Pierre Dauvergne

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Autobiographie de Pierre Dauvergne – L’enseignement de Pierre Dauvergne Pierre Dauvergne au Conseil Général du Val-de-marne

Pierre Dauvergne

Paysagiste d’aménagement, conseiller de la maitrise d’ouvrage, enseignant, militant

Sa formationSa carrièreSes distinctionsSon enseignementSes idées

Pierre Dauvergne est né le 26 mai 1943 à Paris. Ses parents étaient commerçants en articles de décoration intérieure. Il passe son enfance dans la campagne de la vallée de l’Yvette.

Sa formation

De 1959 à 1962, à l’âge de 16 ans, il suit la formation pratique de l’École du Breuil, une école d’horticulture et d’arboriculture de la ville de Paris et obtient un brevet professionnel. Il en conserve une mémoire précise :

« Trois années d’études : Enseignants principaux : Clément (Culture potagère), Bretaudeau (Arboriculture fruitière), Chantrier (arboriculture d’ornement), Lucien Sabourin (floriculture), Pierre Grison (parasitologie), Gouet (botanique), Henri Brison (art des jardins). Ce dernier était paysagiste à la Ville de Paris avec Daniel Collin, dans l’équipe dirigée par Robert Joffet. Il me révèle mieux ce qu’est un paysagiste. Nous faisions avec lui des projets de petits jardins ou de scènes végétales. 

Pour les travaux pratiques (50 % du temps de l’enseignement), nous avions de nombreux enseignants techniques, principalement Lefèbre, qui a rejoint le Potager du Roi de Versailles, bien après. Également, Besnier pour les vergers où je me passionne pour la formation et la taille des fruitiers, Paulin pour le potager, …De cette période, date une profonde amitié avec Pierre Pillet, élève comme moi.

Dès le départ, en première année, j’ai été très surpris, ne voyant pas le rapport entre les jardins et le métier de paysagiste. En effet les matières principales étaient la culture potagère, l’horticulture générale, et la connaissance des végétaux par leur appellation en latin. Ce fut dur ! J’étais loin des Floralies … et de ce qui me passionnait dans la vallée de l’Yvette, mon territoire de chasse et de captures de batraciens, reptiles, rongeurs et insectes.». P.D.

En 1963, après une préparation intensive en dessin, il est admis, avec Pierre Pillet et Françis Teste, à la Section du paysage et de l’art des jardins de l’Ecole nationale supérieure d’horticulture de Versailles.

Il décrit l’équipe pédagogique de la Section à son arrivée, assez proche de celle qu’avait connue J. Simon en 1957.

« Il y avait Albert Audias (technique), Théodore Leveau (Composition, un ancien élève de J.C.N. Forestier), Jeanne Hugueney (Histoire de l’art), Simone Hoog (Histoire de l’art des jardins), les Bernard Jean et Jean Pierre (Techniques), Roger Puget et Descatoire (Urbanisme), Thomas (sols sportifs), René Enard, puis Jacques Cordeau (Dessin), … Nous avions des cours et des exercices sur des espaces limités, comme par exemple l’aménagement d’une terrasse d’immeuble, la conception d’escaliers et de gradines… et ceci à des échelles dépassant rarement le 1/200ème. En 2èmeannée, ce sont Jacques Sgard, Bernard Lassus, Pierre Roulet, Jean-Claude Saint-Maurice, Jean Pierre Bernard, Alain Spake, Elie Mauret, qui enseignent. Après l’École du Breuil, la plongée à Versailles fut brutale en 2ème année ! Changement complet d’échelle. » PD

Deux enseignants l’ont particulièrement marqué : le paysagiste et urbaniste Jacques Sgard et le plasticien coloriste Bernard Lassus.

« J. Sgard nous a ouvert à la géographie, à l’« écologie végétale », et déjà au « grand paysage », avec d’emblée un projet d’aménagement d’un terrain d’environ 200 hectares à Bruyères-le-Châtel, un milieu très fragile, comparable aux milieux du massif forestier de Fontainebleau. Nous n’étions plus à des échelles du 1/50ème ou 1/200ème. Nous devions caractériser le site, ses composantes pour justifier et argumenter ensuite un projet, qui consistait à accueillir de la voirie et un certain nombre d’habitations, ou un lotissement.

B. Lassus nous a appris à regarder et à analyser avec rigueur le pourquoi de nos sensations en rapport avec les apparences des espaces urbains ou naturels. Il nous a obligé à relativiser nos premiers jugements de valeur, à décortiquer la notion du beau. Il nous a ouvert à la physiologie et à la psychologie de la perception, aux modes de représentations du réel en nous encourageant à lire des ouvrages, comme ceux de Pierre FrancasteL, Fernand Leger, Gaston Bachelard, … Il nous conseillait les expositions d’artistes à voir. Nous faisions des exercices plastiques, dont les fameux “bouchons”, des études visuelles d’espaces proches de l’école, des études sur la mobilité des apparences selon les saisons et les heures de la journée. (Étude de la Plaine de Stains en 1965). ». PD

De 1965 à 1966, il effectue son stage obligatoire d’un an dans l’ « Atelier du Paysage » de J. Sgard, J.-C. Saint-Maurice et P. Roulet :

« Cet atelier était à l’époque l’une des plus importantes agences de paysagistes. Trois paysagistes y étaient associés : Jacques Sgard, Jean-Claude Saint-Maurice (assistant M. Viollet) et Pierre Roulet (assistant M. Cassin). Cette agence était au cœur des nouvelles commandes dépendant des politiques d’après-guerre en urbanisme, environnement et aménagement. Je travaillais principalement sur les projets de Pierre Roulet (grands ensembles dont celui de Massy) ». PD.

En 1966, il obtient le diplôme et le titre de paysagiste diplômé par le ministère de l’Agriculture (DPLMA comme celui de J. Simon et d’A. Provost), titre qui était en cours de reclassement comme paysagiste DPLG à partir de 1961.

Rendu final, Concours en loge, 1966, 1/500e, Fonds Dauvergne, Archives ENSP.

Sa carrière

1967-1969 : Il est employé par le Service Technique Central d’Aménagement et d’Urbanisme (STCAU) qui dépendait de la Direction de l’Aménagement Foncier et de l’Urbanisme (DAFU), du Ministère de l’Equipement et de l’Urbanisme (MEL).

« Le STCAU était une véritable plaque tournante pour échanger connaissances, expériences avec les équipes de terrain, et vice versa. Ainsi, le groupe relation ville campagne a animé leClub des paysagistes d’OREAM”, avec la participation du responsable de l’environnement de l’Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture, l’APCA: Jacques Sgard (Nancy-Metz-Thionville, et Aix-Marseille-Fos), Michel-François Citerne (Nancy-Metz-Thionville), Jean Challet et Pierre Mas (Nord-Pas de Calais), et Michel Viollet, (Nantes-Saint-Nazaire).

C’était bien nécessaire à une période où nous étions tous confrontés à des échelles et à des questionnements totalement nouveaux, en particulier la protection et l’aménagement des espaces agricoles, et des projets de « ceintures vertes », « coupures vertes », « coulées vertes », … dans les aires urbaines ». PD

1967 – 1970 : Le GERP

Avec d’autres jeunes paysagistes, il crée le Groupe de recherche et d’étude sur le paysage (GERP). Car, en 1968, les étudiants de la Section se mettent en grève pour obtenir les moyens financiers de développer une formation de paysagistes correspondant à la demande dans le domaine de l’urbanisme et l’aménagement du territoire. Formation qui n’existe pas (ou pas assez) à la Section, malgré la présence d’un architecte urbaniste (R. Puget).

« En attendant l’obtention de ces moyens, les étudiants et jeunes anciens élèves décident la création du GERP pour à la fois compenser les manques de l’enseignement, et en même temps, s’organiser pour mener des actions, tant auprès de l’école que de la tutelle pour faire évoluer la situation. Ainsi, Philippe Treyve, Paul Clerc, Samuel Adelaïde, et moi-même fondront l’association GERP avec le soutien d’enseignants, en particulier de Jacques Sgard, et de Bernard Lassus. Philippe Treyve en sera le Président, très charismatique. ». PD

Le GERP fait connaitre très vite ses revendications aux enseignants de la Section et aux paysagistes :

« Progressivement, le GERP attire et anime le monde professionnel, notamment par l’organisation de cinq conférences magistrales de personnalités de premier plan dans le grand amphi de l’école, durant lesquelles une centaine de personnes est présente. A noter la participation du Directeur de l ’école, Etienne LE GUELINEL, PUGET, Jacques MONTEGUT, Jacques SIMON, des professionnels comme Pierre ROULET, Jean Claude SAINT-MAURICE, BIZE, CLOUZEAU, CAMAND. Également, plus nombreux, des étudiants et jeunes anciens qui animeront les groupes de travail. » PD.

Au GERP dissous en 1970 succède une autre association.

1968 – 1975 : l’Association PAYSAGE

Pierre Dauvergne devient le secrétaire général de l’ « association Paysage » qui a les mêmes finalités que le GERP. Elle réunit des adhérents différents qui travaillent en relation avec le STCAU, puis avec le nouveau ministère de l’Environnement :

« Jacques Sgard, paysagiste-urbaniste, Président, Bernard Lassus, plasticien, Vice Président, Rémi Perelman, ingénieur agronome, Secrétaire général, Pierre Dauvergne, paysagiste, Secrétaire, Paul Clerc, paysagiste, du bureau d’étude PAYSA, Trésorier ».PD

En 1972 l’association est chargée par le Ministère de l’environnement de créer un cycle d’un an pour une formation expérimentale au “paysage d’aménagement” destinée à des professionnels de l’aménagement et de l’urbanisme, et pour développer la recherche. Cette formation s’installe rue de Lisbonne à Paris. Elle deviendra à partir de 1975 le CNERP.  

1975 – 1979 : Le Centre d’étude et de de recherche du paysage de Trappes (78)-CNERP

Après les deux premières années, le cycle est institutionnalisé en CNERP le 31 mars 1975 par le Ministre de la Qualité de la Vie, André Jarrot, à Trappes, dans les locaux d’une antenne pédagogique d’une école d’architecture parisienne. Cette formation conserve son statut d’association loi de 1901, qui dispose d’un Conseil d’administration interministériel, présidé par Pierre de la Lande de Calan de la Fondation de France par ailleurs l’un des dirigeants de la Barclay’s Bank. Pierre Dauvergne devient employé du CNERP en tant que directeur d’études responsable des études, des recherches et de l’expérimentation.

« L’équipe est rapidement constituée principalement par des professionnels issus des cycles de formation précédents dont : Alain LEVAVASSEUR, paysagiste, Marie Noëlle BRAULT, paysagiste, Zsuza CROS, paysagiste hongroise, Jean Pierre SAURIN, paysagiste, Jean Rémy NEGRE, architecte-urbaniste, Yves Luginbühl géographe, Marie Claude DIEBOLD, géographe, Claude BASSIN-CARLIER, ingénieur écologue, Janine GREGOIRE, secrétaire ».

De gauche à droite, l’équipe du CNERP : Alain Levavasseur, Janine Grégoire, Yves Luginbühl, …, Jean-Pierre Boyer, Sarah Zarmati, Pierre Dauvergne, Viviane (secrétaire du CNERP), Rémi Pérelman,…, Philippe Robichon, Alain Sandoz, Bernard Fischesser, Claude Bassin-Carlier.…, 1974. Archives ENSP.

Sous la direction de Rémi Pérelman, l’institution, interministérielle, fonctionne comme un centre de recherches dont les stagiaires et les chargés d’études sont la main d’œuvre principale et la puissance publique le commanditaire principal. Selon le centre de documentation, de 1973 à 1977, 127 rapports d’études, ou de recherches sont réalisés par les équipes du CNERP (7 en 1973, 24 en 1974, 28 en 1975, 34 en 1976 et 34 encore en 1977).

Du fait de difficultés financières, le CNERP ferme ses portes en 1979 et ses missions pédagogiques et de recherches sont transférées à la jeune ENSP créée en 1976. Pierre Dauvergne est alors affecté au Service technique de l’urbanisme (le STU).

