroutes et paysages, C. Leyrit et B. Lassus (édit.), Paris, Demi-Cercle, 1994,

Donadieu, « Pour une conservation inventive des paysages », in La théorie du paysage, A.Roger dir., 1995, et Cinq propositions pour une théorie du paysage A. Berque dir., 1994,

 

 

 

 

 

Donadieu P., « L’espace agricole et les limites de la ville », in CR de l’Académie d’Agriculture de France, V. 82, n°4, 1996,

 

Donadieu P., (dir.), Paysages de marais, Paris, De Monza, 1996

 

 

 

 

Donadieu P. et Fraval A., «Des agronomes devant le paysage », P&A n° 33, 1996

Donadieu P., et G. Dalla Santa, Campagnes urbaines, Actes sud/ENSP, 1998

 

 

 

 

Donadieu P., « Du désir de campagne à l’art du paysagiste », in L’Espace géographique, 3, 1998.

Donadieu P., «Beyrouth ou la mémoire des pins », Les Carnets du paysage, n° 4, 1999.

2000-2010

Donadieu P., « Nature jardinée, nature sauvage », in Nature vive, Muséum national d’histoire naturelle, Paris, 2000,

Donadieu P., La société paysagiste, Actes sud/ENSP, 2000,

 

 

 

 

 

 

Donadieu P. avec J. Mahaud, « les paysages du Morbihan vus par les artistes », Revue forestière française,n°3, 2000,

Donadieu P., « Les campagnes européennes, tendance début de siècle, de l’agraire au paysage », in Danger d’Europe, Europe en danger (G. Bossuat édit.,), 2001

Donadieu P. et E. de Boissieu, Des mots de paysage et de jardin, Educagri, Dijon, 2002

 

 

 

 

Donadieu P. « Les références en écologie de la restauration », Rev. Ecologie, supp. 9, 2002,

Donadieu P. et Bouraoui M., La formation des cadres paysagistes en France par le ministère de l’Agriculture (1874-2000), Rapport de recherche ENSP/LAREP, 2003,

Donadieu P. et Fleury A., « Les jardiniers restaurent notre monde », Les Carnets du paysage n°9-10, 2003,

Donadieu P. et M. Périgord, Clés pour le paysage, Ophrys, 2005

 

 

 

 

 

Donadieu P., Campagne urbane, Donzelli, introduction de M. V. Minini, 2006.

Donadieu P, In Mouvance, soixante-dix mots pour le paysage, A. Berque et al. édit, Ed. La Villette, 2006

 

 

 

 

 

 

Donadieu P., « Les Bois parisiens », in Paris, Atlas de la nature, APUR, 2006

Donadieu P., « Le paysage, les paysagistes et le développement durable, quelles perspectives ?, » in Economie rurale, n° 297-298, 2007,

Donadieu P. et M. Périgord, Le paysage, entre nature et culture, Armand Colin, 2007,

 

 

 

 

 

Donadieu P, Küster B., Milani R. (dir), La cultura del paesaggio in Europa, tra storia, arte et natura ; Manuele di teoria e pratica, Olschki, 2008,

Donadieu P., Abrégé de géomédiation paysagiste, Tunis, Imprimerie nationale, 2009,

Donadieu, Les paysagistes ou les métamorphoses du jardinier, Actes sud, 2009.

 

 

 

 

 

 

 

2011 …

Donadieu P., avec Sonia Fradi et Hichem Rejeb, L’avenir du vieux village de Takrouna (Tunisie) : ruines ou emblème de la nouvelle villégiature du Sahel ?
publié dans Projets de paysage le 18/07/2010

Donadieu, P. et J. Chroniques paysagistes de deux rives de la Méditerranée, 2011, Tunis, (anglais/français)

Donadieu P., Sciences du paysage, Paris, Lavoisier, 2012

 

 

 

 

 

 

Donadieu P., Le village inventé, fable réaliste, éditions Persée, 2013,

Donadieu P. avec D. Labat, « Le paysage levier d’action dans la planification territoriale » L’espace géographique, n° 1, tome 42, 2013,

Donadieu P., Paysages en commun, Presses universitaires de Valenciennes, 2014,

 

 

 

 

 

Donadieu P., « Contribution à une science de la conception des projets de paysage », in Paysage en projets, (Chomarat-Ruiz C. dir.), Presses Universitaires de Valenciennes, 2016,

Donadieu P., « Les biosols, une condition de la résilience urbaine », in Ressources urbaines latentes, (D. Arienzo et al. dir.), 2016,

Donadieu, P., Girard, Rémy, E., « Les sols peuvent-ils devenir des biens communs ? ». Natures Sciences Sociétés, 2016, 24, p. 261-279.

Donadieu P., « Le paysage à l’Académie d’agriculture de France, de l’esthétique à la biodiversité », in Questions d’environnement et d’agriculture, L’Harmattan, 2017,

Donadieu P., « Les sols en tant que communs territoriaux, un point de vue paysagiste », (chap 7) in Les sols au cœur de la zone critique, enjeux de société (Dhérissard dir), V. 6, Académie d’agriculture de France, 2018 ,

Donadieu P., « Un point de vue mésologique », Les sols au cœur de la zone critique (Berthelin et al, dir), Vol 2, Académie d’agriculture de France, 2018,

P. Donadieu et al, Le paysage en douze questions, et Qu’est-ce que le paysage ? Académie d’Agriculture de France, www.topia.fr, 2018,

Donadieu P., « Les paysages du Genevois français », CAUE Haute Savoie, in Prises de vue Métis Press, 2019.

Donadieu P. Histoire de l’enseignement à l’ENSP de Versailles, depuis 2018. https://topia.fr/2018/03/27/histoire-de-lensp-2/

Ses idées

La carrière de P. Donadieu n’est pas celle d’un formateur de paysagistes concepteurs à la manière de M. Rumelhart avec lequel il a enseigné pendant une dizaine d’années. Elle est plutôt celle d’un chercheur enseignant qui a transmis à ses étudiants de DEA, de master et de doctorat, un métier (des méthodes de chercheur) appris précocement. Il a exploré des domaines apparemment très différents, mais avec un dénominateur commun, l’intérêt porté à la connaissance de l’espace, tant du point de vue de ses potentialités écologiques et de ses usages sociaux que de son aptitude à être modifiée par des projets de paysage ou de jardin.

Deux questions ont été pour lui constantes, sans réponses définitives : quelles connaissances doit-on transmettre aux étudiants (agronomes, paysagistes, architectes) et pour quels usages ? Comment les créer ?

Deux polarités épistémiques se sont succédées et superposées sans vraiment interférer. L’une de 1970 à 1990, est dominée par la connaissance botanique et écologique des végétations naturelles, cultivées et jardinées, notamment méditerranéennes, savoirs scientifiques qu’il enseigne pour former des ingénieurs agricoles à Dijon, et des ingénieurs agronomes à Alger et à Rabat. Cette pratique d’enseignant est doublée par une compétence d’agrostologue pastoraliste et de phytogéographe qui cherche à établir sous forme cartographique des synthèses bioclimatiques et phytoécologiques pour l’Afrique du nord.

