Giuseppe Vaccaro

Retour

Architettura e skywalk

Soluzioni tecnologiche ecosostenibili per la valorizzazione dell’ambiente rurale mediterraneo

Architecture et skywalk. Des solutions éco-durables pour la valorisation de l’environnement rural méditerranéen]
Didapress, Université de Florence, juin 2020

Giuseppe Vaccaro


Préface de Roland Vidal (version française) :

Le paysage, c’est ce qui nous manque quand on est confiné

L’expérience inédite que nous vivons tous en ce printemps 2020 est une occasion de nous demander ce qui nous manque le plus lorsque nous sommes tenus de rester chez nous.

Dans ce sentiment de « vide » que nous ressentons, il y a bien sûr ces liens sociaux que nous nous efforçons de compenser avec les techniques de communication dont nous disposons aujourd’hui, mais il y a aussi ce besoin d’un ailleurs, d’une ouverture sur la poésie du monde, ce manque de ce que l’on va ordinairement chercher lorsque l’on sort de chez soi… pour le plaisir.

C’est la quête de cet « ailleurs » qui motive nos pratiques de loisir ou nos pratiques touristiques, ce besoin de dépaysement, qui est tout simplement le besoin d’un autre paysage.

Car le paysage, le vrai, il peut être partout sauf chez nous. Comme si la maison que l’on habite appartenait à un autre monde.

Et pourtant…

Le paysage, ce n’est pas seulement un ensemble de vues pittoresques, originales, mises en valeur in visu par les guides touristiques, ou in situ par les aménagements réalisés, avec plus ou moins de bonheur, à l’attention des touristes.

Le paysage, c’est aussi un territoire habité par les hommes. Et la manière la plus évidente, la plus lisible, d’habiter un paysage, c’est d’y construire sa maison.

Car si le paysage, c’est « tout sauf chez moi », ce « chez moi » fait partie du paysage des autres.

Architecture et paysage

Voilà donc deux disciplines qui se trouvent étroitement liées. Mais elles devraient sans doute l’être davantage dans les professions de l’aménagement et, d’abord, dans leurs cursus de formation. C’est en tout cas ce que propose Giuseppe Vaccaro, tout en reconnaissant que ce rapprochement progresse depuis quelques décennies.

Mais de quel paysage parle-t-on ?

Pour l’auteur, il faudrait nous éloigner de ce regard que nous portons trop exclusivement sur les espaces que nous considérons comme « naturels » pour mieux voir en quoi les paysages résultent principalement de la manière dont les populations humaines ont transformé leurs territoires pour en valoriser les ressources locales.

C’est principalement en ce sens que l’architecture est un élément important de la lecture du paysage.

D’abord parce que le premier travail d’un bâtisseur, c’est de choisir le lieu d’implantation de sa construction, et que ce choix résulte d’une fine connaissance du paysage dans lequel elle s’inscrit. La maison, par la position qu’elle occupe dans le territoire, est un élément important du « récit » que vient chercher le visiteur, et notamment le touriste. Ce récit qui se donne à lire à travers le paysage et qui raconte non seulement la beauté des lieux, mais surtout la longue histoire des populations qui les ont façonnés.

Ensuite, parce que l’architecture, telle qu’on la voit, est aussi le résultat du travail du maçon, celui du charpentier, du bucheron, celui de ceux qui ont creusé la roche pour en extraire la pierre dont on a fait les murs, l’argile dont on a fait les briques ou les tuiles, la loze dont on couvre les toits… Chacun des éléments qui composent le bâti traditionnel est comme une des lettres d’un alphabet architectural qui, à lui seul, bien au-delà de la forme de la maison, raconte l’histoire de toute une région et de son économie.

Tourisme et projet local

C’est cette histoire là que Giuseppe Vaccaro aimerait que les touristes viennent chercher lorsqu’ils visitent le Parco Nazionale del Cilento, Vallo di Diano e Alburni.

Classé comme réserve de biosphère, puis comme patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO, ce territoire ne manque pas d’attrait, mais ce sont surtout ses hauts-lieux et ses paysages d’exception que recherchent les touristes, tandis que les naturalistes, eux, viennent admirer sa remarquable biodiversité ou la richesse de son socle géologique.

Pourtant, s’il est classé « parc national » depuis à peine trente ans, ce territoire est habité depuis 250 000 ans par les populations humaines qui s’y sont succédées en y apportant les multiples couches d’une épaisseur culturelle considérable.

En concentrant son attention sur de petites communes isolées comme Trentinaro, Giungano, Capaccio, situées dans la partie montagneuse du Parc, loin de la côte, l’auteur choisit de s’intéresser de près à ce « petit patrimoine » diffus dans le territoire et qui passe trop souvent inaperçu.

Au-delà d’un simple inventaire patrimonial, l’auteur cherche à réinterpréter les archétypes architecturaux et leur mode de représentation pour défendre l’idée qu’une éco-construction biorégionaliste serait de nature à rendre lisible un paysage culturel bien plus complet que la vision simplifiée qu’en donnent les sites remarquables. C’est la condition pour que le tourisme passe d’une simple ressource financière à un véritable projet local capable de reconstruire le lien entre le paysage que l’on vient admirer et l’économie qui l’a façonné depuis que l’homme y habite.

Skywalk

Avec l’attention portée à cette dimension patrimoniale qu’il associe, au-delà des villages étudiés, à l’ensemble du paysage culturel méditerranéen, l’auteur interroge la pertinence de ces objets architecturaux singuliers que sont les skywalks. Le plus célèbre d’entre eux, celui du Grand Canyon inauguré en 2007, connaît un grand succès touristique en même temps qu’il soulève de nombreuses interrogations. La prouesse technique (un surplomb de 1200 mètres) de cette réalisation, si elle apporte des dollars à l’économie locale, ne masque-t-elle pas la richesse du patrimoine local au seul profit d’une vue exceptionnelle sur un espace perçu exclusivement comme naturel ?