1979 – 1984 : l’Atelier d’aménagement et d’urbanisme du STU et l’ENSP

Dans ce service dirigé par Claude Brévan, urbaniste de l’Etat, P. Dauvergne est rapidement détaché à l’ENSP comme enseignant, affectation qui représente l’appui du ministère de l’Equipement à la nouvelle ENSP. Pendant cette période il participe à la mise en place du plan de paysage de Carthage-Sidi Bou Saïd près de Tunis.

À l’ENSP, il crée le département de sciences humaines, contribue aux premières publications de recherches de l’Ecole, et participe activement au projet (inabouti) d’Institut français du paysage (1982-85).

1985 – 2005 Conseil Général du Val de Marne1.

Pierre Dauvergne est recruté à la fin de 1984 en tant que chef du service des espaces verts départementaux. Il restera à la tête de ce secteur (qui devient une direction en 1988) jusqu’en 1991, date à laquelle il est nommé directeur de l’aménagement. Quatre ans plus tard, il devient directeur général adjoint de la collectivité départementale au sein de la collectivité, avant de devenir quatre ans plus tard, un des piliers de l’administration départementale : directeur général adjoint en charge des bâtiments, des espaces verts, du paysage et de l’assainissement. Il prend sa retraite en 2005 à l’âge de 62 ans.

Parallèlement, il s’implique dans la promotion de la profession de paysagiste. En 1984, il est délégué général de la FFP pour l’organisation des premières assises du paysage à Aix-les-Bains.

Ses distinctions

1993 : Trophée du Paysage pour la première tranche du parc départemental de la Plage Bleue à Valenton : Maîtrise d’ouvrage CG 94-DEVP associée à l’Agence paysagiste ILEX,

1994 : Chevalier dans l’ordre du Mérite agricole

1998 : Nominé pour le Prix National du Paysage (Gilles CLEMENT lauréat), et en 2000, nominé pour le Grand prix du Paysage. (Isabelle AURICOSTE lauréate).

« Bien que sollicité par le Ministère, successivement pour ces deux prix, la préférence du jury s’est portée, comme précédemment, sur des paysagistes de maîtrise d’œuvre. Une occasion ratée pour valoriser la maîtrise d’ouvrage paysagiste, toujours mal reconnue et pourtant très nécessaire pour développer la maîtrise d’œuvre. » PD.

2001 – Membre du Conseil national du paysage.

2007 – Grand prix national du Paysage pour le parc départemental des Cormailles à Ivry-sur-Seine : Maîtrise d’ouvrage CG 94-DEVP associée à SADEV 94 – Agence paysagiste TER.

2008 – Prix national de l’arbre attribué au département du Val-de-Marne par le Conseil national des villes et villages fleuris.

Son enseignement2

P. Dauvergne a enseigné principalement, et successivement, dans trois institutions publiques : à la Section du paysage et de l’art des jardins de l’ENSH de Versailles (1967-1974), au CNERP de Paris et Trappes (1972-1979) et à l’ENSP de Versailles (1979-1984). Parallèlement, il a été sollicité comme conférencier dans de nombreuses formations d’ingénieurs, d’architectes, d’urbanistes et d’universitaires en France et à l’étranger.

De 1967 à 1974

Dansla Section du paysage de l’ENSH, il organise l’enseignement après le départ de nombreux enseignants, paysagistes ou non. Il introduit M. Corajoud et J. Simon comme enseignants de projet, prend le relais de B. Lassus (études visuelles) et J. Sgard (les plans de paysage). Il explore de nouvelles possibilités de projet comme l’aménagement des carrières et les scenarii de paysage.

« 1967 – 1968 : Je suis assistant de Bernard Lassus – cours d’études visuelles. En 1968, après la démission de l’équipe pédagogique, la grève des élèves, la création et les interventions du Groupe d’Étude et de Recherche du Paysage (GERP), l’immobilisme de la Tutelle, une nouvelle équipe pédagogique se constitue, afin de prendre en charge les promotions présentes à l’école…

De 1969 à 1974, cette équipe rassemble en fait des « militants » pour défendre la Section et les étudiants recrutés. Elle fonctionne sans véritable mandat de l’administration, mais elle est plus ou moins soutenue, car la Direction souhaitait éviter de nouveaux soubresauts des étudiants.

L’équipe constituée par cooptation rassemble Michel Viollet, secrétaire général de la SPAJ (jusqu’en 1971), Jacques Simon, moi-même, et à partir de 1972, Michel Corajoud. Cette équipe travaille quasiment en autonomie, construit et expérimente une nouvelle pédagogie avec les étudiants. Dans ce cadre, je reprends alors, avec l’accord de Bernard Lassus, son cours d’”études visuelles”, et certains de ses exercices plastiques. Au cours de cette période, j’exploite mes activités principales déployées successivement au sein du STCAU (1967 – 1969), du GERP (1967 – 1970), et de l’OREALM (de 1969 à 1974). En 1969, l’OREALM me détache à la Section, à raison d’une demie journée par semaine.

Parmi les exercices menés, je citerai en premier celui de 1972 avec les deux promotions réunies. L’objectif était d’élaborer unplan de paysage pour l’avenir de la clairière de la Commune de LOURY,dans le Loiret, afin de déterminer les grandes orientations du futur Plan d’Occupation des Sols (POS). Ce projet était prétexte à la connaissance de la nouvelle planification territoriale : les SDAU, PAR et POS.

Autre exercice, lasimulation théorique des apparences successives d’un versant forestier, selon la nature du foncier, l’âge et la nature des peuplements, … exercice qui permettait d’aborder la connaissance de la forêt, de l’économie et des organisations forestières, avec des interventions ponctuelles d’experts, dont Tristan Pauly, IGREF, responsable du centre de gestion de l’ONF à Versailles.

Autre exercice en 1972 :le réaménagement d’une sablière en fin d’exploitation en forêt domaniale de Saint-Germain-en-Laye.Le projet devait être justifié par l’évaluation de la demande en loisirs du territoire au sens large. Le centre de gestion de l’ONF à Versailles est encore intervenu. Les extraits ci-après de l’un des projets rendu correspondent à l’interprétation de la méthode de Kevin Lynch (L’image de la cité, Dunod, 1969).

Extraits d’un travail d’étudiant : carte des zones de perception et légende des symboles graphiques. Archives P. Dauvergne

Enfin, en 1974, desprojets sur des espaces habitésse sont déroulés en Ville Nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines sur les communes de Guyancourt et d’Elancourt. Dans les deux cas, il s’agissait d’inventorier les usages des espaces aménagés, notamment à partir des traces au sol, puis de faire des propositions d’amélioration. A une autre échelle, c’estle développement urbainde la ville de Chevreuse et ses incidences sur la vallée, qui ont été réfléchis. » PD

1976 -1984

Mis à disposition par le STU, Pierre Dauvergne devient enseignant à l’ENSP. Il interviendra comme chef d’ateliers de projet et comme coordonnateur du département du Milieu humain qu’il créé :

« Mon implication dans l’enseignement diffère très sensiblement de celui de la Section. En effet, l’ENSP est structurée autour de trois ateliers de projet (Michel Corajoud, Bernard Lassus, et Allain Provost), ramenés à deux par la suite (Atelier Charles-Rivière Dufresny avec Bernard Lassus, et l’Atelier Le Nôtre, avec Michel Corajoud,) et cinq Départements, dont celui des Sciences Humaines. Les ateliers disposent de près de la moitié des heures. Ainsi, les Départements, pour assurer l’acquisition des connaissances avaient un temps pédagogique partagé et morcelé. L’articulation des départements avec les Ateliers autour de projets s’est avérée très difficile. »

Il participe à la création des « Ateliers Régionaux de Paysage » qui reproduisent la pédagogie du CNERP en confrontant les étudiants à des territoires concrets et aux élus. Comme pour le CNERP, c’était également la possibilité de trouver des compléments de financements pour l’établissement.

La pédagogie d’atelier qu’il mobilise s’appuie en priorité sur l’analyse de l’espace réel et sur le réseau des parties prenantes du projet. Pour lui les commanditaires réels autant que les théoriciens (les chercheurs, les universitaires) et les techniciens sont nécessaires à la formation des paysagistes. Il s’agit également d’identifier ce qu’il appelle la demande sociale, qui à cette époque était encore mal connue en raison de la réticence des chefs d’ateliers à faire intervenir des sociologues.

En 1979, dans la plaquette du cercle des élèves de l’ENSH -ENSP, il publie un long article « plaidoyer » pour la prise en compte du paysage dans l’aménagement et l’urbanisme. Il en tire les conséquences pour la conduite d’un enseignement, en s’appuyant sur les expériences pédagogiques menées depuis les années 70 au CNERP.

« L’analyse d’un espace est prétexte à l’acquisition de connaissances théoriques, et dans cette mesure, aide à l’articulation des cours et des travaux d’atelier. L’analyse de l’espace n’est jamais neutre, elle est toujours orientée en fonction d’un contexte. Le choix de terrains réels est essentiel à ce niveau-là.
Le paysagiste, dans sa pratique professionnelle, ne travaille pas seul. Il a des interlocuteurs, qu’il doit connaître, convaincre.

Les terrains réels permettent la confrontation avec ces interlocuteurs.
L’étudiant doit alors mener son travail avec méthode pour atteindre ces objectifs et se faire comprendre à la fin de son travail. Il doit pour cela sélectionner les informations et les données pour les interpréter. Les travaux nécessitent alors, et naturellement, l’intervention d’enseignants couvrant des matières théoriques et techniques.

Certaines phases du travail peuvent être menées par plusieurs enseignants.
Les terrains réels permettent alors un travail en équipe d’enseignants (…). L’enseignement doit être attentif à la demande sociale et ne doit pas se contenter de la suivre, mais aussi dans toute la mesure du possible la précéder. »3.

Couvertures des plaquettes d’enseignement de P. Mariétan, J.-M. Rapin et M. Louys, 1981, Archives P. Dauvergne

En 1981, il dirige deux ateliers pluridisciplinaires. L’un, « Perception et analyse du paysage », a recours auxEtudes visuelles de B. Lassus et fait intervenir des conférenciers du CNERP (le musicien P. Mariétan et l’acousticien J.-M. Rapin), ainsi que des scénographes. L’autre consacré à la vallée de la Mauldre non loin de Versailles, avec d’autres enseignants (l’économiste P. Mainié et l’écologue M. Rumelhart) concerne une région confrontée à une urbanisation diffuse4. Il permet de présenter les outils de la planification territoriale et le recours à la prospective en s’appuyant sur l’expérience des études de l’OREALM dans la vallée de la Loire Moyenne.

La couverture de la plaquette de présentation de l’atelier Vallée de la Mauldre, et celle du n° des Annales de la recherche urbaine, n° 18-19, 1983, qui a publié la recherche sur cette région.

Cependant, dans un contexte de concurrence entre enseignants pour les volumes horaires attribués, il est difficile de construire une réelle interdisciplinarité:

« Dans ce contexte de frustration, la construction d’équipes pédagogiques pluri disciplinaires était vaine. Plus étonnant, a été l’impossibilité d’articuler et d’organiser les pédagogies des ateliers. L’administration, faible …, a demandé alors aux étudiants de se positionner pour tel ou tel atelier. Un comble ! Il arriva ce qui devait arriver, l’un des ateliers, en l’occurrence l’Atelier Le Nôtre ramassa largement la mise, ce qui n’a rien arrangé dans le climat délétère de cette période. Des étudiants ont refusé de participer à ce marchandage, et ont suivi les deux ateliers simultanément.

Moi-même, participant aux réunions dites pédagogiques, connaissant trop bien Bernard Lassus et Michel Corajoud, les estimant chacun autant, j’agissais, avec Roger Bellec (le secrétaire général), pour que les points de vue se rapprochent, que les deux pédagogies, toute les deux respectables, puissent se valoriser, plutôt que s’opposer » PD.

