Michel Corajoud

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Michel Corajoud

Architecte paysagiste et enseignant

Son parcoursSes réalisations et étudesSon enseignementSes publicationsSes distinctionsSes idées

Michel Corajoud est né le 14 juillet 1937 à Annecy et décédé en 2014 à Paris. Son père était commerçant.

Son parcours

« À Thônes, il prépare son baccalauréat en philosophie. C’est à cette période qu’il développe son attrait pour le dessin, comme refuge d’abord, puis comme passion. Il s’agit du premier jalon lancé, inconsciemment, sur le tracé de son parcours professionnel. En 1957, Michel Corajoud obtient son bac au lycée de Valence et dès l’année suivante, soit 1958, il quitte sa ville natale pour venir à Paris où il réussit le concours d’entrée à l’école des Arts Décoratifs »1.

Il suit d’abord cette formation (atelier Baudry) pendant quatre ans en cours du soir et commence sa carrière en travaillant chez Bernard Rousseau, architecte d’intérieur, proche de Le Corbusier.

Il s’initie ensuite au paysage avec le paysagiste Jacques Simon de 1964 à 1966.

« Son tout premier travail, il l’obtient à l’âge de 25 ans, en 1962, en tant que salarié de Valentin Fabre à l’A.U.A. (Atelier d’Urbanisme et d’Architecture) où il est remarqué pour ses talents de dessinateur. C’est là que, de 1964 à 1966, Michel Corajoud va connaître son premier apprentissage et surtout la collaboration avec Jacques Simon, paysagiste en vue à cette époque. C’est Monsieur Simon (fils de forestier ayant une forte sensibilité pour le milieu naturel) qui va ouvrir les horizons au jeune Corajoud en l’initiant au monde vivant ». Idem

Puis, après un passage chez l’architecte Gomis pendant 3 ans, il devient membre associé de l’Atelier d’urbanisme et d’architecture (AUA) à Paris où il forme, avec les architectes Henri Ciriani et Borja Huidobro, une équipe de « paysagistes urbains : CCH, Ciriani, Corajoud, Huidobro » de 1969 à 1975. 

De 1975 à 2014, Michel Corajoud est associé comme paysagiste à Claire Corajoud son épouse, paysagiste DPLG diplômée de la Section du paysage et de l’art des jardins de l’École nationale supérieure d’horticulturede Versailles.

Il enseigne à la Section du paysage et de l’art des jardins de l’Ecole nationale supérieure d’horticulture de Versailles de 1971 à 1974, puis à l’Ecole nationale supérieure du paysage de Versailles de 1976 à 2003.

Ses principales réalisations et études

M. Corajoud s’est fait connaitre autant par des réalisations d’espaces publics urbains que par des études d’assistance à des maitres d’ouvrage publics.

Aménagements d’espaces publics

2012 : Aménagement paysager de la place de la Mairie de Troyes avec le scénographe de l’eau Pierre Luu,

2008-2011 : Aménagement paysager des espaces de la colline de Bourlémont et végétalisation des bâtiments de la porterie et du couvent autour de la Chapelle Notre-Dame-du-Haut à Ronchamp avec Renzo Piano,

2007 : Le jardin d’Eole (Paris, XVIIIe), avec Georges Descombes,

2005-2006 : Quais de Loire à Orléans avec Pierre Gangnet,

2005-2006 : Place Antonin Perrin à Lyon avec Pierre Gangnet,

2001 : Cité internationale Zones Amont et Aval à Lyon avec Renzo Piano,

2000-2008 : Quais rive gauche de Bordeaux et le miroir d’eau,

1998-2006 : Boulevard des États-Unis à Lyon avec Pierre Gangnet,

1998 : Couverture de l’autoroute A1 à Saint-Denis,

1998 : Avenue d’Italie à Paris avec Pierre Gangnet,

1996 : Quai et Boulevard Charles-de-Gaulle à Lyon avec Renzo Piano,

1992 : Aménagement de l’entrée de Creil et création d’une passerelle piétonne permettant de relier les coteaux boisés du quartier du Moulin au centre-ville.

1980 à 2005 : Réalisation du parc du Sausset (Seine Saint-Denis) avec C. Corajoud, J. Coulon et M. Rumelhart

1970-1974 : Parc des Coudrays à Maurepas (78) avec Enrique Ciriani et Borja Huidobro (AUA),

1968-74 : Parc de l’Arlequin à la Villeneuve de Grenoble avec Enrique Ciriani et Borja Huidobro (AUA).

Études urbaines et assistances à la maîtrise d’ouvrage

2000 : Assistance à la maîtrise d’ouvrage pour la réalisation du tramway sur les quais de la Garonne à Bordeaux,

1998 : Étude de définition d’aménagement du Front de mer de Saint-Denis de La Réunion,

1998 : Étude de paysage et d’urbanisme du secteur des « murs à pêches », à Montreuil avec  Souto de Moura,

1995 : Plan de paysage de l’Isle d’Abeau avec les CAUE de l’Ain, de l’Isère et du Rhône,

1991 : Mission d’expertise dans le cadre de la préparation des travaux du schéma industriel du port de Dunkerque,

1991-1999 : Projet urbain de la Plaine Saint-Denis (850 ha) avec Hippodamos 93,

1990–1991 : Etude des espaces publics en agrandissement du bois de Boulogne pour la “ZAC de la Porte Maillot “.

Recherche

1983 : Publication dans Les Annales de la recherche urbaine n°18-19, :”Versailles, lecture d’un jardin”, recherches réalisées avec les paysagistes Jacques Coulon et Marie-Hélène Loze.

Son enseignement

Versailles (ENSP)

À la demande des paysagistes et enseignants Pierre Dauvergne et Jacques Simon, il devient enseignant vacataire dans la Section du paysage et de l’art des jardins de l’ENSH de Versailles de 1971 à 1974, puis à l’École nationale supérieure du paysage de Versailles (1976-2003).

En 2003, au moment de la remise du grand prix de l’urbanisme, il se souvient : 

« En 1971, la section de paysage de l’École d’Horticulture de Versailles annonce sa fermeture prochaine. Alors que tous les enseignants quittaient, par anticipation, cette école, j’y entrais pour enseigner le projet de paysage bien que j’eusse, sur ce domaine précis, seulement quelques années d’avance sur mes étudiants.

Le fait d’enseigner, presque simultanément, le paysage alors que j’étais, moi-même, en train de le découvrir, a sans aucun doute fortifié l’importance qu’a eue ma pédagogie.

J’ai enseigné 32 ans dans cette école qui, après avoir fermé, s’est recomposée en École Nationale Supérieure du Paysage de Versailles. J’ai eu cette chance extraordinaire de pouvoir jouer un rôle prépondérant sur ce qui fut, longtemps, la seule véritable école du paysage en France et donc, d’infléchir notablement le sens que tous ces étudiants allaient donner à la profession de paysagiste. » (M.C., 2003)

Dans la jeune ENSP, il est d’abord enseignant vacataire dans l’atelier de projet « André Le Nôtre » qu’il dirige jusqu’en 1985. Il organise les ateliers de projet avec le paysagiste et ingénieur horticole Allain Provost responsable du département des techniques de projet, et participe activement au projet (sans lendemain) d’Institut français du paysage avec les autres enseignants. En raison de désaccord avec la direction, il démissionne toutefois temporairement de ses charges d’enseignant, missions que le directeur Raymond Chaux confie, momentanément, à la paysagiste Isabelle Auricoste.

«  La moitié de mon temps j’enseigne. En 1986 je suis maître de conférences de “théorie et pratique du projet sur le paysage ” et, à cette occasion, je rédige un assez long document sur la pédagogie de l’enseignement du projet et sur ce qui deviendra le cadre de l’organisation de l’enseignement du paysage à l’E.N.S.P. » (M.C., 2003).

Le texte du concours de maître de conférences, qui s’inspire de la pédagogie de son ancien associé l’architecte Henri Ciriani (d’abord à l’UP7 au Grand Palais, puis à l’école d’architecture de Paris-Belleville), influencera le nouveau programme pédagogique de l’école voté en 1986 : notamment la progression des ateliers de projet sur quatre années, et la place de l’enseignement du département d’ « Ecologie appliquée au projet de paysage » dirigé par M. Rumelhart devenu lui aussi en 1987, maitre de conférences dans cette nouvelle discipline. L’enseignement d’utilisation des végétaux assuré par le paysagiste et ingénieur horticole G. Clément jusqu’en 1983 est intégré dans le département d’écologie qui recrute le paysagiste Gabriel Chauvel, élève de M. Corajoud. Les exercices de « postfaces » (après l’échec des « interfaces ») permettent d’approfondir le traitement végétal des projets des étudiants. Mais les départements de sciences humaines (dirigé par A. Mazas, puis P. Donadieu) et d’arts plastiques (direction D. Mohen) conservent leur autonomie pédagogique.

De 1987 à 1990, Michel Corajoud, qui souhaite s’impliquer dans sa pratique de concepteur au sein de son agence, laisse la direction du département à Alexandre Chemetoff – également chargé du département des techniques du projet

Les paysagistes Christophe Girot, Gilles Clément et Gilles Vexlard lui succèderont comme chefs d’ateliers.

Genève (IAUG)

Il est professeur invité à l’Institut d’architecture de l’université de Genève (IAUG) de 1999 à 2002 avec les philosophes Sébastien Marot, Gilles Tiberghien et Jean-Marc Besse. En 2003, au moment où il quittait l’ENSP, il en faisait le bilan :

« J’ai participé à un enseignement de 3ème cycle “Architecture et Paysage” à l’Institut d’Architecture de l’université de Genève.

Si je donne avec précision les grandes lignes de cet enseignement, c’est parce qu’elles pourraient à elles seules suffire à situer mon travail et mes réflexions aux limites des territoires de la ville et de la campagne ou plus largement du paysage. À la mitoyenneté, aujourd’hui conflictuelle, entre ces deux mondes qui s’ignorent et se repoussent, alors que c’est là, précisément, où se joueront, demain, les projets de réconciliation que je souhaite.

Genève (pour garantir son autonomie alimentaire) a su, depuis 1952, aux limites de la ville, protéger son territoire agricole. À deux ou trois kilomètres du centre on est dans une véritable proximité, une interpénétration “paysagère ” entre la ville qui se développe et la campagne active (la Suisse comme “hyperville “).

À l’horizon Ouest le Jura, à l’horizon Est le Salève et, au-delà, les Alpes, viennent parfaire ce cadre. Ce rapport intense ville-campagne pose, actuellement, divers problèmes :

  • le développement de la ville, de la “zone villas ” notamment, qui suscite des conflits territoriaux, des conflits d’usage entre deux mondes qui se tournent le dos,

  • le maintien, à proximité des nouveaux urbains, d’une agriculture intensive,

  • la gestion du domaine agricole où des subventions sont données aux agriculteurs pour soustraire dix pour cent de leurs terres de culture et créer, en substitution, des aires de “compensations écologiques”,

  • la renaturation des cours d’eau dont la pratique est très avancée en Suisse Allemande et commence sur le Canton de Genève (…)

À l’origine de cet “atelier” de troisième cycle, une longue pratique de recherche et d’enseignement à l’I.A.U.G; avec des collaborations importantes dont celles de Bernardo Secchi pendant plusieurs années. En 1999, s’est constituée une équipe d’enseignants pour concevoir un atelier de projet et des séminaires de cours théoriques : un atelier de projet que j’anime avec trois architectes (Georges Descombes, Alain Léveillé et Marcellin Barthassat), un biologiste, un botaniste, un agriculteur. Des séminaires de cours théoriques animés par trois philosophes (Jean-Marc Besse, Gilles Tiberghien, Sébastien Marot fondateur et rédacteur de la revue “le Visiteur”). Sébastien Marot est l’auteur de deux articles importants : “L’alternative du paysage” “L’art de la mémoire, le territoire et l’architecture”. En arrière-plan, André Corboz, professeur d’histoire de l’urbanisme à l’école Polytechnique de Zurich.

Ces cours traitent, entre autres : de la cartographie, de l’anthropologie du paysage, des relations entre l’art contemporain et le territoire, le paysage, du “Suburbanisme” et du “Superubanisme”, des formes naissantes de la ville.

Nous avons entrepris de revisiter les ouvrages d’un grand nombre de théoriciens du XXème par exemple : Kevin LYNCH, Garett ECKBO, J.B. JACKSON, Collin ROWE, Vittorio GREGOTTI, Aldo ROSSI, Rem KOOLASS, Bernardo SECCHI.

Les thèmes abordés furent ces dernières années :

  • “Habiter la campagne “: projeter un groupe de logements dont la densité et l’organisation seraient en accord avec la paysage du Pays de Gex, au pied du Jura sur la partie française de ce territoire frontalier.
  • “Améliorer le domaine agricole d’Alexis Corthay” au Nord Est de Genève sur la commune de Choulex, à partir des thèmes : “compensations écologiques “, renaturation de la Seymaz (cours d’eau qui traverse ses terres), usage de plus en plus intense de la campagne par les nouveaux urbains, mutation probable de l’agriculture intensive vers une part d’agriculture de proximité.
  • “Faire des propositions pour l’extension urbaine” du Sud de Genève sur la commune de Troinex, entre Carouge et le piémont du Salève, extension provoquée par le déclassement d’une partie de la zone agricole dans le Nouveau Plan Directeur.
  • Valorisation et “renaturation” du territoire de l’Eau Morte sur les communes de Soral et de Laconex, au Sud-Ouest de Genève. Imaginer la mixité des usages entre des agriculteurs et des urbains ».

Ses publications majeures

M. Corajoud, Le paysage, c’est l’endroit où le ciel et la terre se touchent, Actes Sud/ENSP, 2009. Recueil d’une vingtaine d’articles publiés depuis 1975.

M. Corajoud, « Le projet de paysage, Lettre aux étudiants », in Le Jardinier, l’Artiste, l’Ingénieur, J.-L. Brisson (dir.), Les éditions de l’Imprimeur, 2000.

Il y développe une méthode empirique de projet en dix étapes : « se mettre en état d’effervescence, parcourir en tout sens, explorer les limites, les outrepasser, quitter pour revenir, traverser les échelles, anticiper, défendre l’espace ouvert, ouvrir son projet en cours, rester le gardien de son projet »

Distinctions

2017 : La Ville de Bordeaux nomme la promenade des quais rive droite et rive gauche de la Garonne « Promenade Michel Corajoud »

2003 : Grand Prix de l’urbanisme

1999 : Ruban d’argent pour la réalisation de la couverture de l’autoroute du Nord à Saint-Denis

1999 : Chevalier de l’Ordre national du Mérite

1993 : Prix du Courrier du maire, catégorie Projet urbain « Ville de Montreuil »

1992 : Grand Prix du paysage

1985 : Médaille d’argent de l’Académie d’architecture, « Architecture d’accompagnement » avec Claire Corajoud.

Ses idées et son parcours (d’après un texte donné au jury pour le Grand prix de l’urbanisme en 2003)

Son initiation :

L’École des Arts Décoratifs de Paris (1956-60)

Dans cet établissement, en même temps qu’il apprend à dessiner et à projeter, il travaille chez Bernard Rousseau, architecte d’intérieur, ancien collaborateur de Le Corbusier. Il se familiarise avec la conception du logement, et à la nécessité d’élargir le projet à son contexte social et spatial.

« J’ai appris la pratique et le goût du dessin, la pratique et le goût du “projet”.
Cette école était, alors, l’une des meilleures au sens où elle ne formait pas exclusivement à la décoration. Elle ouvrait très largement sur toutes les dimensions de l’activité de projet.