Reprenant le motif très classique du « belvédère », le skywalk n’en est finalement qu’une ré-interprétation nourrie des techniques de construction modernes. Mais au paysage « pittoresque1 » qu’il donne à voir, le skywalk en s’inscrivant lui-même dans le paysage y apporte un autre récit, celui de sa propre réalisation. Et ce nouveau récit, selon la manière dont on conçoit et réalise le projet, peut apparaître comme une histoire venue d’ailleurs, ou comme un nouveau chapitre dans le récit du territoire où il s’implante.

Il peut entrer dans le paysage comme on entre dans une conversation : brutalement, en coupant la parole aux autres, à ceux qui sont déjà là, ou avec politesse, en commençant par les écouter.

Pour l’auteur, la différence tient surtout à la manière dont la population locale, avec ses savoir-faire archétypiques liés aux ressources propres du territoire, est impliquée dans le projet. C’est le sens de cette « éco-construction biorégionaliste » qu’il appelle de ses vœux et qui doit, selon lui, s’appuyer sur des initiatives locales dans un processus de bottom-up. C’est toute l’économie locale qui peut ainsi être re-dynamisée, avec bien plus d’efficacité qu’un développement touristique ordinaire qui profite bien plus à des investisseurs extérieurs qu’aux habitants eux-mêmes auxquels on n’apporte que des emplois de services peu valorisants.

Paysage et mémoire

J’essaie, en rédigeant cette petite introduction d’un ouvrage portant sur le paysage alors que je suis confiné chez moi, de raviver les quelques souvenirs que j’ai du Cilento, et je réalise à quel point ces souvenirs sont loin de se réduire à des images.

Impossible de dissocier ces « points de vue remarquables » de ce goût inégalable de la mozzarella di buffala dégustée quelques heures après sa fabrication… quelque chose d’impossible à exporter et qui raconte tellement d’histoires, de celle du Vésuve qui donne depuis des millénaires sa fertilité aux sols, à celle des agriculteurs qui la valorisent encore aujourd’hui.

La gastronomie est certainement la forme patrimoniale la mieux comprise des touristes, et c’est d’ailleurs son régime alimentaire qui a valu au Cilento d’être reconnu comme patrimoine immatériel de l’humanité. Pourquoi les autres formes de l’activité économique locale, et notamment celles liées à l’architecture, n’occuperaient-elles pas la même place dans les souvenirs que les touristes en rapportent ?

Il ne s’agit pas, en valorisant les figures archétypiques du Cilento et de son bâti traditionnel, d’en faire un musée grandeur nature, mais bien de revisiter ces archétypes pour les intégrer dans des processus de projet contemporains.

Dès lors, le paysage ne serait plus seulement un bien commun à préserver, il serait aussi un vecteur de projet partagé par l’ensemble des habitants.

Roland Vidal, le 27 mars 2020

Accéder à l’ouvrage en ligne


1 Notons que les mots italiens « belvedere » et « pittoresco » sont passés presque à l’identique en français (belvédère, pittoresque) et en anglais (belvedere, picturesque).

Vers une démocratie sociale et écologique ?

La démocratie sociale et écologique : une alternative à l’impuissance politique actuelle ?

Un autre monde est-il possible ?

 

« Nous nous sentons tous au bord d’un monde inédit, imminent et indéchiffrable »

Mona Ozouf, historienne, Zadig n° 1, 2019.

Il est de plus en plus probable que l’augmentation moyenne de la température de l’atmosphère terrestre, due à la poursuite du réchauffement climatique, atteindra les trois degrés à l’horizon 2050, voire avant. Et que les conséquences connues aujourd’hui sur la biosphère et ses habitants (la montée des eaux marines, les phénomènes climatiques violents par exemple) s’amplifieront de manière dramatique. D’autant plus que beaucoup de ressources naturelles qui permettent encore la vie sur la Terre en 2019 auront atteint leurs limites sans pouvoir être renouvelées et être accessibles à tous.

Un déni inquiétant

 Pourquoi croirait-on cette affirmation probabiliste à laquelle les moins insouciants (les plus jeunes surtout) sont pourtant de plus en plus sensibles ? Pour au moins trois raisons :

1- L’impuissance politique. La plupart des gouvernements nationaux et supra nationaux sont de fait impuissants à prendre les mesures législatives (fiscalité des entreprises et des pratiques polluantes notamment) nécessaires. Car ces mesures, limitant la liberté de penser et d’entreprendre, seront impopulaires et ne leur permettront pas d’être réélues.

2- Le néolibéralisme dominant. Ces mêmes gouvernements, de droite comme de gauche, ne peuvent s’appuyer que sur les forces du marché. Ils sont prisonniers de l’idéologie du productivisme néolibéral, sans pouvoir lui apporter les correctifs sociaux (équitabilité) et environnementaux (limitation des risques) nécessaires. Ce qui est connu depuis au moins trente ans, sans changements sociaux et environnementaux convaincants, sauf (peut-être) dans les régimes sociodémocrates scandinaves.

3-La menace écocratique. Le déni de l’impuissance politique et des catastrophes à venir, tant chez les politiques que dans une majorité des populations, disparaitra très probablement avec l’angoisse collective montante face aux tragédies latentes (migrations climatiques, violences sociales, régression de la biodiversité…) et spectaculaires (incendies, cyclones, sécheresses récurrentes, épidémies …). Il fera alors place à une demande d’autorité politique alternative (écocratie) qui risque de balayer les démocraties malades.