En1982 – 1983 : Le Département du milieu humain, qui deviendra l’année suivante « de sciences de l’homme et de la société »est créé.

Couverture de la plaquette de présentation du département du « Milieu humain », 1982-83. Archives P. Dauvergne

« J’en assure la coordination. La plupart des enseignants et conférenciers poursuivront leur enseignement durant les années suivantes. Je fais appel à des enseignants intervenants sur les quatre années, principalement en 3èmeannée. 292 heures sont réparties entre 13 enseignants et conférenciers, dont deux de l’ENSH, Jean CarreL, juriste, et Philippe Mainié, ingénieur agronome, chercheur à l’INRA de Versailles.

Autres intervenants : Robert Ballion, sociologue, chercheur au laboratoire d’économétrie de l’Ecole Polytechnique, Yves Burgel, géographe, professeur à l’Université Paris X, responsable du laboratoire de géographie urbaine, Marie-Elisabeth Chassagne, chercheuse au CESTA et au laboratoire d’économétrie de l’Ecole Polytechnique, Jacques Cloarec, sociologue au laboratoire de sociologie rurale de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Simone Hoog, historienne des jardins, conservatrice au Château de Versailles, Maurice Imbert, sociologue au Centre d’Ethnologie Sociale et de Psychosociologie, Jacques Joly, géographe, professeur à l’ Université de Grenoble et à l’Institut des Sciences Politiques de Paris … » PD

Le premier programme pédagogique insiste sur une nouvelle compétence du paysagiste : être capable d’identifier les acteurs sociaux et politiques d’un projet d’aménagement, et de les associer à sa construction et à sa validation, autant qu’à sa gestion technique au cours du temps. Ce temps d’enseignement se situe plutôt en 3e et 4e années, avec l’avancement de l’apprentissage des compétences professionnelles qui devient plus complexe.

« Un des objectifs sera d’attirer l’attention du paysagiste sur le fait qu’il n’est pas seul à porter un regard et un jugement sur l’espace.
Les enseignements permettront au paysagiste de l’aider à formuler et à fonder ses hypothèses de travail, de repérer les divers acteurs impliqués et concernés par l’intervention paysagère envisagée, de négocier et d’élaborer avec eux les propositions et le projet. Enfin, réussir une intervention paysagère, c’est aussi prendre en considération les conditions de sa production et de sa gestion, c’est-à-dire les mécanismes et forces qui sous-tendent les apparences des espaces et les logiques des acteurs qui les développent ….
Par ailleurs, il est envisagé que la formation se développe par articulation avec les ateliers à propos d’exercices décentralisés expérimentaux (les futurs ateliers régionaux de quatrième année) ».PD.

Avant son départ à la fin de 1984 pour la direction des Espaces Verts du Val de Marne, un dernier atelier en 2e et 3e années est consacré en 1983-1985 à la ville nouvelle du Vaudreuil où P. Dauvergne est impliqué comme paysagiste. Un autre, dans la même ville, avec la paysagiste I. Auricoste et la sociologue Françoise Dubost, concerne les jardins familiaux.

Ses idées

Pierre Dauvergne est un passeur de savoirs, autant qu’un expérimentateur. Il n’a pas adopté une carrière de paysagiste concepteur, de réalisateur d’aménagements de l’espace, de parcs et de jardins. Il a été formé dans la Section pour emprunter cette voie, mais il a pris conscience dès sa sortie de l’école que d’autres choix existaient pourvus d’horizons plus vastes, et surtout plus politiques.

(Faire)comprendre la dynamique des paysages

Contrairement à ses collègues qui s’intéressent peu aux contenus scientifiques de la notion de paysage, P. Dauvergne va prendre conscience de l’intérêt de la connaissance de la dynamique paysagère dans les villes comme dans les campagnes. Les paysages ne sont pas immuables, et toute l’agitation politique de l’époque laisse entendre que c’est ce qu’on leur reproche. Dès 1965, lors de son stage à l’Atelier du paysage, il est initié à quelques sciences du paysage par la thèse d’urbanisme de J. Sgard, puis par ses lectures des biogéographes et des géomorphologues, et plus tard les publications pédagogiques des écologues J. Montégut et M. Rumelhart. Il écrit :

« C’est à cette occasion (l’Atelier de J. Sgard), que j’ai pris une nouvelle leçon d’écologie en découvrant les travaux de Georges Kuhnhotz-Lordat, Essai de géographie botanique sur les dunes du Golfe du Lion, 1924. Il mettait en évidence la dynamique de colonisation des dunes par la végétation. J’ai alors, par moi-même, senti le besoin d’approfondir mes connaissances en lisant des ouvrages comme ceux d’Ozenda, Biogéographie végétale, 1964, ou de Tricart L’épiderme de la terre, esquisse d’une géomorphologie appliquée, 1962. J’ai également eu accès à la thèse de J. Sgard soutenu à l’Institut d’Urbanisme de l’Université de Paris en 1958, Récréation et Espaces Verts aux Pays-Bas, qui m’a ouvert sur les possibilités de travail aux échelles de la planification et de l’aménagement du territoire ».PD

Travaillant à l’OREAM de la Loire moyenne, il s’intéressera ensuite aux travaux phytoécologiques du CEPE-CNRS de Montpellier sur la cartographie écologique de la végétation en Sologne. Il plaidera dans son enseignement comme dans ses différentes responsabilités pour une collaboration nécessaire entre paysagistes, écologues et sociologues. La tâche fut souvent ingrate.

Penser l’action paysagère aux différentes échelles de l’aménagement des territoires

P. Dauvergne a milité pour combler le fossé béant entre les outils juridiques d’urbanisme et la maitrise d’ouvrage des collectivités publiques. Il fallait trouver un moyen de traduire en termes concrets l’expression magique des textes et des mantras politiques et administratifs de l’époque : « Tenir compte du paysage ». Elle n’était nullement performative pour celui qui la prononçait.

« C’était bien nécessaire à une période (année 1960) où nous étions tous confrontés à des échelles et à des questionnements totalement nouveaux, en particulier la protection et l’aménagement des espaces agricoles, et des projets de « ceintures vertes », « coupures vertes », « coulées vertes », … dans les aires urbaines ». PD. 

Au CNERP comme dans son enseignement à l’ENSP, il est d’abord un organisateur d’études et de débats publics pour que des réponses concrètes soient apportées aux questions posées. L’ambition est exorbitante là où les architectes et les urbanistes attendent des réponses jardinières qui ne sont plus adaptées à une demande sociale peu connue et à une commande politique évasive. À une époque également (années 1970) où des réponses aux actions d’aménagement sont apportées par les écologues (la planification écologique), les géoagronomes (les travaux de J.-P. Deffontaines), les géographes, les anthropologues et les sociologues. Comment choisir, alors que la loi de 1976 sur la protection de la nature imposait les « études d’impact » et quelques architectes (sans succès) la « sitologie ».

P. Dauvergne s’appuiera beaucoup sur les travaux du plasticien et plus tard paysagiste B. Lassus.

La nature de B. Lassus

Si les paysagistes ont comme vocation d’installer la « nature » dans la ville, encore faut-il connaitre ce qu’il manipule. La réponse scientifique est du côté des sciences de la nature, de la biologie, de l’écologie, de la biogéographie, qui ne sont pas tournées vers l’action. Pas plus que du côté des sciences sociales qui n’inspirent guère les praticiens. Peut-être faut-il regarder du côté du land-art comme le paysagiste J. Simon ?

Le plasticien B. Lassus, qui intervient au côté de J. Sgard et que P. Dauvergne eut comme enseignant apporte une solution originale et relativiste. Il écrit en 1977 :

« Le naturel me semble lié à un champ visuel déterminé. À moins qu’il ne soit homogène, il y a toujours dans le champ visuel un élément qui peut être considéré comme plus naturel qu’un autre, et c’est par opposition à un autre élément qui de ce fait est qualifié d’artificiel qu’il se situe vers le naturel. Il est très probable que si vous avez un arbuste en pot dans votre cuisine, vous le considérez comme plus naturel que le réfrigérateur émaillé de blanc sur lequel il est placé »5. En d’autres termes les paysages hétérogènes semblent préférables à des paysages homogènes.

Ainsi théorisé, le paysage n’est pas seulement l’affaire des sciences de la terre, de la nature ou de la société, mais s’inscrit plutôt dans une conception de l’appréciation et de la composition paysagère. Elle relève de la pensée plasticienne et contourne la question de l’expérience et du jugement esthétique.

Le projet : induction versus déduction

L’État, au temps du CNERP, souhaitait des guides méthodologiques pour encadrer les pratiques d’aménagement soumises à études d’impact (barrages, autoroutes, remembrements …) . Craignant une normalisation des pratiques, le CNERP ne s’engagea pas ou peu dans cette voie ingrate :

« Par exemple, encore, une entreprise importante, mais en difficulté, fabricant des poteaux métalliques pour supporter les câbles électriques ou téléphoniques, était combattue par des associations, ces poteaux étant jugés disgracieux dans les sites et paysages. Le ministère souhaitant défendre les emplois de cette entreprise, a demandé au CNERP des arguments pour poursuivre, selon des modalités à définir, la fabrication de ces poteaux.

Le CNERP a proposé d’implanter ces poteaux dans les paysages artificialisés, du type de la Beauce, et de réserver l’implantation des poteaux en bois dans les paysages de bocage, boisés ou forestiers. Le ministère a fait le choix inverse. Incompréhension donc ». PD.

Ce qui s’esquissait ainsi était un long processus de formation des maitres d’ouvrage à la culture paysagiste de projet. Les ateliers pédagogiques régionaux de l‘ENSP (1988-2018) y répondirent pendant quarante ans de manière infatigable et en général convaincante. À savoir que tout projet doit s’inscrire d’abord dans un contexte local et territorial, et non seulement dans des normes réglementaires, en faisant confiance autant aux intuitions du concepteur qu’aux avis des parties prenantes.

Un engagement politique et citoyen

Pour P. Dauvergne, le paysage peut offrir un sens précis, c’est le milieu matériel de la vie sociale. Sa transformation, faible ou radicale, ne peut être pensée que pour et avec ses habitants.

« Le mot paysage est, sommairement, comparable à l’expression « milieu de vie ». En ce sens le paysage n’est pas seulement le reflet de la vie d’une société, mais aussi le milieu dans lequel se déroulent les activités humaines, qui se modèlent sans cesse. Le paysage n’est donc pas uniquement un tableau, un panorama, qu’un touriste contemple, ou un décor pour certaines activités (loisirs, tourisme, résidence parfois), mais aussi, – et à la fois – le cadre et le produit des activités quotidiennes plus ou moins conflictuelles d’individus, de groupes sociaux et de la société toute entière.

Prétendre alors protéger, aménager ou organiser les paysages, c’est s’intéresser aux agents, qui les modifient, ou les maintiennent, c’est prendre en compte la manière dont ils sont perçus par les divers groupes ou individus concernés et enfin, c’est rechercher leur participation effective pour assurer leur conduite et leur gestion dans le temps, en fonction d’objectifs préalablement définis par toutes les parties. ». PD,6.

 

Membre et militant du Parti communiste français dès 1965, P. Dauvergne a contribué à l’élaboration de nombreux textes sur le cadre de vie et les espaces verts, notamment avec P. Laurent et P. Juquin (Archives P. Dauvergne)

Elu dans la commune d’Elancourt puis dans la ville nouvelle de Saint-Quentin en Yvelines, il prend en responsabilité les questions d’urbanisme et publie de nombreux textes sur son expérience d’élu confronté à la mise en place d’une ville nouvelle.

En tant que directeur des espaces verts, puis de l’aménagement, du Val de Marne, il agit sans doute de manière pragmatique, mais en fondant ses décisions sur ses convictions politiques et personnelles :

« Un bureau d’études est créé. Plusieurs paysagistes sont recrutés, pour la plupart des anciens élèves de l’ENSP où j’enseignais : Une équipe de maîtrise d’œuvre et de maîtrise d’ouvrage publiques en paysage, se met rapidement en place. Elle sera la principale agence publique de paysage en France.