Pour aider au financement de mes études (je suivais les cours du soir à l’École des Arts Déco), j’ai travaillé deux ou trois ans chez un architecte d’intérieur : Bernard Rousseau qui avait collaboré avec Le Corbusier. Les commandes que nous devions satisfaire étaient assez particulières : Bernard Rousseau avait des amis proches qui lui demandaient de faire le projet des appartements qu’ils avaient acquis, en ne gardant que l’enveloppe des murs et les structures porteuses. Ce travail de conception et de réalisation d’une cellule d’habitation pouvait durer très longtemps, plusieurs années parfois !

J’ai donc, à cette occasion, abordé la question du logement, de son organisation et de son usage. J’ai développé une exigence sur l’agencement, la mesure, la proportion, sur la référence au corps, car nous étions sous l’emprise formidable et stricte du “modulor” de le Corbusier.

C’est dans ce travail précis, qui visait à augmenter la capacité d’usage d’une enveloppe bâtie donnée, à expérimenter tout le volume disponible, que j’ai élaboré les premiers outils nécessaires à la traversée des échelles qui me seront utiles, plus tard, dans le projet sur le paysage.

À ce moment, j’ai compris que nous étions plus dans le domaine de la transformation que dans celui de l’invention et que la conception à partir du contexte était décisive (…)

Nous savions aussi que les « grandes échelles » devaient être rapportées à des données plus vastes et avec Bernard Rousseau, nous partagions la passion de collectionner des images de toute nature, prises au hasard de toutes les revues. Nous estimions que cette collecte devait nous situer et nous ancrer dans l’actualité du monde (…) J’ai plus tard repris la collection d’images dans ma méthode d’enseignement du projet à l’École du Paysage de Versailles ».

Le rôle de Jacques Simon à l’AUA (1964-67)

À l’AUA où M. Corajoud entre en 1964, dans la cellule des architectes d’intérieur, Jacques Simon devient son principal mentor. Il est fasciné par ce paysagiste formé dans la Section du paysage de l’ENSH. Grand connaisseur des arbres, dessinateur, photographe, journaliste, amoureux des villes américaines, il initie M. Corajoud aux grands espaces et à la conception des projets de paysage et de jardin. Il lui fait comprendre la relation entre le temps et l’espace du projet, les temps des saisons comme ceux de la maturation d’un milieu aménagé.

«  Peu de temps après mon arrivée dans cette équipe où je travaillais sur des projets de villages de vacances, ma rencontre avec Simon fut fulgurante au point que notre association fut immédiate. Dans l’urgence, j’entre alors dans une nouvelle dimension que je ne quitterai plus : celle du Paysage. Simon est un personnage multiple : Il est un très grand paysagiste dont le travail de cette époque s’apparente à ceux des paysagistes “naturalistes” allemands dont on voyait les projets dans la revue “Garten und Landschaft”.
Son père étant forestier, il avait acquis très jeune une grande connaissance du milieu vivant, des plantes, des arbres dont il fait des dessins superbes.

Mais il est, aussi et presque également, un photographe-reporter qui voyage beaucoup et rapporte des témoignages précis sur de très grandes villes et leurs banlieues : en Allemagne, en Angleterre et aux États-Unis. Il était, alors, l’éditeur et le rédacteur d’une revue de paysage très éclectique, qu’il bricolait lui-même, avec une énergie et une santé considérables. On y voyait, à toutes les pages, des morceaux de ville avec, en situation, des gens qu’il faisait parler en leur dessinant des “bulles”. Il est, encore, un magnifique dessinateur dont les croquis simples mais très précis donnent bien l’idée de la maîtrise qu’il a de l’espace et de sa mesure.

Avec lui, je conforte les expériences acquises sur la question des échelles et des allers et retours qu’il était nécessaire de faire. J’élargis considérablement mon champ : de la minutie des objets, des meubles, des cloisons, de mes premières expériences, aux très grands espaces ouverts qu’il me fait découvrir. Quand nous regardions ensemble un paysage, ses deux mains très expressives et mobiles mettaient, sur l’horizon, chaque chose à sa place.

J’ai appris vite et donc confusément d’abord, l’agencement des divers plans qui organisent les proches et les lointains et qui, de porosités en porosités, en fabriquent les horizons. Simon savait, plus que tous, la mesure qui le sépare de chaque chose, même la plus lointaine. Il tenait ce don de son père qui, du sol, savait évaluer avec précision la taille des plus grands arbres.

Il m’initia au passage qui va de l’espace au temps,… au temps que prennent les choses du milieu pour se constituer, pour se transformer. Je me souviens encore de son excitation au premier débourrement des saules marsault … il y voyait le signe d’un printemps que l’on n’arrêterait plus ».

L’Atelier d’architecture et d’urbanisme (AUA), 1967-1970

M. Corajoud réintègre l’AUA à Paris en 1967, après le départ de J. Simon. Dans ce collectif, fondée en 1959 par l’urbaniste Jacques Allégret, sont réunis architectes, urbanistes, ingénieurs et décorateurs, soucieux de collaborer à la production de la ville et du logement social. Ancrés dans la gauche politique, ils plaident pour la pluridisciplinarité et ne sont pas tendres avec l’Académie des Beaux-Arts qui sera réformée en 1968. M. Corajoud prend position contre l’idéologie des espaces verts et du pittoresque paysager qui régnait en maitre depuis un siècle dans le milieu professionnel des rares paysagistes formés à l’ENSH.

« J’ai réalisé avec eux les projets d’aménagement de nombreux espaces extérieurs, mais à la différence de ceux que nous faisions avec Simon, je ne travaillais plus sur des plans masses achevés, je collaborais à leur établissement.

Les esquisses que je dessinais pour aménager le “dehors “, alimentaient à leur tour les architectes et les urbanistes de l’A.U.A. sur la question du “dedans “, celle de l’habiter.
Le point de vue que j’avais alors sur le paysagisme, après Bernard Rousseau, l’A.U.A. et Jacques Simon, est évidemment très différent de celui de mes confrères issus des écoles de paysage et, notamment, celle de Versailles.

Je leur reprochais leur manque d’intérêt et de culture pour la ville où ils introduisaient tous les signes du démenti. Ils puisaient leur inspiration et leurs références dans l’idée qu’ils se faisaient de la “Nature”. Ils collaboraient sans peine, à l’idéologie des espaces “verts”. Je pensais qu’en voulant compenser les effets d’une urbanité, évidemment très dure à cette époque, ils en barbouillaient le sol avec tout un petit fatras de circonvolutions molles, prétendument “naturelles “, qui, à mon sens, ne faisaient qu’introduire une violence supplémentaire. Ma critique était injuste, je le sais, mais je la réactive, aujourd’hui, pour bien montrer ce qui me distinguait alors et ce que je vais apporter de nouveau dans l’enseignement que je donnerai ensuite, à l’École de Versailles. »2

Le parc de l’Arlequin dans le quartier de la Villeneuve à Grenoble (1968-74)

Dès 1967, les enseignants vacataires de la Section du paysage commencent à quitter la Section du paysage dont la fin est annoncée avec la réforme de l’ENSH. Une partie d’entre eux (B. Lassus, J. Sgard, P. Dauvergne) crée en 1968 l’association « Paysages » qui préfigure le futur CNERP de Paris, puis de Trappes. Privé d’enseignants de projet, le directeur E. Le Guélinel, conseillé par M. Viollet et P. Dauvergne, fait appel à un jeune professionnel M. Corajoud et à J. Simon plus expérimenté. Leur enseignement, tourné vers l’urbanisme et l’architecture, marque une rupture brutale avec l’enseignement d’inspiration horticole de la Section.

Au même moment, M. Corajoud prend en charge dans le cadre de l’AUA, le parc de l’Arlequin à la Villeneuve de Grenoble. À la recherche de principes de conception, il tente de croiser géométrie et géographie. Il en reconnaissait en 2003 l’intérêt autant que les limites.

«  C’est le projet du quartier de l’Arlequin à la Villeneuve de Grenoble qui nous occupe le plus. George Loiseau et Jean Tribel, architectes à l’A.U.A., conduisaient cette opération. Nous devions en étudier la “rue” et le parc au centre du quartier.
Le projet de ce quartier revendiquait une forte densité, une grande continuité formelle du bâti, qui devait accueillir de la diversité (c’est le plan de Toulouse le Mirail qui fut alors transposé), une volonté d’établir de véritables espaces publics : la rue, le parc, une distribution qui favorisait la mixité. Il n’est pas utile de rappeler, dans le détail, l’ensemble des expériences menées : l’intégration des équipements à partir de la rue, la mise en place dans les écoles de nouvelles pédagogies, la tentative de réduire la ségrégation sociale dans le logement, la télédistribution, l’animation…etc.

Cette utopie a, pour partie, fonctionné quelques années et s’est progressivement défaite pour plusieurs raisons. Le départ de la “classe moyenne ” et celui des intellectuels, qui retournaient au centre-ville, furent à cet égard, décisifs.

On peut critiquer, aujourd’hui, les formes prises par cette utopie, l’échec relatif de la rue désactivée par l’arrivée du grand centre commercial, l’enfermement sur elle-même de cette forme urbaine singulière coupée des quartiers voisins et qui, de ce fait, renforce aujourd’hui, les effets de ghetto que l’homogénéité sociale a progressivement initiée.

Mais je n’ai plus jamais connu une telle intensité, une telle complémentarité de réflexions. Voici, ce que j’écrivais, à l’époque, pour expliquer mon travail de conception :

Le choc entre géométrie et géographie préside bien à la conception du parc de la Villeneuve mais dans un ordre inversé des efforts qui ont façonné la campagne.
La géométrie n’est pas, ici, la figure qui se déploie sur un fond, elle est le fond lui-même, le substrat, le site d’origine.

Sur ces terrains, rigoureusement plans, enclos par l’architecture, dans l’espace de cette sorte de clairière se tissaient déjà les lignes qui vont et viennent de l’ombre épaisse des bâtiments. L’espace est chargé des traits de la ville et il n’y a eu, pour moi, qu’à les graver sur le sol.
Je devais laisser s’exprimer l’architecture bien au-delà des pans qui la ferment. La façade n’est pas la tranche initiée où s’affrontent deux mondes hostiles (dedans – dehors, espace- pierre – espace-vert). C’est un lieu où se règlent, dans l’épaisseur, les subtiles entrées de l’ombre et de la lumière.

Le paysage naît de la tension de tous ces mondes d’évocation ».

Le parc du Sausset (1980-2000…)

Après avoir réalisé le parc des Coudrays à Maurepas dans la ville nouvelle de Saint-Quentin en Yvelines (1974) et celui de Grenoble, en 1980, M. et C. Corajoud sont lauréats avec le paysagiste J. Coulon, du concours du parc forestier du Sausset en Seine-Saint-Denis en 1980. Ce projet dont la mise en place durera plus de vingt ans leur permettent de définir la conception d’un projet de paysage comme une méthode de connaissance de la genèse d’un site en convoquant la géométrie, l’histoire et la géographie ; mais également en s’associant avec d’autres experts, forestiers et écologues. Ce projet restera, avec les quais de Bordeaux, emblématique pour M. Corajoud et ses élèves.

« Au milieu de l’année 1980, nous gagnons Claire et moi (nous sommes désormais associés) le concours de ce très grand parc de deux cents hectares, au Nord-Est de Paris, en limite d’Aulnay et de Villepinte, en Seine-Saint-Denis.

Pour rééquilibrer le Nord de l’agglomération parisienne en massifs boisés, pour réactualiser l’imaginaire des grandes forêts de Bondy et de Sevran, en partie disparues, le concours portait sur la création d’un parc forestier.

Le programme n’ignorait pas l’extrême lenteur de la croissance d’une forêt et il destinait donc à des populations futures, un parc pour lequel il était prématuré d’imaginer la nature des usages. Il nous demandait la conception d’un enchaînement d’espaces capables, très divers en tailles, en configurations et en qualités … une sorte de campagne bocagère et boisée qui serait équipée très progressivement et à la demande.

Le parc du Sausset, cl. Agence M. et C. Corajoud, archives

Les travaux du parc commencent en 1982 par la plantation de 400 000 très jeunes arbres. Ils ne sont toujours pas terminés, plus de vingt ans après, en raison de l’inégalité et de la modicité des budgets annuels.

Il me faut rendre compte de cette expérience qui a, évidemment, joué un rôle considérable dans l’évolution de mon point de vue sur la nature des paysages. Pour cette note, précisément, je m’attacherai à ne garder, des qualités mises à jour au cours du travail de conception et de chantier du parc, que celles ayant trouvé plus tard, des correspondances directes ou transposées au cours de l’élaboration des projets urbains de la Plaine Saint-Denis, de Montreuil, de la Cité Internationale.

Que se passe-t-il aux premiers moments du projet ?
Nous sommes immédiatement privés de nos moyens ordinaires de conception, de constitution par l’immensité du site. Je ne peux plus, comme je l’ai fait à Grenoble ou à Maurepas, tenir toute l’étendue.
Jusque-là, je pensais que l’on pourrait agir de manière définitive sur l’espace et que la réalisation se maintiendrait en tous points conforme à son projet.
Le contexte, le site ne s’étaient pas encore imposés. Je considérais, à tort, que les terrains des grands ensembles, des villes nouvelles sur lesquels j’avais réalisé des parcs étaient, le plus souvent, des espaces résiduels, assez amorphes et de faible sollicitation.

Mes projets ne s’alimentaient donc que de leurs propres raisons.
Je disais, à l’instant, que je voulais rompre avec mes aînés, avec l’idée qu’ils se faisaient de la nature. Je voulais faire cette démonstration et je l’aurais fait, de la même manière, en d’autres lieux.
Le site était, presque parfaitement, prêt pour la pousse des arbres que nous devions planter. Sur ce paysage calme et puissant, nous nous sommes donc déterminés à ne pas introduire le tumulte, à ne pas déranger le sol, à rompre avec la pensée des grands travaux et à ne jamais laisser entrer de gros engins de terrassement.

Nous découvrons le fait que le projet sur l’espace a, évidemment, comme visée l’amélioration et la transformation des lieux; mais il est, avant tout, une méthode qui permet d’interroger l’histoire et la géographie. Il est un outil de connaissance.

La géométrie est (également), à cet égard, un outil intéressant par la possibilité qu’elle donne de rapporter l’indécision des formes paysagères à la règle simple de certains tracés. On ne peut pas appréhender, ni représenter, la complexité morphologique d’un site dans un premier élan. Nous devons la reconstruire patiemment en utilisant les éléments de rationalité et de mesure que nous offre la géométrie.

Au parc du Sausset, nous considérions qu’elle était utile pour réconcilier les fragments chaotiques d’un territoire de banlieue. Le parc devait devenir le lieu où seraient restaurées certaines règles de composition de la ville sédimentaire. Nous nous sommes donc imposé un travail sur la géométrie, sur le tracé extrêmement élaboré. En effet, nous avons mêlé, intimement, les lignes que nous jugions nécessaires pour distribuer les lieux à partir d’un quadrillage initié par la Ville d’Aulnay, avec les anciens chemins et les limites de champs.

En effet, nous devenions, dès lors, des concepteurs assez particuliers puisqu’une bonne part des éléments que nous allions mettre en œuvre prenaient forme et se développaient d’eux-mêmes. Notre rôle se limitait donc à préparer les meilleures conditions pour qu’une situation paysagère génère son propre avènement.».

Les autres travaux

En 1985, M. Corajoud est lauréat du concours de maitre de conférences en théories et pratiques du projet de paysage à l’ENSP de Versailles. Il est le premier enseignant à être titularisé à l’ENSP. L’année suivante, il anime une réforme de la pédagogie et voit le départ de B. Lassus et de son équipe avec lesquels il était en conflit sur les principes et les finalités de l’enseignement d’atelier de projet.

