6 – Les débuts de l’enseignement à l’ENSP

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Chapitre 6

Les débuts de l’enseignement à l’École nationale supérieure du paysage de Versailles

La continuité

(1975-1980)

Après avoir évoqué la fin de la Section du paysage et de l’art des jardins de l’ENSH, Pierre Donadieu évoque la mise en place de l’enseignement à l’ENSP.

La fin de la Section (voir chapitre 4)

Les derniers étudiants paysagistes sont sortis de la Section à l’automne 1974. Les annuaires des anciens élèves de l’ENSH et de l’ENSP signalent un phénomène significatif. Les faibles effectifs d’étudiants paysagistes inscrits à la Section se sont mis à augmenter de 1962 à 1972, date de la dernière rentrée. Ils sont passés de 5 en 1962 et 8 en 1963 à 28 en 19721.

Pendant cette période, l’ENSH et le ministère de l’Agriculture commencent à penser la réforme des deux formations versaillaises d’ingénieur horticole et de paysagiste DPLG. La demande de paysagistes augmente. Ce qui s’est traduit pour l’École par le projet d’Institut du paysage lequel, malgré les efforts de la commission présidée par Paul Harvois, n’aboutira pas en 1971 (Chapitre 3).

On connait également les derniers enseignants paysagistes de la Section : A. Audias (depuis 1946), J. Sgard (depuis 1962), B. Lassus (depuis 1963), M. Viollet (depuis 1968), P. Dauvergne (depuis 1969), G. Samel et J.-C. Saint-Maurice (depuis 1960) ainsi que P. Roulet, mais également M. Corajoud et J. Simon qui furent invités à enseigner à partir de 1972. Deux d’entre eux étaient ingénieurs horticoles et paysagistes DPLG (Saint-Maurice, A. Audias). Ils symbolisaient la fin d’une longue période (depuis le début du siècle) où les besoins paysagistes de l’urbanisme avaient été satisfaits surtout par les compétences de l’art des jardins, de l’horticulture ornementale et du jardinage dans les services techniques de parcs et jardins publics.

Parallèlement avait été peu à peu développée, au contact de la culture des Beaux-Arts, des arts décoratifs et de l’architecture, la compétence de concepteur de projet, d’architecte de jardins, distincte de la culture technique de l’ingénieur horticole. Elle était revendiquée par les jeunes professionnels en même temps qu’apparaissait une demande politique de formation de paysagistes comme agents de la requalification des paysages urbains et ruraux avec l’épisode du CNERP (1972-79).

Dans cette période charnière de 1974 à 1980, la nouvelle école du paysage de Versailles, créée par un décret de 1976, se mit en place avec un nouveau directeur, Raymond Chaux2, ingénieur agronome et inspecteur général du ministère de l’Agriculture. Celui-ci était également directeur de l’ENSH – établissement principal devenu nouvelle école d’application des écoles d’ingénieurs agronomes la même année – à laquelle était rattachée l’ENSP.

Le premier programme

Nommé en 1974, R. Chaux succède à E. Le Guélinel qui avait présidé le dernier conseil des professeurs de la Section le 27 juin 1974. Il prépare le concours d’entrée de la première promotion de la jeune ENSP à l’automne 1975.

Un premier programme est rédigé au printemps 19753. Il prévoit en première année des enseignements de base qui supposent l’intervention des enseignants de l’école d’horticulture ou de l’INRA de Versailles4 : climatologie, sols, topographie, floristique, mathématiques, mais également d’autres compétences, enseignées dans la Section, en histoire de l’art, ainsi qu’en dessin. En seconde année, un enseignement plutôt technique et d’atelier est inspiré de celui de la Section (techniques forestières, botanique, hydraulique, aménagement des terrains, gazons…) ainsi qu’une formation à la « composition paysagère », au dessin et, en groupes, à une « orientation urbanisme et aménagement ». La troisième année est surtout consacrée à des ateliers de « composition paysagère », comme dans la Section, avec des compléments en urbanisme, en aménagement du territoire, et en « économie de l’espace ».

R. Chaux l’avait conçu avec les anciens enseignants de la Section, mais surtout avec ceux de l’ENSH déjà impliqués. Car il devait s’appuyer sur les compétences de ces derniers en l’absence de postes budgétaires propres à l’ENSP. Ce programme était donc hybride. Il ne choisissait pas entre un profil technique d’ingénieur paysagiste et un profil de concepteur de projet.