L’avantage d’une telle structure, c’est de se donner les moyens de tenir dans la longue durée la cohérence des actions et projets au fil des acquisitions foncières, et donc de nouvelles tranches de travaux. C’est aussi la meilleure façon d’associer autour des projets tous les agents qui auront aux divers stades leur part de responsabilité. C’est la meilleure garantie de tenir dans le temps les objectifs. J’ai donc pu vérifier sur le terrain le bien-fondé de mes positions tenues en tant qu’élu à la Ville Nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines, puis au CNERP avec la recherche sur les espaces extérieurs du germe de la ville nouvelle du Vaudreuil »7.

Parc de la Plage Bleue à Valenton (Val-de-Marne), une ancienne sablière. Cliché J. M. PETIT – CG 94

Pour conclure

P. Dauvergne a tracé un chemin singulier parmi les refondateurs des pensées et pratiques paysagistes en France.

Dans la première partie de sa carrière, il s’est intéressé à la manière d’influencer la décision publique d’aménagement de l’espace en fonction de nouveaux critères relatifs à la qualité du milieu de vie. Inspiré par son expérience du CNERP, il a mis au point, comme enseignant et chargé d’étude, une modalité nouvelle d’analyse et de projet de paysage qui implique les élus et les parties prenantes, et non les seuls concepteurs et commanditaires. Elle évoluera plus tard vers la pratique nouvelle de « médiation paysagiste ». Avec J. Sgard et quelques autres, il a inventé le « paysagisme d’aménagement », une attention politique globale particulière accordée au soin de la production de la qualité des milieux de vie.

Dans la seconde partie de sa carrière, il est devenu maitre d’ouvrage des aménagements des espaces publics du Val-de-Marne. De ce fait, il a pu mettre en œuvre, de manière exemplaire, la plupart des principes qu’il avait expérimentés auparavant. En agissant notamment sur la politique foncière du département, sur les pratiques des équipes gestionnaires et en créant un bureau d’études capable de concevoir les espaces et d’en suivre la gestion.

Si aujourd’hui, les paysagistes concepteurs sont en principe tous capables, selon les critères de leur nouveau titre de paysagiste concepteur depuis 2016, de jongler avec les échelles spatiales et temporelles de projet, ils le doivent en grande partie à Pierre Dauvergne.

Pierre Donadieu

Mars 2020


Bibliographie


Notes

4 Dans le même temps, ce terrain était le support de la première recherche sur le paysage financée par la jeune Mission du paysage du ministère de l’Environnement.

5 B. Lassus, Jeux, Paris, Éditions Galilée, 1977, p. 70. Cité par S. Bann, Le destin paysager de B. Lassus (1947-1981), éditions HYX, 2014.

6 Programme d’enseignement du département du milieu humain, ENSP Versailles, 1981.

Michel Corajoud

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Michel Corajoud

Architecte paysagiste et enseignant

Son parcoursSes réalisations et étudesSon enseignementSes publicationsSes distinctionsSes idées

Michel Corajoud est né le 14 juillet 1937 à Annecy et décédé en 2014 à Paris. Son père était commerçant.

Son parcours

« À Thônes, il prépare son baccalauréat en philosophie. C’est à cette période qu’il développe son attrait pour le dessin, comme refuge d’abord, puis comme passion. Il s’agit du premier jalon lancé, inconsciemment, sur le tracé de son parcours professionnel. En 1957, Michel Corajoud obtient son bac au lycée de Valence et dès l’année suivante, soit 1958, il quitte sa ville natale pour venir à Paris où il réussit le concours d’entrée à l’école des Arts Décoratifs »1.

Il suit d’abord cette formation (atelier Baudry) pendant quatre ans en cours du soir et commence sa carrière en travaillant chez Bernard Rousseau, architecte d’intérieur, proche de Le Corbusier.

Il s’initie ensuite au paysage avec le paysagiste Jacques Simon de 1964 à 1966.

« Son tout premier travail, il l’obtient à l’âge de 25 ans, en 1962, en tant que salarié de Valentin Fabre à l’A.U.A. (Atelier d’Urbanisme et d’Architecture) où il est remarqué pour ses talents de dessinateur. C’est là que, de 1964 à 1966, Michel Corajoud va connaître son premier apprentissage et surtout la collaboration avec Jacques Simon, paysagiste en vue à cette époque. C’est Monsieur Simon (fils de forestier ayant une forte sensibilité pour le milieu naturel) qui va ouvrir les horizons au jeune Corajoud en l’initiant au monde vivant ». Idem

Puis, après un passage chez l’architecte Gomis pendant 3 ans, il devient membre associé de l’Atelier d’urbanisme et d’architecture (AUA) à Paris où il forme, avec les architectes Henri Ciriani et Borja Huidobro, une équipe de « paysagistes urbains : CCH, Ciriani, Corajoud, Huidobro » de 1969 à 1975. 

De 1975 à 2014, Michel Corajoud est associé comme paysagiste à Claire Corajoud son épouse, paysagiste DPLG diplômée de la Section du paysage et de l’art des jardins de l’École nationale supérieure d’horticulturede Versailles.

Il enseigne à la Section du paysage et de l’art des jardins de l’Ecole nationale supérieure d’horticulture de Versailles de 1971 à 1974, puis à l’Ecole nationale supérieure du paysage de Versailles de 1976 à 2003.

Ses principales réalisations et études

M. Corajoud s’est fait connaitre autant par des réalisations d’espaces publics urbains que par des études d’assistance à des maitres d’ouvrage publics.

Aménagements d’espaces publics

2012 : Aménagement paysager de la place de la Mairie de Troyes avec le scénographe de l’eau Pierre Luu,

2008-2011 : Aménagement paysager des espaces de la colline de Bourlémont et végétalisation des bâtiments de la porterie et du couvent autour de la Chapelle Notre-Dame-du-Haut à Ronchamp avec Renzo Piano,

2007 : Le jardin d’Eole (Paris, XVIIIe), avec Georges Descombes,

2005-2006 : Quais de Loire à Orléans avec Pierre Gangnet,

2005-2006 : Place Antonin Perrin à Lyon avec Pierre Gangnet,

2001 : Cité internationale Zones Amont et Aval à Lyon avec Renzo Piano,

2000-2008 : Quais rive gauche de Bordeaux et le miroir d’eau,

1998-2006 : Boulevard des États-Unis à Lyon avec Pierre Gangnet,

1998 : Couverture de l’autoroute A1 à Saint-Denis,

1998 : Avenue d’Italie à Paris avec Pierre Gangnet,

1996 : Quai et Boulevard Charles-de-Gaulle à Lyon avec Renzo Piano,

1992 : Aménagement de l’entrée de Creil et création d’une passerelle piétonne permettant de relier les coteaux boisés du quartier du Moulin au centre-ville.

1980 à 2005 : Réalisation du parc du Sausset (Seine Saint-Denis) avec C. Corajoud, J. Coulon et M. Rumelhart

1970-1974 : Parc des Coudrays à Maurepas (78) avec Enrique Ciriani et Borja Huidobro (AUA),

1968-74 : Parc de l’Arlequin à la Villeneuve de Grenoble avec Enrique Ciriani et Borja Huidobro (AUA).

Études urbaines et assistances à la maîtrise d’ouvrage

2000 : Assistance à la maîtrise d’ouvrage pour la réalisation du tramway sur les quais de la Garonne à Bordeaux,

1998 : Étude de définition d’aménagement du Front de mer de Saint-Denis de La Réunion,

1998 : Étude de paysage et d’urbanisme du secteur des « murs à pêches », à Montreuil avec  Souto de Moura,

1995 : Plan de paysage de l’Isle d’Abeau avec les CAUE de l’Ain, de l’Isère et du Rhône,

1991 : Mission d’expertise dans le cadre de la préparation des travaux du schéma industriel du port de Dunkerque,

1991-1999 : Projet urbain de la Plaine Saint-Denis (850 ha) avec Hippodamos 93,

1990–1991 : Etude des espaces publics en agrandissement du bois de Boulogne pour la “ZAC de la Porte Maillot “.

Recherche

1983 : Publication dans Les Annales de la recherche urbaine n°18-19, :”Versailles, lecture d’un jardin”, recherches réalisées avec les paysagistes Jacques Coulon et Marie-Hélène Loze.

Son enseignement

Versailles (ENSP)

À la demande des paysagistes et enseignants Pierre Dauvergne et Jacques Simon, il devient enseignant vacataire dans la Section du paysage et de l’art des jardins de l’ENSH de Versailles de 1971 à 1974, puis à l’École nationale supérieure du paysage de Versailles (1976-2003).

En 2003, au moment de la remise du grand prix de l’urbanisme, il se souvient : 

« En 1971, la section de paysage de l’École d’Horticulture de Versailles annonce sa fermeture prochaine. Alors que tous les enseignants quittaient, par anticipation, cette école, j’y entrais pour enseigner le projet de paysage bien que j’eusse, sur ce domaine précis, seulement quelques années d’avance sur mes étudiants.

Le fait d’enseigner, presque simultanément, le paysage alors que j’étais, moi-même, en train de le découvrir, a sans aucun doute fortifié l’importance qu’a eue ma pédagogie.

J’ai enseigné 32 ans dans cette école qui, après avoir fermé, s’est recomposée en École Nationale Supérieure du Paysage de Versailles. J’ai eu cette chance extraordinaire de pouvoir jouer un rôle prépondérant sur ce qui fut, longtemps, la seule véritable école du paysage en France et donc, d’infléchir notablement le sens que tous ces étudiants allaient donner à la profession de paysagiste. » (M.C., 2003)

Dans la jeune ENSP, il est d’abord enseignant vacataire dans l’atelier de projet « André Le Nôtre » qu’il dirige jusqu’en 1985. Il organise les ateliers de projet avec le paysagiste et ingénieur horticole Allain Provost responsable du département des techniques de projet, et participe activement au projet (sans lendemain) d’Institut français du paysage avec les autres enseignants. En raison de désaccord avec la direction, il démissionne toutefois temporairement de ses charges d’enseignant, missions que le directeur Raymond Chaux confie, momentanément, à la paysagiste Isabelle Auricoste.

«  La moitié de mon temps j’enseigne. En 1986 je suis maître de conférences de “théorie et pratique du projet sur le paysage ” et, à cette occasion, je rédige un assez long document sur la pédagogie de l’enseignement du projet et sur ce qui deviendra le cadre de l’organisation de l’enseignement du paysage à l’E.N.S.P. » (M.C., 2003).

Le texte du concours de maître de conférences, qui s’inspire de la pédagogie de son ancien associé l’architecte Henri Ciriani (d’abord à l’UP7 au Grand Palais, puis à l’école d’architecture de Paris-Belleville), influencera le nouveau programme pédagogique de l’école voté en 1986 : notamment la progression des ateliers de projet sur quatre années, et la place de l’enseignement du département d’ « Ecologie appliquée au projet de paysage » dirigé par M. Rumelhart devenu lui aussi en 1987, maitre de conférences dans cette nouvelle discipline. L’enseignement d’utilisation des végétaux assuré par le paysagiste et ingénieur horticole G. Clément jusqu’en 1983 est intégré dans le département d’écologie qui recrute le paysagiste Gabriel Chauvel, élève de M. Corajoud. Les exercices de « postfaces » (après l’échec des « interfaces ») permettent d’approfondir le traitement végétal des projets des étudiants. Mais les départements de sciences humaines (dirigé par A. Mazas, puis P. Donadieu) et d’arts plastiques (direction D. Mohen) conservent leur autonomie pédagogique.

De 1987 à 1990, Michel Corajoud, qui souhaite s’impliquer dans sa pratique de concepteur au sein de son agence, laisse la direction du département à Alexandre Chemetoff – également chargé du département des techniques du projet

Les paysagistes Christophe Girot, Gilles Clément et Gilles Vexlard lui succèderont comme chefs d’ateliers.