« En tant que botaniste, j’ai mis mes connaissances biologiques au service de la formation des ingénieurs agronomes. Qu’il s’agisse de la flore des pâturages, des forêts, des mauvaises herbes des cultures ou des jardins. J’étais à l’aise partout. Je savais mettre un nom latin sur n’importe quel végétal ou presque. Et si je ne savais pas, les flores m’aidaient car j’avais appris à les manipuler très tôt. C’était une compétence peu répandue mais aussi une passion très envahissante que m’avait transmise Jacques Montégut à l’ENSH de Versailles. J’en ai gardé des milliers de diapositives »

L’autre polarité, de 1977 jusqu’à aujourd’hui, a été construite en fonction des différentes missions qui lui ont été confiées dans la mise en place des services de l’École de paysage de Versailles ; cette formation étant proche de la culture de projet des architectes et de celle des Beaux-Arts. Il a pris en charge la création et la gestion des départements d’écologie, de sciences humaines et sociales, et de la quatrième année, puis la responsabilité scientifique d’un laboratoire de recherches et d’une formation doctorale reliée à celle dispensée à l’École d’architecture de Paris la Villette.

Pour cela il a modifié ses centres d’intérêt :

« Je voulais conclure ma période nord africaine par une belle thèse de doctorat qui aurait prolongé les travaux phytoécologiques de Charles Sauvage et de Louis Emberger, autant que ceux de mes mentors en pastoralisme H.-N. Le Houerou et Jacques Claudin. Mais cette idée était devenue anachronique au début des années 1980. Alors j’ai soutenu dix ans plus tard une thèse en géographie de l’environnement consacré aux zones humides, un sujet qui allait devenir quelque temps très politique, puis tomba dans l’oubli ».

Le botaniste

Pierre Donadieu a acquis la compétence de botaniste d’abord à l’ENSH de Versailles, puis sur les steppes algériennes. Ce savoir encyclopédique n’était pas dissociable de la capacité à lire et à comprendre les paysages comme il le raconte au moment de son passage de l’Algérie au Maroc en 1972 :

« En juillet, mes nouveaux employeurs me proposent un exercice inattendu : accompagner un voyage d’études des élèves ingénieurs marocains sur les plateaux de l’Oriental, de Missour à Midelt. Je prends le train d’Alger jusqu’à Oujda et Taza pour rejoindre le bus qui m’attend. Je n’ai jamais parcouru la vallée de la Moulouya, mais les paysages que je découvre me sont immédiatement familiers, des steppes à alfa et à armoise blanche à perte de vue comme sur les hauts plateaux algériens. Sur les contreforts du Moyen-Atlas, des boisements clairsemés de genévriers montent à l’assaut des cimes encore enneigées. Je commente le parcours comme si j’en étais le guide attitré. Examen réussi ! On se donne rendez-vous en septembre à Rabat pour la rentrée. »

Il ne faisait pas de doute pour lui qu’un nom de plante, spontanée ou pas, était associable à de multiples propriétés du milieu où on la trouvait. Les végétaux parlaient de l’histoire climatique, édaphique et humaine des paysages ruraux, de leurs usages (forestiers, pastoraux, agricoles, alimentaires…). Encore fallait-il les faire parler !

La Plante indicatrice

Fondée sur des méthodes phytoécologiques et phytosociologiques, cette doctrine était étrangère aux points de vue sociologique et agronomique de l’époque, lesquels remettaient en cause des ambitions un peu hégémoniques. Pourtant, elle savait intégrer les causes économiques ou culturelles des évolutions constatées.

« Les économistes, les agronomes et les sociologues nous ignoraient. Et on ne se privait pas d’en faire autant. Si nous recommandions les mises en défens des parcours abimés par le surpâturage, c’est après avoir observé les cimetières préservés des troupeaux. Si nous affirmions la dégradation généralisée des anciennes forêts semi-arides, c’est en étant capable de reconnaitre les vestiges du cortège floristique forestier. Dans ce grand livre ouvert de la nature, nous lisions le destin des territoires …Nos alliés c’était les forestiers. ».

De retour à Versailles, P. Donadieu ne travaille plus avec des agronomes ou des forestiers (des scientifiques), mais avec des paysagistes (qui ne le sont pas). Ces derniers attendent des écologues enseignants une connaissance experte du « milieu » (au sens des paysagistes) pour inspirer leur parti de projet et pour planter les bonnes plantes au bon endroit. Pas beaucoup plus.

«M. Rumelhart enseignait déjà quand je suis arrivé. Je n’ai pas posé la question : que devons nous enseigner, et pourquoi ? J’aurais dû la poser. Il était évident que nous nous sentions les héritiers de J. Montégut et que notre chemin pédagogique était tracé. Personne ne semblait souhaiter autre chose. Personne n’évoquait l’émergence de la conscience écologique et des alternatives à la croissance économique que la France venait de connaitre. Les idées étaient conservatrices en dépit de l’apparition d’une commande publique nouvelle de parcs urbains, et de réponses de projets qui allaient fonder un “paysagisme urbain“. C’était frustrant. »

Réguler les paysages agricoles : une utopie

Constatant que la connaissance phytoécologique des paysages n’intéresse en général les étudiants qu’en tant qu’éléments vite oubliés de culture générale, et que la botanique reste un savoir scientifique d’expertise qui n’est pas revendiqué par les paysagistes, Pierre Donadieu revient à son expérience précédente : les paysages ruraux.

En tant qu’agronome, et fils d’agriculteur, il commente dans de nombreux articles publiés dans Paysage et Aménagement, l’évolution des paysages agricoles. En s’appuyant sur son expérience marocaine et sur les travaux de J.-P. Deffontaine à l’INRA, il réaffirme l’idée que les paysages agricoles sont d’abord des productions des propriétaires fonciers et des exploitants agricoles. Et qu’il n’est possible d’agir sur eux qu’avec les agriculteurs.

«Je voyais bien, et je le comprenais par atavisme, que les mondes paysagiste et agricole en France n’avaient rien de commun. Il était illusoire de vouloir édicter « top down » des règles paysagères applicables par les entreprises agricoles, sauf dans des situations patrimoniales partagées par tous localement. Cette ambition défendue par les paysagistes me paraissait exorbitante, et politiquement utopique. Seules les démarches patrimoniales enseignées par H. Ollagnon à l’AGRO ont été vraiment efficaces, avant celles de la médiation paysagère»  

Le géographe

Quand il s’associe à l’agronome A. Fleury, il trouve un partenaire qui partage sa culture agronomique issue de l’AGRO de Paris et des enseignements de M. Sébillotte que lui ont transmis ses collègues agronomes au Maroc. Dans ce partenariat, il est ainsi amené à avoir recours aux travaux de recherche du géographe orientaliste A. Berque (le paysage comme médiance) et du philosophe A. Roger (le paysage comme artialisation du pays) avec lesquels il travaille. Il modélise le processus de projet de paysage en s’inspirant des travaux du sociologue M. Conan et de l’écrivain Umberto Eco (le projet comme logique abductive). Il tente de les appliquer à trois domaines émergeants de l’action publique gouvernementale : l’agriculture urbaines, les zones humides et les pratiques paysagistes.