Parallèlement, il mène de nombreux projets et études qui lui servent de supports d’enseignement, entre autres :

À Dunkerque :

« En juin 1991, l’agence d’urbanisme de la région Flandre-Dukerque me confie une mission d’expertise dans le cadre de la préparation des travaux du schéma industriel : 5 000 hectares d’espaces portuaires entre Gravelines et le port “Freyssinet ” à Dunkerque. Pour répondre dans l’urgence à cette étude, la méthode utilisée fut celle d’un travail précis de comparaison entre des cartes, des photographies aériennes et l’état des projets réalisés ou non. J’ai fait de fréquents survols en hélicoptère, que je confirmais par des points de vue au sol.

On a pu mettre en évidence la dynamique de développement du port vers l’Ouest (le long du rivage), qui s’accompagnait d’une avancée vers le Sud (à l’intérieur des terres), de plus en plus profonde, de la zone industrielle et des divers bassins qui devront suppléer à l’estuaire manquant. Ce mouvement perceptible du repli du paysage urbain vers le Sud, sur la nouvelle ligne d’appui de la rocade, les pressions exercées sur la RN1 dont on prévoyait la coupure pour agrandir le bassin de l’Atlantique, augurent de la perte possible de la mer comme référent de l’agglomération. »

À Paris avec l’aménagement de l’avenue d’Italie (1997)

« Je retiens de ce projet le mode de conception en “seconde œuvre”, que j’affectionne désormais.
Nous voulions, en effet, réintroduire ce grand axe dans le patrimoine des avenues parisiennes. Nous avons repris à notre compte tous les matériaux, tous les savoir-faire acquis depuis longtemps par les services de la voirie. L’accumulation de leurs expériences était la “première œuvre”. En deuxième œuvre, nous nous sommes intéressés à parfaire l’ensemble des distributions, l’ensemble des usages ; tous les détails de sols, de plantations, avec une attention plus particulière pour l’éclairage (Laurent Fachard) ».

À Saint-Denis avec la couverture de l’autoroute A1 (1997)

« L’ancienne route royale « avenue de Paris », puis avenue du « Président Wilson », fut éventrée en 1960 pour le passage en tranchée de l’autoroute A1. La Plaine Saint Denis est alors coupée en deux, dévastée par le bruit et la pollution.

Archives atelier M. et C. Corajoud

L’État, en 1997, veut implanter le Stade de France à Saint-Denis; les élus de cette ville exigent, avant toute négociation, que l’autoroute soit couverte. Couverte par une dalle, suffisamment lourde pour porter à la fois des hommes et des plantes, une dalle capable de reconstituer le sol de pratique volé ».

À Lyon, avec La première tranche du parc de Gerland (1997)

« Nous avons, avec Claire et Gabriel Chauvel, fait dans de ce parc un grand jardin linéaire de 500 mètres par 50.

Nous voulions, depuis longtemps, concevoir et réaliser un jardin qui, lui, fasse référence à la maîtrise des plantes par le travail de l’homme : agriculteurs, horticulteurs, maraîchers. Un jardin dans la ville qui évoque moins la “nature” que la “campagne”.

Un facteur essentiel d’étonnement de ce jardin est son mode de gestion : la tonte fréquente, la fauche des associations végétales, qui exacerbent les facteurs saisonniers et accélèrent le processus de croissance (vigueur des pousses de l’année). Ce mode de gestion met en scène : labours, semis, bouturages, fauches. C’est lui qui décide de la structure en bandes très simples, très rationnelles sur lesquelles va s’épanouir la diversité des plantes associées.

Mais c’est surtout l’importance de la dimension donnée à ce jardin, sa longueur, qui semble nécessaire pour que l’imaginaire du public quitte l’échelle de la plate-bande pour retrouver la dimension d’un champ cultivé et l’outillage adapté pour ce type de parcelle.

En ce sens, notre jardin est le contrepoint du “jardin en mouvement ” de Gilles Clément au parc Citroën Cévennes qui fait référence aux cycles et associations naturelles des plantes ».

Le parc de Gerland à Lyon

À Montreuil avec le site des murs à pêches

« Une première étude est faite en 1993 pour le centre-ville. L’équipe dirigée par Alvaro Siza réunit : Emmanuelle et Laurent Beaudoin, Christian Devillers et moi. J’apporte, à l’équipe et à Siza, qui l’adopte sans hésitation, une notion moins fermée du concept de centre.
Un croquis sur les “horizons”, les interrelations du centre avec les quartiers, montrait, en effet, la nécessité de garder, dans son champ visuel, dans son aire d’influence, les effets de la pente des coteaux Est. C’est par l’intermédiaire exprimé de cette part de la géographie de Montreuil que les quartiers populaires du plateau Saint- Antoine pourront être, demain, solidaires de cette nouvelle centralité. Une seconde et une troisième études portaient sur le quartier Saint-Antoine (plateau Est de Montreuil) où, sur une trentaine d’hectares d’un seul tenant, des parcelles fermées par des “murs à pêches ” perdurent.

En sauvant, en valorisant les quelques hectares de pans de murs restant, la ville de Montreuil peut se constituer une source, une mémoire à partir de laquelle, elle pourra, à nouveau, transposer et singulariser sa forme urbaine.

Dès mon étude de 1993, je pensais qu’un bon moyen de prolonger l’histoire de ce territoire, serait de maintenir et d’attirer, entre ces murs, des activités du type horticole ou agricole: production de fruits, de légumes, de fleurs, production de plantes pour les jardins.
En continuant de travailler le sol pour en maintenir la fertilité, ces activités collaboreraient à la sauvegarde des murs, mais aussi, à la préservation des espaces “naturels” du quartier. Mais l’Etat jugea que la seule protection juridique pourrait suffire … »

Les murs à pêches de Montreuil

À Paris avec les jardins d’Éole (2007)

La création de ce parc est le fruit d’une mobilisation des citoyens, des associations et des élus. Il a été réalisé par l’agence de M.et C. Corajoud et l’architecte suisse Georges Descombes.. Sur plus de 42 000 m2, les jardins d’Éole illustrent la volonté de la mairie de Paris de procurer un nouvel espace vert au quotidien pour les habitants d’un quartier longtemps dépourvu de ce type d’équipement collectif.

Avec le concours de sociologues, le parc a été aménagé sur une ancienne friche ferroviaire, la cour du Maroc, ex gare de marchandises, désaffectée depuis les années 1990.

Jardins d’Eole, Cl. P. Donadieu

«Quel était votre idée en dessinant ce jardin, et cela fonctionne-t-il ?
J’avais pensé un jardin ouvert, tout en longueur, pour rappeler l’ancienne friche et ses hangars qui accueillaient des trains, et aussi pour ouvrir un grand ciel, une vue large sur Paris. Mon idée était que les habitants, qui se sont battus pour préserver cet espace retrouvent le jardin dont ils avaient rêvé, un lieu de réunion, de fêtes. Il y a eu des modifications, des ronds avec des pensées plantées par les jardiniers que je n’aime pas trop personnellement. Le jardin de graviers ne se développe pas non plus comme nous l’avions vu lors de tests [les visiteurs étaient censés y semer des graines, en fait cet espace est resté très minéral]. Mais sinon, ça marchait très bien, les riverains l’avaient très vite occupé, toute une population à l’image du quartier, mélangée, venait y pique-niquer, faire la sieste sur les bancs. Et à présent, c’est déserté, et c’est regrettable ».

Marie Anne Klébert (propos recueilli auprès de M. Corajoud par), 2013, Le Journal du Dimanche.

À Bordeaux avec l’aménagement des quais de la Garonne,

« Pour le projet des quais de Bordeaux, la première réflexion de Michel Corajoud fut de se dire que « tout est là ». Les hangars étaient alors encore présents mais la beauté se faisait sentir. Pour un paysagiste, comme pour tout autre créateur, un lieu aussi proche d’un fleuve de cette importance, ainsi que les façades historiques représentent une grande attractivité. Michel Corajoud est fasciné par l’idée de réconcilier la ville avec le fleuve. Ce grand projet de 40 hectares n’en est que plus stimulant.

Le front du fleuve à Bordeaux, cl. Atelier Corajoud.

Les quais étaient autrefois assimilés à un grand vide sidéral, très dur à vivre l’été à cause de la chaleur mais aussi l’hiver à cause du vent. Il fallait donc transformer les quais afin d’améliorer leur attractivité et donner de nouveaux plaisirs urbains aux bordelais, avec des espaces accueillants.

Michel Corajoud va apporter des éléments supplémentaires aux quais. Des éléments permettant de nouvelles perceptions, de nouveaux usages, qui intègre la ville aux quais. Des éléments permettant de jouer avec des alternances d’ombres et de lumières. Bordeaux est une ville qui distribue parfaitement l’ombre et la lumière au travers de ses rues plus ou moins étroites, ses cours, ses places. Ce que la ville fait avec ses verticales de pierres, le paysagiste va le faire avec la végétation afin d’apporter de la tempérance aux quais.

Dans ce projet il n’y a pas de grands gestes. Il suffisait de donner aux choses leur juste place. Michel Corajoud laissa la diversité et la beauté du site s’exprimer en lui apportant certains compléments utiles au confort et au plaisir.

L’idée du miroir d’eau est venue au croisement de plusieurs observations. La première survint à la suite d’une pluie. En se promenant, le paysagiste aperçut le reflet du clocheton du toit de la Bourse dans une flaque. L’idée d’un reflet pour ce bâtiment venait de naître. Puis, durant la phase de travail du concours, Michel Corajoud et son équipe dînaient régulièrement le soir dans un restaurant situé en face de la Bourse, sur la rive droite. Les nuits où la Garonne était calme, ils pouvaient voir s’y refléter toute la magnificence du bâtiment. Un reflet qu’ils rêvaient de transporter sur la rive gauche. C’est à partir de ces observations qu’a émergé l’idée d’un miroir d’eau. » Aurélie Dorange, 2013, Architecture/urbanisme 3

Pour conclure

Michel Corajoud est arrivé très jeune (33 ans) sur la scène paysagiste française en 1970 au moment où l’école qui formait les praticiens à Versailles était désertée par ses enseignants. Au moment également où la politique gouvernementale d’environnement avait besoin des paysagistes et où les premières agences libérales s’organisaient.

Comme B. Lassus, M. Corajoud est un paysagiste autodidacte : M. Corajoud avec le concours de J. Simon puis de C. Corajoud, M. Rumelhart et G. Chauvel, et B. Lassus avec celui de P. Aubry notamment. Très différente, leur carrière de paysagiste n’est pas dissociable de leur trajectoire professionnelle qui a comme origine une formation artistique.

M. Corajoud a appris l’architecture du paysage pour, disait-il, mieux faire de l’urbanisme et de l’architecture. Il a mis au point une méthode empirique de projet urbain de paysage formalisé pour ses étudiants en 2000, après 30 ans d’enseignement. Son appui théorique, il le trouve chez les philosophes et quelques théoriciens et praticiens. Chez le philosophe F. Dagognet qui écrit que « le paysage est une méthode, on trouve moins en lui que par lui » et chez le paradoxal Michel Serres : « L’horizon est un confus distinct ». Le maitre jardinier A. Le Nôtre est pour lui une référence indépassable: « (le jardin de) Versailles est un exemple sublime d’emboitement des échelles ».

En pensant et agissant ainsi, il a rétabli avec ses élèves une relation esquissée dans les années 1930 à l’ENSH, en s’appuyant sur les travaux du paysagiste J.-C.-N. Forestier mais rompue après la dernière guerre entre le jardin et le paysage, entre la fabrique urbaine et le territoire. Parmi ses élèves, ceux de la Section du paysage qui deviendront enseignants (G. Vexlard, J. Coulon, A. Chemetoff, A. Marguerit, G. Chauvel, J.-P. Clarac entre autres …), et ceux de l’ENSP (M. Desvigne, T. Laverne, J. Osty, M. et C. Pena, F. Gaillard, P. Hannetel, J.-M. L’Anton, B. Tanant, M. Claramunt, A.-S. Bruel, entre autres … ).

Considéré par la profession avec Jacques Simon, Jacques Sgard, P. Dauvergne et Bernard Lassus comme l’un des rénovateurs du métier et de l’enseignement de paysagiste concepteur, Michel Corajoud a illustré l’idée que la contribution des paysagistes à la fabrique urbaine devait être « une forme introductive de l’architecture, qu’il y avait une continuité d’intentions nécessaire entre les bâtiments et les espaces extérieurs qu’ils déterminent »4.

En rompant avec la culture paysagiste d’inspiration horticole, hygiéniste et décorative, il a renouvelé empiriquement la pratique paysagiste, de manière différente de la démarche conceptuelle et plasticienne de B. Lassus et de celle, naturaliste et jardinière, de G. Clément.

En réinventant la notion de paysagisme urbain (comme dans le landscape urbanism), il a rétabli la possibilité des continuités matérielles entre les natures sauvage et jardinée, et l’architecture. Il a évacué la notion urbanistique de verdissement, qui toutefois n’a pas dit son dernier mot aujourd’hui, transition climatique oblige …

En inscrivant cette rénovation de la pensée de la fabrique urbaine dans les projets politiques de l’Etat et des collectivités, il a contribué, avec d’autres, à métamorphoser un métier et à promouvoir une profession aujourd’hui réglementée.

Pierre Donadieu avec le concours de B. Blanchon

Mars 2020


Bibliographie

B. Blanchon, « Les paysagistes français de 1945 à 1975, l’ouverture des espaces urbains », Annales de la recherche urbaine, n° 85, 1999.

B. Blanchon, « Michel Corajoud (né en 1937) », Créateurs de jardins et de paysage en France du XIXe au XXe siècles, (M. Racine édit.), Actes Sud/ENSP, 2002.

B. Blanchon, « Jacques Simon et Michel Corajoud à l’AUA, ou la fondation du paysagisme urbain », in Jean-Louis Cohen, avec V. Grossman, dir., Une architecture de l’engagement : l’ AUA 1960-1985, Paris, Editions Carré, Cité de l’Architecture et du Patrimoine, 2015, p. 214-225.

J.-P. Le Dantec, Le sauvage et le régulier, arts des jardins et paysagisme, Paris, Le Moniteur, 2002, réédition en 2019.

M. Corajoud, Texte pour le jury du Grand Prix de l’urbanisme, 2003. http://corajoudmichel.nerim.net/10-textes/texte-grand-prix/texte-grand-prix.pdf

M. Corajoud, https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Corajoud


Notes

1 https://docplayer.fr/7599621-Etude-de-cas-concrets-michel-corajoud-les-jardins-d-eole.html

2 Dans les années 1960, écrit B. Blanchon (1998, op. cit., p. 57) l’enseignement de la Section qui reste ancré dans la tradition horticole versaillaise est unanimement critiqué : « Nous étions plus ou moins autodidactes, dit J. Sgard, car l’enseignement ne nous a formé ni déformé ; il n’y avait pas vraiment d’école ». La plupart des jeunes paysagistes (J. Camand, J. Sgard, J.-C. Saint-Maurice, I. et M. Bourne) recherche des compléments de formation ou d’information à l’Institut d’urbanisme de Paris (R. Auzelle, H. Prost) ou en Europe du nord.

3 https://fullartcontent.wordpress.com/2013/08/22/lamenagement-des-quais-de-bordeaux-et-son-miroir-deau/

4 Citation de M. Corajoud reprise dans de nombreux commentaires de ses travaux. (extrait de « Michel Corajoud paysagiste », éditions Hartman/ENSP, 2000.)

Jacques Simon

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Jacques Simon

Paysagiste, enseignant et land-artiste

Son parcoursSes réalisationsSes publicationsSes distinctionsSes idées

Jacques Simon est né le 23 décembre 1929 à Dijon et décédé le 29 septembre 2015 à l’âge de 85 ans. Il passe son enfance dans la campagne bourguignonne. Son père est pépiniériste forestier.