Genève (IAUG)

Il est professeur invité à l’Institut d’architecture de l’université de Genève (IAUG) de 1999 à 2002 avec les philosophes Sébastien Marot, Gilles Tiberghien et Jean-Marc Besse. En 2003, au moment où il quittait l’ENSP, il en faisait le bilan :

« J’ai participé à un enseignement de 3ème cycle “Architecture et Paysage” à l’Institut d’Architecture de l’université de Genève.

Si je donne avec précision les grandes lignes de cet enseignement, c’est parce qu’elles pourraient à elles seules suffire à situer mon travail et mes réflexions aux limites des territoires de la ville et de la campagne ou plus largement du paysage. À la mitoyenneté, aujourd’hui conflictuelle, entre ces deux mondes qui s’ignorent et se repoussent, alors que c’est là, précisément, où se joueront, demain, les projets de réconciliation que je souhaite.

Genève (pour garantir son autonomie alimentaire) a su, depuis 1952, aux limites de la ville, protéger son territoire agricole. À deux ou trois kilomètres du centre on est dans une véritable proximité, une interpénétration “paysagère ” entre la ville qui se développe et la campagne active (la Suisse comme “hyperville “).

À l’horizon Ouest le Jura, à l’horizon Est le Salève et, au-delà, les Alpes, viennent parfaire ce cadre. Ce rapport intense ville-campagne pose, actuellement, divers problèmes :

  • le développement de la ville, de la “zone villas ” notamment, qui suscite des conflits territoriaux, des conflits d’usage entre deux mondes qui se tournent le dos,

  • le maintien, à proximité des nouveaux urbains, d’une agriculture intensive,

  • la gestion du domaine agricole où des subventions sont données aux agriculteurs pour soustraire dix pour cent de leurs terres de culture et créer, en substitution, des aires de “compensations écologiques”,

  • la renaturation des cours d’eau dont la pratique est très avancée en Suisse Allemande et commence sur le Canton de Genève (…)

À l’origine de cet “atelier” de troisième cycle, une longue pratique de recherche et d’enseignement à l’I.A.U.G; avec des collaborations importantes dont celles de Bernardo Secchi pendant plusieurs années. En 1999, s’est constituée une équipe d’enseignants pour concevoir un atelier de projet et des séminaires de cours théoriques : un atelier de projet que j’anime avec trois architectes (Georges Descombes, Alain Léveillé et Marcellin Barthassat), un biologiste, un botaniste, un agriculteur. Des séminaires de cours théoriques animés par trois philosophes (Jean-Marc Besse, Gilles Tiberghien, Sébastien Marot fondateur et rédacteur de la revue “le Visiteur”). Sébastien Marot est l’auteur de deux articles importants : “L’alternative du paysage” “L’art de la mémoire, le territoire et l’architecture”. En arrière-plan, André Corboz, professeur d’histoire de l’urbanisme à l’école Polytechnique de Zurich.

Ces cours traitent, entre autres : de la cartographie, de l’anthropologie du paysage, des relations entre l’art contemporain et le territoire, le paysage, du “Suburbanisme” et du “Superubanisme”, des formes naissantes de la ville.

Nous avons entrepris de revisiter les ouvrages d’un grand nombre de théoriciens du XXème par exemple : Kevin LYNCH, Garett ECKBO, J.B. JACKSON, Collin ROWE, Vittorio GREGOTTI, Aldo ROSSI, Rem KOOLASS, Bernardo SECCHI.

Les thèmes abordés furent ces dernières années :

  • “Habiter la campagne “: projeter un groupe de logements dont la densité et l’organisation seraient en accord avec la paysage du Pays de Gex, au pied du Jura sur la partie française de ce territoire frontalier.
  • “Améliorer le domaine agricole d’Alexis Corthay” au Nord Est de Genève sur la commune de Choulex, à partir des thèmes : “compensations écologiques “, renaturation de la Seymaz (cours d’eau qui traverse ses terres), usage de plus en plus intense de la campagne par les nouveaux urbains, mutation probable de l’agriculture intensive vers une part d’agriculture de proximité.
  • “Faire des propositions pour l’extension urbaine” du Sud de Genève sur la commune de Troinex, entre Carouge et le piémont du Salève, extension provoquée par le déclassement d’une partie de la zone agricole dans le Nouveau Plan Directeur.
  • Valorisation et “renaturation” du territoire de l’Eau Morte sur les communes de Soral et de Laconex, au Sud-Ouest de Genève. Imaginer la mixité des usages entre des agriculteurs et des urbains ».

Ses publications majeures

M. Corajoud, Le paysage, c’est l’endroit où le ciel et la terre se touchent, Actes Sud/ENSP, 2009. Recueil d’une vingtaine d’articles publiés depuis 1975.

M. Corajoud, « Le projet de paysage, Lettre aux étudiants », in Le Jardinier, l’Artiste, l’Ingénieur, J.-L. Brisson (dir.), Les éditions de l’Imprimeur, 2000.

Il y développe une méthode empirique de projet en dix étapes : « se mettre en état d’effervescence, parcourir en tout sens, explorer les limites, les outrepasser, quitter pour revenir, traverser les échelles, anticiper, défendre l’espace ouvert, ouvrir son projet en cours, rester le gardien de son projet »

Distinctions

2017 : La Ville de Bordeaux nomme la promenade des quais rive droite et rive gauche de la Garonne « Promenade Michel Corajoud »

2003 : Grand Prix de l’urbanisme

1999 : Ruban d’argent pour la réalisation de la couverture de l’autoroute du Nord à Saint-Denis

1999 : Chevalier de l’Ordre national du Mérite

1993 : Prix du Courrier du maire, catégorie Projet urbain « Ville de Montreuil »

1992 : Grand Prix du paysage

1985 : Médaille d’argent de l’Académie d’architecture, « Architecture d’accompagnement » avec Claire Corajoud.

Ses idées et son parcours (d’après un texte donné au jury pour le Grand prix de l’urbanisme en 2003)

Son initiation :

L’École des Arts Décoratifs de Paris (1956-60)

Dans cet établissement, en même temps qu’il apprend à dessiner et à projeter, il travaille chez Bernard Rousseau, architecte d’intérieur, ancien collaborateur de Le Corbusier. Il se familiarise avec la conception du logement, et à la nécessité d’élargir le projet à son contexte social et spatial.

« J’ai appris la pratique et le goût du dessin, la pratique et le goût du “projet”.
Cette école était, alors, l’une des meilleures au sens où elle ne formait pas exclusivement à la décoration. Elle ouvrait très largement sur toutes les dimensions de l’activité de projet.

Pour aider au financement de mes études (je suivais les cours du soir à l’École des Arts Déco), j’ai travaillé deux ou trois ans chez un architecte d’intérieur : Bernard Rousseau qui avait collaboré avec Le Corbusier. Les commandes que nous devions satisfaire étaient assez particulières : Bernard Rousseau avait des amis proches qui lui demandaient de faire le projet des appartements qu’ils avaient acquis, en ne gardant que l’enveloppe des murs et les structures porteuses. Ce travail de conception et de réalisation d’une cellule d’habitation pouvait durer très longtemps, plusieurs années parfois !

J’ai donc, à cette occasion, abordé la question du logement, de son organisation et de son usage. J’ai développé une exigence sur l’agencement, la mesure, la proportion, sur la référence au corps, car nous étions sous l’emprise formidable et stricte du “modulor” de le Corbusier.

C’est dans ce travail précis, qui visait à augmenter la capacité d’usage d’une enveloppe bâtie donnée, à expérimenter tout le volume disponible, que j’ai élaboré les premiers outils nécessaires à la traversée des échelles qui me seront utiles, plus tard, dans le projet sur le paysage.

À ce moment, j’ai compris que nous étions plus dans le domaine de la transformation que dans celui de l’invention et que la conception à partir du contexte était décisive (…)

Nous savions aussi que les « grandes échelles » devaient être rapportées à des données plus vastes et avec Bernard Rousseau, nous partagions la passion de collectionner des images de toute nature, prises au hasard de toutes les revues. Nous estimions que cette collecte devait nous situer et nous ancrer dans l’actualité du monde (…) J’ai plus tard repris la collection d’images dans ma méthode d’enseignement du projet à l’École du Paysage de Versailles ».

Le rôle de Jacques Simon à l’AUA (1964-67)

À l’AUA où M. Corajoud entre en 1964, dans la cellule des architectes d’intérieur, Jacques Simon devient son principal mentor. Il est fasciné par ce paysagiste formé dans la Section du paysage de l’ENSH. Grand connaisseur des arbres, dessinateur, photographe, journaliste, amoureux des villes américaines, il initie M. Corajoud aux grands espaces et à la conception des projets de paysage et de jardin. Il lui fait comprendre la relation entre le temps et l’espace du projet, les temps des saisons comme ceux de la maturation d’un milieu aménagé.

«  Peu de temps après mon arrivée dans cette équipe où je travaillais sur des projets de villages de vacances, ma rencontre avec Simon fut fulgurante au point que notre association fut immédiate. Dans l’urgence, j’entre alors dans une nouvelle dimension que je ne quitterai plus : celle du Paysage. Simon est un personnage multiple : Il est un très grand paysagiste dont le travail de cette époque s’apparente à ceux des paysagistes “naturalistes” allemands dont on voyait les projets dans la revue “Garten und Landschaft”.
Son père étant forestier, il avait acquis très jeune une grande connaissance du milieu vivant, des plantes, des arbres dont il fait des dessins superbes.

Mais il est, aussi et presque également, un photographe-reporter qui voyage beaucoup et rapporte des témoignages précis sur de très grandes villes et leurs banlieues : en Allemagne, en Angleterre et aux États-Unis. Il était, alors, l’éditeur et le rédacteur d’une revue de paysage très éclectique, qu’il bricolait lui-même, avec une énergie et une santé considérables. On y voyait, à toutes les pages, des morceaux de ville avec, en situation, des gens qu’il faisait parler en leur dessinant des “bulles”. Il est, encore, un magnifique dessinateur dont les croquis simples mais très précis donnent bien l’idée de la maîtrise qu’il a de l’espace et de sa mesure.

Avec lui, je conforte les expériences acquises sur la question des échelles et des allers et retours qu’il était nécessaire de faire. J’élargis considérablement mon champ : de la minutie des objets, des meubles, des cloisons, de mes premières expériences, aux très grands espaces ouverts qu’il me fait découvrir. Quand nous regardions ensemble un paysage, ses deux mains très expressives et mobiles mettaient, sur l’horizon, chaque chose à sa place.

J’ai appris vite et donc confusément d’abord, l’agencement des divers plans qui organisent les proches et les lointains et qui, de porosités en porosités, en fabriquent les horizons. Simon savait, plus que tous, la mesure qui le sépare de chaque chose, même la plus lointaine. Il tenait ce don de son père qui, du sol, savait évaluer avec précision la taille des plus grands arbres.

Il m’initia au passage qui va de l’espace au temps,… au temps que prennent les choses du milieu pour se constituer, pour se transformer. Je me souviens encore de son excitation au premier débourrement des saules marsault … il y voyait le signe d’un printemps que l’on n’arrêterait plus ».

L’Atelier d’architecture et d’urbanisme (AUA), 1967-1970

M. Corajoud réintègre l’AUA à Paris en 1967, après le départ de J. Simon. Dans ce collectif, fondée en 1959 par l’urbaniste Jacques Allégret, sont réunis architectes, urbanistes, ingénieurs et décorateurs, soucieux de collaborer à la production de la ville et du logement social. Ancrés dans la gauche politique, ils plaident pour la pluridisciplinarité et ne sont pas tendres avec l’Académie des Beaux-Arts qui sera réformée en 1968. M. Corajoud prend position contre l’idéologie des espaces verts et du pittoresque paysager qui régnait en maitre depuis un siècle dans le milieu professionnel des rares paysagistes formés à l’ENSH.

« J’ai réalisé avec eux les projets d’aménagement de nombreux espaces extérieurs, mais à la différence de ceux que nous faisions avec Simon, je ne travaillais plus sur des plans masses achevés, je collaborais à leur établissement.