L’agriculture urbaine

André Fleury, qui est nommé professeur d’agriculture urbaine à l’ENSP, est le principal promoteur, avec Roland Vidal, et jusqu’à sa retraite, de l’idée de l’agriurbanisme. Pierre Donadieu l’accompagne dans cette démarche qui analyse en termes agronomiques les mécanismes d’adaptation des exploitations agricoles à la demande alimentaire urbaine.

« J’avais vite compris que dans ce milieu (paysagiste, architecte, artiste, écrivain …), on ne pouvait convaincre que par des manifestes, et non par des publications scientifiques. C’est pourquoi, après quelques années d’enquêtes avec André et ses étudiants, j’ai écrit Campagnes urbaines, ouvrage publié avec l’aide de J. Cabanel de la Mission du paysage. C’était une application un peu simpliste du concept de conservation inventive que j’avais développé dans Cinq propositions … Je plaidais pour la conservation d’une agriculture réinterprétée dans la région urbaine, par la ville et pour la ville.  Les paysagistes enseignants auraient pu s’en emparer, mais il n’en a rien été.»

Les zones humides

Deux années avant la parution de Campagnes urbaines, Pierre Donadieu dirige l’édition de l’ouvrage Paysages de Marais toujours avec l’aide de la Mission du paysage. Le thème des Zones humides est à l’agenda du gouvernement. L’idée semble la même que dans Campagnes urbaines, sous une forme polyphonique et plus savante : comment et pourquoi les marais, les marécages, les zones inondables, en voie de disparition, pourraient-ils « faire paysage » tout en conservant leurs espaces propres et les services écosystémiques qui y sont associés ?

« Je venais de soutenir ma thèse sur les zones humides, et souhaitaient la publier. J. Cabanel me convainc facilement d’en faire un « beau livre » tout public. Je propose une première version réunissant les textes des chercheurs français sur ce sujet. Puis une seconde, beaucoup plus simple avec les images d’Arnaud Legrain (Agence VU), auxquelles s’ajouteront les images de l’éditeur J.-P. de Monza. Le livre a obtenu un prix de l’Académie des sciences morales et politiques. J’en étais très fier ».

Les paysagistes

Au début des années 2000, le corpus théorique de la Mouvance devint de plus en plus évident et convaincant. Il dessinait un périmètre original de pensée et de pratiques propre au paradigme paysager/paysagiste de « milieu » au sens de la mésologie développée par A. Berque. Il était devenu possible de penser le projet de paysage avec une épistémologie propre qui l’ancrait assez loin du naturalisme des scientifiques, mais sans l’exclure. Les approches néo-heideggérienne de A. Berque, plasticienne de B. Lassus et esthétique de A. Roger inspiraient cependant des critiques vives chez les géographes, les agronomes et les anthropologues. Débats qui furent clos par l’ouvrage de l’anthropologue P. Descola Au-delà de nature et culture en 2005. L’idée de paysage relevait de la catégorie des cultures dites naturalistes et ne pouvait se soustraire à ce déterminisme sociohistorique.

P. Donadieu pris acte de ce débat d’abord en publiant La Société paysagiste, qui rassemblait et développait ses cours au DEA de l’École d’architecture de la Villette, puis les Paysagistes, figures produites par cette société amateure de paysages, de jardins et de lieux aimables, qui décrivait l’état de la profession de paysagiste en pleine croissance à cette époque.

« J’ai pensé à cette époque (2009) qu’un cycle se terminait. J’avais vu disparaitre l’idée, pourtant convaincante, de la « Plante indicatrice des milieux », il me semblait que la Mouvance, non moins séduisante, allait connaitre le même sort. C’est pour cette raison que j’avais créé, pour lui succéder, avec l’aide du directeur R. Mondy et de la direction d’AgroParisTech, le master « Théories et démarches du projet de paysage » et sa formation doctorale, seule possibilité pour les chercheurs du LAREP de susciter des vocations de jeunes chercheurs et de développer des programmes de recherches, sur le projet de paysage. »

Dans tout cela j’ai été un géographe peu orthodoxe, intéressé en dernier ressort par ce que les pratiques paysagistes, médiatrices, apportaient à la vieille idée du commun. Et pour cela je me suis beaucoup inspiré de la philosophie pragmatiste du philosophe américain John Dewey. ».

L’historien

Pierre Donadieu n’est pas historien, mais il a été convaincu par sa collègue, Chiara Santini, historienne professionnelle, de l’intérêt de la consultation des archives. Il est devenu historien amateur.

« J’ai fait une première tentative d’exploration du passé avec la recherche sur la formation des cadres paysagistes en France en 2003. Dans les archives poussiéreuses de l’ENSP, j’avais découvert des petites merveilles évoquant la mémoire oubliée de l’École d’horticulture. J’ai entrevu, de loin, les zizanies avec l’école d’Angers pendant presque 20 ans : qui était légitime pour accueillir les archives des écoles et des paysagistes : Angers ou Versailles ? ».

Il se rend compte que cette histoire est méconnue par les élèves et les enseignants, et surtout qu’elle est tronquée et comporte beaucoup de trous.

« Je me suis lancé dans une entreprise un peu folle : raconter l’histoire de l’enseignement des écoles du Potager du roi. Pour cela j’ai fait appel aux travaux existants et en cours. J’ai repéré avec l’aide de Chiara où étaient les archives, j’ai interrogé les plus vieux enseignants. J’écris au fil des semaines un récit qui, pour partie (l’histoire la plus récente) est aussi le mien ».

Pour conclure

Pendant une cinquantaine d’années, la carrière d’enseignant chercheur de P. Donadieu dessine un « destin paysager » qui ne prend pas les mêmes chemins que celui de B. Lassus décrit par S. Bann3.

Formé très tôt à la recherche scientifique au CNRS, il fait un vaste détour par l’enseignement et la recherche agronomique et forestière en Algérie et au Maroc, avant de revenir au Potager du roi où il a appris son métier de botaniste.

Dans ce site prestigieux, il devient, parmi d’autres, l’artisan de la construction lente et riche de péripéties de l’enseignement de l’École nationale supérieure de paysage de Versailles-Marseille. Elle a été faite sur le modèle des projets versaillais d’Institut du paysage qui avaient échoué.

Parallèlement, associé aux manifestes culturalistes des acteurs de La Mouvance, il poursuit une analyse des processus de « mise en paysage » des territoires ruraux. Cette connaissance avait commencé avec les pâturages collectifs des éleveurs marocains. Elle se termine dans la quête d’un bien commun paysager apporté par la gouvernance démocratique des territoires en France.

La boucle est ainsi refermée sur une vocation qui trouve peut-être ainsi son origine restée énigmatique : une conscience précoce d’un destin humain solidaire. Idée que résume le philosophe J. Rancière :« L’apparence (du monde) n’est pas le contraire ou le masque de la réalité. N’est-elle pas ce qui ouvre ou ferme l’accès à la réalité d’un monde commun ? »4 ?

