Fiche 8 – Introduction – Fiche 10
Fiche n° 9
Comment ont évolué les métiers de la conception des paysages ?
Pierre Donadieu, Académie d’Agriculture de France
Du jardinier au peintre, à l’architecte de jardins, à l’ingénieur paysagiste et au paysagiste concepteur, les métiers du paysage n’ont cessé de se métamorphoser au cours de l’histoire. Ils se sont professionnalisés au cours de la seconde moitié du XXe siècle.
Depuis la Grèce antique, l’Empire romain et les dynasties chinoises, le paysagiste a d’abord été un jardinier (gardener), chargé de la création et de l’entretien des jardins des plus fortunés. Puis les meilleurs d’entre eux ont su les dessiner. Le plus souvent, surtout depuis la Renaissance européenne, ce sont les architectes qui dessinaient les jardins des demeures bourgeoises et aristocratiques, savoir-faire qui ont accompagné plus tard la construction des villes au cours des conquêtes coloniales en Amérique, en Asie et en Afrique.
Le temps des jardins et des peintres
Le métier de paysagiste s’est différencié entre les ouvriers paysagistes et les maîtres jardiniers qui concevaient et dessinaient les parcs et les jardins d’Europe au XVIe et au XVIIe siècle. C’est le cas d’André le Nôtre en France.
Joseph William Turner (1775-1851), peintre paysagiste anglais.
Parallèlement, le mot paysagiste a désigné le peintre paysagiste (landscape painter) qui représentait des scènes de nature, le plus souvent littorale et campagnarde. Cette référence a été ensuite essentielle au XVIIIe siècle qui a vu se développer en Grande-Bretagne, puis dans toute l’Europe et ses colonies, des jardins et des parcs paysagers jusqu’au milieu du XXe siècle. Le paysagiste jardinier (landscape gardener, garden architect), créateur et dessinateur de jardins, devait également être peintre et poète à cette époque. C’est le cas de William Kent et Humphrey Repton en Angleterre.
Au XIXe siècle, l’urbanisation et l’industrialisation des sociétés européennes se sont accompagnées de la mise en œuvre de doctrines hygiénistes et esthétiques pour requalifier les villes anciennes et créer les villes des nouveaux continents. Le paysagiste concepteur, architecte et/ou horticulteur, adopte alors le titre professionnel d’architecte paysagiste (landscape architect) en Europe et en Amérique du nord. Frederick Law Olmsted aux Etats-Unis, Jean-Pierre Barillet-Deschamps et Edouard André en France sont les figures professionnelles les plus connues de l’émergence de ce métier au milieu du siècle. Il faut leur ajouter celle des ingénieurs, notamment des Ponts-et-Chaussées, comme Adolph Alphand qui fut le maître d’œuvre de la création des parcs et jardins parisiens.
Bois de Boulogne, Paris, J.-P. Barillet-Deschamps, architecte-paysagiste et A. Alphand, ingénieur des Ponts-et-Chaussées (1860-70)
La professionnalisation des métiers
C’est au XXe siècle, en 1948, que la création de l’IFLA (fédération internationale des architectes paysagistes) consacre le métier d’architecte paysagiste et le professionnalise avec des organisations propres à chaque pays (une soixantaine aujourd’hui).
Plusieurs courants de pratiques de l’architecture de paysage vont alors s’individualiser dans la plupart des pays concernés, de plus en plus urbanisés.
Le paysagiste concepteur (landscape designer, landscape architect), chargé de la conception et de la réalisation des aménagements constitue le cœur de la profession. C’est un professionnel du projet de paysage et de jardin, formé dans les universités, à proximité des formations d’architecte, de designer, de planificateur, d’ingénieur et d’urbaniste. Ses marchés sont publics et privés. En France depuis la loi de 2016 : Reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, le titre de « paysagiste concepteur » est accessible aux titulaires du diplôme d’État de paysagiste (ex paysagiste DPLG depuis 2015) délivrés par cinq écoles de paysagistes situées à Versailles, Bordeaux, Lille, Blois et Angers).
Parc d’Éole, Paris, Agence M. et C. Corajoud, 2007
Issu du profil précédent, parfois plus scientifique, le paysagiste planificateur (landscape planner) dispose de compétences pour concevoir avec les urbanistes les infrastructures vertes et aquatiques, les systèmes de parcs publics et de circulations dans les villes et les régions urbaines. En Europe, cette compétence initiée par F.L. Olmsted, A. Alphand, puis I. McHarg aux Etats-Unis va se développer des deux côtés de l’Atlantique, notamment sous la forme au début du XXIe siècle de l’urbanisme paysagiste (landscape urbanism). Le marché est public et concerne aujourd’hui les espaces urbains, périurbains et ruraux et les compétences des paysagistes concepteurs.
Ecoquartier de Montévrain (Marne-la-Vallée), Agence Follea-Gauthier, paysagiste concepteur, Philippe Madec, architecte-urbaniste, Trente hectares de terres agricoles ont été protégés.
Un troisième courant, complémentaire et distinct des architectes paysagistes, concerne les paysagistes de formations scientifique et technique : les ingénieurs paysagistes et les entrepreneurs paysagistes (landscape contractors). Leurs emplois sont situés soit dans les services publics des villes et des territoires comme gestionnaires (landscape managers) des espaces verts ou ruraux, soit dans les entreprises privées qui réalisent et entretiennent les espaces verts et les jardins. Ils relèvent presque partout d’organisations professionnelles distinctes de l’IFLA et de formations agronomique, horticole ou environnementaliste. En France l’Union nationale des entrepreneurs paysagistes (UNEP) réunit ces professionnels et les organisent. Les marchés sont publics et privés.
Vers de nouveaux métiers
Un dernier courant de paysagiste médiateur des aménagements d’espaces, travaillant avec les habitants, émerge en Europe avec la mise en œuvre de la Convention européenne du paysage de Florence (2000) à finalités culturelle et démocratique. Les marchés, encore rares, sont publics.
En pratique, et selon l’histoire paysagiste des pays, ces quatre profils, issus de formations universitaires ou de Grandes Écoles, sont plus ou moins réunis chez les mêmes praticiens, ou bien se distinguent nettement dans des organisations professionnelles distinctes avec des diplômes différents. Des spécialités de métiers apparaissent selon les marchés publics ou privés : paysages culturels, planification écologique, jardins et patrimoines historiques, création artistique, médiation culturelle, conseils de l’Etat et des pouvoirs publics, entreprises de paysage et de jardin, enseignement et recherche….
Ce qu’il faut retenir
Deux profils majeurs de cadres paysagistes se distinguent : l’un à dominante scientifique et technique : les ingénieurs, planificateurs et entrepreneurs, l’autre, marqué par une culture de concepteurs de projets de paysage et de jardin, les apparente aux architectes et aux designers. L’effectif de ces derniers en France est d’environ 3000 en 2018. L’ensemble de la filière du paysage, publique et privée, représente environ 200 000 emplois, et fait partie des métiers de l’agriculture.
Pour en savoir plus
P. Donadieu, Les paysagistes dans le monde en 2014. http://topia.fr/archives/chroniques/
P. Donadieu, Les paysagistes ou les métamorphoses du jardinier, Arles, Actes Sud, 2009.
B. Follea, Une révolution pour la Transition, PAP n° 18, 2018.