Loin de l’image stéréotypée d’une agriculture en dégénérescence, constituée de petites exploitations agricoles dirigées par des exploitants âgés et sans successeur, image encore largement dominante jusque dans les années 80 (Charvet, 1994 ; Bryant, 1997), l’agriculture périurbaine montre a contrario un visage où coexistent secteurs en difficulté et îlots de réel dynamisme affichant des figures originales volontiers mises en exergue pour caractériser le renouvellement en cours de l’agriculture. La belle ordonnance du schéma de Von Thünen a laissé place à un éclatement des situations à l’image de la situation du sud-est de l’agglomération lilloise décrite par Nicolas Rouget ou de celle du périurbain toulousain évoquée par Sandrine Bacconnier : la lecture des nouvelles formes d’agriculture en périurbain y tient tout autant des logiques de quadrant que de logiques d’anneaux circulaires, de logiques de bassins de production que de logiques urbaines pures, de logiques frontalières que de logiques micro-locales. Cette diversité qui semble la norme dans les pays du Nord correspond à un double processus : d’un part, l’agriculture devenue périurbaine par extension de la ville juxtapose cultures banales et cultures spéciales ; surtout sous la pression tant de la ville que des injonctions européennes, l’agriculture périurbaine est « à la recherche de ses futurs » (Lacombe, 2002). Son étude permet ainsi de revisiter le champ de l’innovation tant agricole que de service dans une logique de multifonctionnalité.
Plusieurs articles interrogent ainsi la proximité (Torre, 2000) comme ressort de la multifonctionnalité autour de la vente directe. Deux équipes toulousaines, autour de Jean Pilleboue et de Bernard Mondy, s’attachent notamment à brosser un tableau exhaustif des nouvelles formes de vente directe depuis les points de vente collectifs jusqu’aux AMAP soulignant toutefois que l’innovation est née de la ville plus que de l’agriculture. Christine Aubry, Leïla Kebir et Catherine Pasquier explorent en Ile-de-France les nouvelles niches, que sont les cantines scolaires récemment converties au bio ou les AMAP, mais dont le développement signifie aussi un approvisionnement hors de la Région. Le ressort proximité/vente directe vient donc soutenir une diversification de l’agriculture périurbaine sous le regard/contrôle des habitants et ainsi œuvrer à un rapprochement entre les deux modalités du périurbain, l’agriculture et l’urbain : il représente un des outils de reconnaissance de l’appartenance à un territoire commun. Les collectivités ne s’y trompent pas qui interviennent pour soutenir les filières et engagent les agriculteurs vers des démarches de qualité ou de terroir. C’est le cas en Ile-de-France autour du bio ou dans le Nord-Pas-de-Calais comme le soulignent qui, Christine Aubry, qui, Nicolas Rouget. C’est aussi dans les zones méditerranéennes la volonté de valoriser des produits d’image, ainsi la vigne et l’olivier en Toscane comme le montre Coline Perrin, ou la viticulture seule dans les pages proposées par Sofia Nikolaïdou, Anne-Marie Jouve et Théodosia Anthopoulou à partir d’une approche comparée entre la plaine de Messogheia à l’est d’Athènes et le territoire du SIVOM « entre Vène et Mosson » près de Montpellier.
Plus encore, l’agriculture périurbaine se convertit au « panier de biens et de services » (Pecqueur, Roux et Vollet, 2004) pour offrir une gamme variée de produits matériels et de l’immatériel, l’objectif étant clairement de capter une clientèle toujours plus large mais aussi d’élaborer l’image et la réputation du territoire de culture pour aller vers un consensus autour du maintien de l’agriculture. Coline Perrin montre comment l’Autre Tocane, la Toscane rurale, joue de ses potentialités paysagères et culturelles liées à l’agriculture pour aller vers « des systèmes locaux agritouristiques » à l’image des districts industriels. Nicolas Rouget dépeint dans le périurbain de Lille des agriculteurs multi-produits, muti-services, multi-cartes soucieux de répondre aux demandes urbaines de logements, de services à la personnes, de tourisme tout autant que des produits. Ces innovations, simples adaptations-diversifications pour certains, se développent rapidement au risque parfois « de rendre l’activité agricole marginale».