Pierre Donadieu

Mars 2020


Notes

1 La plupart des citations sont extraites de l’autobiographie de Pierre Donadieu, Ici et ailleurs, mémoire des deux rives, non publié, 2017.

2 Un film de A. Bourbouze et de A. El Aich, « La vallée est tombée dans les pommes » a montré 40 ans après l’efficacité de la démarche. Désenclavée par une piste carrossable, la vallée s’est ouverte à une économie arboricole spectaculaire qui a transformé le mode de vie de ses habitants.

3 S. Bann, Le destin paysager de B. Lassus, Orléans, HYX, 2014.

4 Jacques Rancière, Jardins subversifs, le Temps du paysage. Aux origines de la révolution esthétique. La Fabrique éditions, 2020.

Marc Rumelhart

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Marc Rumelhart

Botaniste, écologue paysagiste et pédagogue

Son parcours Ses idées de pédagoguesUne épistémologie du vivant1

Marc Rumelhart est né à Lyon en 1951 et a passé son enfance dans le Bugey jusqu’à l’âge de 20 ans.

Son parcours

Après les classes préparatoires dans un lycée lyonnais, il se présente au concours d’entrée à l’Ecole nationale supérieure dhorticulture de Versailles où il est reçu en 1971. La même année sont inscrits en première année de la Section du paysage et de lart des jardins : Alexandre Chemetoff, Alain Marguerit et Gilles Vexlard. Cette même année, M. Corajoud et Jacques Simon commencent à enseigner dans les ateliers à la rentrée de l’année scolaire 1971-72.

Puis, il choisit une spécialité de malherbologie avec le professeur de botanique et d’écologie végétale, Jacques Montégut, qui deviendra son mentor et un modèle admiré.

« La perspective d’une année avec Montégut suffisait à mes ambitions. Je n’ai jamais regretté ce choix car je lui dois ma vocation de botaniste écologue, et bien des partis pris pédagogiques. Hormis une laborieuse initiation à la recherche, et quelques cours suivis à l’Agro, je passais beaucoup de temps à accompagner les pérégrinations du maître ».

« Comme nous n’étions, hélas, pas toujours dehors, j’ai beaucoup appris en mettant de l’ordre dans l’herbier, en manipulant les échantillons rapportés des sorties, et en indexant la littérature botanique et malherbologique. Mais aussi en préparant avec les techniciens du matériel didactique vivant, car Montégut faisait beaucoup manipuler. Semis, rempotage, repiquage, arrosage, étiquetage : de ces précieux gestes jardiniers, j’ai plus appris là qu’en deux ans d’horticulture. Des équipées délocalisées en région, je rapportai grand butin : l’exploration partagée de territoires et de leurs usages donnait une clé pour entrer dans la conversation généreuse et cultivée du patron, ce grand savant. »

Son diplôme dingénieur horticole en poche en 1974, il part en coopération militaire à Djelfa sur les hauts plateaux algériens, où il fait venir J. Montégut. Celui-ci le recrute pour lui succéder dans les enseignements de la nouvelle ENSP qui vient douvrir ses portes.

En 1976, il est affecté, comme maitre auxiliaire, à l’ENSH et mis à disposition de lENSP. Pour parfaire sa formation, J. Montégut loriente vers un DEA d’écologie végétale à l’Université d’Orsay quil suit en 1977 :

« Je trouvais à Orsay (université de Paris-Sud) un bel enseignement d’écologie végétale, adapté à mes besoins. Autour de Marcel Guinochet se concentrait un renouveau de la phytosociologie. En appui à un cours de phytoécologie générale de haut niveau, Georges Lemée nous faisait bénéficier de ses résultats sur les écosystèmes des réserves biologiques de Fontainebleau. L’encadrement serré de leurs collaborateurs (Solange Blaise, Jean-Paul Briane, Jean Guittet, Jean Lacourt, Aimé Schmitt) avait installé parmi les étudiants un esprit d’équipe stimulant. M. Guinochet par sa hauteur de vues et sa posture de systématicien, Lemée par la tonicité et la transversalité de ses apports, y compris in situ, ont élargi mon approche de l’écologie scientifique. J’ai acquis rapidement une gamme étendue de références méthodologiques et de terrain. En outre, je pris pied cette année-là dans l’Amicale de phytosociologie, que j’allais accompagner une quinzaine d’années ».

À l’ENSP, il rencontre à la rentrée suivante Pierre Donadieu, lui aussi ingénieur horticole (entré à l’ENSH en 1965) et titulaire dun DEA d’écologie en 1970 (à l’Université de Montpellier). J. Montégut lavait recruté au Maroc à l’occasion là aussi d’inépuisables excursions botaniques dans le Moyen Atlas et le Haouz de Marrakech. Il dirigeait le département d’écologie végétale, de bioclimatologie et de pastoralisme à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II de Rabat.

De 1977 à 1986, ils créent et gèrent ensemble le département d’écologie et le laboratoire d’écologie. Dans le cadre du département ils prennent en charge avec Roland Vidal les enseignements de botanique et d’écologie végétale des trois premières années de lENSP. Ils reconduisent, au moins au début, une grande partie de lenseignement de J. Montégut dont ils avaient été les élèves, et tout particulièrement les excursions, les travaux pratiques, les polycopiés et les herbiers. Dans le cadre du laboratoire, ils répondentà des demandes d’études écologiques issues le plus souvent de paysagistes et de bureaux d’études.

Ils participent au concours du parc départemental du Sausset (93) et M. Rumelhart assiste M. et C. Corajoud pendant les vingt ans de réalisation du parc.

Le parc du Sausset, stratégies bocagères, 1980

Après une période de crise, labandon du projet d’Institut français du paysage en 1985, les départs, momentanés ou définitifs, de nombreux enseignants dont Pierre Donadieu, Gilles Clément, B. Lassus et A. Provost, et après la nomination de Michel Corajoud comme maitre de conférences titulaire en « théories et pratiques du projet de paysage », en 1987, M. Rumelhart est nommé maitre de conférences titulaire en« écologie appliquée au projet de paysage ».

Dans son département, il met en place une nouvelle équipe denseignants. Dabord en sassociant avec le paysagiste Gabriel Chauvel (qui s’était inscrit à la Section en 1970) afin de reprendre lenseignement dutilisation des végétaux que ne dispensait plus Gilles Clément.