Son parcours

Jusqu’à l’âge de 28 ans, il voyage à travers l’Europe, en Suède en particulier, où il travaille dans des exploitations agricoles et horticoles. Il séjourne également au Canada où il suit une formation à l’Ecole des Beaux-arts de Montréal.

De 1957 à 1959, après un premier échec, il est admis à la Section du paysage et de l’art des jardins de l’Ecole nationale supérieure d’Horticulture de Versailles. J. Simon s’y distingue « par des travaux qui sont presque ceux d’un professionnel » précisera le conseil des enseignants. Il est vrai qu’il est le plus âgé de sa promotion et déjà expérimenté. Il travaille en même temps dans des entreprises et des bureaux d’étude, notamment pour les établissements Vilmorin.

À l’issu d’un concours en loge, il reçoit en 1960 le diplôme et le titre de paysagiste DPLG. Il eut comme enseignants l’architecte et paysagiste Théodore Leveau, l’architecte urbaniste René Puget, les ingénieurs en horticulture Albert Audias, Henri Thébaud et Robert Brice, l’historienne des jardins Jeanne Hugueney, entre autres.

Il commence à écrire dès la fin de ses études dans des revues spécialisées : Maison et Jardin, et Urbanisme (rubrique espaces verts). De 1962 à 1982, il devient éditeur de la revue Espaces verts et vulgarise de nombreux travaux de paysagistes français et étrangers pendant une vingtaine d’années (voir ses publications).

De 1961 à 1967, invité par Paul Chemetov qui avait lu ses premiers articles, Jacques Simon collabore avec l’Atelier d’Urbanisme et d’Architecture (AUA). Il travaille avec le jeune Michel Corajoud (il a 27 ans) et l’initie à la pratique de la conception et de la réalisation des « espaces verts ».

En 2003, au moment du Grand prix de l’urbanisme qui lui est remis, Michel Corajoud reconnait le rôle essentiel de son mentor :

«  Peu de temps après mon arrivée dans cette équipe où je travaillais sur des projets de villages de vacances, ma rencontre avec Simon fut fulgurante au point que notre association fut immédiate. Dans l’urgence, j’entre alors dans une nouvelle dimension que je ne quitterai plus : celle du Paysage. Simon est un personnage multiple : Il est un très grand paysagiste dont le travail de cette époque s’apparente à ceux des paysagistes “naturalistes ” allemands dont on voyait les projets dans la revue “Garten und Landschaft”.
Son père étant forestier, il avait acquis très jeune une grande connaissance du milieu vivant, des plantes, des arbres dont il fait des dessins superbes.

Mais il est, aussi et presque également, un photographe-reporter qui voyage beaucoup et rapporte des témoignages précis sur de très grandes villes et leurs banlieues : en Allemagne, en Angleterre et aux États-Unis. Il était, alors, l’éditeur et le rédacteur d’une revue de paysage très éclectique (Espaces Verts), qu’il bricolait lui-même, avec une énergie et une santé considérables. On y voyait, à toutes les pages, des morceaux de ville avec, en situation, des gens qu’il faisait parler en leur dessinant des “bulles”. Il est, encore, un magnifique dessinateur dont les croquis simples mais très précis donnent bien l’idée de la maîtrise qu’il a de l’espace et de sa mesure.

Avec lui, je conforte les expériences acquises sur la question des échelles et des allers et retours qu’il était nécessaire de faire. J’élargis considérablement mon champ : de la minutie des objets, des meubles, des cloisons, de mes premières expériences, aux très grands espaces ouverts qu’il me fait découvrir. Quand nous regardions ensemble un paysage, ses deux mains très expressives et mobiles mettaient, sur l’horizon, chaque chose à sa place.

J’ai appris vite et donc confusément d’abord, l’agencement des divers plans qui organisent les proches et les lointains et qui, de porosités en porosités, en fabriquent les horizons. Simon savait, plus que tous, la mesure qui le sépare de chaque chose, même la plus lointaine. Il tenait ce don de son père qui, du sol, savait évaluer avec précision la taille des plus grands arbres.

Il m’initia au passage qui va de l’espace au temps,… au temps que prennent les choses du milieu pour se constituer, pour se transformer. Je me souviens encore de son excitation au premier débourrement des saules marsault … il y voyait le signe d’un printemps que l’on n’arrêterait plus »1.

Puis, avant la fermeture de la section du Paysage, de 1971 à 1974, il est appelé par le directeur de l’ENSH, E. Le Guelinel, et le paysagiste P. Dauvergne, à enseigner dans les ateliers avec son élève Michel Corajoud. Gilles Vexlard qui était étudiant à cette époque se souvient:

« En prépa ENSH, après un premier trimestre entièrement consacré à suivre des cours avec assiduité et détermination : pédologie, cultures florales, forçage des chrysanthèmes et des lilas, etc. J’étais dans une attente insatisfaite. Les professeurs de l’ENSH étaient tous des sommités dans leur spécialité, on ne pouvait se permettre d’arriver en retard en cours. Or, après Mai 68, nous avions d’autres aspirations. Deux heures d’atelier par semaine étaient trop minces pour me retenir à cette École que j’étais prêt à quitter2  ».

Jacques Simon arrive :

« Un après-midi de janvier, un homme est entré dans les ateliers. Il avait une sacoche en cuir à soufflet comme tous les professeurs de ce temps, et portait une veste américaine d’un vert très lumineux. L’atelier piaillait dans tous les sens comme à chaque retour de vacances : il restait le moment ludique de la semaine. L’homme n’a pas dit un mot. Il a attendu que tout le monde se taise. D’un coup, le silence s’est fait. Alors, il a commencé à parler, plus exactement à chuchoter. Il a juste dit : « Bonjour, je m’appelle Jacques Simon ».

Tout le monde était pendu à ses lèvres. J’ai tout de suite compris – j’avais été éducateur – qu’il savait comment s’y prendre. Il avait des astuces pédagogiques extraordinaires. On l’a pillé d’ailleurs, mais il ne s’en est jamais plaint. Au contraire, il était très partageur. C’était un pédagogue hors pair, dans le sens où il manifestait toujours le désir de tirer le meilleur, sans jugement, sans a priori, de tous ses étudiants. »

J. Simon ne se présentait pas aux étudiants comme un « sachant », mais comme, dirait-on aujourd’hui, un « coach » éclairé :

« En 1972, il avait 43 ans, on lui en donnait 30. Il était d’une fraîcheur redoutable. Il parlait toujours avec ses mains, ça m’a beaucoup marqué. Il ne donnait jamais de leçon : « Le paysage, c’est… » Non ! Il était dans le direct. Il nous engageait à penser et être dans le paysage directement. À nous ensuite de faire notre apprentissage.

Il était dans l’instantané. « Allez, cinq minutes de crobars ! Le plus vite possible ! » Simon est arrivé dans ma vie comme un courant d’air. Il ne donnait jamais de travail précis, jamais d’impératifs. Il nous sollicitait. Il n’était pas dans l’imposition mais dans la suggestion, dans la complicité, dans le non-dit – c’est bien plus efficace ».

Il enseigne également à l’étranger, en particulier à l’université de Pennsylvanie (USA) où il est invité par Ian Mc Harg, professeur de landscape planning, ainsi qu’à la faculté de Montréal.

Il se consacre à la commande des espaces verts des Grands Ensembles immobiliers (ZUP) depuis 1960 jusqu’à la fin des années 1970.Puis il cède ses projets en cours à une jeune coopérative de paysagistes l’API.

Il interviendra de manière irrégulière dans les ateliers de l’ENSP de Versailles créés en 1976 jusqu’au début des années 2000.

 

Ses principales réalisations

1960-1965 : Vigneux-sur-Seine, (avec l’architecte Paul Chemetov)

1965-1966 : ZUP de la Bourgogne (Tourcoing) ; ZUP de Beaulieu (Wattrelos) ; ZUP de la Mare-aux-Curés (Nangis),

1967 : ZUP de la Reyssouze (Bourg-en-Bresse), Bois-Mata, Villeneuve Saint-Georges, ZUP de Provins et des Chatillons,

1967-73 : Le parc Saint-John Perse associé à la ZUP de la Croix-Rouge (DVW architectes) à Reim ; un parc pionnier pour le renouvellement de la pensée paysagiste en France.

Parc Saint John-Perse, collage de J. Simon

1974 : Jeux aux Chatillons et à Croix Rouge (Reims),

1975 : ZUP de Fontenay-sous-Bois et lotissement Saint-Germain-Laval (avec les architectes DVW)

1995-2009 : Le parc de la Deûle à Lille

Maître d’ouvrage : LMCU (Lille Métropole Communauté urbaine),
Conception : architectes-paysagistes : Jacques Simon et JNC International en tant que chef de projet (Jean-Noël Capart et Yves Hubert)
Réalisation, gestion et animation : ENM Espace Naturel Lille Métropole

Le parc de la Deûle3

2002-2004, Le parc Mosaïc à Lille

Maître d’ouvrage : LMCU
Conception : Parcours dessiné par Jacques Simon et JNC International
10 paysagistes et 11 artistes

Réalisation, gestion et animation : Espace Naturel Lille Métropole

Le parc Mosaïc

 

Ses principales publications4

Elles sont concentrées surtout dans les 50 numéros de la revue Espaces verts créés et animés par J. Simon de 1968 à 1982.

Ouvrages et revues

Simon, Jacques.  Allées, escaliers, murets : créations de paysagistes européens.  Paris, La Maison Rustique, 1962.

Simon, Jacques.  L’eau dans le jardin; créations de paysagistes européens.  Paris, Maison Rustique, 1963.
Simon, Jacques. 
 L’art de connaitre les arbres. Paris, Hachette, 1964.
Simon, Jacques. 
 Aménagement des espaces libres.  Saint-Michel-sur-Orge, Espaces verts, 1974-1982.

Simon, Jacques.  300 plans. Saint-Michel-sur-Orge, Espaces verts, 1974.
Simon, Jacques.  
 400 terrains de jeux.  Saint-Michel-sur-Orge, Espaces verts, 1975.
Simon, Jacques. 
 500 croquis.  Saint-Michel-sur-Orge, Espaces verts, 1974.
Simon, Jacques. 
 200 détails.  Saint-Michel-sur-Orge, Espaces verts, 1975.

Simon, Jacques.  Routes plantées.   Saint-Michel-sur-Orge, Espaces verts, 1976.
Simon, Jacques. 
 Arbres pionniers.  Saint-Michel-sur-Orge, Espaces verts, 1976.

Rouard, Marguerite et Jacques Simon.  Espaces de jeux : de la boite à sable au terrain d’aventure. Paris, Editions D. Vincent, 1976.

Simon, Jacques.   Les gens vivent la ville.  Saint-Michel-sur-Orge, Espaces verts, 1976.
Simon, Jacques. 
 Jardins prives et lotissements. Saint-Michel-sur-Orge, Espaces verts, 1977.

Simon, Jacques.  Paysages et loisirs.  Saint-Michel-sur-Orge, Espaces verts, 1978.
Simon, Jacques. 
 Guide technique illustré des chantiers d’espaces verts. Saint-Michel-sur-Orge, Espaces verts, 1979.
Simon, Jacques
 Basic design.  Saint-Michel-sur-Orge, Espaces verts, 1980.

Simon, Jacques.  Croquis perspectifs des architectes paysagistes.  Saint-Michel-sur-Orge, Espaces verts, 1980.

Simon, Jacques.   Murs et sols.  Saint-Michel-sur-Orge, Espaces verts, 1981.
Simon, Jacques. 
 Les parcs actuels. Saint-Michel-sur-Orge, Espaces verts, 1981.

Simon, Jacques.  Pergolas et palissades.  Saint-Michel-sur-Orge, Espaces verts,1982.
Simon, Jacques. 
 Guide des détails d’aménagements extérieurs, 1987.
Simon, Jacques. 
 Jacques Simon, tous azimuts: sur les chemins, de la terre, du ciel, du
paysage.  Paris, Pandora éditions, 1991.


Articles

Canogar, Susana.  “Figuras del paisaje: siete visiones contemporaneas del espacio abierto.” Arquitectura viva1997 Mar.-Apr., n.53, pp.21-31, avec des photos de  Jacques Simon

Attias, Laurie.  “Green thought.”  Metropolis, 1996, v.16, n.1, pp.78-81, 83.  The Festival des Jardins, a landscape exhibition near Paris.
Features gardens by Jacques Simon, Gail Wittwer, and Pierre  Culot Simon, Jacques. ” Die Strasse als Linie, die Landschaft als Schrift/ The road as a line, the landscape as script.”
 Topos: European landscape magazine, 1996, juin, n°15, pp.100-106.

Pousse, Jean-Francois.  “Le paysage, sans cesse:  entretien avec Jacques Simon” [interview].  Techniques et architecture, 1992, n° 403, pp.92-93.   . 

Simon, Jacques.  “Fragmente und Impressionen.” Garten und Landschaft1988, v.98, n°4, pp.43-46.   Drawings by Jacques Simon, of the River Doubs area, between the Rhine and the Rhone

“Jacques Simon, paysagiste.”  Architecture d’aujourd’hui. 1981, déc., n° 218, p.6-7. 

“The surprising, sculptured, quickset terrain of Jacques Simon.” Landscape architecture1977 January, v.67, n.1, p.[47]-55.  

Simon, Jacques.  “Fountains in the landscape.”   Landscape architecture. July 1962, vol. 52:4, pp. 241-243.
 

Ses distinctions

1990 : Premier Grand Prix du Paysage du ministère de l’Environnement

« Le jury a entendu distinguer un paysagiste particulièrement inventif qui a joué un rôle important pour le renouvellement de l’approche des problèmes de paysage et su attirer l’attention de toute une génération de professionnels par ses nombreuses publications. Par ses réalisations, en particulier le parc St-John-Perse à Reims, il a apporté de nouvelles réponses à la conception des espaces urbains et créé un nouveau langage paysager fait de sobriété ». Ministère de l’Environnement.

2006 : Grand prix national du paysage : Le parc de la Deûle à Lille avec JNC INTERNATIONAL SA (Jean-Noël Capart, Yves Hubert).

« Entres autres qualités, le parc est un espace public multifonctionnel : Protection de l’eau grâce aux zones humides reconstituées ; Opportunité d’agriculture périurbaine de qualité (il existait déjà un pôle d’agriculture biologique à Wavrin) ; Réseau de corridors biologiques, trame verte contribuant à diminuer la fragmentation écopaysagère ; Éducation à l’environnement et au développement durable (visites guidées, sentiers de découverte, observatoires..) ; Vitrine architecturale : D’anciennes écuries ont été restaurées selon les standards de la HQE (Haute qualité environnementale) et une ancienne ferme transformée en Centre d’initiation à l’environnement (également HQE). » Wikipedia.

2009 : Prix du Paysage du Conseil de l’Europe pour le parc de la Deûle à Lille.

Ses idées

Expérimenter une nouvelle pédagogie d’ateliers

Pour concevoir les projets, J. Simon mettait en avant l’expérimentation et l’inventivité de chacun. Lors de son premier cours, les étudiants, et G. Vexlard en particulier, n’en revenaient pas :

« Jacques Simon a commencé ce cours en nous disant : « C’est le petit matin, vous êtes dans un sac de couchage, en septembre, dehors. L’herbe croustille, vous hésitez à sortir. Devant vous, il y a des rails de chemin de fer qui luisent dans la brume… Continuez l’histoire… » J’étais stupéfait : c’était exactement ce que j’avais vécu pendant ces vacances dans mon moulin aux premières gelées. Ce prof me racontait ce que j’avais ressenti quelques semaines auparavant en me levant tous les jours à cinq heures du matin pour aller faire mes premières gâchées de béton ou le faucardage de l’étang. Voilà la personne que j’attendais, la personne qui savait me parler du paysage. Je lui dois de ne pas avoir quitté cette école, son premier cours m’a permis de comprendre ce que j’étais venu chercher à Versailles ».GV.