Faut-il dans ces conditions que les populations se résignent à attendre l’impensable, et à espérer qu’il ne se produira pas. Où s’il se produit – ce qui est déjà en cours- à se réfugier dans des pratiques « collapso-sophiques »[1]pour vivre paisiblement l’effondrement annoncé de nos sociétés ?

Quelles alternatives ?

 Pour qu’un pouvoir politique impose des mesures appropriées d’intérêt général (la sécurité des biens et des personnes notamment), il est nécessaire que leur application soit équitable, et que tous en bénéficient directement ou indirectement. En sachant bien qu’une société juste est utopique.

Dans le monde alternatif que les plus lucides appellent de leurs vœux, les règles politiques sont appelées à changer pour mettre fin aux pratiques bureaucratiques et technocratiques, centralisées et souvent inefficaces, des pouvoirs des collectivités.

– la liberté de penser et d’agir de chacun devrait être mise en balance avec la nécessité planétaire autant que local de faire cesser les pratiques destructrices des ressources communes (air, eau, sol, forêt, biodiversité…). Les gouvernements étant peu fiables et peu courageux pour le faire, c’est, dans chaque nation, aux habitants des territoires, conscients de l’urgence des décisions à prendre, de leur imposer par la manifestation publique de masse (non violente si possible). Sachant que la difficulté s’aggrave quand la majorité autant que les élus privilégient les priorités du court terme (l’emploi par exemple).

– Dans une situation de crise aggravée, il s’agira moins de veiller à une répartition équitable des richesses (un souci légitime néanmoins) que de s’assurer que chacun, avec ses moyens propres, puisse s’adapter aux changements du monde où il vit. Ce qui importe dans le contexte des transitions climatiques et environnementales, ce sont moins les valeurs morales que les réponses apportées localement aux questions de chacun. Ce seront souvent des enjeux de survie sociale (emploi) qui justifieront des pratiques préjudiciables à l’environnement.

– Il s’agirait également d’opposer aux populismes de droite comme de gauche, moins des réponses étatiques (le plus souvent néolibérales ou laxistes) que des appels à des concertations démocratiques de proximité (de territoires ou de quartiers). Car les chemins des transitions climatiques et environnementales sont nombreux et beaucoup de solutions techniques sont connues ou en cours d’exprimentation (voitures électriques, agroécologie, services écosystémiques …). Mais la technologie peut créer autant de problèmes environnementaux (destructions des ressources) que de solutions économiques (emplois). Elle a et elle aura surtout tendance à en détruire (robotisation) en engendrant un chômage de masse auquel les gouvernements sont mal préparés.

Comment choisir ?

L’idée de justice de chacun apparait comme le seul critère capable d’engendrer une acceptation sociale de mesures législatives écologiques (anti-réchauffement climatique notamment). Puisque chacun y a intérêt à part les climatosceptiques qui sont minoritaires.

Admettons avec le philosophe Michel Eltchaninoff[2]que notre vision de ce qui est juste et injuste dépend de deux grands critères, d’une part l’importance relative donnée à l’égalité et à la liberté, d’autre part à une seule valeur morale (monisme) ou à plusieurs (pluralisme).  Quatre idéologies schématiques sont alors possibles, que l’on peut confronter à la question des grandes transitions environnementales du XXIe siècle : le libertarisme, l’égalitarisme, le pluralisme et la démocratie sociale.

Eliminons le premier cas qui rejette les interventions de l’Etat et réunit une grande partie des adeptes de l’économie néolibérale de marché. Leur appui à la cause écologique sera rare ou peu convaincante, mais possible. En revanche dans le deuxième cas, l’inégalité des droits et des situations individuelles est considérée comme une injustice qu’il faut combattre par tous les moyens. Aux migrations climatiques, aux mortalités dues aux pollutions de l’air urbain et aux famines, à la fiscalité écologique, aux directives européennes, tous ne sont pas exposés de la même façon et avec les mêmes conséquences. Mais la perspective égalitariste prive trop les individus de liberté pour que cette utopie unique soit acceptable, même comme « dynamique et non comme but ».

Restent deux idéaux pluralistes de justice où la liberté de penser et d’agir est en principe préservée.

Chez les pluralistes « purs », la liberté de penser et d’agir fonde l’idée de justice. Elle permet de faire coexister les adeptes du marché néolibéral, les citoyens conscients de l’urgence climatique et environnementale, les inégalités sociales, les eurocrates, les eurosceptiques, et l’Etat redistributeur des richesses. Ce qui créé des tensions sociales et politiques, mais est acceptable collectivement. À condition de confronter toutes les visions possibles du monde et d’en retirer ce qui est bien pour une majorité (la sécurité climatique autant que le profit des entreprises par exemple). Plus facile à dire qu’à faire collectivement, surtout si les inégalités sociales ne sont pas acceptées.

Une alternative, celle de la démocratie sociale, est de penser pragmatiquement que chaque domaine de la vie en société mérite un traitement singulier avec le concours des pouvoirs publics et des citoyens. Dans ce cadre, l’urgence environnementale et climatique est un problème parmi d’autres que chaque parti-prenante d’une situation à gérer évalue et fait valoir. Il ne faut donc en attendre que des résultats aléatoires, mais souvent probants.

Admettons que le pluralisme soit préférable au monisme ; cette idée de justice ne garantit pas de résultats environnementaux tangibles, sauf en comparant les manières de gouverner. Est-ce qu’un gouvernement autoritaire faisant valoir des valeurs républicaines injonctives, est préférable à une social-démocratie fondée sur le débat et le contrat social ?

Ecocratie ou socio-démocratie écologique ?