G. Chauvel

M. Rumelhart revient sur cette période de mutation de lENSP :

« Michel Corajoud (avait reçu) une lettre d’un ancien étudiant de la section du paysage, qui exprimait le désir de renouer avec l’univers d’échanges d’expériences et de débat que représentait pour lui l’école, après une douzaine d’années de pratique professionnelle trop isolée. Connaissant mon inquiétude (relative à l’enseignement d’utilisation des végétaux), Michel Corajoud organisa une rencontre avec Gabriel Chauvel dans son village introuvable des bords de Vilaine, près de Redon. Mais il laissa ce soir-là si peu de place à la parole de son élève que je n’eus d’autre choix que de faire confiance à l’intuition du maître bavard, longuement argumentée pendant le voyage de retour. Bien m’en prit. Gabriel Chauvel est un expérimentateur de première catégorie, un inventif détonnant et un bricoleur génial. En outre, quoiqu’il s’en défende, il aime et sait écrire, et possède l’art de résumer une pensée ou une découverte par une formule concise d’une efficacité didactique redoutable. Nous avons presque immédiatement accordé nos violons. »

Ils mettent en place de nouveaux exercices pédagogiques pour inventer un enseignement du jardinage au Potager du roi :

« Je ne sais même plus qui a proposé le premier d’offrir aux élèves une pratique jardinière, mais le fait est que, dès le printemps 1986, celle-ci se mettait en place dans un coin déshérité du Potager du roi, sur un épandage de vases de curage ».

Puis il recrute un ancien élève, Alain Freytet, diplômé en 1984.

A. Freytet

«Il mettait au service de notre enseignement ses talents variés : dessinateur, cartographe, naturaliste et… pédagogue. Ils ont superbement dynamisé et diversifié nos activités de lecture de l’espace et de diagnostic paysager. J’ai déjà évoqué ailleurs quelques-unes de ses qualités professionnelles. Promoteur convaincant de la spécificité des paysagistes, mais familier du travail interdisciplinaire, il en tire un enthousiasme, une aptitude à l’encouragement qui font accepter par les élèves l’exigence forte de ses attentes de production. Avec lui, je n’ai pas peur de prétendre que nous avons érigé au rang d’un art savant la conception des excursions et des voyages pédagogiques, et l’apprivoisement de la géologie et du relief par les futurs paysagistes ».

Avec la création par P. Donadieu et A. Fleury du laboratoire de recherches de l’ENSP en 1993, il s’oriente un temps vers la recherche scientifique et dirige un programme pluridisciplinaire de recherches du Ministère de l’Environnement Recréer la nature (1999-2000)2. Puis il se consacre totalement à l’enseignement et infléchit l’activité pédagogique et de recherche de son département vers les ethnosciences. En 2007, il recrute la jeune ethnoécologue Pauline Frileux3 comme maitresse de conférences appelée à lui succéder. Il prend sa retraite d’enseignant en 2013, sans cesser son activité jardinière au Potager du roi avec ses collègues et anciens élèves, mais en froid avec la direction de l’école du fait d’un litige sur sa succession.

S’étant totalement dévoué à l’enseignement, sans faire une place suffisante à la recherche académique comme le souhaitait la tutelle ministérielle, il a entretenu avec la Direction générale de l’enseignement et de la recherche du ministère de l’Agriculture, et surtout avec la CNECA (commission nationale des enseignants chercheurs) qui avait bloqué son avancement de carrière, un dialogue de sourds4.

« Mais la vexation, je dirais même l’injustice, la plus forte c’était, à mes yeux, la déconsidération des enseignants non ou peu chercheurs dont je comprenais bien que je « jouirais » à vie.

S’est alors ancrée dans mon crâne une conviction qu’on a le droit de juger libertaire et soixante-huitarde, mais que j’ai emmenée jusqu’à ma retraite. « Vous ne voulez pas reconnaître mes qualités d’enseignant ou plus exactement les traduire dans ma progression de carrière ? Surtout, vous ne voulez pas considérer le cas particulier de cet enseignement-là, qu’il a fallu monter de toutes pièces, à partir de presque rien (sinon un glorieux passé riche d’enseignements, mais pas directement resservable ? Alors, vous n’aurez plus d’autre rapport d’activité venant de moi. Même pas l’obligatoire quadri-annuel. Surtout demandé à la période de l’année où un vrai enseignant de « matières du dehors » est le moins disponible. »5.

Ses distinctions6

Membre de la commission supérieure des monuments historiques,

Membre de la commission nationale des enseignants chercheurs du Ministère de lAgriculture, section 2, Milieux, organismes, populations.

Ses idées de pédagogue 

Il y a eu deux périodes principales dans la carrière de Marc Rumelhart : avant et après 1986.

Avant 1986

Jusqu’à la crise étudiante et enseignante qui fut marquée par l’abandon du projet d’institut français du paysage en 1985, son enseignement reste fidèle à l’héritage scientifique de Jacques Montégut. Les sciences écologiques, phytogéographique et phytosociologiques sont pour lui comme pour Pierre Donadieu des fondamentaux incontournables. Même s’ils savent qu’il leur faut adapter cette connaissance académique et abstraite à l’exigence d’action du métier de paysagiste concepteur.

« Notre préoccupation commune était d’adapter notre offre à ce que nous comprenions des compétences attendues des paysagistes DPLG. Problème : nous étions en même temps, à notre place, en train de les profiler ! ».

Colloque de phytosociologie, 1988

Avec R. Vidal, ils vont beaucoup s’intéresser à la botanique ornementale. À la phénologie des végétaux, notamment, convaincus à l’époque que le choix d’une palette végétale pour un projet dépendait, entre autres critères (taille, port, feuillage persistant ou caduque …) d’une bonne connaissance des dates et des périodes de floraison ou de fructification. Domaine qu’enseignait également Gilles Clément, mais du point de vue du praticien. En fait ils parlaient de la même chose mais à la manière des botanistes. La coordination pédagogique n’était pas encore au point.

Les arbres feuillus, M. Rumelhart et R. Vidal, 1991.

« Une demi-douzaine de séances saisissait les optimas phénologiques successifs de l’année scolaire pour introduire des points de systématique ou de biologie en rebond dune excursion appropriée :
– morphologie foliaire, feuillus au stade feuillé ;

– végétaux inférieurs et Éricacées ;
– reconnaissance hivernale des feuillus, larbre et larborescence ;
– Gymnospermes ;
– flore vernale, formes biologiques et indicateurs écologiques ;
– TD de floristique, Graminées.
Avec Roland Vidal, nous arpentions le terrain pour préparer les expositions d’échantillons suivies de tests de reconnaissance qui prolongeaient les sorties. Nous avons constitué rapidement un herbier de rérence, enrichi les polycopiés existants (notices géologiques, listes floristiques) et amendé certaines des clés didentification trop concises quavait rédigé Montégut »

Marc Rumelhart avait compris comme J. Montégut quil fallait introduire lespace géographique concret dans les cours, alors que le modèle de l’écosystème fonctionnel des frères Odum7 sur lequel était fondé l’écologie générale restait très abstrait :

« Estimant devoir offrir aux élèves de deuxième année un savoir écologique plus construit, je puisai dans mes acquis en gestation pour bâtir un cours d’écologie générale et écosystémique. Aux classiques facteurs et agents climatiques, édaphiques, biotiques et anthropiques, j’ajoutai, à l’instar de Montégut, le tiroir commode du topographique qui permet d’évoquer les groupements pionniers : dunes, éboulis, tourbières, adventices des cultures ».