Dans les « Considérations générales », il insiste sur l’expression graphique et la connaissance des matériaux vivants et inertes, ainsi que « du milieu où sera appliqué le travail du paysagiste ». Il souligne « l’apprentissage de l’art de la composition des volumes et des couleurs ». Le paysagiste est pour R. Chaux « un producteur autonome d’espaces verts et un expert s’associant dès la conception à l’élaboration de projets plus complexes ».

Les études doivent durer trois ans suivis d’un stage de neuf mois au minimum, et l’effectif restera inférieur à 15-20 étudiants par année. Aucune option n’est prévue, mais les étudiants pourront choisir les thèmes de leurs projets.

Le programme prévoit que la moitié du temps d’enseignement est consacrée « à la formation au tracé et à la composition graphique dans des ateliers » selon deux groupes de disciplines : 1/ Le dessin, l’expression plastique et la perspective, 2 / La composition paysagère, réunissant des cours d’histoire de l’art, de l’art des jardins et de l’architecture, et l’étude et la composition du paysage.

Ce programme, qui annonce des débats vifs à venir, insiste sur la compétence spatiale du paysagiste qui « conçoit et construit des espaces » et qui, d’un point de vue écologique, « respecte le milieu naturel indispensable au bien-fondé de l’action paysagère ». Compétence qui s’inscrit dans le temps « d’autant plus long que les espaces traités sont de plus grande étendue et constitués d’éléments composites dont il faudra prévoir et diriger l’évolution en vue d’atteindre les objectifs fixés ». Phrase qui suppose la prise en compte, dans la formation, de l’idée de « grand paysage » ou de « paysage d’aménagement » qui est expérimentée au même moment au CNERP de Trappes, à quelques kilomètres de Versailles.

La formation prévue réunit en fait la capacité à la maîtrise d’œuvre et à la planification de la production des paysages. Elle reprend une partie des compétences que le CNERP transmettait au même moment à de jeunes diplômés d’architecture, d’agronomie et de paysage. Mais elle ne fait pas appel explicitement à la notion de paysagisme d’aménagement ou de « grand paysage » qui s’imposera plus tard.

Elle explicite l’idée que le paysagiste « partage plus que tout autre ce qui constitue les préoccupations des urbanistes », notamment d’un point de vue géographique, économique et juridique.

L’ambition de ce programme, rédigé après de nombreuses consultations, est importante, mais beaucoup moins que le projet d’Institut national du paysage et de l’environnement de 1971. Elle s’inspire du premier projet d’ « École du paysage et de l’art des jardins » élaboré en 1966 avant le projet d’Institut (Chapitre 1). Elle reprend la pédagogie de la Section (qui est comparable à celle des ateliers des Unités Pédagogiques d’architecture) en y associant celle des écoles d’ingénieurs (les cours et les applications). R. Chaux ignore cependant que ces deux domaines s’articulent très difficilement, ce que ne tarderont pas à lui faire savoir les étudiants et les enseignants d’ateliers. Il ne semble pas s’appuyer sur les dernières expérimentations pédagogiques menées de 1972 à 1974 par P. Dauvergne, J. Simon et M. Corajoud (voir chapitre 4).

La première équipe enseignante et les départements

En 1966, le premier projet d’école du paysage et de l’art des jardins en trois ans prévoyait une structure pédagogique simple. Quatre domaines devaient organiser l’enseignement : « la connaissance de l’homme (le cadre juridique et social des activités de plein air), la connaissance de la nature (l’utilisation des végétaux et la phytogéographie), les techniques de réalisation (de jardinage, de génies civil et rural) et les travaux d’atelier de projet (esquisse, avant-projet, projet technique, rendu, devis estimatif, rapport de présentation) ».

Etaient ainsi préfigurés les regroupements d’enseignements qui virent le jour en 19775 : « La connaissance du milieu humain ; la connaissance du milieu (écologique) ; les techniques de l’ingénieur, les études sur les processus d’élaboration d’un aménagement ». Le mot atelier n’apparaissait pas comme dans la Section des années 1972-74.

Autant de futurs départements auxquels il fallut ajouter : « les techniques de communication, les arts plastiques, la phase d’accueil de début de première année, la phase de sensibilisation à l’expression6, l’histoire de l’art, les voyages d’étude …».

Ces regroupements ne prirent progressivement le nom de département qu’en 1979 avec cinq pôles : Connaissance du milieu social, Connaissance du milieu (physique), Techniques de projets, Ateliers de théories et de projets, Arts plastiques, Techniques de représentation et de communication. Usuelle dans les écoles d’ingénieurs ou à l’université (avec les chaires7), cette structure en départements n’existait pas dans les écoles d’architecture.