Les esquisses que je dessinais pour aménager le “dehors “, alimentaient à leur tour les architectes et les urbanistes de l’A.U.A. sur la question du “dedans “, celle de l’habiter.
Le point de vue que j’avais alors sur le paysagisme, après Bernard Rousseau, l’A.U.A. et Jacques Simon, est évidemment très différent de celui de mes confrères issus des écoles de paysage et, notamment, celle de Versailles.

Je leur reprochais leur manque d’intérêt et de culture pour la ville où ils introduisaient tous les signes du démenti. Ils puisaient leur inspiration et leurs références dans l’idée qu’ils se faisaient de la “Nature”. Ils collaboraient sans peine, à l’idéologie des espaces “verts”. Je pensais qu’en voulant compenser les effets d’une urbanité, évidemment très dure à cette époque, ils en barbouillaient le sol avec tout un petit fatras de circonvolutions molles, prétendument “naturelles “, qui, à mon sens, ne faisaient qu’introduire une violence supplémentaire. Ma critique était injuste, je le sais, mais je la réactive, aujourd’hui, pour bien montrer ce qui me distinguait alors et ce que je vais apporter de nouveau dans l’enseignement que je donnerai ensuite, à l’École de Versailles. »2

Le parc de l’Arlequin dans le quartier de la Villeneuve à Grenoble (1968-74)

Dès 1967, les enseignants vacataires de la Section du paysage commencent à quitter la Section du paysage dont la fin est annoncée avec la réforme de l’ENSH. Une partie d’entre eux (B. Lassus, J. Sgard, P. Dauvergne) crée en 1968 l’association « Paysages » qui préfigure le futur CNERP de Paris, puis de Trappes. Privé d’enseignants de projet, le directeur E. Le Guélinel, conseillé par M. Viollet et P. Dauvergne, fait appel à un jeune professionnel M. Corajoud et à J. Simon plus expérimenté. Leur enseignement, tourné vers l’urbanisme et l’architecture, marque une rupture brutale avec l’enseignement d’inspiration horticole de la Section.

Au même moment, M. Corajoud prend en charge dans le cadre de l’AUA, le parc de l’Arlequin à la Villeneuve de Grenoble. À la recherche de principes de conception, il tente de croiser géométrie et géographie. Il en reconnaissait en 2003 l’intérêt autant que les limites.

«  C’est le projet du quartier de l’Arlequin à la Villeneuve de Grenoble qui nous occupe le plus. George Loiseau et Jean Tribel, architectes à l’A.U.A., conduisaient cette opération. Nous devions en étudier la “rue” et le parc au centre du quartier.
Le projet de ce quartier revendiquait une forte densité, une grande continuité formelle du bâti, qui devait accueillir de la diversité (c’est le plan de Toulouse le Mirail qui fut alors transposé), une volonté d’établir de véritables espaces publics : la rue, le parc, une distribution qui favorisait la mixité. Il n’est pas utile de rappeler, dans le détail, l’ensemble des expériences menées : l’intégration des équipements à partir de la rue, la mise en place dans les écoles de nouvelles pédagogies, la tentative de réduire la ségrégation sociale dans le logement, la télédistribution, l’animation…etc.

Cette utopie a, pour partie, fonctionné quelques années et s’est progressivement défaite pour plusieurs raisons. Le départ de la “classe moyenne ” et celui des intellectuels, qui retournaient au centre-ville, furent à cet égard, décisifs.

On peut critiquer, aujourd’hui, les formes prises par cette utopie, l’échec relatif de la rue désactivée par l’arrivée du grand centre commercial, l’enfermement sur elle-même de cette forme urbaine singulière coupée des quartiers voisins et qui, de ce fait, renforce aujourd’hui, les effets de ghetto que l’homogénéité sociale a progressivement initiée.

Mais je n’ai plus jamais connu une telle intensité, une telle complémentarité de réflexions. Voici, ce que j’écrivais, à l’époque, pour expliquer mon travail de conception :

Le choc entre géométrie et géographie préside bien à la conception du parc de la Villeneuve mais dans un ordre inversé des efforts qui ont façonné la campagne.
La géométrie n’est pas, ici, la figure qui se déploie sur un fond, elle est le fond lui-même, le substrat, le site d’origine.

Sur ces terrains, rigoureusement plans, enclos par l’architecture, dans l’espace de cette sorte de clairière se tissaient déjà les lignes qui vont et viennent de l’ombre épaisse des bâtiments. L’espace est chargé des traits de la ville et il n’y a eu, pour moi, qu’à les graver sur le sol.
Je devais laisser s’exprimer l’architecture bien au-delà des pans qui la ferment. La façade n’est pas la tranche initiée où s’affrontent deux mondes hostiles (dedans – dehors, espace- pierre – espace-vert). C’est un lieu où se règlent, dans l’épaisseur, les subtiles entrées de l’ombre et de la lumière.

Le paysage naît de la tension de tous ces mondes d’évocation ».

Le parc du Sausset (1980-2000…)

Après avoir réalisé le parc des Coudrays à Maurepas dans la ville nouvelle de Saint-Quentin en Yvelines (1974) et celui de Grenoble, en 1980, M. et C. Corajoud sont lauréats avec le paysagiste J. Coulon, du concours du parc forestier du Sausset en Seine-Saint-Denis en 1980. Ce projet dont la mise en place durera plus de vingt ans leur permettent de définir la conception d’un projet de paysage comme une méthode de connaissance de la genèse d’un site en convoquant la géométrie, l’histoire et la géographie ; mais également en s’associant avec d’autres experts, forestiers et écologues. Ce projet restera, avec les quais de Bordeaux, emblématique pour M. Corajoud et ses élèves.

« Au milieu de l’année 1980, nous gagnons Claire et moi (nous sommes désormais associés) le concours de ce très grand parc de deux cents hectares, au Nord-Est de Paris, en limite d’Aulnay et de Villepinte, en Seine-Saint-Denis.

Pour rééquilibrer le Nord de l’agglomération parisienne en massifs boisés, pour réactualiser l’imaginaire des grandes forêts de Bondy et de Sevran, en partie disparues, le concours portait sur la création d’un parc forestier.

Le programme n’ignorait pas l’extrême lenteur de la croissance d’une forêt et il destinait donc à des populations futures, un parc pour lequel il était prématuré d’imaginer la nature des usages. Il nous demandait la conception d’un enchaînement d’espaces capables, très divers en tailles, en configurations et en qualités … une sorte de campagne bocagère et boisée qui serait équipée très progressivement et à la demande.

Le parc du Sausset, cl. Agence M. et C. Corajoud, archives

Les travaux du parc commencent en 1982 par la plantation de 400 000 très jeunes arbres. Ils ne sont toujours pas terminés, plus de vingt ans après, en raison de l’inégalité et de la modicité des budgets annuels.

Il me faut rendre compte de cette expérience qui a, évidemment, joué un rôle considérable dans l’évolution de mon point de vue sur la nature des paysages. Pour cette note, précisément, je m’attacherai à ne garder, des qualités mises à jour au cours du travail de conception et de chantier du parc, que celles ayant trouvé plus tard, des correspondances directes ou transposées au cours de l’élaboration des projets urbains de la Plaine Saint-Denis, de Montreuil, de la Cité Internationale.

Que se passe-t-il aux premiers moments du projet ?
Nous sommes immédiatement privés de nos moyens ordinaires de conception, de constitution par l’immensité du site. Je ne peux plus, comme je l’ai fait à Grenoble ou à Maurepas, tenir toute l’étendue.
Jusque-là, je pensais que l’on pourrait agir de manière définitive sur l’espace et que la réalisation se maintiendrait en tous points conforme à son projet.
Le contexte, le site ne s’étaient pas encore imposés. Je considérais, à tort, que les terrains des grands ensembles, des villes nouvelles sur lesquels j’avais réalisé des parcs étaient, le plus souvent, des espaces résiduels, assez amorphes et de faible sollicitation.

Mes projets ne s’alimentaient donc que de leurs propres raisons.
Je disais, à l’instant, que je voulais rompre avec mes aînés, avec l’idée qu’ils se faisaient de la nature. Je voulais faire cette démonstration et je l’aurais fait, de la même manière, en d’autres lieux.
Le site était, presque parfaitement, prêt pour la pousse des arbres que nous devions planter. Sur ce paysage calme et puissant, nous nous sommes donc déterminés à ne pas introduire le tumulte, à ne pas déranger le sol, à rompre avec la pensée des grands travaux et à ne jamais laisser entrer de gros engins de terrassement.

Nous découvrons le fait que le projet sur l’espace a, évidemment, comme visée l’amélioration et la transformation des lieux; mais il est, avant tout, une méthode qui permet d’interroger l’histoire et la géographie. Il est un outil de connaissance.

La géométrie est (également), à cet égard, un outil intéressant par la possibilité qu’elle donne de rapporter l’indécision des formes paysagères à la règle simple de certains tracés. On ne peut pas appréhender, ni représenter, la complexité morphologique d’un site dans un premier élan. Nous devons la reconstruire patiemment en utilisant les éléments de rationalité et de mesure que nous offre la géométrie.

Au parc du Sausset, nous considérions qu’elle était utile pour réconcilier les fragments chaotiques d’un territoire de banlieue. Le parc devait devenir le lieu où seraient restaurées certaines règles de composition de la ville sédimentaire. Nous nous sommes donc imposé un travail sur la géométrie, sur le tracé extrêmement élaboré. En effet, nous avons mêlé, intimement, les lignes que nous jugions nécessaires pour distribuer les lieux à partir d’un quadrillage initié par la Ville d’Aulnay, avec les anciens chemins et les limites de champs.

En effet, nous devenions, dès lors, des concepteurs assez particuliers puisqu’une bonne part des éléments que nous allions mettre en œuvre prenaient forme et se développaient d’eux-mêmes. Notre rôle se limitait donc à préparer les meilleures conditions pour qu’une situation paysagère génère son propre avènement.».

Les autres travaux

En 1985, M. Corajoud est lauréat du concours de maitre de conférences en théories et pratiques du projet de paysage à l’ENSP de Versailles. Il est le premier enseignant à être titularisé à l’ENSP. L’année suivante, il anime une réforme de la pédagogie et voit le départ de B. Lassus et de son équipe avec lesquels il était en conflit sur les principes et les finalités de l’enseignement d’atelier de projet.

Parallèlement, il mène de nombreux projets et études qui lui servent de supports d’enseignement, entre autres :

À Dunkerque :

« En juin 1991, l’agence d’urbanisme de la région Flandre-Dukerque me confie une mission d’expertise dans le cadre de la préparation des travaux du schéma industriel : 5 000 hectares d’espaces portuaires entre Gravelines et le port “Freyssinet ” à Dunkerque. Pour répondre dans l’urgence à cette étude, la méthode utilisée fut celle d’un travail précis de comparaison entre des cartes, des photographies aériennes et l’état des projets réalisés ou non. J’ai fait de fréquents survols en hélicoptère, que je confirmais par des points de vue au sol.

On a pu mettre en évidence la dynamique de développement du port vers l’Ouest (le long du rivage), qui s’accompagnait d’une avancée vers le Sud (à l’intérieur des terres), de plus en plus profonde, de la zone industrielle et des divers bassins qui devront suppléer à l’estuaire manquant. Ce mouvement perceptible du repli du paysage urbain vers le Sud, sur la nouvelle ligne d’appui de la rocade, les pressions exercées sur la RN1 dont on prévoyait la coupure pour agrandir le bassin de l’Atlantique, augurent de la perte possible de la mer comme référent de l’agglomération. »

À Paris avec l’aménagement de l’avenue d’Italie (1997)

« Je retiens de ce projet le mode de conception en “seconde œuvre”, que j’affectionne désormais.
Nous voulions, en effet, réintroduire ce grand axe dans le patrimoine des avenues parisiennes. Nous avons repris à notre compte tous les matériaux, tous les savoir-faire acquis depuis longtemps par les services de la voirie. L’accumulation de leurs expériences était la “première œuvre”. En deuxième œuvre, nous nous sommes intéressés à parfaire l’ensemble des distributions, l’ensemble des usages ; tous les détails de sols, de plantations, avec une attention plus particulière pour l’éclairage (Laurent Fachard) ».