Il faut apprendre, disaient les paysagistes, à lire un paysage. Mais, en dehors de l’analyse phytoécologique (ce qu’apprenaient les plantes indicatrices) qu’ils connaissent bien, ils s’aperçoivent qu’il existe d’autres savoirs à transmettre, tout aussi pertinents. Ils vont chercher ailleurs, à l’Agro, des compétences qu’ils n’ont pas en géomorphologie et en sciences des sols :

« L’enseignement actuel de “lecture de l’espace”, par exemple, doit une fière chandelle au coup de main que nous ont donné Yves Peyre et Bernard Fournier, de l’INA-PG, pendant deux ou trois ans, pour monter un enseignement actif de lecture des caractères physiques d’un territoire. C’est avec eux que j’ai compris quels bénéfices on peut espérer du commentaire de travaux menés par des élèves aux niveaux d’information disparates ».

Peut être influencé par la théorie de la forme (la Gestalt Theorie) : le tout est différent de la somme des parties, P. Donadieu se demande comment renouveler l’analyse des paysages, non par les listes de plantes de l’Ecole phytosociologique zuricho-montpellieraine qui restait leur méthode de recherche préférée, mais par la description des structures végétales d’un site :

« C’est sur une sienne idée que nous avons initié l’exercice de “Levés de structures végétales”, aujourd’hui valeur sûre de notre enseignement d’utilisation des plantes. Initialement, chaque élève devait étudier, sur vingt motifs d’assemblages végétaux, en situation urbaine ou para-urbaine, les relations entre leur organisation spatiale et leurs ambiances, usages et fonctions ».

Quand un nouveau programme pédagogique est voté en 1986, est affirmé en même temps le principe d’une relation plus complémentaire qu’avant entre les ateliers et les autres départements : arts plastiques et techniques de représentation, techniques de projet, sciences humaines et sociales. Changement qui fut concrétisé par l’évolution du nom du département : « Écologie appliquée au projet de paysage ». En pratique l’enseignement s’éloigna du paradigme des fonctionnalités écosystémiques et des équilibres écologiques, pour retrouver, en tâtonnant, un référent un peu oublié : la réalité matérielle des paysages et des lieux telle qu’elle se présentait à la sensibilité des étudiants paysagistes. L’équipe enseignante fut modifiée avec l’arrivée de deux paysagistes G. Chauvel et A. Freytet.

Au même moment la direction des départements commençait également à changer au profit de jeunes paysagistes : O. Marty en arts plastiques succédait à Daniel Mohen et quelques années plus tard M. Audouy prenait en main le département des techniques.

Après 1986

Jusqu’à la fin des années 1990. M. Rumelhart ajouta aux exercices pédagogiques issus de l’héritage de J. Montégut, ceux qu’avec G. Chauvel ils menaient dans le Potager du roi dans des placettes de jardinage confiées pendant trois ans aux étudiants. En 1999, ils en tirèrent une philosophie originale qui faisait un large écho à la pensée « pratique » des projets des paysagistes8.

Ils adoptent un point de vue qui privilégie la subjectivité de l’observateur, aux dépens des concepts de connaissance, et le savoir propre du paysagiste projeteur qui écoute ses propres intuitions et expériences.

« Une écologie du projet devrait tendre à privilégier l’intérêt pour le el aux dépens du virtuel, le raisonnement inductif plutôt que la démonstration déductive, la phénoménologie plutôt que la modélisation, le fait local avant la règle gérale. Mieux que le long cours et le vol direct, le cabotage et la pégrination sont complices des tendances didactiques qui irriguent majoritairement les pensées et les pratiques paysagères. Mais, comme la démarche de projet, cette attitude impose une contrainte spécifique : elle doit être expérimentée.

En incitant à une pratique, nous divergeons dautres institutions qui, plus disposées à diffuser des méthodes et des règles, donnent bien vite au quidam le sentiment d’être promu spécialiste… au risque dengendrer la réponse toute faite, la recette ou la géralisation – mères de bien des vices paysagers.

Constatant que le concours d’entrée à l’école sattachait à l’hétérogénéité des profils d’étudiants recrutés, et non à leur nivellement par des savoirs abstraits, ils donnent la priorité à l’appropriation personnalisée de savoirs utilisables dans les projets :

« Certains arrivent avec des réponses (à leurs questions) : d’abord surpris qu’il en existe d’autres, ils peuvent découvrir le plaisir et l’efficacité de la reformulation des questions. Nous les invitons à observer et à décrire fidèlement le réel, sur une palette restreinte de cas concrets bien choisis. Moins confortable qu’un catalogue d’énoncés magistraux, ce pari vise à fonder plus durablement savoirs et savoir-faire. Sitôt quitté le mode univoque qui, à une question, souffle une réponse, s’ouvre la soif inextinguible de reconstruire son propre bagage, garante d’une adaptabilité salutaire (si l’on place le niveau d’ambition professionnelle au-delà du copier-coller) (…)

Alors ils découvrent avec quelles petites satisfactions peut samorcer progressivement leur bagage, et donner place périodiquement aux engrangements nouveaux. Nous voici envers eux le devoir de lethnologue : respecter chaque taxonomie vernaculaire ».

Ils sengagent fermement dans la construction collective des savoirs individuels (le compagnonnage) :

« Cette somme de regards différents sur un même objet devient un bien commun, à partir duquel nous pouvons alors, en salle, du côté de la pratique, offrir une approche plus confortable, à d’autres échelles de perception, et de plus amples possibilités de recherches documentaires ; ou encore susciter, après un bref travail de mise en forme, le partage entre les étudiants par la restitution collective des observations de terrain ; du côté de la théorie, exposer un point de vue élargi, un éclairage différent, ou présenter des résolutions différentes de questions analogues. ».

Réfutant l’idée commune que des bases scientifiques de connaissance biologique sont indispensables à ce niveau d’études paysagistes, M. Rumelhart plaide pour un savoir et un savoir-faire finalisés par lexpérience de la conception du projet de paysage.

« Sortir dans la rue ou dans la campagne livre mille exemples d’installations végétales, parfois riches en espèces, conçues par des créateurs “connaissant” bien les plantes, et qui se révèlent médiocres quant à l’espace ou aux effets produits, ou peu adaptés au contexte écologique ou gestionnaire. Symétriquement, nous avons parfois été très heureusement surpris, visitant les réalisations de nos anciens élèves, d’y trouver la manifestation de réflexions très fines sur l’usage des plantes ou sur la création d’écosystèmes artificiels aimables et durables. Ce n’est sans doute pas à l’école qu’ils en avaient acquis tous les mécanismes, mais nous voulons croire que nous avons contribué à leur en donner le désir ; ce n’est pas si simple qu’il paraît et, en tout cas, ce n’est pas mineur.

Depuis que nous avons abandonné l’enseignement spécifique de la biologie végétale, au profit d’un développement de la formation à l’utilisation des plantes, on nous reproche chroniquement son “absence” – formulation excessive de sa réduction-dispersion. Au point que les permanents corvéables exorcisent parfois cette culpabilisation en dispensant des cours facultatifs, acrobatiques et matutinaux, de biologie et de botanique au succès variable, mais émouvant. Quand les collègues insistent, je leur demande de donner du “temps-élève” pour étancher plus officiellement cette soif de culture biologique. Cela relativise immédiatement les reproches. »

 

« Le Transformateur ne perd rien et créé en transformant tout »

Le site du Transformateur à Saint-Nicolas de Redon (44), un projet de recherche action initié par M. Rumelhart avec G. Chauvel et leurs étudiants9, en 2004.