Pour structurer l’enseignement, il fallait constituer un gouvernement stable de l’école. Ce qui fut fait avec l’arrêté du 15 septembre 1977 créant les conseils des enseignants et le conseil de l’enseignement et de la pédagogie de l’ENSP de Versailles.

Dès le début de la première année d’enseignement 1975-1976, un conseil d’enseignants provisoire avait été créé. En juin 1977, il réunissait, répartis en plusieurs groupes de réflexion :

dans le groupe Arts plastiques et Histoire de l’art des jardins : F. Blin, R. Péchère ; dans « Milieu humain » : l’économiste et juriste J. Carrel et le paysagiste (et ingénieur horticole) Elie Mauret ; dans « Techniques de représentation », le paysagiste P. Aubry, P. Bordes (topographie) et F. Manach (techniques de représentation) ; dans « Milieu écologique » : P. Pasquier (Sciences du sol) ; le paysagiste et ingénieur horticole G. Clément (Utilisation des végétaux) ; N. Dorion (Physiologie végétale), P. Lemattre (horticulture ornementale) et M. Rumelhart, assistant représentant J. Montégut, professeur d’écologie végétale. S’y ajoutaient, surtout dans des activités de type ateliers, les paysagistes, anciens comme D. Collin, L. Tailhade-Collin, J.-B. Perrin et P. Roulet, et plus jeunes comme M. Corajoud, B. Lassus, L. Saccardy, A. Provost, P. Dauvergne, A. Spaak ; des historiens : J. Pasquier (ingénieur horticole et directeur adjoint de l’ENSH), S. Hoog, conservatrice au château de Versailles et d’autres professeurs de l’École d’horticulture : J.-M. Lemoyne de Forges (en génie horticole) et T. De Parcevaux en bioclimatologie (un chercheur de l’INRA qui sera remplacé l’année suivante par P. Donadieu) 8

R. Chaux avait pu ainsi rassembler une trentaine de personnes de différents horizons. Une douzaine d’entre eux étaient des paysagistes ayant suivi la Section, ingénieurs horticoles ou non, et/ou ayant participé à l’histoire de la Section depuis 1961 comme B. Lassus, P. Dauvergne ou P. Roulet. La majorité des autres était issue du personnel enseignant titulaire (assistant, chef de travaux et professeur) de l’ENSH, soit une dizaine de personnes.

Structurés en conseil de l’enseignement et de la pédagogie et en conseil des enseignants (notamment sous une forme restreinte aux représentants des cinq départements), ils vont faire évoluer le programme pédagogique de 1975.

1978 : le second programme pédagogique

Dès 1975, R. Chaux avait distribué les grands volumes horaires d’enseignement. Sur les 2700 à 3000 heures prévues pendant trois ans, la moitié devait revenir à des pédagogies collectives et pratiques de « composition paysagère » et d’ «études d’urbanisme et aménagement de l’espace». Il affirmait ainsi l’orientation professionnelle de la formation mais ne définissait pas les objectifs et les modes pédagogiques.

À la rentrée 19779, les enseignants n’étaient pas une population stable. De nouveaux arrivaient (P. Donadieu en Ecologie, P. Lemonnier en ethnologie ; D. Mohen en dessin, C. Preneux en horticulture ornementale, T. Pauly en techniques forestières, M. Vidal en psychosociologie). Et d’autres repartaient ou allaient repartir (D. Collin, J.-B. Perrin, P. Roulet, R. Péchère, M. Guitton, A. Spaak, M. Grocholsky …).10

Néanmoins, des orientations pédagogiques commençaient à être débattues, chaque groupe affirmant ses convictions interdisciplinaires en fonction des expériences acquises.