 Une écocratie (comprise comme un gouvernement « vert ») n’est pas pluraliste. Mais elle est légitime dans le contexte actuel. Elle peut dériver selon les uns vers une dictature totalitaire, et pour les autres (les tenants de la Terre mère par exemple) être considéré comme un moindre mal, étant donnée l’urgence écologique planétaire.  C’est une fiction peu réaliste, impopulaire, mais qui a le mérite de la cohérence idéologique et inspire parfois les élus depuis des décennies.

Car la question essentielle est de savoir si la puissance publique et ses experts doivent se substituer aux habitants pour imposer des actes d’intérêt général que les particuliers n’effectueront pas ou pas assez, par exemple s’équiper en panneaux solaires, rationner l’usage de l’avion, étendre les champs d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques, imposer les véhicules électriques et le covoiturage, arrêter les centrales à charbon, limiter la consommation de viande …).  Pour l’instant le courage politique manque aux gouvernants nationaux et supranationaux.

En revanche la socio-démocratie écologique supposerait le pluralisme de pensée et d’action, et que le débat public local s’empare des questions communes (locales et globales) de manière cohérente (ou pas) avec le débat national (le parlement). Les lois devraient alors être en majorité une coproduction (référendum d’initiative citoyenne) comme les décisions publiques locales. Celles-ci ne pourront être laissées aux seuls élus et experts à placer sous le contrôle effectif des habitants, au-delà des conseils municipaux ou communautaires.

Sans une démocratie participative et délibérative, permettant un encadrement strict des entreprises et pratiques polluantes (entre autres sources), il est peu probable que les inflexions politiques souhaitables se produisent en temps voulu. Surtout si perdurent les préjugés et l’ignorance.  Les biens communs naturels n’étant plus suffisamment protégés par les pouvoirs publics ou de manière très variable selon les situations dans chaque pays, il est probable que l’injustice de l’accès à ces ressources devienne une règle au lieu de rester une exception. La situation sociale deviendra alors explosive et demandera une intervention autoritaire avec un risque de guerre civile que l’on ne peut écarter.

D’autres pensent, surtout chez les néolibéraux, que moins l’Etat est présent et mieux l’individu reste libre de ses actions pour trouver la réponse à ses propres questions (d’adaptation aux transitions environnementales par exemple). Mais c’est à l’Etat de garantir l’ordre civil …

Quelques exemples prometteurs

 De démocratie participative

 L’idée de démocratie écologique a été discutée depuis une dizaine d’années surtout par les philosophes (Dominique Bourg et K. Whiteside en 2009)[1], les journalistes (H. Kempf en 2017)[2]ou parfois les économistes (J. Gadrey). Ils imaginent un autre système politique, critique de l’ « expertocratie » et fondé sur la participation citoyenne effective à la décision politique (notamment via les ONG ou les habitants réunis en instances de discussion, voire de délibération).

En France, dans la commune de Grande Synthe (23 300 habitants), non loin de Calais, la mairie (écologiste) accueille dignement les migrants, parie avec ambition sur les énergies alternatives et sur les services sociaux d’une université populaire qu’elle finance[3].

Dans la petite ville (7000 habitants) de Loss-en-Goelle, près de Lens, la participation de la population fonde les relations de la mairie avec les habitants des quartiers. Le maire, largement réélu en 2014, le précise : « j’ai la légitimité démocratique de penser à l’avenir de la ville. L’élu devient un animateur du débat collectif et se pose comme garant de la qualité du débat. Au final, il arbitre car il y a un besoin d’arbitrage. Tout ne se résout pas dans le consensus. Par exemple, la responsabilité des finances, c’est la mienne. On ne peut pas dissocier la décision de la responsabilité. L’élément le plus nouveau est de se trouver en posture d’animer l’agencement du jeu des acteurs »[4].

En Alsace à Kingersheim(16 000 habitants), toutes les décisions importantes sont soumises au vote des membres d’un conseil participatif, depuis 20 ans. Par exemple pour renouveler les lampadaires trop énergivores. Une « démocratie-construction » revendique le maire qui a fondé le mouvement politique « Place publique » avec le philosophe Raphael Glücksman[5].

Dans la Drome à Saillans (1200 habitants), la commune, sans maire élu depuis 2014, est dirigé par des groupes de citoyens qui préparent les décisions municipales. Trois cent habitants participent directement à la gouvernance des affaires communales.

Dans le Var à Correns (900 habitants), premier village bio de France autoproclamé depuis 1997, un comité de pilotage (agenda 21) accompagne depuis 2008 le travail municipal dans différentes directions (AMAP, patrimoine culinaire, jardins partagés…).

A Lanester (23 000 habitants), près de Lorient, depuis 2014, a été mise en place une charte de la démocratie participative avec des conseils citoyens par quartier.

A Paris, Anne Hidalgo a proposé 450 millions d’euros pour financer des projets citoyens (188 lauréats en 2015). Idem à Nantes et Rennes (54 idées retenues)

Ailleurs. En Norvège, ce pays démocratique et monarchique, riche en pétrole et doté d’un puissant fonds d’investissement, s’est investi dans la transition énergétique de l’après pétrole. A Bergen, toute personne résidant depuis plus de trois ans peut faire examiner son avis par le conseil de la ville, comme dans les conseils de quartier. En Suisse, la population dispose des votations de nouvelles lois initiées par des groupes de citoyens (avec 100 000 signatures)

Au Brésil, à Porto Alegre depuis 1988, la ville dispose d ‘un budget participatif dont les priorités sont fixées par les habitants par quartiers. En Italie, en Toscane comme dans les Pouilles, le mouvement territorialiste de l’urbaniste Alberto Magnaghi depuis 2010, essaie de mettre en œuvre une démocratie du « projet local ».

La démocratie participative, en général sous une forme complémentaire de la démocratie représentative, émerge donc dans les pays de démocratie et parfois depuis plus de vingt ans. Ce n’est pas une idée neuve. Les élus ont le plus souvent intérêt à la favoriser et à la mettre en place. Mais ils le font rarement.