À Saint-Denis avec la couverture de l’autoroute A1 (1997)

« L’ancienne route royale « avenue de Paris », puis avenue du « Président Wilson », fut éventrée en 1960 pour le passage en tranchée de l’autoroute A1. La Plaine Saint Denis est alors coupée en deux, dévastée par le bruit et la pollution.

Archives atelier M. et C. Corajoud

L’État, en 1997, veut implanter le Stade de France à Saint-Denis; les élus de cette ville exigent, avant toute négociation, que l’autoroute soit couverte. Couverte par une dalle, suffisamment lourde pour porter à la fois des hommes et des plantes, une dalle capable de reconstituer le sol de pratique volé ».

À Lyon, avec La première tranche du parc de Gerland (1997)

« Nous avons, avec Claire et Gabriel Chauvel, fait dans de ce parc un grand jardin linéaire de 500 mètres par 50.

Nous voulions, depuis longtemps, concevoir et réaliser un jardin qui, lui, fasse référence à la maîtrise des plantes par le travail de l’homme : agriculteurs, horticulteurs, maraîchers. Un jardin dans la ville qui évoque moins la “nature” que la “campagne”.

Un facteur essentiel d’étonnement de ce jardin est son mode de gestion : la tonte fréquente, la fauche des associations végétales, qui exacerbent les facteurs saisonniers et accélèrent le processus de croissance (vigueur des pousses de l’année). Ce mode de gestion met en scène : labours, semis, bouturages, fauches. C’est lui qui décide de la structure en bandes très simples, très rationnelles sur lesquelles va s’épanouir la diversité des plantes associées.

Mais c’est surtout l’importance de la dimension donnée à ce jardin, sa longueur, qui semble nécessaire pour que l’imaginaire du public quitte l’échelle de la plate-bande pour retrouver la dimension d’un champ cultivé et l’outillage adapté pour ce type de parcelle.

En ce sens, notre jardin est le contrepoint du “jardin en mouvement ” de Gilles Clément au parc Citroën Cévennes qui fait référence aux cycles et associations naturelles des plantes ».

Le parc de Gerland à Lyon

À Montreuil avec le site des murs à pêches

« Une première étude est faite en 1993 pour le centre-ville. L’équipe dirigée par Alvaro Siza réunit : Emmanuelle et Laurent Beaudoin, Christian Devillers et moi. J’apporte, à l’équipe et à Siza, qui l’adopte sans hésitation, une notion moins fermée du concept de centre.
Un croquis sur les “horizons”, les interrelations du centre avec les quartiers, montrait, en effet, la nécessité de garder, dans son champ visuel, dans son aire d’influence, les effets de la pente des coteaux Est. C’est par l’intermédiaire exprimé de cette part de la géographie de Montreuil que les quartiers populaires du plateau Saint- Antoine pourront être, demain, solidaires de cette nouvelle centralité. Une seconde et une troisième études portaient sur le quartier Saint-Antoine (plateau Est de Montreuil) où, sur une trentaine d’hectares d’un seul tenant, des parcelles fermées par des “murs à pêches ” perdurent.

En sauvant, en valorisant les quelques hectares de pans de murs restant, la ville de Montreuil peut se constituer une source, une mémoire à partir de laquelle, elle pourra, à nouveau, transposer et singulariser sa forme urbaine.

Dès mon étude de 1993, je pensais qu’un bon moyen de prolonger l’histoire de ce territoire, serait de maintenir et d’attirer, entre ces murs, des activités du type horticole ou agricole: production de fruits, de légumes, de fleurs, production de plantes pour les jardins.
En continuant de travailler le sol pour en maintenir la fertilité, ces activités collaboreraient à la sauvegarde des murs, mais aussi, à la préservation des espaces “naturels” du quartier. Mais l’Etat jugea que la seule protection juridique pourrait suffire … »

Les murs à pêches de Montreuil

À Paris avec les jardins d’Éole (2007)

La création de ce parc est le fruit d’une mobilisation des citoyens, des associations et des élus. Il a été réalisé par l’agence de M.et C. Corajoud et l’architecte suisse Georges Descombes.. Sur plus de 42 000 m2, les jardins d’Éole illustrent la volonté de la mairie de Paris de procurer un nouvel espace vert au quotidien pour les habitants d’un quartier longtemps dépourvu de ce type d’équipement collectif.

Avec le concours de sociologues, le parc a été aménagé sur une ancienne friche ferroviaire, la cour du Maroc, ex gare de marchandises, désaffectée depuis les années 1990.

Jardins d’Eole, Cl. P. Donadieu

«Quel était votre idée en dessinant ce jardin, et cela fonctionne-t-il ?
J’avais pensé un jardin ouvert, tout en longueur, pour rappeler l’ancienne friche et ses hangars qui accueillaient des trains, et aussi pour ouvrir un grand ciel, une vue large sur Paris. Mon idée était que les habitants, qui se sont battus pour préserver cet espace retrouvent le jardin dont ils avaient rêvé, un lieu de réunion, de fêtes. Il y a eu des modifications, des ronds avec des pensées plantées par les jardiniers que je n’aime pas trop personnellement. Le jardin de graviers ne se développe pas non plus comme nous l’avions vu lors de tests [les visiteurs étaient censés y semer des graines, en fait cet espace est resté très minéral]. Mais sinon, ça marchait très bien, les riverains l’avaient très vite occupé, toute une population à l’image du quartier, mélangée, venait y pique-niquer, faire la sieste sur les bancs. Et à présent, c’est déserté, et c’est regrettable ».

Marie Anne Klébert (propos recueilli auprès de M. Corajoud par), 2013, Le Journal du Dimanche.

À Bordeaux avec l’aménagement des quais de la Garonne,

« Pour le projet des quais de Bordeaux, la première réflexion de Michel Corajoud fut de se dire que « tout est là ». Les hangars étaient alors encore présents mais la beauté se faisait sentir. Pour un paysagiste, comme pour tout autre créateur, un lieu aussi proche d’un fleuve de cette importance, ainsi que les façades historiques représentent une grande attractivité. Michel Corajoud est fasciné par l’idée de réconcilier la ville avec le fleuve. Ce grand projet de 40 hectares n’en est que plus stimulant.

Le front du fleuve à Bordeaux, cl. Atelier Corajoud.

Les quais étaient autrefois assimilés à un grand vide sidéral, très dur à vivre l’été à cause de la chaleur mais aussi l’hiver à cause du vent. Il fallait donc transformer les quais afin d’améliorer leur attractivité et donner de nouveaux plaisirs urbains aux bordelais, avec des espaces accueillants.

Michel Corajoud va apporter des éléments supplémentaires aux quais. Des éléments permettant de nouvelles perceptions, de nouveaux usages, qui intègre la ville aux quais. Des éléments permettant de jouer avec des alternances d’ombres et de lumières. Bordeaux est une ville qui distribue parfaitement l’ombre et la lumière au travers de ses rues plus ou moins étroites, ses cours, ses places. Ce que la ville fait avec ses verticales de pierres, le paysagiste va le faire avec la végétation afin d’apporter de la tempérance aux quais.

Dans ce projet il n’y a pas de grands gestes. Il suffisait de donner aux choses leur juste place. Michel Corajoud laissa la diversité et la beauté du site s’exprimer en lui apportant certains compléments utiles au confort et au plaisir.

L’idée du miroir d’eau est venue au croisement de plusieurs observations. La première survint à la suite d’une pluie. En se promenant, le paysagiste aperçut le reflet du clocheton du toit de la Bourse dans une flaque. L’idée d’un reflet pour ce bâtiment venait de naître. Puis, durant la phase de travail du concours, Michel Corajoud et son équipe dînaient régulièrement le soir dans un restaurant situé en face de la Bourse, sur la rive droite. Les nuits où la Garonne était calme, ils pouvaient voir s’y refléter toute la magnificence du bâtiment. Un reflet qu’ils rêvaient de transporter sur la rive gauche. C’est à partir de ces observations qu’a émergé l’idée d’un miroir d’eau. » Aurélie Dorange, 2013, Architecture/urbanisme 3

Pour conclure

Michel Corajoud est arrivé très jeune (33 ans) sur la scène paysagiste française en 1970 au moment où l’école qui formait les praticiens à Versailles était désertée par ses enseignants. Au moment également où la politique gouvernementale d’environnement avait besoin des paysagistes et où les premières agences libérales s’organisaient.

Comme B. Lassus, M. Corajoud est un paysagiste autodidacte : M. Corajoud avec le concours de J. Simon puis de C. Corajoud, M. Rumelhart et G. Chauvel, et B. Lassus avec celui de P. Aubry notamment. Très différente, leur carrière de paysagiste n’est pas dissociable de leur trajectoire professionnelle qui a comme origine une formation artistique.

M. Corajoud a appris l’architecture du paysage pour, disait-il, mieux faire de l’urbanisme et de l’architecture. Il a mis au point une méthode empirique de projet urbain de paysage formalisé pour ses étudiants en 2000, après 30 ans d’enseignement. Son appui théorique, il le trouve chez les philosophes et quelques théoriciens et praticiens. Chez le philosophe F. Dagognet qui écrit que « le paysage est une méthode, on trouve moins en lui que par lui » et chez le paradoxal Michel Serres : « L’horizon est un confus distinct ». Le maitre jardinier A. Le Nôtre est pour lui une référence indépassable: « (le jardin de) Versailles est un exemple sublime d’emboitement des échelles ».

En pensant et agissant ainsi, il a rétabli avec ses élèves une relation esquissée dans les années 1930 à l’ENSH, en s’appuyant sur les travaux du paysagiste J.-C.-N. Forestier mais rompue après la dernière guerre entre le jardin et le paysage, entre la fabrique urbaine et le territoire. Parmi ses élèves, ceux de la Section du paysage qui deviendront enseignants (G. Vexlard, J. Coulon, A. Chemetoff, A. Marguerit, G. Chauvel, J.-P. Clarac entre autres …), et ceux de l’ENSP (M. Desvigne, T. Laverne, J. Osty, M. et C. Pena, F. Gaillard, P. Hannetel, J.-M. L’Anton, B. Tanant, M. Claramunt, A.-S. Bruel, entre autres … ).

Considéré par la profession avec Jacques Simon, Jacques Sgard, P. Dauvergne et Bernard Lassus comme l’un des rénovateurs du métier et de l’enseignement de paysagiste concepteur, Michel Corajoud a illustré l’idée que la contribution des paysagistes à la fabrique urbaine devait être « une forme introductive de l’architecture, qu’il y avait une continuité d’intentions nécessaire entre les bâtiments et les espaces extérieurs qu’ils déterminent »4.

En rompant avec la culture paysagiste d’inspiration horticole, hygiéniste et décorative, il a renouvelé empiriquement la pratique paysagiste, de manière différente de la démarche conceptuelle et plasticienne de B. Lassus et de celle, naturaliste et jardinière, de G. Clément.

En réinventant la notion de paysagisme urbain (comme dans le landscape urbanism), il a rétabli la possibilité des continuités matérielles entre les natures sauvage et jardinée, et l’architecture. Il a évacué la notion urbanistique de verdissement, qui toutefois n’a pas dit son dernier mot aujourd’hui, transition climatique oblige …

En inscrivant cette rénovation de la pensée de la fabrique urbaine dans les projets politiques de l’Etat et des collectivités, il a contribué, avec d’autres, à métamorphoser un métier et à promouvoir une profession aujourd’hui réglementée.

Pierre Donadieu avec le concours de B. Blanchon

Mars 2020


Bibliographie

B. Blanchon, « Les paysagistes français de 1945 à 1975, l’ouverture des espaces urbains », Annales de la recherche urbaine, n° 85, 1999.

B. Blanchon, « Michel Corajoud (né en 1937) », Créateurs de jardins et de paysage en France du XIXe au XXe siècles, (M. Racine édit.), Actes Sud/ENSP, 2002.