Par exemple le groupe Milieu écologique (M. Rumelhart, J. Montégut) faisait valoir la nécessité pour le paysagiste de « connaitre les groupes végétaux d’utilisation en fonction des caractères du milieu, d’y associer les caractères plastiques et techniques et de savoir analyser un paysage en fonction des plantes indicatrices identifiées, ceci afin de savoir recréer et compléter un milieu à aménager ». D’autres (P. Dauvergne) insistaient en première année sur l’étendue de la palette végétale du paysagiste (semblable à celle du peintre) ; sur la conscience des ambiances paysagères (L. Tailhade Collin) ; sur, en deuxième année, les « fonctions et moments du processus d’élaboration d’un aménagement (A. Provost avec une base de loisirs ; J.-B. Perrin avec un parc urbain, B. Lassus avec la réhabilitation d’une cité ouvrière). E. Mauret en 3e année voulait développer le savoir participer à « la création d’un schéma directeur d’aménagement et de sauvegarde d’un paysage territorial », et M. Corajoud défendait la pratique de conception d’un parc semi urbain. La question de la progression pédagogique était mieux posée (et provisoirement résolue) que celles de la pertinence et de l’articulation des prestations des uns et des autres. Ces dernières questions apparaitront dans le conseil des enseignants progressivement.

Premières tensions

En mars 197911, G. Clément, ingénieur horticole (IH 65) et paysagiste DPLG regrette que « l’on forme plus des plasticiens que des spécialistes d’utilisation des végétaux » et P. Pasquier que les étudiants ne lisent pas les polycopiés de sciences du sol. P. Aubry, paysagiste DPLG et assistant de B. Lassus, plaide pour développer « l’outil de la reconnaissance paysagère » et le peintre J. Sire pour « axer l’enseignement sur l’univers perceptif ». M. Corajoud déplore « des enseignements trop cloisonnés et l’absence de concepts généraux », J. Coulon, élève du précédent, recommande « d’agrafer analyse et création », P. Dauvergne « de présenter les travaux de groupe devant les élus », et D. Mohen et E. Mauret de changer de locaux trop provisoires et inconfortables (des modules préfabriqués dans la cour de l’École ).

Deux mois plus tard, en mai 1979, le procès-verbal12 n’ignore pas les tensions qui émergent. « Comment intégrer les techniques de travaux et les techniques de représentations » (A. Provost), « Faut-il des enseignements (d’ateliers) optionnels ou monolithiques ? « (P. Aubry) « Les départements sont-ils nécessaires ? (…) N’y a-t-il pas surenchère des disciplines au détriment du concept général de paysage ? (…) Quelle importance du végétal par rapport à l’architecture ? (M. Corajoud), « Les enseignants doivent être des consultants dans les ateliers dans le cadre d’un parcours » (F. Manach), « le paysagiste relève d’une option culturelle et non scientifique » (B. Lassus).

Le principe de deux ateliers de projet de paysage commence à émerger : Corajoud-Provost, et Lassus-Aubry, ce dernier sur des principes plasticiens.

Comme il devient difficile de débattre et de décider avec plus de 20 personnes, une commission restreinte, chargée de préparer les conseils des enseignants, est désignée par R. Chaux le 22 octobre 1979. Elle réunit régulièrement les responsables des cinq départements (Dauvergne, Donadieu, Manach, Sire, Provost) avec ceux des ateliers (Lassus et Aubry, Corajoud et Provost).

Les conseils restreints

Dans le compte-rendu du 25 10 1979, R. Chaux demande que l’on explicite les principes pédagogiques de l’ENSP, mais que, d’abord, l’on confirme que la structure actuelle est conforme aux objectifs de l’école définis par lui en 1975, puis dans ses articles plus récents. M. Corajoud n’approuve pas tant que « la structure actuelle (reste) trop monolithique ; elle n’offre aucune option, aucune passerelle ». Dans le conseil suivant, en formation complète, est développée une critique des stages de quatrième année, mal rémunérés et peu efficaces d’un point de vue pédagogique (mauvaise qualité du travail personnel associé). Il est alors envisagé de « réintroduire la quatrième année comme année de formation » et d’inventer une pratique de recherche dans l’établissement par les enseignants pour y associer les étudiants. Le dispositif universitaire et des écoles d’ingénieurs doit être distingué de celui des écoles de concepteurs « au même niveau des notions de projet (dans les écoles d’architecture) assemblant un mémoire à un projet ».

La notion de projet « spécifiquement paysager » n’est donc pas encore claire ou suffisamment partagée pour le Conseil restreint qui demande un nouveau débat.

Le Conseil précédent l’avait montré. M. Corajoud rejetait « la compilation qui n’est jamais dépassée ». Il craignait le « détournement de projet » s’opposant ainsi à P. Donadieu qui soutenait qu’une recherche « hors du projet » est parfois attendue par les étudiants. Tous semblaient s’être mis d’accord cependant sur la phrase proposée par P. Dauvergne : « Le travail personnel serait constitué par un mémoire devant aboutir sauf exception à un projet d’aménagement de l’espace aux échelles et dans les milieux les plus divers … »13.