En est-elle pour autant écologique, au sens d’apporter des réponses réalistes aux transitions climatiques et énergétiques, locales et globales, en particulier ? En fait chaque collectivité vertueuse est réaliste à sa façon, dans son contexte local, historique, social et économique. Elle choisit ce qui lui convient en fonction des choix informés des habitants consultés. Ce qui aboutit souvent à des compromis en faveur de solutions écologiques et sociales locales, contribuant en principe aux solutions globales. Les chemins de la socio-démocratie écologique sont plus pragmatiques qu’idéologiques. Ils demandent beaucoup de patience et de constance.

Kingersheim, la maison de la citoyenneté

Des pratiques écologiques en cours

 Les politiques publiques nationales et internationales incitent depuis au moins le sommet de Rio de 1982 et l’apparition du concept de développement durable (1987) à des pratiques vertueuses. Elles se traduisent par des pratiques politiques qui infléchissent le comportement des entreprises et des citoyens.

Pour limiter le réchauffement climatique, les pouvoirs publics cherchent à réduire l’émission des gaz à effet de serre et en priorité les sources les plus importantes de CO2 (le chauffage domestique, et surtout le transport routier, et notamment individuel). À Londres les automobilistes paient une taxe pour circuler en centre ville ; ailleurs les transports urbains en communs sont gratuits, sans compter d’autres incitations à utiliser des moyens de transports non polluants ou à renoncer aux véhicules polluants (covoiturage, vélos, télétravail, véhicules électriques, bonus malus écologique pour les véhicules …).

La deuxième source de gaz à effet de serres (un quart) est le chauffage des bâtiments. Les mesures sont fiscales (crédit d’impôts pour isolation) mais insuffisantes tant le chantier est immense.

S’ajoute le passage d’énergies carbonées (bois, charbon, pétrole) à des énergies renouvelables (éolien, capteurs solaires, méthane, nucléaire). Mais ces énergies ont leurs revers. Les batteries électriques nécessitent des métaux rares (lithium) non renouvelables ; l’énergie nucléaire produit des déchets toxiques non recyclables ; l’éolien à faible ou forte dose  peut déplaire au voisinage comme la production de méthane d’origine agricole.

S’ajoute également toutes les pratiques (notamment réglementaires) qui protègent les forêts de la déforestation, les océans de la pollution et les sols agricoles de l’urbanisation car ils absorbent le CO2 de l’atmosphère.

Enfin, les émissions de CO2 et de méthane de l’agriculture intensive (25% au niveau mondial) doivent être également réduites, notamment quand les sols, faute de matière organique, deviennent inaptes à stocker le CO2. Ce qui suppose le passage à une agroécologie beaucoup plus diversifiée que l’agriculture conventionnelle et consommant peu de pesticides, une alimentation moins carnée (viandes blanches) et la fin du gaspillage alimentaire (40%). Mais la concurrence internationale rend difficile cette transition pour les agriculteurs qui ne sont pas soumis aux mêmes normes sociales et juridiques selon les pays. Et l’alimentation “biologique”, moins productive en général (mais parfois autant sinon plus), demandera plus de surfaces de culture[6].

Dans un contexte de croissance démographique mondiale peu contrôlable, et donc de besoins énergétiques croissants, l’autre monde, à la fois plus juste et plus habitable qu’aujourd’hui que promettent les experts et les politiques, est-il possible ?

Nul ne peut l’affirmer mais beaucoup d’experts et de gouvernants semblent y croire …

Des neutrons sur des films capteurs solaires auto-assemblés !

En résumé

Malgré le déni ou l’indifférence apparente de la majorité des populations de la planète, l’urgence climatique et environnementale a déclenché une transition plus ou moins rapide vers un autre monde politique. Parmi les choix possibles, celui d’une démocratie sociale et écologique semble le plus recevable. Mais les incitations nationales et internationales restent insuffisantes.  Elles ne peuvent être, en l’état, globalement et rapidement efficaces.

Les indicateurs qui montrent l’essoufflement des systèmes actuels de gouvernement sont pourtant nombreux, trop nombreux : perte de confiance des électeurs dans leurs élus, doute envers les expertises scientifiques, dérives populistes autoritaires, montée des ségrégations et des violences sociales, manifestations politiques publiques … Alors que les signes de la dérive climatique et environnementale s’intensifient. Faire le pari que certains pourront y échapper ou s’adapter et en tirer parti (au mépris des autres) est moralement et politiquement inconséquent, et mène peut-être à différentes formes inconscientes de suicide collectif.

En revanche parier, sans naïveté, sur la capacité des milliers de consciences citoyennes, pluralistes et éclairées, à vouloir changer de monde politique, semble beaucoup plus réaliste. Du moins peut-on le croire. Aux sociétés actuelles fondées majoritairement sur l’intérêt corporatiste et individuel, n’est-il pas préférable de substituer des communautés de destin, conscientes de leurs responsabilités face aux générations futures ? Combien de temps faudra-t-il pour changer nos modes de pensée et de vie ?

Versailles le 11 avril 2019

Pierre Donadieu

NB 1 : En France, les quatre idées de justice peuvent être mises en rapport avec quatre pôles politiques : la droite républicaine et l’extrême droite avec le néo-libéralisme, l’extrême gauche avec l’égalitarisme, le pluralisme avec la République en marche, et la social-démocratie avec la gauche traditionnelle et les mouvements écologistes.