B. Blanchon, « Jacques Simon et Michel Corajoud à l’AUA, ou la fondation du paysagisme urbain », in Jean-Louis Cohen, avec V. Grossman, dir., Une architecture de l’engagement : l’ AUA 1960-1985, Paris, Editions Carré, Cité de l’Architecture et du Patrimoine, 2015, p. 214-225.

J.-P. Le Dantec, Le sauvage et le régulier, arts des jardins et paysagisme, Paris, Le Moniteur, 2002, réédition en 2019.

M. Corajoud, Texte pour le jury du Grand Prix de l’urbanisme, 2003. http://corajoudmichel.nerim.net/10-textes/texte-grand-prix/texte-grand-prix.pdf

M. Corajoud, https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Corajoud


Notes

1 https://docplayer.fr/7599621-Etude-de-cas-concrets-michel-corajoud-les-jardins-d-eole.html

2 Dans les années 1960, écrit B. Blanchon (1998, op. cit., p. 57) l’enseignement de la Section qui reste ancré dans la tradition horticole versaillaise est unanimement critiqué : « Nous étions plus ou moins autodidactes, dit J. Sgard, car l’enseignement ne nous a formé ni déformé ; il n’y avait pas vraiment d’école ». La plupart des jeunes paysagistes (J. Camand, J. Sgard, J.-C. Saint-Maurice, I. et M. Bourne) recherche des compléments de formation ou d’information à l’Institut d’urbanisme de Paris (R. Auzelle, H. Prost) ou en Europe du nord.

3 https://fullartcontent.wordpress.com/2013/08/22/lamenagement-des-quais-de-bordeaux-et-son-miroir-deau/

4 Citation de M. Corajoud reprise dans de nombreux commentaires de ses travaux. (extrait de « Michel Corajoud paysagiste », éditions Hartman/ENSP, 2000.)

Les paysagistes concepteurs et l’Afrique

Pourquoi n’y a-t-il pas ou peu d’Africains parmi les paysagistes formés à l’ENSP de Versailles ?

 

Après avoir soutenu avec succès son mémoire de fin d’étude devant le jury présidé par le directeur de l’ENSP, Raymond Chaux, Abdoulaye Dieye, étudiant sénégalais,  se tourna vers le public et lui dit : « Pendant quatre ans, j’ai appris comment les Français répondaient aux questions de paysage en concevant des projets appropriés, accordez moi quelques instants pour vous indiquer comment dans mon pays on répond à ces questions ». Il fit alors quelques gestes pour montrer qu’il s’installait sous le baobab séculaire d’un village de brousse, et il entra dans un palabre imaginaire avec les habitants et leur chef pour décider de la meilleure manière de construire un nouveau puits.

C’était en 1981. A. Dieye fut avec Abdouraman Samoura l’avant-dernier des cinq étudiants d’origine sénégalaise qui firent des études de paysagiste à l’ENSP. Chacun d’entre eux rentra dans son pays et y fit une carrière brillante, à l’UNESCO ou dans la fonction publique d’Etat (parcs nationaux, services territoriaux centraux). Après eux, aucun étudiant originaire de l’Afrique francophone – à l’exception des trois pays d’Afrique du nord –  ne suivit des études de paysagiste concepteur à Versailles.

Pourquoi une telle désaffection pendant cinquante ans ? Tenait-elle à une image floue et peu séduisante du métier, à des échecs au concours, à l’absence de candidature, ou encore à un manque d’intérêt des pouvoirs publics nationaux pour ces compétences.

Un recrutement ouvert, mais « homéopathique »

Avant 1974, à l’époque de la Section du paysage et de l’art des jardins de l’ENSH (1946-1974), le concours d’entrée, ouvert aux non français, n’excluait personne. Mais les candidatures, les admissions d’étrangers et l’attribution du diplôme de paysagiste étaient rares. Entre 1946 et 1972, les archives gardent la mémoire de l’admission de quelques étudiant(e)s européen(enne)s ou proches orientaux (israélien, grec, espagnol) au début des années 50 et 60. Mais exceptionnels furent à cette époque, ceux, dans le monde africain, comme le Tunisien Jellal Abdelkefi qui obtinrent le titre de paysagiste DPLG en y ajoutant ensuite un doctorat d’urbanisme.

Après la création de l’ENSP en 1976, le recrutement de l’Ecole s’ouvrit un peu vers l’Europe, l’Asie, l’Afrique, vers le Sénégal pendant quelques années, et surtout vers le Maroc et la Tunisie. Un seul Algérien obtint le diplôme de paysagiste DPLG.

Au Maroc, un contingent annuel de quelques élèves, hors de la sélection du concours (certains furent admis par cette voie), fut recruté après sélection par convention avec l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II. Au vu de l’attestation de fin d’études (après quatre années), le diplôme d’ingénieur agronome, dans la spécialité paysage, leur était attribué au Maroc et celui de paysagiste de l’ENSP par le ministère français. Il en fut de même pour les étudiants tunisiens recrutés à l’Institut d’horticulture et d’élevage de Chott Mariem à Sousse (mais sans l’attribution d’un diplôme tunisien d’ingénieur). Une trentaine d’étudiants fut ainsi recrutée. La plupart sont devenus enseignants, entrepreneurs ou gestionnaires de services publics dans leur pays ou ailleurs.

Une incompatibilité culturelle ?

Alors que l’ENSP accueillait quelques étudiants européens (allemand, norvégien, belge, italien par exemple) ou chinois, aucune candidature issue de l’Afrique intertropicale francophone n’est parvenue à l’école depuis celle de Saliou Niang en 1984. Faut-il y voir un désintérêt dû à l’assimilation fréquente du métier de paysagiste concepteur à celui de technicien ou d’entrepreneur en horticulture ornementale ? Une incompatibilité culturelle entre les modèles de perception des paysages et des jardins en Afrique et ceux des mondes occidental et occidentalisé ? Ou encore la concurrence de métiers voisins comme ceux de l’architecture et de l’ingénierie des travaux publics ?

Les activités de la Section Afrique de l’IFLA (fédération internationale des architectes paysagistes) fournissent des indications précieuses. Le groupe Afrique de l’IFLA, né tardivement en 2005, s’est réuni pour la seconde fois à Nairobi en 2011 avec trois pays leaders (Kenya, Afrique du sud et Nigéria), rejoints ensuite par le Maroc et la Tunisie (2014) qui ont organisé les symposiums de 2017 et 2019. Avec six pays membres le groupe Afrique de l’IFLA est loin de traduire sur ce continent un intérêt manifeste pour l’architecture du paysage comme dans la soixantaine de pays (Europe, Asie, Amériques, Océanie) où ces professions sont plus ou moins organisées et développées.

Les démarches paysagistes occidentales seraient-elles inadaptées aux cultures africaines ? Le paysage, en tant qu’il est produit et qualifié volontairement, serait-il un luxe pour pays développés[1], une importation de modèles paysagers et de règles d’urbanisme issus des pays occidentaux par les pouvoirs politiques nationaux, et destinés à remplacer les modèles vernaculaires (non ou peu visuels)?

Si le projet de paysage est un outil de la construction des territoires (par l’appropriation et le sentiment d’appartenance), il doit associer les parties prenantes (acteurs et habitants), ce qui suppose un minimum de conscience citoyenne, peu répandue dans beaucoup de pays du sud (pas plus que du nord d’ailleurs le plus souvent).

Quelles demandes sociales de qualité de paysage peuvent justifier un intérêt politique et démocratique en Afrique ? Celles des opérateurs touristiques, des agents de protection des patrimoines ? C’est un peu mince, car il s’agit dans ces cas du paysage comme sources de revenus et d’identité nationale et non de milieux de vie pour ses habitants !  Ce qui devient encore plus inextricable quand les cultures locales ne distinguent pas paysages culturels et naturels !

L’évolution des modèles de formation à l’ENSP de Versailles ont dû laisser perplexes de nombreux responsables en Afrique.

Changer de paradigme pour penser le paysage

Tant que l’idée de paysage sera restreinte à la seule relation visuelle au territoire, il y a peu de chances qu’elle inspire les urbanistes et architectes africains pour fonder les identités territoriales. Tant que les modèles paysagers occidentaux, désuets (et appauvris), du pittoresque et du sublime, qui réjouissent l’industrie touristique et les sociétés gentrifiées,  persisteront chez les pouvoirs publics, les paysagistes – sauf s’ils sont jardiniers et décorateurs – ne seront pas écoutés en Afrique.

En revanche, si l’idée de milieu (au sens mésologique et polysensoriel du géographe A. Berque) est retenue par les paysagistes concepteurs pour donner du sens à la pratique paysagiste, il est possible d’imaginer une construction territoriale et démocratique satisfaisante des paysages urbains et ruraux. Car cette construction sera à la fois matérielle et immatérielle (avec des symboles et des valeurs éthiques et esthétiques), individuelle et collective.

Il serait possible alors de lire l’espace public (et publicisé) urbain et rural comme un milieu de vie humaine et non humaine, façonnée par ceux qui en ont l’usage, y provoquent des conflits et y concluent des accords.

Le paysagiste deviendrait alors un accompagnateur des pratiques sociales, un médiateur vigilant, et un observateur impartial. Il percevrait l’exclusion et l’inclusion sociale, raciale, religieuse, économique… dans l’espace et s’emploierait à lui réattribuer les caractères d’une communauté tolérante de pratiques juxtaposées. Il serait moins un designer (producteur de formes) qu’un agent de reconnaissance des pratiques sociales et des solutions à leur compatibilité quand elles sont conflictuelles.

Ce que le paysagiste concevrait relèverait moins d’une hypothétique cohérence des échelles d’organisation spatiale, attendue par les pouvoirs publics planificateurs, que d’une reconnaissance de ce qui serait produit par les intérêts sociaux confrontés.

L’ordre des formes spatiales ne découlent-elles pas de l’ordre social et politique qui les produit, et non l’inverse. Dans cette perspective, les valeurs écologiques seront présentes dans le milieu coproduit à la mesure de la conscience des usagers et des pouvoirs publics, et de leurs aptitudes à se saisir des enjeux urgents du XXIe siècle. Tant que les Etats se limiteront (au mieux) à fournir des moyens (juridiques, financiers) et non à veiller aux résultats attendus de leurs politiques d’aménagement de l’espace, il sera nécessaire aux ONG de leur rappeler les responsabilités auxquelles ils ne font pas face. Dans ce cas il sera nécessaire de les changer.

Pour conclure

J’avais imaginé une explication raciale à l’absence d’étudiants africains à l’ENSP de Versailles. Le monde du paysagisme, au moins à Versailles, serait peu enclin à les accueillir. C’est une hypothèse sans fondement, car les candidats issus de pays africains ont été quasi inexistants.

Peut-être ces étudiants existent-ils dans les autres écoles de paysage en France et en Europe.  Je ne le sais pas.

Il faut plutôt admettre que les politiques publiques africaines d’urbanisme et d’aménagement du territoire n’ont pas ou peu reconnu en général l’utilité des paysagistes concepteurs, contrairement à l’Europe (surtout du nord).

Que les architectes et l’ingénierie des travaux publics restent dans ces pays des concurrents sérieux des paysagistes concepteurs en réduisant la compétence paysagiste aux entreprises d’espaces verts, à la production des pépinières et aux jardinages.

Que les modèles jardiniers et paysagers utilisés restent des importations, utiles pour quelques demandes sociales et politiques à caractère décoratif, mais peu adaptées aux cultures vernaculaires urbaines et rurales de l’Afrique.

Que, de fait, la compétence paysagiste est un luxe des pays développés,

Et que les écoles de paysage restent les lieux nécessaires de production des compétences professionnelles. En leur absence, il se passe peu de choses.

Pierre Donadieu

Avril 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Évelyne Gauché, « Le paysage existe-t-il dans les pays du Sud ? Pistes de recherches sur l’institutionnalisation du paysage », VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement [En ligne], Volume 15 Numéro 1 | mai 2015, mis en ligne le 15 mai 2015, consulté le 19 avril 2020. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/16009 ; DOI : https://doi.org/10.4000/vertigo.16009

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