Dans l’atelier, il savait se mettre en scène et s’imposer aux étudiants plus par la parole (ou le silence) que par le dessin :

« Plus que le dessin, l’outil pédagogique de Simon était la parole. Il ne mettait jamais son dessin en avant. Il nous parlait des paysages qu’il avait rencontrés et, par le biais d’un récit, il mettait l’étudiant en situation. C’était toujours comme ça qu’il lançait un projet, avec entrain et enthousiasme. Il aimait mettre en scène la pédagogie. Il arrivait par exemple devant la table d’un étudiant et il arrêtait de parler. Il ne disait plus un mot. L’étudiant perdait ses nerfs. Ainsi il laissait « se planter » le jobard ou mettait en avant le timide ; sans humiliation, avec le talent d’un grand réalisateur. » GV.

Inventer l’autonomie de la pensée paysagiste

J. Simon était un homme modeste et engagé, non dans l’action politique, mais dans l’invention d’un langage propre des paysagistes, inspiré par l’expérience du corps et de l’esprit dans les sites à aménager :

« Si on sent bien ses orientations humaines, je ne sais pas quelles étaient ses orientations politiques, il n’en faisait jamais état. Ce n’était pas un vantard. C’était même un grand timide qui a passé sa vie à essayer de se dépasser. Ce qui est sûr, c’est qu’il était profondément humaniste. Un humaniste contemporain. Il ne s’est jamais comporté comme une star alors qu’il avait une immense culture. Toujours sur la réserve, très pudique, mais en même temps un excellent metteur en scène, un acteur flamboyant.

Son engagement pour l’indépendance du paysage dans le projet avec un vocabulaire et une esthétique propres lui permettait un débat tonique avec les autres disciplines de l’aménagement : architectes, urbanistes ou artistes. Son expertise efficace donnait un sens précurseur dans l’élaboration des projets contemporains (…) Il s’intéressait au cinéma (il avait rencontré Jean Rouch), à la musique, à la littérature où les grands voyageurs avaient bonne place – Joseph Kessel, Jack London. Il disait souvent : « Le paysage se fait avec les pieds ». GV.

Quelques idées de formes, Espace Verts 5

En ce sens J. Simon était un visionnaire qui a inspiré l’évolution de la profession au-delà des métiers de l’architecture des jardins, vers l’urbanisme autant que le land art.

« Le travail de Simon nous entraîne par la séduction du paysage vers une nouvelle vision du monde. Simon est un homme du futur, un visionnaire. Son futur est aujourd’hui devenu réalité. Simon nous rappelle également que du projet de paysage doit surgir de l’émotion, la sensibilité, la liberté de conception. Simon lui-même est un grand émotif, émotion qu’il masque derrière sa vivacité et sa fulgurance. L’écriture du paysage doit prendre le pas sur la lecture… et Simon, c’est des pages et des pages de romans. » G.V.

Inventer un paysagisme avant-gardiste

J. Simon était un provocateur éclairé, critique ironique de la fabrique urbaine des années 60 et 70, que les jeunes générations de paysagistes ont pris au sérieux. Il a imposé une vision globale des territoires et de leurs paysages, qui n’existait pas, et dont les paysagistes ont su tirer parti pour l’imposer à l’architecture et à l’urbanisme réglementaire.

« A l’époque se souvient J. Simon, le discours de l’architecte, c’était demander au paysagiste du gazon et des arbustes afin de laisser voir l’architecture » (…) « (La mutation des pratiques) va se faire avec l’objectif affiché de « faire campagne, de trouver des liens entre le bâti et le milieu champêtre ».6

Aménagement des espaces libres, fascicule 7 : « Les gens vivent la ville », 19767

« Provocateur, dans les photomontages du Détournement des grands paysages il casse les échelles et les distances qui séparent les choses et nous révèle le rythme interne du paysage. Il est le premier à montrer l’esthétique de la catastrophe, à promouvoir l’inattendu et à travailler le contraste comme stimulant à la conception. ». GV.

L’art de la topo-graphie

J. Simon va à l’essentiel pour ouvrir l’espace à proximité des grands ensembles. Il se concentre sur le relief, bannit les fleurs et réduit le choix des arbres à quelques espèces rustiques plantées très denses et très jeunes. Le règne séculaire du pittoresque végétal exotique est aboli.

« Une maîtrise parfaite de l’échelle et des moyens d’action, conjuguée à un sens inné de la topographie lui font travailler le terrain comme une ressource fondamentale dans la construction économique du projet. Récupérer les terres des fouilles des bâtiments, associer les conducteurs de bulldozer à une sensibilité plastique, développée par le sens de la pente, de l’exposition, du jaillissement végétal. Aller à l’essentiel, au minimum pour désencombrer les fioritures de l’aménagement au bénéfice du paysage. « Tu ne plantes que trois espèces d’arbres, et encore il y en a deux de trop ! ». GV

Le land artiste

« Dès 1955, il peint en bleu vif 320 troncs de peupliers trembles à 300 km au nord de Chicoutimi au Québec. Et il récidive en 1964 – en faisant apparaître sur la pelouse du Champ de Mars à Paris un cercle de 35 mètres de diamètre, formé d’herbe haute et drue, obtenu grâce au versement d’azote liquide sur ce cercle.

Ces deux performances in situ servant de préambules à quantité d’interventions paysagistes éphémères. Par exemple le fameux et gigantesque (12000 mètres carrés) Drapeau de l’Europe réalisé à Turny (village bourguignon où habite fréquemment J. Simon) en 1990 en plantant des graines de bleuets et de soucis, puis en luttant pied à pied contre un étouffement possible des seconds par les premiers, avant d’enrayer une “insolente colonisation d’un tapis d’amarantes”.8

Avec les agriculteurs, le paysagiste réalise des installations paysagères éphémères et visibles du ciel principalement dans des champs de céréales ou de prairies. Il invente des paysages agricoles nouveaux, non du point de vue des paysans mais avec son regard et ses outils d’artiste.

Labyrinthe, J. Simon,

 

Pour conclure

Jacques Simon a inventé et fondé la possibilité d’une rénovation durable de la pensée et de la pratique paysagiste en France. Comme concepteur et réalisateur de projets, comme journaliste, enseignant et land artiste, il a contribué avec M. Corajoud à former la première génération des nouveaux paysagistes, celle de la Section du paysage de l’ENSH, puis la seconde, celle de l’ENSP où il est intervenu sporadiquement.

Pour lui, comme pour tous les paysagistes qui se sont inspirés de son œuvre, l’action, le projet de paysage sont des outils de connaissance qui ont été capitalisés par cette profession renouvelée. À ce titre, ils ont rejoint les scientifiques qui cherchent à connaitre pour agir, mais la connaissance pratique des paysagistes n’a pas recours aux méthodes de la science.

Pierre Donadieu

Mars 2020


Bibliographie

B. Blanchon, « Jacques Simon », in Créateurs de jardins et de paysage (M. Racine édit.), Arles Actes Sud/ENSP Versailles, 2002, Vol. 2, 269-271.

B. Blanchon, « Jacques Simon et Michel Corajoud à l’AUA, ou la fondation du paysagisme urbain », in Jean-Louis Cohen, avec V. Grossman, dir., Une architecture de l’engagement : l’ AUA 1960-1985, Paris, Editions Carré, Cité de l’Architecture et du Patrimoine, 2015, p. 214-225.

G. GIORGI et T. CÔME, Strabic.fr, publié le premier décembre 2015, URL : http://strabic.fr/Jacques-Simon-Gilles-Vexlard

JP. Le Dantec, « Jacques Simon et le retournement de la fin des années 1960 », in Le Sauvage et le Régulier, Paris, le Moniteur, 2002, 199-207.


2 « Bonjour, je m’appelle Jacques Simon. Grand entretien avec Gilles Vexlard », propos recueillis par Giulio GIORGI et Tony CÔME, Strabic.fr, publié le premier décembre 2015, URL : http://strabic.fr/Jacques-Simon-Gilles-Vexlard

4 http://turny.chez.com/A0archives/jacques_simon_architecte.htm, compiled by Desiree Goodwin, Reference Assistant, February 25, 1998.

5 Giorgi, Côme, op cit.

6 J.-P. Le Dantec, op. cit., p. 201

7 Giorgi, Côme, op cit.

8 JP. Le Dantec, « Jacques Simon et le retournement de la fin des années 1960 », in Le Sauvage et le Régulier Paris le Moniteur, 2002, 199-207.

Pierre Donadieu

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Pierre Donadieu

Botaniste, géographe, historien : enseignant et chercheur

Son parcoursses publicationsses distinctionsses idées

Pierre Donadieu est né le 3 février 1945 à Louzy (Deux-Sévres). Il passe son enfance dans la campagne des Marches picto-angevines.

Son parcours

Le lycée (1956-1965)

De 1956 à 1965, il fait ses études au lycée Henri IV à Poitiers et s’oriente vers le métier d’agronome :

« Dans les premières années du lycée, je pensais au métier d’agronome mais sans savoir ce que signifiait exactement ce mot. Peut-être une sorte de super agriculteur sans les travaux des champs que je n’appréciais pas du tout dans la ferme familiale ? »1.

Ayant été admis dans les classes préparatoires aux grandes écoles (en section Agro), l’idée de devenir paysagiste apparait mystérieusement :

« Une idée me trottait derrière la tête depuis le début des classes prépas : devenir paysagiste, sans renoncer à être agronome. Non pour seulement dessiner et réaliser des jardins mais pour m’occuper également des paysages. Comment et pourquoi ? Je n’en savais rien mais cette curieuse intuition se révéla juste. La seule école qui semblait apporter cette compétence était l’École d’horticulture de Versailles qui offrait une spécialité Paysage et Art des jardins. Cette motivation reste pour moi obscure car je ne connaissais aucun paysagiste, mais en revanche je réussissais très bien en géographie. En outre j’adorais la botanique et commençais à savoir mettre des noms sur les arbres, les fleurs et les herbes. En réalisant mon premier herbier avec des récoltes botaniques à Louzy, je préparais sans le savoir ma carrière de botaniste et de phytogéographe. »

L’École nationale supérieure d’horticulture de Versailles (1965-1968)

Après avoir démissionné de l’École d’agronomie de Grignon où il était admis, il entre à l’ENSH pour obtenir son diplôme d’ingénieur horticole et suivre les enseignements de la Section du paysage, comme son voisin de table Gilles Clément :

« Mon premier voisin de table, à ma gauche sur la paillasse, dans la salle de travaux pratiques du bâtiment des Suisses, s’appelle Gilles Clément. Lui aussi a démissionné d’une école d’agronomie, celle de Rennes où il était reçu. Il veut devenir paysagiste et y parviendra avec succès. »

P. Donadieu renonce à suivre la Section et se prépare à l’INRA à une carrière dans les services de Protection des végétaux :

« Le printemps 1968 arriva. C’était ma troisième année d’école. La révolte grondait dans les milieux étudiants. J’étais en stage à l’Institut national de la recherche agronomique de Versailles dans un laboratoire de virologie, car j’avais décidé de ne pas m’inscrire dans la section de paysagiste. J’avais trouvé deux bonnes raisons : l’état de l’enseignement du paysage était, de mon point de vue, assez lamentable (pas ou peu d’enseignants permanents, des enseignants et des étudiants en grève, des ateliers souvent vides…), et surtout il fallait que je trouve un emploi rémunéré dès la sortie. »

La période dijonnaise (1968-1971)

Par concours, il entre à l’École nationale des sciences agronomiques appliquées de Dijon une jeune école de fonctionnaires qui formait les cadres des services agricoles ainsi que les enseignants des établissements d’enseignement secondaire agricole. Il y reste un an en suivant une formation à la faculté de droit, puis s’inscrit l’année suivante à l’université de Montpellier pour obtenir un diplôme d’études approfondies en écologie. Il y fait l’apprentissage de la recherche scientifique auprès des chercheurs du Centre d’études phytosociologiques et écologiques du CNRS.

« L’enseignement, placé sous la direction des botanistes et phytosociologues Louis Emberger et Charles Sauvage, transmet les méthodes informatiques nouvelles mises au point par les chercheurs Michel Godron et Gilbert Long. J’entre dans une grande famille scientifique qui m’ouvre les portes d’un nouveau domaine auquel Jacques Montégut m’avait initié. Elle partage l’idée que la plante spontanée informait sur les propriétés et la dynamique des milieux. Cartographier les formations végétales de pays connus ou inconnus revenait à informer sur les potentialités d’usage des terres : forestières, pastorales, agricoles ».

En 1970, il est admis à un poste de chef de travaux en écologie prairiale qui s’ouvre à l’École des ingénieurs des travaux agricoles de Dijon-Quetigny. Il ne rencontre pas J. Sgard et B. Lassus qui travaillent dans la ville nouvelle… Puis il part en coopération militaire en Algérie.

Les moment algériens (1971-73) et marocains (1973-1977)

Il est affecté à l’Institut agronomique d’El Harrach à Alger pour enseigner la botanique et l’écologie végétale. Avec D. Chessel de l’Université de Lyon, il commence et publie ses premières recherches sur la structure des végétations steppiques des hauts plateaux algériens en même temps qu’il se consacre avec une équipe de la FAO à la cartographie de la végétation dans la région des Aurès.

« Quelles que soient les saisons, nous parcourons les steppes glaciales ou torrides, en land rover en général, les montagnes hérissées de genévriers ou de chênes verts, les lacs salés, les pâturages d’armoise, les nappes alfatières, les maigres cultures d’orge parsemées de mechtas… Je m’associe à eux pour réaliser une superbe carte de la végétation de la région des monts du Hodna, entre Biskra, Bou Saada et Batna dans les Aurès, ainsi que le rapport descriptif qui l’accompagne. On évaluait la valeur fourragère des parcours sur des bases très empiriques. Les expériences tunisiennes et soviétiques nous servaient de référence. ».

Puis il est recruté comme pastoraliste, écologue et bioclimatologue à l’Institut national agronomique et vétérinaire Hassan II de Rabat en tant que coopérant civil.

« J’entreprends des travaux de bioclimatologie et de phytogéographie qui précisent la répartition de la flore et de la végétation au Maroc, puis sur l’ensemble du Maghreb. J’en tirerai une belle carte synthétique de la végétation marocaine, trop empirique pour être validée par les scientifiques, mais qui sera publiée en 1978 par les services de cartographie de Rabat. Après la conquête pacifique du Sahara espagnol par la monarchie marocaine, la Marche verte de 1977, il me sera demandé de l’étendre jusqu’à la Mauritanie, régions que je ne connaissais pas. Je le fis, sans trop de scrupules, à partir des travaux du botaniste Pierre Quézel. »

Avec l’agronome A. Bourbouze et l’éthnologue A. Hammoudi, il participe à un nouveau type de recherche-action sur le développement de la vallée de l’Azzaden dans le Haut-Atlas au sud de Marrakech2.

« Nous avions la conviction de participer à des pratiques innovantes. L’étude de la vallée de l’Azzaden était pour moi semblable à une étude d’écologie systémique dont j’avais lu un exemple en Tunisie aride. Je traduisis cette interprétation par une étude des valeurs des parcours et un grand tableau écosystémique qui tenait davantage du schéma de câblage électrique ! J’en étais très fier puisqu’il fut publié et que je le montrerai quelques années plus tard au géographe Olivier Dollfus qui allait devenir mon directeur de thèse de doctorat à Paris. »

L’enseignement d’écologie à l’École nationale supérieure du paysage de Versailles (1977-1986)

De la même façon que M. Rumelhart un an auparavant en Algérie, P. Donadieu est recruté à l’ENSP par J. Montégut qu’il avait invité à des excursions botaniques au Maroc. Ils sont chargés de la mise en place du département d’écologie et du laboratoire du même nom. Dans ce cadre, ils enseignent la botanique en première année, la phytoécologie et l’écologie urbaine en 2ème et 3ème année.