Les images (sans référence) sont empruntées à http://anarchrisme.blog.free.fr/index.php?post/2018/04/02/Ecocratie

NB 2 : Du point de vue des politiques publiques transversales de paysage et d’environnement en France, le passage à une démocratie sociale et écologique semble une condition nécessaire à la mise en œuvre, satisfaisante et généralisée, des recommandations de la Convention européenne du paysage signée à Florence en 2000. Sans cette démocratie, les politiques sectorielles privilégiant  d’autres domaines d’intérêt général : le marché, l’emploi, la mobilité, la santé, l’éducation, la sécurité … restent prioritaires d’un point de vue politique.

[1]Rémi BARBIER, « Démocratie écologique », in CASILLO I. avec BARBIER R., BLONDIAUX L., CHATEAURAYNAUDF., FOURNIAU J-M., LEFEBVRE R., NEVEU C. et SALLES D. (dir.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, Paris, GIS Démocratie et Participation, 2013, ISSN : 2268-5863. URL : http://www.dicopart.fr/en/dico/democratie-ecologique.

[2]Hervé Kempf, Tout est prêt pour que tout empire. 12 leçons pour éviter la catastropheéditions du Seuil, Paris, 2017.

[3]Olivier Favier, 2016, https://www.bastamag.net/Conjuguer-accueil-des-migrants-ecologie-et-emancipation-sociale-l-etonnant

[4]Antony Poix, 2016 http://www.institut-gouvernance.org/?q=fr/node/260

[5]Luc Blanchard, 2018, https://www.banquedesterritoires.fr/kingersheim-invente-la-democratie-construction-68

[6]https://e-rse.net/mesures-politiques-lutte-rechauffement-climatique-271020/#gs.50lakt

Fin d’un monde

Vivre bien la fin de notre monde ?

 À propos de la collapsologie, et autres collapsosophies[1], selon l’ouvrage Une autre fin du monde est possible, vivre l’effondrement (et pas seulement y survivre) de Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle, Anthropocène Seuil, 2018.

L’idée de l’ouvrage, et de ceux sur le même thème qui l’ont précédé depuis 2015, parait simple. Nous vivons, sans en avoir conscience, l’effondrement de la vie planétaire, et le pire est sans doute à venir. Que faire, si on croit que cette perspective fatale est inéluctable ? Si on pense que ni les politiques, ni les scientifiques ne peuvent imaginer des solutions à la hauteur de la complexité des problèmes posés à l’humanité ? Pour ces survivalistes et autres collapsonautes, c’est en apprenant à vivre avec l’effondrement que l’humanité trouvera des solutions inédites pour se réinventer.

Comment résister aux catastrophes naturelles plus ou moins brutales (inondations, ouragans, sécheresses, tremblements de terre, coulées de boues, tsunamis, éruptions volcaniques …) ou lentes (perte de la biodiversité, montée des eaux, épidémies, famines…) et à leurs conséquences dramatiques (migrations, révoltes, ségrégations, agressions, misère…) en dépassant les émotions de chacun (peur, panique, détresse, dépression, violence…) ? Les auteurs imaginent d’autres mondes, ni idéaux (utopies), ni cauchemardesques (dystopies). En adoptant une perspective d’inspiration sociobiologique et « écopsychologiste », à partir de leurs propres expériences collectives, ils avancent d’autres mondes possibles (des plurivers à la place de l’univers) sans préciser les contours de ces alternatives.

L’on sait seulement que les femmes y créeront la place qui leur revient (éco-féminisme), que la nature sauvage y prodiguera ses bienfaits, que les êtres non humains (surtout naturels) auront droit aux mêmes égards (dons et contre-dons) que les humains. Inspirés des thèses des anthropologues (P. Descola et A. Escobar notamment), ces mondes possibles seront pluriculturels. Ils prendront de la distance avec le dualisme cartésien pour emprunter au totémisme et à l’animisme. Ils seront fondés sur de nouveaux récits, sur de nouveaux mythes, pour donner sens aux mondes imaginés par leurs adeptes. À la manière du mycélium souterrain des champignons qui relie les racines des arbres d’une forêt, les nouveaux survivalistes créeront des groupes humains solidaires, généreux, attentifs, inclusifs, empathiques, capables d’imaginer empiriquement leurs nouvelles vies collectives selon leurs projets de résilience.

Peut-on croire à ces visions d’autres ontologies, à d’autres façons humaines et non humaines d’être au monde ?  Car les auteurs ne proposent pas autre chose que de changer de croyances, de manières de penser un monde, le nôtre, qui risque fort de devenir de plus en plus inhabitable s’il ne change pas de modèle.

Comme ils sont réalistes, bien que peu matérialistes, ils savent que ces mutations culturelles engagent le très long terme. Les conceptions holistiques de la connaissance et de l’action sont pourtant déjà à l’œuvre un peu partout. Mais elles ne se substituent pas aisément aux pensées héritées dominantes, notamment cartésiennes, celles qui séparent les ressources de la nature de ceux qui les exploitent.

Avouant ainsi une sorte d’impuissance, ils comptent plus sur une réaction collective d’adaptation. Non pour stabiliser l’humanité menacée par ses paradoxes, mais pour apporter aux habitants de la planète, à la manière des Stoïciens grecs[2], une vie sereine au milieu des dangers et des paniques. En se rebellant également, en désignant des ennemis (« l’hydre capitaliste, la finance internationale, le monde thermoindustriel »), ils invitent à un « Changement de Cap » avec trois modes opératoires : « réparer les dégâts à La Terre, aux écosystèmes, aux communautés et aux personnes », expérimenter des alternatives (l’agroécologie par exemple) et surtout changer la conscience de ce monde pour en inventer d’autres qui redécouvrent la mémoire (anamnésie) et les relations sensibles aux milieux de la vie (esthésie).

L’apocalypse est en vue mais elle peut être heureuse, écrivent-ils pour conclure.