Au vu des évolutions en cours, la plupart des observateurs s’accordent pour diagnostiquer l’avènement « d’une nouvelle agriculture dont le statut juridique et fiscal et sans doute à redéfinir » (Lacombe, 2003) qui appelle la redécouverte et l’institutionnalisation des fonctions de services. En périurbain, plus rapidement qu’ailleurs, les contours de l’activité agricole et du métier d’agriculteur sont en train d’être redessinés. L’agriculteur semble quitter son statut d’entrepreneur agricole producteur de biens alimentaires pour endosser celui plus complexe d’entrepreneur rural, émargeant tantôt comme producteur indépendant, tantôt comme vendeur ambulant, tantôt comme animateur rétribué par l’Education nationale ou les Affaires sociales, tantôt comme jardinier de la nature, salarié du département ou de la commune… Il devient un travailleur sous contrat pour un grande part de ses prestations, avec des interlocuteurs multiples, privés et/ou publics, individuels et/ou collectifs, et avec des marges de manoeuvre somme toute limitées « dans un cadre prédéterminé où se matérialisent les images portées par la culture urbaine contemporaine attachée aux valeurs de patrimoine (association arbre-agriculture, bâti ancien, systèmes agricoles reliques, réhabilitation d’aménagements agricoles anciens) mais proscrivant la plupart des indicateurs visuels de l’agriculture moderne » (Donadieu et Fleury, 2003)
A priori, trois trajectoires assez inégales en importance et variables selon les espaces périurbains se peuvent décliner pour caractériser les exploitations en périurbain. Elles placent au centre de leur problématique qui, la fonction de production et de commercialisation, qui, celle de rente et de patrimonialisation, qui enfin celle de portefeuille d’activités. La première est notamment le fait des exploitants franciliens ou nordistes peints par Nicolas Rouget ; la seconde se retrouve en Toscane avec « les grandes exploitations qui misent tout sur le tourisme pour valoriser leur patrimoine » dit Coline Perrrin ; la troisième moins fréquente est une des figures retenues par Bertille Thareau et R. Le Guen dans les Pays de la Loire. Dans tous les cas, « on aboutit à une réinvention de la profession fondée sur une réorganisation et sur une redéfinition de ses normes d’excellence » (Thareau et Le Guen) qui signifie un véritable partage d’expertise entre les usagers de l’espace, agriculteurs d’un côté et habitants/aménageurs/collectivités territoriales de l’autre. L’entrepreneur rural connaît une multiplicité de lieux et d’espaces, liée à la multiplicité de ses activités ; il est engagé dans des rapports nouveaux, individuels ou collectifs, qui déplacent le cœur du métier du technique au relationnel. C’est bien le sens des enquêtes menées en Pays de la Loire ou autour de Dijon, Chalon sur Saône et Lyon : Nathalie Joly, Annie Dufour et Cécile Bernard soulignent notamment « le malaise des agriculteurs qui voient leurs pratiques de plus en plus sujettes à des remises en cause et leur rôle social au sein des communes affaibli bien qu’ils en occupent encore majoritairement l’espace ». La communication autour de l’agriculture, développée par les Collectivités, place les agriculteurs au cœur d’un nouveau champ de relations et sous le regard des habitants. Les nouvelles modalités d’organisation sont des formules de coordinations d’acteurs réunissant producteurs et consommateurs comme dans les AMAP.
A l’évidence « l’enjeu n’est pas que de connaissance » qui renvoie aussi à « des questions identitaires et sociales » (Joly et alii) et ouvre le champ à une géographie des conflits en périurbain dans le sillage de Philippe Cadène (1990). Ségolène Darly et André Torre montrent ainsi en Ile-de-France, à partir d’un dépouillement de la Presse régionale, combien « l’institutionnalisation de la biodiversité comme critère d’évaluation de la qualité de l’environnement » et « la reconnaissance des paysages en termes de valorisation foncière du voisinage » donnent lieu à des conflits préventifs plus que curatifs où finalement l’agriculture est souvent instrumentalisée pour conserver des espaces ouverts. L’agriculture en périurbain devient ainsi le support et le fondement de territoires revendiqués par les populations habitantes avec de nouvelles formules de gouvernance rassemblant la participation associative, l’implication d’élus non agricoles, les logiques de clubisation des communes et de coordination d’intérêts communaux ainsi que les structurations anciennes des agriculteurs (syndicats et chambres d’agriculture). Michel Streith ne dit pas autre chose à partir de l’expérience du domaine de Villarceaux en Val d’Oise où « l’innovation dans un tryptique agriculture/ville/campagne qui oblige à créer des configurations relationnelles dépassant le cadre de la catégorie professionnelle ». La mise en place des territoires de projet comme les programmes agri-urbains mais aussi la négociation lors de l’élaboration des Schémas de Cohérence territoriale en sont d’autres illustrations, à d’autres échelles, avec ce glissement désormais achevé de la compétence agricole à la ville, lequel marque la reconnaissance de l’agriculture dans la ville. Sandrine Bacconnier le relate clairement pour le SICOVAL toulousain : si la démarche mise en œuvre prend acte d’un nécessaire développement urbain et rural partagé elle s’accompagne aussi d’une hybridation des projets d’aménagement et de développement agricole devenu champ d’action publique des collectivités territoriales et des collectivités territoriales urbaines.