Les innovations pédagogiques et de recherches de M. Rumelhart et de ses collaborateurs nont pas été reconnues par ses pairs de la section 2 (Milieux, organismes, populations) de la CNECA. Pourtant, elles étaient et restent fondées sur une critique empirique de la production des savoirs du vivant parfaitement recevable.

Une épistémologie du vivant

Contrairement à ses pairs scientifiques en écologie du paysage et autres sciences de l’environnement, M. Rumelhart et ses associés paysagistes sont les héritiers de l’art des jardins et du paysage. Leur mission est de former des professionnels du paysage, des paysagistes concepteurs, et non des écologues. Il leur faut donc trouver un équilibre entre sciences cognitives, biotechniques et arts du projet de paysage et de jardins. Et être attentifs à « nouer des relations entre les regards cognitif et sensible, objectif et poétique ».

L’enjeu est de taille, puisque leurs expérimentations pédagogiques audacieuses visent à réunir ce que la culture des sociétés « naturalistes » (selon l’anthropologue P. Descola, 2005 ) dissocie depuis deux siècles : la nature et la culture, autant que le sujet et l’objet, la sensibilité et la raison10. Au profit de l’efficacité de l’action et du progrès économique et social, mais aux dépens des relations affectives et symboliques à l’espace et à la nature qui deviennent un souci marginal de l’aménagement de l’espace.

« Si l’on veut un instant explorer l’épistémologie de cette “discipline”, projeter avec des plantes mobilise évidemment des sciences comme la botanique, la biologie, l’écologie végétale, mais aussi des ingénieries et techniques variées comme l’horticulture, l’arboristerie, la foresterie, l’agronomie, le pastoralisme, etc. Quand on a cité tous ces emprunts, on n’a toujours pas parlé de ce qui fait paysage dans le vivant et qui doit pouvoir se ranger du côté de l’esthétique. En réalité, il est bien question de revendiquer une part de l’héritage de l’art des jardins, ce champ vaste et inclassable qui résume à lui seul tout le reste. Plus sagement, on peut admettre que l’art de créer, avec des végétaux et des animaux, des espaces, des usages, des fonctions, des ambiances, etc., s’étudie et s’enseigne efficacement, aujourd’hui, en adoptant le point de vue interdisciplinaire de l’ethnoécologie, science des relations entre les hommes et leur environnement. A condition d’y inclure implicitement la dimension créative de ces relations. ».

Ce point de vue signifie que la compétence spécifique du paysagiste concepteur est de savoir « faire paysage ou jardin ». Une habilité hybride qui ne peut se transmettre que par une pédagogie originale s’attachant à la personne apprenante autant qu’à son inventivité. Elle s’appuie sur l’héritage des peintres impressionnistes (peindre sur le motif) autant que sur l’aptitude à « changer les regards », à voir et faire voir le non vu, et à accompagner la transformation matérielle des sites. L’intention ambitieuse du projeteur y est essentielle, qui a appris comment inscrire son action à des échelles territoriales et des temporalités différentes (du juridique à la création jardinière, de l’éphémère au siècle).

« Nous avons commencé à explorer, pour chacun des trois grands dispositifs spatiaux que sont le couvert, le découvert et la lisière, comment les motifs d’assemblages spatiaux préconisés (et les conduites associées) servent des intentions : jalonner, border, garnir, guider, montrer, protéger, clore, abriter, ombrager, produire (du bois, des fruits, du foin…), etc. Le corpus est énorme, et l’on trouve à chaque plongée de nouveaux éléments d’éclairage ».

M. Rumelhart a formé des paysagistes aptes à « créer des espaces vivants » qui « font paysage », c’est-à-dire qui provoquent les affects et portent les messages correspondant en principe aux intentions du paysagiste, mais pas seulement. Celui-ci s’appuie sur une subjectivité partageable11 qu’il suppose commune aux partis-prenantes du projet.

Selon qu’il est créateur ou gestionnaire d’espace, les intentions peuvent différer. L’ENSP a choisi de former surtout des créateurs, et non en priorité des gestionnaires comme aujourd’hui à Agrocampus ouest centre d’Angers. C’est pourquoi la connaissance utile doit être créée par l’observation des créations des projets réalisés. Autant en principe que par les études scientifiques menées par l’institut professionnel Plantes & Cités d’Angers.

« Décrivant la structure horizontale et verticale d’un assemblage végétal, sans se priver d’enquêter et de se documenter, on peut comprendre les processus expliquant sa forme et son fonctionnement actuels, mais aussi l’histoire des interactions entre les végétaux constitutifs, et celle de leur conduite par l’homme. On devient alors capable de mieux faire le chemin inverse : anticiper au prix de quelles actions telle plantation pourrait produire tel motif de paysage dans dix, vingt ou cinquante ans. Nous avons abandonné, et pas encore su reconstruire, l’approche systématique par “milieux” du jardin, enseignée dans les années 1980 et 1990. Quoique nettement plus écologique, par le recours à la notion de groupement végétal adapté, elle finissait par trop ressembler aux catalogues botaniques si peu stimulants de nos parcours horticoles. ».

Pour trouver le moment pédagogique approprié à l’étude précise du milieu vivant envisagé, végétal en général, les enseignants du département d’écologie ont fini par faire admettre aux ateliers de projet (très autonomes) les dispositifs pédagogiques dinterfaces puis de postfaces. Plus récemment un atelier de première année a été consacré à ce sujet.

« Jusqu’en 2007-2008, une sorte de pratique simulée s’obtenait en isolant artificiellement, dans la pratique de projet, la part qui concerne les végétaux et, plus largement, la constitution de milieux accueillants pour le vivant. Nous appelons postfaces et interfaces ces exercices de “projet végétal” de trois jours, greffés en cours d’avancement sur des ateliers de projet propices. Depuis lors, nous animons en première année le nouveau troisième atelier, intitulé selon les contextes “conduire le vivant” ou “inviter le vivant” avec pour sous-titre “le droit à l’erreur”. Etat des lieux, visites de références, esquisses rapides, ».

La pensée de M. Rumelhart et de son équipe sest positionné entre sciences écologiques et art des jardins et du paysage, non loin de celle du paysagiste G. Clément (argumentant le « génie de la nature »). Tenir compte du « déjà là » appartient à la doxa de lart des jardins, sinscrire dans les transitions écologiques et climatiques du XXIe siècle relève de la conscience citoyenne de chacun, élève ou enseignant. De tous points de vue, la démarche mise au point est le résultat d’une recherche persévérante d’intérêt général. Elle aurait mérité une reconnaissance plus appuyée de la part de la puissance publique.

« Apprendre à agir, pour nous, veut dire d’abord tirer un parti optimal des ressources existantes. C’est dans ce sens que le partage entre analyse et projet est lui aussi artificiel.