L’intérêt de ce manifeste est d’affronter le déni de l’effondrement de nos sociétés dans des contextes dysruptifs et de proposer une parade adaptative, une solution fondée sur la mise en commun des émotions et des esprits (ensemble est mieux que seul). En dénonçant l’impuissance des actions gouvernementales et en lui préférant le développement des initiatives de chaque éco-collectif dans le monde.

Bien que les auteurs, avec une bibliographie de presque cinq cent références, semblent à l’abri de tentations communautaristes ou sectaires, ce risque ne peut être écarté, ne serait-ce que du fait de leurs expériences collectives qui y font penser. On peut également leur reprocher leur “résignation fataliste” (D. Tanuro) et l’absence de paradigme clair et de méthodes pour fonder scientifiquement la « collapsologie ». Et pointer l’affinité de cette pensée avec les mouvements spiritualistes et la Deep ecology anglo-américaine.

Croire à cette croyance ? Croire à la fin d’un monde, et non à la fin du monde. Pourquoi pas ? Elle n’est pas naïve. Le président du Cercle des économistes fondé en 1992 le rappelle : «  Rarement nous ne connûmes autant de ruptures très difficiles à analyser et en raison desquelles nous avons énormément de mal à imaginer ce que sera le futur (…) Le pire n’est jamais sûr, loin de là, mais une chose est certaine, c’est que l’on peut sans nul doute évoquer la fin d’un monde »[3], notre monde.

Pourquoi ne pas s’engager avec enthousiasme dans cette voie lucide, mais avec précaution… ?  Croire c’est vivre.

Pierre Donadieu

11 mars 2019

[1]Science (collapsologie) et sagesse (collapsosophie) des ruptures, des effondrements (collapsus).

[2]L’École du Portique à Athènes créée en – 301 av. J.-C. Son principe : Ne pas se laisser atteindre par ce qui ne dépend pas de nous et parvenir à nous concentrer sur ce qui est en notre pouvoir.

[3]Le Monde, Jean-Hervé Lorenzi, Le Cercle des économistes, p. 4, mardi 12 mars 2019.

Le Grand Pari(s) d'Alphand

 

Le Grand Pari(s) d’Alphand

Création et transmission d’un paysage urbain

Sous la direction de :
Michel Audouy, Jean-Pierre Le Dantec, Yann Nussaume, Chiara Santini
Édition de La Villette,  Paris, 2018

 

Invitation à l’exploration d’une œuvre ayant façonné le paysage du Paris moderne, cet ouvrage propose un hommage critique à Adolphe Alphand (1817-1891). Ingénieur des ponts et chaussées ayant débuté sa carrière à Bordeaux, il y est remarqué par Georges-Eugène Haussmann qui, peu après sa nomination par Napoléon III comme préfet de la Seine, le place à la tête du service des Promenades et Plantations parisiennes.
Féru de progrès et de rationalisme, Alphand conçoit et réalise, avec ses équipes – constituées de jardiniers-paysagistes, d’architectes et d’ingénieurs de talent -, un système d’espaces verdoyants allant des plantations d’alignement jusqu’à l’aménagement paysager des bois de Boulogne et de Vincennes, en passant par celui des squares et des parcs intérieurs. Après la disgrâce d’Haussmann et la fin du Second Empire, Alphand continue à régner sur l’ensemble des Travaux de Paris et dirige l’organisation de l’Exposition universelle de 1889, qui a légué la tour Eiffel. On lui doit également le monumental ouvrage Les Promenades de Paris, annonciateur d’une discipline nouvelle : l’urbanisme paysager.
Tirée d’un oubli immérité, la figure de ce grand commis de l’État, dont l’œuvre a connu un rayonnement mondial, était le sujet du colloque international « Le Grand Pari(s) d’Alphand », dont les contributions sont ici rassemblées. La sélection de textes qui conclut ce volume vise à prolonger l’analyse de l’œuvre d’Alphand par des extraits des Promenades de Paris, avec ses traités techniques et de l’art des jardins, de témoignages mais aussi de textes de grands auteurs de son temps.

Avec les contributions de :
Cedissia ABOUT, Michel AUDOUY, Henri BAVA, Jean-Pierre BÉRIAC, Philippe CLERGEAU, Stéphanie DE COURTOIS, Rosa DE MARCO, John Dixon HUNT, Pierre DONADIEU, Catherine FRANCESCHI-ZAHARIA, Adrien GEY, Christophe GIROT, Laurent HODEBERT, Michel HÖSSLER, Bernard LANDAU, Jean-Marc L’ANTON, Jean-Pierre LE DANTEC, Bertrand LEMOINE, Isabelle LEVÊQUE, Luisa LIMIDO, Guilherme MAZZA DOUARDO, Alexandre MOATTI, Yann NUSSAUME, Michel PÉNA, Pierre PINON, Chiara SANTINI, Gideon FINK SHAPIRO, Catherine SZANTO.

La guerre des métaux rares

Guillaume Pitron : La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique. Préface d’Hubert Védrine. Édition Les liens qui libèrent, 2018.

Note de lecture de Roland Vidal

Praséodyme, lanthane, indium, beryllium, néodyme, niobium…
Le premier mérite de l’ouvrage de Guillaume Pitron est de nous familiariser avec ces noms, pour la plupart inconnus, dont on risque pourtant de parler de plus en plus dans les années qui viennent. On en parlera parce qu’ils seront de plus en plus l’enjeu de conflits commerciaux et industriels, parce qu’ils seront l’objet de cette nouvelle « guerre des métaux » qu’évoque l’auteur.

Mais on peut aussi se demander de quels paysages ces « métaux rares » sont les acteurs. Et, là, la réponse dépend de quel coté de la chaîne de production l’on se trouve. Car derrière ces conflits qui s’esquissent aujourd’hui se dessine une fracture paysagère et environnementale qui commence tout juste à sortir du cadre néo-colonial dans lequel elle s’était installée.