Cependant P. Aubry demanda de préciser le texte en introduisant « la proposition d’aménagement de l’espace et du temps, ne pouvant être faite que par un paysagiste, et montrant ce que pourrait être le projet de paysage ». Le danger d’une interprétation trop corporatiste est signalé par P. Dauvergne et la proposition écartée avec l’appui de M. Corajoud.

Cette négociation point par point entre enseignants demeura longtemps la règle de R. Chaux. Par exemple pour la création des postes d’enseignants-praticiens obligeant à transformer des postes de vacations en postes budgétaires ; pour modifier les conditions du concours mal adaptées aux objectifs de l’école ; pour créer un premier cycle spécifique de préparation au concours d’entrée ; ou pour réformer l’enseignement du département du milieu trop isolé des pratiques d’ateliers14.

R. Bellec et R. Chaux parvinrent ainsi à écrire le texte de la première « plaquette », une notice de présentation de l’ENSP.

La première plaquette

L’introduction de cette notice provisoire pour les candidats au concours d’entrée, qui est soumise au Conseil restreint le 2 novembre 1980, affirmait le socle sur lequel sera bâtie la formation dans les années suivantes.

Elle n’éludait pas la difficulté : « pour tenir ce qui est avancé, (il faudra) un certain nombre de réformes pédagogiques …parfois déchirantes ».

L’environnement, écrivait R. Bellec, doit nous stimuler et nous soutenir. « Comment les besoins des hommes peuvent-ils être satisfaits d’une manière compatible avec cet environnement ?». Le paysagiste « à sa place et parmi d’autres » (une formule de R. Chaux) apporte des solutions à ce problème. En intervenant sur l’esthétique du changement « grâce à sa formation artistique et une approche subjective mais méthodique », c’est-à-dire en mettant en forme l’espace. En comprenant, avec les scientifiques, les faits relationnels (inscrits dans le paysage) pour aboutir « à une complicité avec le milieu physique et culturel ». Ce qui n’exclut pas l’intervention forte, et n’implique en rien l’esprit de conservation. « En créant des aménagements qui devront être agréables, confortables …et dont on se souviendra ».

Le texte conclut :« Les paysagistes travaillent en collaboration avec les urbanistes, les architectes et les ingénieurs (…). Ils peuvent intervenir comme maître d’œuvre (…) et comme conseil ou expert au sein d’équipes interdisciplinaires. ».

Ce texte, en forme de manifeste (ici reformulé), réaffirme l’identité des paysagistes concepteurs et les distinguent des compétences voisines. Le paysagiste DPLG n’est ni un architecte, ni un urbaniste ou un ingénieur, et encore moins, sauf cas particulier, un artiste. Sa singularité est de contribuer à la satisfaction des besoins humains, là où les autres aménageurs de l’espace ne le font pas ou mal. Sans préjuger des moyens techniques ou des démarches d’inspiration artistique. Sans s’inféoder aux démarches dites du paysage d’aménagement, ni à celles des ingénieries horticoles et écologiques qui ne sont pas évoquées, ni à celles des sciences qui nourrissent ou non ces dernières pratiques.

Ce texte dit, implicitement, que les compétences des paysagistes doivent être réinventées par une formation originale articulée avec la recherche de solutions de projets, nouvelles et singulières. Il s’inscrit dans une conception libérale du métier. Les réformes pédagogiques à faire se lisent entre les lignes : abandonner les enseignements scientifiques inutiles, inventer la recherche par le projet, et faire converger les apports des disciplines vers la pratique des ateliers, voire dans les ateliers.

Parallèlement le ministère de l’Environnement et du Cadre de vie venait d’arrêter la formation au CNERP en 1979 en raison des problèmes posés par son financement interministériel. Il savait que la formation au « Paysagisme d’aménagement » était en principe repris par la nouvelle ENSP. Mais aucune garantie ne lui était donnée, qu’il puisse trouver parmi les jeunes paysagistes des agents compétents pour sa politique en matière de paysage15. Une « Mission du paysage » dirigée par A. Riquois, ingénieur du Génie rural et des eaux et forêts, fut donc créée en 1979 afin de mettre en œuvre cette politique16, notamment sous la forme de contrats de recherche avec l’ENSP et ses étudiants (voir chapitres futurs : La fondation de la recherche et des ateliers pédagogiques régionaux.).

À suivre.