Cette logique de transaction (Vanier, 2005) qui semble devenir une nouvelle norme dans les rapports agriculture-ville ne saurait faire oublier les questions foncières, grands classiques des études sur l’agriculture périurbaine (Charvet et Brunet, 1994, Charvet et Poulot, 2006). Le thème transparaît dans la quasi-totalité des articles mais il n’a guère été abordé de front, signe d’un changement majeur dans les modes d’approches des sciences humaines, au point que certains parlent d’une vision urbaine de l’agriculture (C. Perrin). De fait, ce sont bien les complémentarités qui sont analysées par les chercheurs de ce volume et l’entrée dominante devient celle d’une planification intégratrice des adaptations en cours. La contribution de Gisèle Vianey et de José Serrano sur les derniers outils créés de protection du foncier agricole en périurbaine, soit les Zones d’agriculture protégée mises en place par la Loi d’Orientation agricole de 1999, en témoigne de manière exemplaire. Dans l’exemple développé, la ZAP de Drumetazt, l’outil sert d’abord une politique de structures au service du modèle agricole dominant mais dans le cadre d’un projet urbain, ce qui le rend quasi impossible. L’analyse vaut plus largement qui rappelle la difficulté toujours réelle à «considérer le foncier comme un élément structurant du projet de développement territorial durable».
Bibliographie
Bryant Christopher, 1997, «L’agriculture périurbaine : l’économie d’un espace innovateur», Cahiers d’Agriculture, 6-2, p. 125-130.
Cadène Philippe, 1990, «L’usage des espaces périurbains. Une géographie régionale des conflits», Etudes Rurales, 118-119, p. 235-267.
Charvet Jean-Paul, 1994. «Introduction : nouvelles approches et nouvelles questions à propos des agricultures périurbaines». Bulletin de l’Association des Géographes Français, vol. 71, n°2. p.119-122.
Charvet Jean-Paul, Poulot Monique, 2006, «Conserver des espaces ouverts dans la métropole éclatée : le cas de l’Ile-de-France», in DORIER-APPRILL (dir.), Ville et environnement, Paris, Sedes, chap. 10, p. 332-369.
Donadieu Pierre, Fleury André, 2003, «La construction contemporaine de la ville-campagne en Europe», Revue de Géographie Alpine, n° spécial, « es agriculteurs dans la cité», T . 91, 4, p. 19-29.
Lacombe Philippe, 2002, L’agriculture à la recherche de ses futurs, La Tour D’Aigues, L’Aube-DATAR.
Pecqueur Bernard, Roux Emmanuel, Vollet Dominique, 2004, «Les ressources font territoire, les institutions aussi : des produits aux territoires de l’Aubrac et des Baronnies», Colloque de la Société Française d’Economie Rurale, Lille 18-19 novembre 2004, 11p.
Torre André, 2000, «Economie de la proximité et activités agricoles et agroalimentaires», Revue d’Economie Régionale et Urbaine, 3, p. 415-453.
Vanier Martin, «La relation ‘ville-campagne’ re-interogée par la périurbanisation», in Cahiers français, 2005, 328, p. 13-21.
POULOT Monique : «L’agriculture en périurbain : agricultures en invention ou nouveau métier ?” (introduction). Télécharger le pdf.
ROUGET Nicolas : «Adaptations et diversification de l’agriculture dans les espaces urbains et périurbains. Entre spécialisation et reconversion. Le cas de la périphérie Sud-est de l’agglomération lilloise (Pévèle-Mantois)». Télécharger le pdf.
BACCONNIER Sandrine : «Vers un développement agricole périurbain : l’exemple de la Communauté d’agglomération du SICOVAL». Télécharger le pdf.
PILLEBOUE Jean, POUZENC Mickael : «AMAP et PVC : vers de nouvelles formes périurbaines d’agriculture et de consommation alimentaire ?». Télécharger le pdf.
MONDY Bernard VINCQ Jean-Louis : «Evolution des formes de vente directe : lorsque des agriculteurs du milieu périurbain s’organisent». Télécharger le pdf.
AUBRY Christine, KEBIR Leila, PASQUIER Catherine : «La (re-)conquête d’une fonction alimentaire de proximité par l’agriculture francilienne ? Quelques questions issues d’études de cas». Télécharger le pdf.
PERRIN Coline : «L’agritourisme dans les collines périurbaines de Toscane». Télécharger le pdf.
NIKOLAIDOU Sophia, JOUVE Anne-Marie, ANTHOPOULOU Théodosia : «La dynamique de la viticulture en zones périurbaines. Etude comparative entre Athènes et Montpellier». Télécharger le pdf.
THAREAU Bertille, LE GUEN Roger : «Etre agriculteur près des villes, inventer des modèles professionnels ». Télécharger le pdf.
JOLY Nathalie, DUFOUR Annie, BERNARD Cécile : «Sociabilités locales et perceptions de l’agriculture périurbaine». Télécharger le pdf.
DARLY Ségolène, TORRE André: «Les conflits liés aux espaces agricoles et la gouvernance des territoires en Ile-de-France : une étude à partir du recensement de la presse quotidienne régionale». Télécharger le pdf.
STREITH Michel : «Les agriculteurs et la reconstruction du lien social. Actions innovantes en milieu périurbain parisien». Télécharger le pdf.
VIANEY Gisèle, SERRANO José : «Les Zones agricoles protégées (ZAP) : un outil pour un urbanisme agricole ?». Télécharger le pdf.
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