Participant avec les paysagistes aux grands concours de parcs publics de cette période (Le Sausset, Les Tuileries, La Villette …), ils partagent leurs services entre l’agence de M. et C. Corajoud (pour M. Rumelhart), et celle de Bernard Lassus (pour Pierre Donadieu).

Parallèlement, P. Donadieu poursuit ses activités de pastoraliste pour la FAO et des sociétés d’étude, et enseigne au Maroc jusqu’en 1990.

En 1986, il cède la direction du département d’écologie à M. Rumelhart devenu maitre de conférences en « écologie appliquée au projet de paysage ». Il passe alors un an au Centre International des Hautes études méditerranéennes de Montpellier, puis revient en 1988 à l’ENSP où l’École lui confie l’organisation des Ateliers régionaux de quatrième année qu’il assure avec B. Follea jusqu’en 1996.

«  R. Chaux me confie la mise en place de deux nouvelles structures de l’école : les ateliers pédagogiques régionaux de quatrième année, et le département de sciences humaines et sociales. J’ai quarante-deux ans et vais me tourner vers une nouvelle activité pédagogique et de recherche à laquelle je me prépare depuis quelques années. À cela s’ajoute ma contribution à la revue de l’école, Paysage et Aménagement, en tant que membre du comité de rédaction. Je vais quitter progressivement le monde scientifique de l’écologie et du pastoralisme pour entrer dans le champ des Landscape studies comme disent les chercheurs américains et anglais que je lis beaucoup. ».

La « Mouvance » (1989- 2008)

De retour à l’ENSP, P. Donadieu est associé en 1989 à la création du DEA « Jardins, Paysages, Territoires » à l’École nationale d’architecture de Paris-la-Villette avec B. Lassus et A. Berque. Il y crée des enseignements différents de ceux du département d’écologie de l’ENSP, fondés sur les nombreuses publications universitaires de cette période. Elles concernent à la fois les idées de paysage chez les géographes (R. et P. Brunet, Y. Lacoste … ), et chez les agronomes (J.-P. Deffontaines et l’INRA-SAD), autant que les travaux de recherche en cours (le paysagisme montagnard de B. Fischesser et H. Lambert au CTGREF de Grenoble par exemple).

« Après son départ de l’ENSP, B. Lassus, qui est professeur titulaire à l’École d’architecture de Paris-la-Villette, rassemble un cercle international d’universitaires et de praticiens qui ont déjà acquis une notoriété dans le domaine du paysage et des jardins : l’historien des jardins John Dixon Hunt (USA), le critique d’art anglais Stephen Bann, l’esthéticien du paysage Alain Roger, le géographe, spécialiste du Japon, Augustin Berque, le haut fonctionnaire du ministère de l’Environnement Alain Chabason, le polytechnicien, sociologue et historien des jardins, Michel Conan, … et moi. ».

Avec Hypothèses pour une troisième nature en 1987 (B. Lassus édit.), Cinq hypothèses pour une théorie du paysage en 1995 (A. Berque édit.), La Théorie du paysage (A. Roger édit.) en 1998, Mouvance II, soixante-dix mots pour le paysage (A. Berque édit.) en 2006, il découvre l’intérêt des manifestes : des proclamations d’idées nouvelles qui engagent un collectif ou une personne. Il se retrouve engagé dans une aventure intellectuelle que A. Berque appellera plus tard La Mouvance. Autrement dit un domaine d’idées et de pratiques changeant ou non au gré des influences subies, une auberge espagnole où chacun apporte son savoir et ses intérêts. Et les défend avec ou sans concession.

Grâce à cette formation doctorale, qui sera dirigée à partir du départ de B. Lassus en retraite en 1999 par Y. Luginbühl, agrogéographe, directeur de recherche au CNRS, il s’oriente vers l’encadrement de thèses de doctorat en « sciences et architecture du paysage » avec l’école doctorale ABIES d’AgroParisTech.

« Le DEA cesse son activité en 2008. Nous avons formé environ 600 étudiants aux concepts et méthodes de la recherche en paysage. Une centaine, français et étrangers, ont pu ensuite préparer une thèse de doctorat et accéder aux métiers de l’enseignement et de la recherche. À cette formation pionnière succèdent plusieurs cursus identiques dans les écoles d’architectes et de concepteurs paysagistes en France et à l’étranger. »

La recherche et la formation doctorale à Versailles (1993-2018)

En 1993 et 1997, il soutient une thèse de doctorat en géographie sous la direction de Olivier Dollfus, puis une habilitation à diriger des recherches à l’université Paris VII. Il devient professeur titulaire affecté à l’ENSP en 1995.

Après la délocalisation de l’ENSH à Angers en 1993, l’ENSP a besoin d’enseignants titulaires et d’un laboratoire de recherches. Celui-ci est créé la même année par P. Donadieu et l’agronome A. Fleury (professeur titulaire issu de l’ENSH), qui deviendra enseignant d’agriculture urbaine à l’ENSP.

« La création du laboratoire de recherches se fit difficilement. Une partie des enseignants paysagistes de l’école, qui avaient leurs propres agences et bureaux d’études n’était pas favorable à la mise en place d’un laboratoire de recherche et d’une formation doctorale. La tutelle l’exigeait dans toutes ses écoles. Mes collègues craignaient d’être évincés de leur enseignement par de jeunes docteurs. Ils n’avaient pas envisagé que certains de leurs élèves paysagistes deviendraient plus tard enseignants avec un doctorat … »

En 2006, il crée le master Théories et démarches du projet de paysage avec l’Université Paris 1, Panthéon Sorbonne et AgroParisTech. L’essentiel de ses doctorants seront inscrits dans l’école doctorale ABIES.

Il enseigne également en Tunisie (Institut national agronomique de Chott Mariem), au Liban et donne de nombreuses conférences dans les écoles d’architecture en Europe (Italie, Suisse, Portugal), en Russie, en Amérique du sud (Argentine, Brésil) et en Asie (Chine, Viet-Nam).

En 2008, avec Catherine Chomarat, philosophe et historienne des jardins, qui lui a succédé à la direction du LAREP, il créé la revue électronique Projets de paysage destiné aux jeunes chercheurs.

En 2011, il fait valoir ses droits à la retraite, et poursuit son activité comme professeur émérite et chercheur associé au sein du LAREP.

Distinctions

Prix de l’Académie des sciences morales et politiques pour l’ouvrage collectif Paysages de Marais (1996), éd. J.-P. de Monza.

Professeur invité à l’Université de Sousse (Tunisie) (2005-2008)

Officier des Palmes académiques (2008)

Membre titulaire de l’Académie d’Agriculture de France, section environnement et territoire, (2015).

Professeur émérite à l’ENSP de Versailles-Marseille (2011-2017)

Ses principales publications

1970-1980

Le Houerou, J. Claudin, Donadieu P., Etude phytoécologique et pastoraliste du Bassin du Hodna (Algérie), FAO, Rome, 1971-72

Jacquard P., Poissonet P., P. Donadieu, A. Trouvat, A. Gallais, “Relations between diversity and stability in experimental plants system”, Communication Proc. 1st Congress of ecology, 1974.

Donadieu P., D. Chessel et al.,1. « Introduction à l’étude de la structure végétale en milieu steppique, Echantillonnage systématique », Oecologia Plantarum, 1975-77

Donadieu P. et al. La vallée de l’Azzaden (étude de la végétation des parcours), Institut agronomique et vétérinaire Hassan II, Rabat, 1975,

Donadieu P., D. Chessel et al, 2. « Introduction à l’étude de la structure végétale en milieu steppique, Traitement systématique », Oecologia Plantarum, 1975-77,

Donadieu P., Chessel D. et al 3., « Introduction à l’étude de la structure végétale en milieu steppique, dispersion locale », Oecologia Plantarum, 1975-77

Donadieu P., L’écosystème montagnard de la Vallée de l’Azzaden (Haut Atlas de Marrakech), plan de l’écosystème, IAV Hassan II, Rabat, 1977.

Donadieu P., Bioclimatologie et phytogéographie de la région méditerranéenne française, 1979, ENSP, Versailles.

1980-1990

Donadieu P, « L’itinéraire paysager de B. Lassus », P& A, n°3, 1985,

Donadieu P. « Gérer le paysage littoral », P&A, n°5, 1985,

Donadieu P. 1/Géographie et écologie des végétations pastorales 2/Méthode d’étude des végétations pastorales, 3/ La production fourragère des parcours méditerranéens, 3 tomes, ENSP/IAV Hassan II, Rabat, 1985,

Donadieu P. « Repérage géographique de la rusticité thermique », Revue horticole, n° 272 1986,

Donadieu P. « Paysage et aménagement de l’espace », in Lectures du paysage, INRAP, 1986,

Donadieu P. Dossier B. Fischesser, « Quinze ans de paysagisme au service de la montagne et de la forêt, A travers les mots, le pouvoir des mots », P&A, n°11, 1987,

Donadieu P. et A. Bourbouze, « L’élevage sur parcours en régions méditerranéennes », Options Méditerranéennes, novembre 1987, 104 p.

Donadieu P. Dossier : « Des paysages sans paysans », P& A n° 107 (dans Paysages-Actualités), 1989,

Donadieu P., Bourbouze A. et Herzenni A., « La gestion de l’espace rural dans le Haut atlas marocain », in P&A , n° 128, 1990,

1991-2000

Donadieu P. et Bertin J., « Les sanctuaires de nature (le spectacle de la nature dans le golfe du Morbihan), P&A n ° 19, 1991,

Donadieu P., « Le projet de paysage , un outil de négociation », Cahier de l’IAURIF n° 106, 1996,

Donadieu P., « Paysages européens protégés, zones naturelles et sites historiques », P&A n° 23, 1993,

Donadieu P. Du désir de patrimoine aux territoires de projets, paysage et gestion conservatoire des milieux humides protégés : le cas des réserves naturelles du plateau de Versailles-Rambouillet et de quelques marais de l’Ouest, thèse de doctorat en géographie, Université Paris 7, 1993,

Donadieu P., « La paludiculture au pays des grenouilles bleues », in Bull. de l’association des géographes français, 3, 1994.

Donadieu P., « Experts et expertise sociale, le cas des autoroutes », in Autoroutes et paysages, C. Leyrit et B. Lassus (édit.), Paris, Demi-Cercle, 1994,

Donadieu, « Pour une conservation inventive des paysages », in La théorie du paysage, A.Roger dir., 1995, et Cinq propositions pour une théorie du paysage A. Berque dir., 1994,

 

 

 

 

 

Donadieu P., « L’espace agricole et les limites de la ville », in CR de l’Académie d’Agriculture de France, V. 82, n°4, 1996,

 

Donadieu P., (dir.), Paysages de marais, Paris, De Monza, 1996

 

 

 

 

Donadieu P. et Fraval A., «Des agronomes devant le paysage », P&A n° 33, 1996

Donadieu P., et G. Dalla Santa, Campagnes urbaines, Actes sud/ENSP, 1998

 

 

 

 

Donadieu P., « Du désir de campagne à l’art du paysagiste », in L’Espace géographique, 3, 1998.

Donadieu P., «Beyrouth ou la mémoire des pins », Les Carnets du paysage, n° 4, 1999.

2000-2010

Donadieu P., « Nature jardinée, nature sauvage », in Nature vive, Muséum national d’histoire naturelle, Paris, 2000,

Donadieu P., La société paysagiste, Actes sud/ENSP, 2000,

 

 

 

 

 

 

Donadieu P. avec J. Mahaud, « les paysages du Morbihan vus par les artistes », Revue forestière française,n°3, 2000,

Donadieu P., « Les campagnes européennes, tendance début de siècle, de l’agraire au paysage », in Danger d’Europe, Europe en danger (G. Bossuat édit.,), 2001

Donadieu P. et E. de Boissieu, Des mots de paysage et de jardin, Educagri, Dijon, 2002

 

 

 

 

Donadieu P. « Les références en écologie de la restauration », Rev. Ecologie, supp. 9, 2002,

Donadieu P. et Bouraoui M., La formation des cadres paysagistes en France par le ministère de l’Agriculture (1874-2000), Rapport de recherche ENSP/LAREP, 2003,

Donadieu P. et Fleury A., « Les jardiniers restaurent notre monde », Les Carnets du paysage n°9-10, 2003,

Donadieu P. et M. Périgord, Clés pour le paysage, Ophrys, 2005

 

 

 

 

 

Donadieu P., Campagne urbane, Donzelli, introduction de M. V. Minini, 2006.

Donadieu P, In Mouvance, soixante-dix mots pour le paysage, A. Berque et al. édit, Ed. La Villette, 2006

 

 

 

 

 

 

Donadieu P., « Les Bois parisiens », in Paris, Atlas de la nature, APUR, 2006

Donadieu P., « Le paysage, les paysagistes et le développement durable, quelles perspectives ?, » in Economie rurale, n° 297-298, 2007,

Donadieu P. et M. Périgord, Le paysage, entre nature et culture, Armand Colin, 2007,

 

 

 

 

 

Donadieu P, Küster B., Milani R. (dir), La cultura del paesaggio in Europa, tra storia, arte et natura ; Manuele di teoria e pratica, Olschki, 2008,

Donadieu P., Abrégé de géomédiation paysagiste, Tunis, Imprimerie nationale, 2009,

Donadieu, Les paysagistes ou les métamorphoses du jardinier, Actes sud, 2009.

 

 

 

 

 

 

 

2011 …

Donadieu P., avec Sonia Fradi et Hichem Rejeb, L’avenir du vieux village de Takrouna (Tunisie) : ruines ou emblème de la nouvelle villégiature du Sahel ?
publié dans Projets de paysage le 18/07/2010

Donadieu, P. et J. Chroniques paysagistes de deux rives de la Méditerranée, 2011, Tunis, (anglais/français)

Donadieu P., Sciences du paysage, Paris, Lavoisier, 2012

 

 

 

 

 

 

Donadieu P., Le village inventé, fable réaliste, éditions Persée, 2013,

Donadieu P. avec D. Labat, « Le paysage levier d’action dans la planification territoriale » L’espace géographique, n° 1, tome 42, 2013,

Donadieu P., Paysages en commun, Presses universitaires de Valenciennes, 2014,

 

 

 

 

 

Donadieu P., « Contribution à une science de la conception des projets de paysage », in Paysage en projets, (Chomarat-Ruiz C. dir.), Presses Universitaires de Valenciennes, 2016,

Donadieu P., « Les biosols, une condition de la résilience urbaine », in Ressources urbaines latentes, (D. Arienzo et al. dir.), 2016,

Donadieu, P., Girard, Rémy, E., « Les sols peuvent-ils devenir des biens communs ? ». Natures Sciences Sociétés, 2016, 24, p. 261-279.

Donadieu P., « Le paysage à l’Académie d’agriculture de France, de l’esthétique à la biodiversité », in Questions d’environnement et d’agriculture, L’Harmattan, 2017,

Donadieu P., « Les sols en tant que communs territoriaux, un point de vue paysagiste », (chap 7) in Les sols au cœur de la zone critique, enjeux de société (Dhérissard dir), V. 6, Académie d’agriculture de France, 2018 ,

Donadieu P., « Un point de vue mésologique », Les sols au cœur de la zone critique (Berthelin et al, dir), Vol 2, Académie d’agriculture de France, 2018,

P. Donadieu et al, Le paysage en douze questions, et Qu’est-ce que le paysage ? Académie d’Agriculture de France, www.topia.fr, 2018,

Donadieu P., « Les paysages du Genevois français », CAUE Haute Savoie, in Prises de vue Métis Press, 2019.