D’un côté de la chaîne de production, donc, on trouve ces fameux paysages de la transition énergétique, avec panneaux photovoltaïques sur les toits des habitations, éoliennes à l’horizon et véhicules électriques dans les rues. Des paysages dont on débat, dans nos démocraties de plus en plus participatives, mais pour des raisons d’ordre esthétique bien plus qu’environnemental.

De l’autre côté, c’est-à-dire à l’autre bout du monde, ce sont les paysages de la « face cachée » de cette même transition énergétique. Cachée à nos yeux… pas aux yeux de ceux qui y habitent encore et tentent d’y survivre.

À Ganzhou, par exemple, la ville natale de Gao Xingjian (Nobel de littérature 2000), où des « montagnes de déchets toxiques » se dispersent au point d’obstruer les affluents du fleuve bleu, « des hommes et des femmes, nez et bouche recouverts de simples masques, travaillent dans une atmosphère saturée de particules noircies et d’émanations acides » (page 42).

À Baotou, principale ville de Mongolie-Intérieure et première région productrice de terres rares au monde, les rejets toxiques et la radio-activité1 ont fait fuir la plupart des habitants de leurs lieux de vie qu’ils appellent maintenant les « villages du cancer ».

Et aussi dans d’autres parties du monde, comme l’Indonésie, l’Amérique latine ou l’Afrique.

Là, tout comme en Chine, les nappes phréatiques sont infestées par toute sorte de rejets toxiques. L’eau potable manque2, les terres empoisonnées aux métaux lourds deviennent incultes et même les pluies deviennent acides. 

Selon l’endroit d’où on l’observe, la transition énergétique ne produit donc pas les mêmes environnements ni les mêmes paysages. Elle est « une transition pour les classes les plus aisées : elle dépollue les centres villes, plus huppés, pour mieux lester de ses impacts réels les zones plus miséreuses et éloignées des regards » (page 81). C’est en ce sens qu’elle s’inscrit dans la continuité d’un néo-colonialisme qui a toujours exporté les externalités négatives des pays dominants vers les pays dominés.

Car les métaux rares ne le sont pas plus en Amérique ou en Europe qu’en Chine. Ils sont présents un peu partout sur la planète. Ce sont les conditions de leur extraction, très dommageables pour l’environnement, qui font que les régions du monde qui en ont les moyens ont renoncé à les exploiter sur leur territoire. Les États-Unis, qui en avaient encore le leadership mondial il y a une trentaine d’années, ont fini par fermer leurs mines sous la pression des associations écologistes et de l’agence de protection de l’environnement. C’est à ce moment que la Chine, alors moins soucieuse de son environnement, a pris la place qui est la sienne aujourd’hui sur ce marché laissé libre par les Américains.

Mais les choses sont en train de changer. Outre la prise de conscience, tardive mais réelle, des autorités chinoises envers les questions environnementales, les Chinois ne veulent désormais plus exporter leurs terres rares vers des pays qui accaparent l’essentiel de la plus-value réalisée en laissant la pollution sur place.

La Chine, comme d’ailleurs les autres pays exportateurs comme l’Indonésie, continuera ses exploitations minières, mais au service de sa propre transition énergétique plutôt que de la nôtre.

Et la nôtre dépendra de notre capacité à ouvrir des mines de terres rares sur notre propre territoire, ce à quoi s’opposent les mouvements écologistes, désormais conscients des enjeux environnementaux qu’elle recouvre. Sur ce point, Guillaume Pitron pense que nous n’aurons guère le choix :

« La réouverture des mines françaises serait la meilleure décision écologique qui soit. Car la délocalisation de nos industries polluantes a eu un double effet pervers : elle a contribué à maintenir les consommateurs occidentaux dans l’ignorance des véritables coûts écologiques de nos modes de vie, et elle a laissé à des États dépourvus de tout scrupule écologique le champs libre pour extraire les minerais dans des conditions bien pires que si la production avait été maintenue en Occident. » (page 236)

La question des paysages de la transition énergétique est donc amenée à changer de forme. Il ne s’agira plus tellement de réfléchir à l’intégration des éoliennes ou des panneaux solaires dans nos paysages patrimoniaux, mais de s’interroger sur l’impact de ces nouvelles exploitations minières que nous ne pourrons plus ignorer puisque nous les aurons sous les yeux.

Et il sera toujours temps de se pencher sur cette évidence : la moins polluante des énergies sera celle que nous ne consommerons pas.

 


Présentation de l’auteur par l’éditeur :
“Journaliste pour Le Monde Diplomatique, Géo ou National Geographic (il est notamment lauréat de l’édition 2017 du Prix Erik Izraelewicz de l’enquête économique, créé par Le Monde), Guillaume Pitron signe ici son premier ouvrage. La géopolitique des matières premières est un axe majeur de son travail. Il intervient régulièrement auprès du parlement français et de la Commission européenne sur le sujet des métaux rares.”
Voir la 4e de couverture


Guillaume Pitron est également co-auteur, avec Serge Turquier, du documentaire “La sale guerre des terres rares”, diffusé sur France 5 l’année dernière, présenté ici, et visible sur Youtube.
Il a été l’invité de France Culture lors de plusieurs émissions podcastables ici.


1  Les métaux rares ne sont pas radioactifs mais leur extraction nécessite leur séparation d’avec des minerais qui, eux le sont. Dans les lacs toxiques de Baotou, la radioactivité est deux fois plus élevée qu’à Tchernobyl (page 81)

 Du fait de l’exploitation des terres rares qui en consomme des quantités considérables : 200 litres par kilogramme extrait (page 44)