P. Donadieu

Version du 25 novembre 2018

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1 L’annuaire de l’association des ingénieurs de l’horticulture et du paysage de 2011 distingue deux grandes catégories d’étudiants paysagistes : 1/les ingénieurs horticoles qui ont suivi un ou deux ans d’études de la Section et obtenu le titre de paysagiste DPLG (ou non) 2/ Les étudiants de la Section qui ont obtenu ou non le titre de paysagiste DPLG. Selon les années, l’effectif de paysagiste DPLG a varié de 5/12 inscrits dans la Section en 1964 à 19/28 en 1972.

2 R. Chaux (1925-2017) avait été successivement directeur de la Chambre d’agriculture de Marrakech en 1951, directeur de la modernisation agricole au Cameroun, puis sous-directeur de l’enseignement technique agricole au ministère de l’Agriculture de 1967 à 1974. Il est nommé, par J. Chirac, premier ministre sous la présidence de V. Giscard d’Estaing, directeur de l’ENSH et de l’ENSP de Versailles où il restera jusqu’en 1990. Il succédait à Etienne Le Guélinel, ancien directeur des services agricoles de Seine-et-Oise, qui avait pris ses fonctions en 1959.
3 Programme d’enseignement de l’ENSP, 6.05/1975, 12 p., sans auteur.

4 Les enseignants de l’ENSH sont intervenus dans la formation préparatoire et celle de la Section à partir de l’année scolaire 1967-68. Ils étaient cinq au début (Montégut, De Forges, Bordes, Gallien, Anstett).

5 Programme d’enseignement par année, 11/08/1977, doc. ronéo, 6p.

6 Une partie de ces ajouts est liée à l’arrivée de Roger Bellec à la rentrée 1977. Il était animateur socioculturel de lycée agricole, chargé du secrétariat général et de la coordination pédagogique de l’ENSP. Il était assisté par une secrétaire Lydie Hureaux et un paysagiste P. Aubry. Il assura ce poste difficile de 1977 à 1985 avant de regagner sa Bretagne. Il est décédé en 2017.

7 Le terme chaire, après la remise en cause « antimandarinale » de mai 1968 à l’Université, disparut pendant plusieurs décennies. Il réapparut après 2000 avec les chaires d’entreprises surtout dans les Grandes Écoles. Une chaire Paysage et Energie a été créée en 2016 à l’ENSP.

8 Ingénieur horticole, diplômé d’études approfondies d’écologie, ingénieur d’agronomie, P. Donadieu était depuis 1972 chargé d’enseignement et de recherche à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II de Rabat (Maroc). Françoise Blin était professeur certifié de dessin, P. Bordes maître-assistant en Génie rural et topographie à l’ENSH, J. Carrel professeur d’économie et de droit à l’ENSH.

9 Le concours d’entrée recruta en 1977, sur une centaine de candidats, 13 nationaux, quatre à titre étranger, deux réintégrant l’école après une admission l’année d’avant, et deux architectes en troisième année.

10 PV du CE du 21 juin 1977 auquel assistaient 21 personnes. P. Lemonnier était assistant au CNRS, P. Mainié maitre de recherches en économie rurale à l’INRA dans le cadre ENSH, E. Mauret, urbaniste- paysagiste DPLG, T. Pauly, ingénieur forestier, J. Sire, peintre et conseiller technique et pédagogique, D. Mohen professeur certifié de dessin, F. Manach, enseignant à UP n° 5, C. Preneux, assistante à l’ENSH.

11 PV du Conseil des enseignants du 15 mars 1979 (19 personnes)
12 PV du conseil des enseignants du 9 mai 1979 auquel assistaient 24 personnes.

13 PV du conseil restreint du 20 11 1979, p. 3, rédigé par F. Manach. Ce point était conforme à la tradition de la Section depuis sa création.

14 PV du CR du 18/03/1980. Cette proposition fut discutée par A. Provost (clivages trop artificiels, utopie de raisonner du grand aménagement au petit), par M. Corajoud (la forme est prioritaire sur le « gonflage de tête » et par R. Bellec (nécessité d’une concertation entre départements pour une même action (pédagogique) »

15 M. D’Ornano souhaitait, au-delà de la politique de protection des paysages, « retrouver une capacité de création paysagère et mettre en œuvre une politique active de reconquête et de maîtrise de l’évolution des paysages », M. Champenois. Communication au conseil des ministres du 5 novembre 1980. Le Monde du 10 novembre 1980.

16 La Mission recruta notamment Yves Luginbühl et Anne Kriegel qui venaient du CNERP de Trappes.