Donadieu P. Histoire de l’enseignement à l’ENSP de Versailles, depuis 2018. https://topia.fr/2018/03/27/histoire-de-lensp-2/

Ses idées

La carrière de P. Donadieu n’est pas celle d’un formateur de paysagistes concepteurs à la manière de M. Rumelhart avec lequel il a enseigné pendant une dizaine d’années. Elle est plutôt celle d’un chercheur enseignant qui a transmis à ses étudiants de DEA, de master et de doctorat, un métier (des méthodes de chercheur) appris précocement. Il a exploré des domaines apparemment très différents, mais avec un dénominateur commun, l’intérêt porté à la connaissance de l’espace, tant du point de vue de ses potentialités écologiques et de ses usages sociaux que de son aptitude à être modifiée par des projets de paysage ou de jardin.

Deux questions ont été pour lui constantes, sans réponses définitives : quelles connaissances doit-on transmettre aux étudiants (agronomes, paysagistes, architectes) et pour quels usages ? Comment les créer ?

Deux polarités épistémiques se sont succédées et superposées sans vraiment interférer. L’une de 1970 à 1990, est dominée par la connaissance botanique et écologique des végétations naturelles, cultivées et jardinées, notamment méditerranéennes, savoirs scientifiques qu’il enseigne pour former des ingénieurs agricoles à Dijon, et des ingénieurs agronomes à Alger et à Rabat. Cette pratique d’enseignant est doublée par une compétence d’agrostologue pastoraliste et de phytogéographe qui cherche à établir sous forme cartographique des synthèses bioclimatiques et phytoécologiques pour l’Afrique du nord.

« En tant que botaniste, j’ai mis mes connaissances biologiques au service de la formation des ingénieurs agronomes. Qu’il s’agisse de la flore des pâturages, des forêts, des mauvaises herbes des cultures ou des jardins. J’étais à l’aise partout. Je savais mettre un nom latin sur n’importe quel végétal ou presque. Et si je ne savais pas, les flores m’aidaient car j’avais appris à les manipuler très tôt. C’était une compétence peu répandue mais aussi une passion très envahissante que m’avait transmise Jacques Montégut à l’ENSH de Versailles. J’en ai gardé des milliers de diapositives »

L’autre polarité, de 1977 jusqu’à aujourd’hui, a été construite en fonction des différentes missions qui lui ont été confiées dans la mise en place des services de l’École de paysage de Versailles ; cette formation étant proche de la culture de projet des architectes et de celle des Beaux-Arts. Il a pris en charge la création et la gestion des départements d’écologie, de sciences humaines et sociales, et de la quatrième année, puis la responsabilité scientifique d’un laboratoire de recherches et d’une formation doctorale reliée à celle dispensée à l’École d’architecture de Paris la Villette.

Pour cela il a modifié ses centres d’intérêt :

« Je voulais conclure ma période nord africaine par une belle thèse de doctorat qui aurait prolongé les travaux phytoécologiques de Charles Sauvage et de Louis Emberger, autant que ceux de mes mentors en pastoralisme H.-N. Le Houerou et Jacques Claudin. Mais cette idée était devenue anachronique au début des années 1980. Alors j’ai soutenu dix ans plus tard une thèse en géographie de l’environnement consacré aux zones humides, un sujet qui allait devenir quelque temps très politique, puis tomba dans l’oubli ».

Le botaniste

Pierre Donadieu a acquis la compétence de botaniste d’abord à l’ENSH de Versailles, puis sur les steppes algériennes. Ce savoir encyclopédique n’était pas dissociable de la capacité à lire et à comprendre les paysages comme il le raconte au moment de son passage de l’Algérie au Maroc en 1972 :

« En juillet, mes nouveaux employeurs me proposent un exercice inattendu : accompagner un voyage d’études des élèves ingénieurs marocains sur les plateaux de l’Oriental, de Missour à Midelt. Je prends le train d’Alger jusqu’à Oujda et Taza pour rejoindre le bus qui m’attend. Je n’ai jamais parcouru la vallée de la Moulouya, mais les paysages que je découvre me sont immédiatement familiers, des steppes à alfa et à armoise blanche à perte de vue comme sur les hauts plateaux algériens. Sur les contreforts du Moyen-Atlas, des boisements clairsemés de genévriers montent à l’assaut des cimes encore enneigées. Je commente le parcours comme si j’en étais le guide attitré. Examen réussi ! On se donne rendez-vous en septembre à Rabat pour la rentrée. »

Il ne faisait pas de doute pour lui qu’un nom de plante, spontanée ou pas, était associable à de multiples propriétés du milieu où on la trouvait. Les végétaux parlaient de l’histoire climatique, édaphique et humaine des paysages ruraux, de leurs usages (forestiers, pastoraux, agricoles, alimentaires…). Encore fallait-il les faire parler !

La Plante indicatrice

Fondée sur des méthodes phytoécologiques et phytosociologiques, cette doctrine était étrangère aux points de vue sociologique et agronomique de l’époque, lesquels remettaient en cause des ambitions un peu hégémoniques. Pourtant, elle savait intégrer les causes économiques ou culturelles des évolutions constatées.

« Les économistes, les agronomes et les sociologues nous ignoraient. Et on ne se privait pas d’en faire autant. Si nous recommandions les mises en défens des parcours abimés par le surpâturage, c’est après avoir observé les cimetières préservés des troupeaux. Si nous affirmions la dégradation généralisée des anciennes forêts semi-arides, c’est en étant capable de reconnaitre les vestiges du cortège floristique forestier. Dans ce grand livre ouvert de la nature, nous lisions le destin des territoires …Nos alliés c’était les forestiers. ».

De retour à Versailles, P. Donadieu ne travaille plus avec des agronomes ou des forestiers (des scientifiques), mais avec des paysagistes (qui ne le sont pas). Ces derniers attendent des écologues enseignants une connaissance experte du « milieu » (au sens des paysagistes) pour inspirer leur parti de projet et pour planter les bonnes plantes au bon endroit. Pas beaucoup plus.

«M. Rumelhart enseignait déjà quand je suis arrivé. Je n’ai pas posé la question : que devons nous enseigner, et pourquoi ? J’aurais dû la poser. Il était évident que nous nous sentions les héritiers de J. Montégut et que notre chemin pédagogique était tracé. Personne ne semblait souhaiter autre chose. Personne n’évoquait l’émergence de la conscience écologique et des alternatives à la croissance économique que la France venait de connaitre. Les idées étaient conservatrices en dépit de l’apparition d’une commande publique nouvelle de parcs urbains, et de réponses de projets qui allaient fonder un “paysagisme urbain“. C’était frustrant. »

Réguler les paysages agricoles : une utopie

Constatant que la connaissance phytoécologique des paysages n’intéresse en général les étudiants qu’en tant qu’éléments vite oubliés de culture générale, et que la botanique reste un savoir scientifique d’expertise qui n’est pas revendiqué par les paysagistes, Pierre Donadieu revient à son expérience précédente : les paysages ruraux.

En tant qu’agronome, et fils d’agriculteur, il commente dans de nombreux articles publiés dans Paysage et Aménagement, l’évolution des paysages agricoles. En s’appuyant sur son expérience marocaine et sur les travaux de J.-P. Deffontaine à l’INRA, il réaffirme l’idée que les paysages agricoles sont d’abord des productions des propriétaires fonciers et des exploitants agricoles. Et qu’il n’est possible d’agir sur eux qu’avec les agriculteurs.

«Je voyais bien, et je le comprenais par atavisme, que les mondes paysagiste et agricole en France n’avaient rien de commun. Il était illusoire de vouloir édicter « top down » des règles paysagères applicables par les entreprises agricoles, sauf dans des situations patrimoniales partagées par tous localement. Cette ambition défendue par les paysagistes me paraissait exorbitante, et politiquement utopique. Seules les démarches patrimoniales enseignées par H. Ollagnon à l’AGRO ont été vraiment efficaces, avant celles de la médiation paysagère»  

Le géographe

Quand il s’associe à l’agronome A. Fleury, il trouve un partenaire qui partage sa culture agronomique issue de l’AGRO de Paris et des enseignements de M. Sébillotte que lui ont transmis ses collègues agronomes au Maroc. Dans ce partenariat, il est ainsi amené à avoir recours aux travaux de recherche du géographe orientaliste A. Berque (le paysage comme médiance) et du philosophe A. Roger (le paysage comme artialisation du pays) avec lesquels il travaille. Il modélise le processus de projet de paysage en s’inspirant des travaux du sociologue M. Conan et de l’écrivain Umberto Eco (le projet comme logique abductive). Il tente de les appliquer à trois domaines émergeants de l’action publique gouvernementale : l’agriculture urbaines, les zones humides et les pratiques paysagistes.

L’agriculture urbaine

André Fleury, qui est nommé professeur d’agriculture urbaine à l’ENSP, est le principal promoteur, avec Roland Vidal, et jusqu’à sa retraite, de l’idée de l’agriurbanisme. Pierre Donadieu l’accompagne dans cette démarche qui analyse en termes agronomiques les mécanismes d’adaptation des exploitations agricoles à la demande alimentaire urbaine.

« J’avais vite compris que dans ce milieu (paysagiste, architecte, artiste, écrivain …), on ne pouvait convaincre que par des manifestes, et non par des publications scientifiques. C’est pourquoi, après quelques années d’enquêtes avec André et ses étudiants, j’ai écrit Campagnes urbaines, ouvrage publié avec l’aide de J. Cabanel de la Mission du paysage. C’était une application un peu simpliste du concept de conservation inventive que j’avais développé dans Cinq propositions … Je plaidais pour la conservation d’une agriculture réinterprétée dans la région urbaine, par la ville et pour la ville.  Les paysagistes enseignants auraient pu s’en emparer, mais il n’en a rien été.»

Les zones humides

Deux années avant la parution de Campagnes urbaines, Pierre Donadieu dirige l’édition de l’ouvrage Paysages de Marais toujours avec l’aide de la Mission du paysage. Le thème des Zones humides est à l’agenda du gouvernement. L’idée semble la même que dans Campagnes urbaines, sous une forme polyphonique et plus savante : comment et pourquoi les marais, les marécages, les zones inondables, en voie de disparition, pourraient-ils « faire paysage » tout en conservant leurs espaces propres et les services écosystémiques qui y sont associés ?

« Je venais de soutenir ma thèse sur les zones humides, et souhaitaient la publier. J. Cabanel me convainc facilement d’en faire un « beau livre » tout public. Je propose une première version réunissant les textes des chercheurs français sur ce sujet. Puis une seconde, beaucoup plus simple avec les images d’Arnaud Legrain (Agence VU), auxquelles s’ajouteront les images de l’éditeur J.-P. de Monza. Le livre a obtenu un prix de l’Académie des sciences morales et politiques. J’en étais très fier ».

Les paysagistes

Au début des années 2000, le corpus théorique de la Mouvance devint de plus en plus évident et convaincant. Il dessinait un périmètre original de pensée et de pratiques propre au paradigme paysager/paysagiste de « milieu » au sens de la mésologie développée par A. Berque. Il était devenu possible de penser le projet de paysage avec une épistémologie propre qui l’ancrait assez loin du naturalisme des scientifiques, mais sans l’exclure. Les approches néo-heideggérienne de A. Berque, plasticienne de B. Lassus et esthétique de A. Roger inspiraient cependant des critiques vives chez les géographes, les agronomes et les anthropologues. Débats qui furent clos par l’ouvrage de l’anthropologue P. Descola Au-delà de nature et culture en 2005. L’idée de paysage relevait de la catégorie des cultures dites naturalistes et ne pouvait se soustraire à ce déterminisme sociohistorique.

P. Donadieu pris acte de ce débat d’abord en publiant La Société paysagiste, qui rassemblait et développait ses cours au DEA de l’École d’architecture de la Villette, puis les Paysagistes, figures produites par cette société amateure de paysages, de jardins et de lieux aimables, qui décrivait l’état de la profession de paysagiste en pleine croissance à cette époque.

« J’ai pensé à cette époque (2009) qu’un cycle se terminait. J’avais vu disparaitre l’idée, pourtant convaincante, de la « Plante indicatrice des milieux », il me semblait que la Mouvance, non moins séduisante, allait connaitre le même sort. C’est pour cette raison que j’avais créé, pour lui succéder, avec l’aide du directeur R. Mondy et de la direction d’AgroParisTech, le master « Théories et démarches du projet de paysage » et sa formation doctorale, seule possibilité pour les chercheurs du LAREP de susciter des vocations de jeunes chercheurs et de développer des programmes de recherches, sur le projet de paysage. »

Dans tout cela j’ai été un géographe peu orthodoxe, intéressé en dernier ressort par ce que les pratiques paysagistes, médiatrices, apportaient à la vieille idée du commun. Et pour cela je me suis beaucoup inspiré de la philosophie pragmatiste du philosophe américain John Dewey. ».

L’historien

Pierre Donadieu n’est pas historien, mais il a été convaincu par sa collègue, Chiara Santini, historienne professionnelle, de l’intérêt de la consultation des archives. Il est devenu historien amateur.

« J’ai fait une première tentative d’exploration du passé avec la recherche sur la formation des cadres paysagistes en France en 2003. Dans les archives poussiéreuses de l’ENSP, j’avais découvert des petites merveilles évoquant la mémoire oubliée de l’École d’horticulture. J’ai entrevu, de loin, les zizanies avec l’école d’Angers pendant presque 20 ans : qui était légitime pour accueillir les archives des écoles et des paysagistes : Angers ou Versailles ? ».

Il se rend compte que cette histoire est méconnue par les élèves et les enseignants, et surtout qu’elle est tronquée et comporte beaucoup de trous.

« Je me suis lancé dans une entreprise un peu folle : raconter l’histoire de l’enseignement des écoles du Potager du roi. Pour cela j’ai fait appel aux travaux existants et en cours. J’ai repéré avec l’aide de Chiara où étaient les archives, j’ai interrogé les plus vieux enseignants. J’écris au fil des semaines un récit qui, pour partie (l’histoire la plus récente) est aussi le mien ».

Pour conclure

Pendant une cinquantaine d’années, la carrière d’enseignant chercheur de P. Donadieu dessine un « destin paysager » qui ne prend pas les mêmes chemins que celui de B. Lassus décrit par S. Bann3.

Formé très tôt à la recherche scientifique au CNRS, il fait un vaste détour par l’enseignement et la recherche agronomique et forestière en Algérie et au Maroc, avant de revenir au Potager du roi où il a appris son métier de botaniste.

Dans ce site prestigieux, il devient, parmi d’autres, l’artisan de la construction lente et riche de péripéties de l’enseignement de l’École nationale supérieure de paysage de Versailles-Marseille. Elle a été faite sur le modèle des projets versaillais d’Institut du paysage qui avaient échoué.

Parallèlement, associé aux manifestes culturalistes des acteurs de La Mouvance, il poursuit une analyse des processus de « mise en paysage » des territoires ruraux. Cette connaissance avait commencé avec les pâturages collectifs des éleveurs marocains. Elle se termine dans la quête d’un bien commun paysager apporté par la gouvernance démocratique des territoires en France.

La boucle est ainsi refermée sur une vocation qui trouve peut-être ainsi son origine restée énigmatique : une conscience précoce d’un destin humain solidaire. Idée que résume le philosophe J. Rancière :« L’apparence (du monde) n’est pas le contraire ou le masque de la réalité. N’est-elle pas ce qui ouvre ou ferme l’accès à la réalité d’un monde commun ? »4 ?

Pierre Donadieu

Mars 2020


Notes

1 La plupart des citations sont extraites de l’autobiographie de Pierre Donadieu, Ici et ailleurs, mémoire des deux rives, non publié, 2017.