Quand nous aidons les élèves à savoir lire l’espace, ce n’est presque jamais sans les inviter à qualifier les dynamiques en route, les enjeux, les évolutions possibles et à s’interroger sur les formes qu’elles peuvent prendre, c’est-à-dire sur les projets en gestation. Quand, à l’inverse, nous aiguisons leurs outils de création et de construction, ce n’est presque jamais sans exiger qu’ils disent en même temps précisément de quoi l’on part et comment on le fait bouger.

Malgré l’écologisme ambiant, ou peut-être à cause de ses idéaux trop exclusivement conservateurs, nos sociétés n’ont pas fini de se débarrasser du formalisme en matière d’aménagement et de gestion de l’espace. A travers les choix techniques que nous enseignons, notre mission première consiste, sans brider la créativité, à éveiller l’amour de la transformation complice, de la récupération maligne, de l’installation durable (car rajeunissable), de l’économie d’énergie. L’écologie n’est pas loin… mais le jardinage non plus ! ».

En 2019, M. Rumelhart a aidé les enseignants à installer des haies plessées, des frênes voués à un destin de « trognes » et un troupeau de moutons au Potager du roi. La lutte continue

Une dernière dégustation littéraire :

« Lors nous pourrons expérimenter, puis décrire, formuler, et finalement (pour commencer !) ranger sur l’étagère nos bocaux de perceptions pédestres en les classant bien comme il faut. 
– Auriez-vous un échantillon de crissant ? 
– Vous pensez au crissant graveleux, ou sableux ? 
– Non, je songeais plutôt au crissant agréable, voyez quand il y a des brindilles … 
– Vous voulez dire du crissant organique, peut-être ? Le dernier congrès de pédopédie a rangé cela aux côté de l’émietté, considérant les liens phylogéniques avec le craquant.
– Ah ! … [Elle réfléchi, dubitative.] Dites, j’aurais bien pris aussi un peu de pitrougne …
– [Il rit.] On ne dit plus “pitrougne” depuis belle lurette. mais je vois ce que c’est : vous aimez cette boue claire qui s’inflitre entre les orteils, hein ? 
– [Elle rougit.] Oui, on ne sait jamais bien quand ça va s’arrêter, mais ça ne craint pas grand chose – sauf à rencontrer une de ces grosses moules d’eau douce. Non, le seul truc qui me gêne, ce sont les herbes. 
– Quoi, les herbes ? 
– Oui, les herbes du bord : quand elles dépassent, ça va, on voit ce qu’on touche, mais les espèces de nénuphars sans feuilles, là, tout gluant, et les algues, beuh … 
– On fait des muddy footcakes déglués, vous savez ! 
– ?? 
– Oui, sans le toucher végétal. Garantis ‘boue minérale’. C’est un label bio.
– Ah ? Je veux bien essayer, tiens. Alors … donnez-moi une pitrougnette sans gluant, bien affiné ; et deux crissants », Les Carnets du paysage, n° 13 & 14, p. 148.

Pierre Donadieu avec le concours de M. Rumelhart

Mars 2020

Publications :

Gabriel Chauvel et Barbara Monbureau, « Eloge du flou végétal : quen pensent les vaches du Transformateur ? »Les Carnets du paysage, n°19, 2010, 135-159.

Alain Freytet, « Carte et paysage, linvention dun monde sensible de représentation des pays, des sites et des lieux », Paysage et aménagement, n° 32, 1995, 27-37

Alain Freytet et Marc Rumelhart, « Une tranche de persuasion massive : le bloc diagramme », Les Carnets du paysage n° 20, 2010-11, 31-42.

Marc Rumelhart, Préface de L’année du jardinier de Karel Čhapek (1890-1938), Berlin, Cramer, 1991,

Marc Rumelhart, « Mouvoir le jardin (gestes pour jardiner), plate-bande annonce d’une hortochorégraphie en gestation », Les Carnets du paysage n° 9-10, 2003, 69-101,

Marc Rumelhart et Alain Freytet,  «Cairns en marche» : « Mise en jambes pour sortir des sentiers battus », Les Carnets du paysage, 2004, 109-111,

Marc Rumelhart, « Oh ! les plantes avec les pieds ! » Les Carnets du paysage, n° 13-14, 2007, 131-149,

Marc Rumelhart, J. Baudry, P. Blandin, F. Burel, M. Toublanc, « Comment rapprocher l’écologie du paysage et le projet de paysage ? », Les Carnets du paysage n° 19, 2010, 29-56,

Marc Rumelhart, Une vie denseignants au service des paysagistes, Expériences de paysage, conférence FFP, Paris, http://www.paysage.tv/609_p_40448/marc-rumelhart-conference-du-28-janvier-2012.html,

Marc Rumelhart, Sueurs froides au Salève en 1775. Morceaux choisis du Journal de Voyages de T. Blaikie”, Les Carnets du paysage, n° 22, 2012,

Marc Rumelhart, Eugénie Denarnaud et Sarah Sellam, « La vie sous presse, recrudescence de lherbier paysagiste », Les Carnets du paysage n° 26, 2014, 63-68.


Notes

1 L’essentiel de ce texte est tiré de l’article biographique publié par M. Rumelhart dans les Carnets du paysage n° 20 en 2010 : http://www.ecole-paysage.fr/media/ensp_fr/UPL8273023605893900080_Article_Carnets_du_paysage.pdf

2RUMELHART (Marc) ; GIRARD (Colette) ; MOISAN (Hervé) ; GILIBERT (Jacques) ; RAICHON (Camille) ; THIEBAUT (Luc) ; GUITTET (Jean) : Quelle nature aujourd’hui pour les anciens paysages pastoraux ? Patrimoine écologique et paysage, moteurs de création de nouvelles natures rurales périurbaines. Rapport final. Versailles : ENSP, 2000.- 184 p.http://isidoredd.documentation.developpement-durable.gouv.fr/document.xsp?id=Temis-0086334&q=%28%2Bdate_creat%3A%5B2016-04-02+TO+2017-04-02%5D%29&n=147&sort=&order=

3 P. Frileux avait préparé son doctorat avec l’ethnologue Bernadette Lizet, professeure au Muséum national d’histoire naturelle. La collaboration avec M. Rumelhart à l’ENSP était ancienne.

4 Le livre d’or et la fête « Chaulhart » organisée au Potager du roi au moment de la retraite de G. Chauvel et M. Rumelhart ont été une marque de reconnaissance très appréciée. Des centaines d’anciens étudiants sont venus lui témoigner leur dette.

5 Lettre à P. Donadieu du 14 mars 2020.

6 Hors médailles.

7 H.T. Odum, 1953, Fundamentals of Ecology, with Eugene P. Odum, (first edition).

8 Texte repris dans l’article des Carnets déjà cité.

10 Analyse qu’a faite également le géographe et philosophe Augustin Berque depuis 1987.

11 Ce concept a été développé par P. Aubry, in Mouvance, 70 mots pour le paysage, (Berque A., édit.) éditions de la Villette, 2003.