2 Un film de A. Bourbouze et de A. El Aich, « La vallée est tombée dans les pommes » a montré 40 ans après l’efficacité de la démarche. Désenclavée par une piste carrossable, la vallée s’est ouverte à une économie arboricole spectaculaire qui a transformé le mode de vie de ses habitants.

3 S. Bann, Le destin paysager de B. Lassus, Orléans, HYX, 2014.

4 Jacques Rancière, Jardins subversifs, le Temps du paysage. Aux origines de la révolution esthétique. La Fabrique éditions, 2020.

Marc Rumelhart

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Marc Rumelhart

Botaniste, écologue paysagiste et pédagogue

Son parcours Ses idées de pédagoguesUne épistémologie du vivant1

Marc Rumelhart est né à Lyon en 1951 et a passé son enfance dans le Bugey jusqu’à l’âge de 20 ans.

Son parcours

Après les classes préparatoires dans un lycée lyonnais, il se présente au concours d’entrée à l’Ecole nationale supérieure dhorticulture de Versailles où il est reçu en 1971. La même année sont inscrits en première année de la Section du paysage et de lart des jardins : Alexandre Chemetoff, Alain Marguerit et Gilles Vexlard. Cette même année, M. Corajoud et Jacques Simon commencent à enseigner dans les ateliers à la rentrée de l’année scolaire 1971-72.

Puis, il choisit une spécialité de malherbologie avec le professeur de botanique et d’écologie végétale, Jacques Montégut, qui deviendra son mentor et un modèle admiré.

« La perspective d’une année avec Montégut suffisait à mes ambitions. Je n’ai jamais regretté ce choix car je lui dois ma vocation de botaniste écologue, et bien des partis pris pédagogiques. Hormis une laborieuse initiation à la recherche, et quelques cours suivis à l’Agro, je passais beaucoup de temps à accompagner les pérégrinations du maître ».

« Comme nous n’étions, hélas, pas toujours dehors, j’ai beaucoup appris en mettant de l’ordre dans l’herbier, en manipulant les échantillons rapportés des sorties, et en indexant la littérature botanique et malherbologique. Mais aussi en préparant avec les techniciens du matériel didactique vivant, car Montégut faisait beaucoup manipuler. Semis, rempotage, repiquage, arrosage, étiquetage : de ces précieux gestes jardiniers, j’ai plus appris là qu’en deux ans d’horticulture. Des équipées délocalisées en région, je rapportai grand butin : l’exploration partagée de territoires et de leurs usages donnait une clé pour entrer dans la conversation généreuse et cultivée du patron, ce grand savant. »

Son diplôme dingénieur horticole en poche en 1974, il part en coopération militaire à Djelfa sur les hauts plateaux algériens, où il fait venir J. Montégut. Celui-ci le recrute pour lui succéder dans les enseignements de la nouvelle ENSP qui vient douvrir ses portes.

En 1976, il est affecté, comme maitre auxiliaire, à l’ENSH et mis à disposition de lENSP. Pour parfaire sa formation, J. Montégut loriente vers un DEA d’écologie végétale à l’Université d’Orsay quil suit en 1977 :

« Je trouvais à Orsay (université de Paris-Sud) un bel enseignement d’écologie végétale, adapté à mes besoins. Autour de Marcel Guinochet se concentrait un renouveau de la phytosociologie. En appui à un cours de phytoécologie générale de haut niveau, Georges Lemée nous faisait bénéficier de ses résultats sur les écosystèmes des réserves biologiques de Fontainebleau. L’encadrement serré de leurs collaborateurs (Solange Blaise, Jean-Paul Briane, Jean Guittet, Jean Lacourt, Aimé Schmitt) avait installé parmi les étudiants un esprit d’équipe stimulant. M. Guinochet par sa hauteur de vues et sa posture de systématicien, Lemée par la tonicité et la transversalité de ses apports, y compris in situ, ont élargi mon approche de l’écologie scientifique. J’ai acquis rapidement une gamme étendue de références méthodologiques et de terrain. En outre, je pris pied cette année-là dans l’Amicale de phytosociologie, que j’allais accompagner une quinzaine d’années ».

À l’ENSP, il rencontre à la rentrée suivante Pierre Donadieu, lui aussi ingénieur horticole (entré à l’ENSH en 1965) et titulaire dun DEA d’écologie en 1970 (à l’Université de Montpellier). J. Montégut lavait recruté au Maroc à l’occasion là aussi d’inépuisables excursions botaniques dans le Moyen Atlas et le Haouz de Marrakech. Il dirigeait le département d’écologie végétale, de bioclimatologie et de pastoralisme à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II de Rabat.

De 1977 à 1986, ils créent et gèrent ensemble le département d’écologie et le laboratoire d’écologie. Dans le cadre du département ils prennent en charge avec Roland Vidal les enseignements de botanique et d’écologie végétale des trois premières années de lENSP. Ils reconduisent, au moins au début, une grande partie de lenseignement de J. Montégut dont ils avaient été les élèves, et tout particulièrement les excursions, les travaux pratiques, les polycopiés et les herbiers. Dans le cadre du laboratoire, ils répondentà des demandes d’études écologiques issues le plus souvent de paysagistes et de bureaux d’études.

Ils participent au concours du parc départemental du Sausset (93) et M. Rumelhart assiste M. et C. Corajoud pendant les vingt ans de réalisation du parc.

Le parc du Sausset, stratégies bocagères, 1980

Après une période de crise, labandon du projet d’Institut français du paysage en 1985, les départs, momentanés ou définitifs, de nombreux enseignants dont Pierre Donadieu, Gilles Clément, B. Lassus et A. Provost, et après la nomination de Michel Corajoud comme maitre de conférences titulaire en « théories et pratiques du projet de paysage », en 1987, M. Rumelhart est nommé maitre de conférences titulaire en« écologie appliquée au projet de paysage ».

Dans son département, il met en place une nouvelle équipe denseignants. Dabord en sassociant avec le paysagiste Gabriel Chauvel (qui s’était inscrit à la Section en 1970) afin de reprendre lenseignement dutilisation des végétaux que ne dispensait plus Gilles Clément.

G. Chauvel

M. Rumelhart revient sur cette période de mutation de lENSP :

« Michel Corajoud (avait reçu) une lettre d’un ancien étudiant de la section du paysage, qui exprimait le désir de renouer avec l’univers d’échanges d’expériences et de débat que représentait pour lui l’école, après une douzaine d’années de pratique professionnelle trop isolée. Connaissant mon inquiétude (relative à l’enseignement d’utilisation des végétaux), Michel Corajoud organisa une rencontre avec Gabriel Chauvel dans son village introuvable des bords de Vilaine, près de Redon. Mais il laissa ce soir-là si peu de place à la parole de son élève que je n’eus d’autre choix que de faire confiance à l’intuition du maître bavard, longuement argumentée pendant le voyage de retour. Bien m’en prit. Gabriel Chauvel est un expérimentateur de première catégorie, un inventif détonnant et un bricoleur génial. En outre, quoiqu’il s’en défende, il aime et sait écrire, et possède l’art de résumer une pensée ou une découverte par une formule concise d’une efficacité didactique redoutable. Nous avons presque immédiatement accordé nos violons. »

Ils mettent en place de nouveaux exercices pédagogiques pour inventer un enseignement du jardinage au Potager du roi :

« Je ne sais même plus qui a proposé le premier d’offrir aux élèves une pratique jardinière, mais le fait est que, dès le printemps 1986, celle-ci se mettait en place dans un coin déshérité du Potager du roi, sur un épandage de vases de curage ».

Puis il recrute un ancien élève, Alain Freytet, diplômé en 1984.

A. Freytet

«Il mettait au service de notre enseignement ses talents variés : dessinateur, cartographe, naturaliste et… pédagogue. Ils ont superbement dynamisé et diversifié nos activités de lecture de l’espace et de diagnostic paysager. J’ai déjà évoqué ailleurs quelques-unes de ses qualités professionnelles. Promoteur convaincant de la spécificité des paysagistes, mais familier du travail interdisciplinaire, il en tire un enthousiasme, une aptitude à l’encouragement qui font accepter par les élèves l’exigence forte de ses attentes de production. Avec lui, je n’ai pas peur de prétendre que nous avons érigé au rang d’un art savant la conception des excursions et des voyages pédagogiques, et l’apprivoisement de la géologie et du relief par les futurs paysagistes ».

Avec la création par P. Donadieu et A. Fleury du laboratoire de recherches de l’ENSP en 1993, il s’oriente un temps vers la recherche scientifique et dirige un programme pluridisciplinaire de recherches du Ministère de l’Environnement Recréer la nature (1999-2000)2. Puis il se consacre totalement à l’enseignement et infléchit l’activité pédagogique et de recherche de son département vers les ethnosciences. En 2007, il recrute la jeune ethnoécologue Pauline Frileux3 comme maitresse de conférences appelée à lui succéder. Il prend sa retraite d’enseignant en 2013, sans cesser son activité jardinière au Potager du roi avec ses collègues et anciens élèves, mais en froid avec la direction de l’école du fait d’un litige sur sa succession.

S’étant totalement dévoué à l’enseignement, sans faire une place suffisante à la recherche académique comme le souhaitait la tutelle ministérielle, il a entretenu avec la Direction générale de l’enseignement et de la recherche du ministère de l’Agriculture, et surtout avec la CNECA (commission nationale des enseignants chercheurs) qui avait bloqué son avancement de carrière, un dialogue de sourds4.

« Mais la vexation, je dirais même l’injustice, la plus forte c’était, à mes yeux, la déconsidération des enseignants non ou peu chercheurs dont je comprenais bien que je « jouirais » à vie.

S’est alors ancrée dans mon crâne une conviction qu’on a le droit de juger libertaire et soixante-huitarde, mais que j’ai emmenée jusqu’à ma retraite. « Vous ne voulez pas reconnaître mes qualités d’enseignant ou plus exactement les traduire dans ma progression de carrière ? Surtout, vous ne voulez pas considérer le cas particulier de cet enseignement-là, qu’il a fallu monter de toutes pièces, à partir de presque rien (sinon un glorieux passé riche d’enseignements, mais pas directement resservable ? Alors, vous n’aurez plus d’autre rapport d’activité venant de moi. Même pas l’obligatoire quadri-annuel. Surtout demandé à la période de l’année où un vrai enseignant de « matières du dehors » est le moins disponible. »5.

Ses distinctions6

Membre de la commission supérieure des monuments historiques,

Membre de la commission nationale des enseignants chercheurs du Ministère de lAgriculture, section 2, Milieux, organismes, populations.

Ses idées de pédagogue 

Il y a eu deux périodes principales dans la carrière de Marc Rumelhart : avant et après 1986.

Avant 1986

Jusqu’à la crise étudiante et enseignante qui fut marquée par l’abandon du projet d’institut français du paysage en 1985, son enseignement reste fidèle à l’héritage scientifique de Jacques Montégut. Les sciences écologiques, phytogéographique et phytosociologiques sont pour lui comme pour Pierre Donadieu des fondamentaux incontournables. Même s’ils savent qu’il leur faut adapter cette connaissance académique et abstraite à l’exigence d’action du métier de paysagiste concepteur.

« Notre préoccupation commune était d’adapter notre offre à ce que nous comprenions des compétences attendues des paysagistes DPLG. Problème : nous étions en même temps, à notre place, en train de les profiler ! ».

Colloque de phytosociologie, 1988

Avec R. Vidal, ils vont beaucoup s’intéresser à la botanique ornementale. À la phénologie des végétaux, notamment, convaincus à l’époque que le choix d’une palette végétale pour un projet dépendait, entre autres critères (taille, port, feuillage persistant ou caduque …) d’une bonne connaissance des dates et des périodes de floraison ou de fructification. Domaine qu’enseignait également Gilles Clément, mais du point de vue du praticien. En fait ils parlaient de la même chose mais à la manière des botanistes. La coordination pédagogique n’était pas encore au point.

Les arbres feuillus, M. Rumelhart et R. Vidal, 1991.

« Une demi-douzaine de séances saisissait les optimas phénologiques successifs de l’année scolaire pour introduire des points de systématique ou de biologie en rebond dune excursion appropriée :
– morphologie foliaire, feuillus au stade feuillé ;

– végétaux inférieurs et Éricacées ;
– reconnaissance hivernale des feuillus, larbre et larborescence ;
– Gymnospermes ;
– flore vernale, formes biologiques et indicateurs écologiques ;
– TD de floristique, Graminées.
Avec Roland Vidal, nous arpentions le terrain pour préparer les expositions d’échantillons suivies de tests de reconnaissance qui prolongeaient les sorties. Nous avons constitué rapidement un herbier de rérence, enrichi les polycopiés existants (notices géologiques, listes floristiques) et amendé certaines des clés didentification trop concises quavait rédigé Montégut »

Marc Rumelhart avait compris comme J. Montégut quil fallait introduire lespace géographique concret dans les cours, alors que le modèle de l’écosystème fonctionnel des frères Odum7 sur lequel était fondé l’écologie générale restait très abstrait :

« Estimant devoir offrir aux élèves de deuxième année un savoir écologique plus construit, je puisai dans mes acquis en gestation pour bâtir un cours d’écologie générale et écosystémique. Aux classiques facteurs et agents climatiques, édaphiques, biotiques et anthropiques, j’ajoutai, à l’instar de Montégut, le tiroir commode du topographique qui permet d’évoquer les groupements pionniers : dunes, éboulis, tourbières, adventices des cultures ».

Il faut apprendre, disaient les paysagistes, à lire un paysage. Mais, en dehors de l’analyse phytoécologique (ce qu’apprenaient les plantes indicatrices) qu’ils connaissent bien, ils s’aperçoivent qu’il existe d’autres savoirs à transmettre, tout aussi pertinents. Ils vont chercher ailleurs, à l’Agro, des compétences qu’ils n’ont pas en géomorphologie et en sciences des sols :

« L’enseignement actuel de “lecture de l’espace”, par exemple, doit une fière chandelle au coup de main que nous ont donné Yves Peyre et Bernard Fournier, de l’INA-PG, pendant deux ou trois ans, pour monter un enseignement actif de lecture des caractères physiques d’un territoire. C’est avec eux que j’ai compris quels bénéfices on peut espérer du commentaire de travaux menés par des élèves aux niveaux d’information disparates ».

Peut être influencé par la théorie de la forme (la Gestalt Theorie) : le tout est différent de la somme des parties, P. Donadieu se demande comment renouveler l’analyse des paysages, non par les listes de plantes de l’Ecole phytosociologique zuricho-montpellieraine qui restait leur méthode de recherche préférée, mais par la description des structures végétales d’un site :

« C’est sur une sienne idée que nous avons initié l’exercice de “Levés de structures végétales”, aujourd’hui valeur sûre de notre enseignement d’utilisation des plantes. Initialement, chaque élève devait étudier, sur vingt motifs d’assemblages végétaux, en situation urbaine ou para-urbaine, les relations entre leur organisation spatiale et leurs ambiances, usages et fonctions ».

Quand un nouveau programme pédagogique est voté en 1986, est affirmé en même temps le principe d’une relation plus complémentaire qu’avant entre les ateliers et les autres départements : arts plastiques et techniques de représentation, techniques de projet, sciences humaines et sociales. Changement qui fut concrétisé par l’évolution du nom du département : « Écologie appliquée au projet de paysage ». En pratique l’enseignement s’éloigna du paradigme des fonctionnalités écosystémiques et des équilibres écologiques, pour retrouver, en tâtonnant, un référent un peu oublié : la réalité matérielle des paysages et des lieux telle qu’elle se présentait à la sensibilité des étudiants paysagistes. L’équipe enseignante fut modifiée avec l’arrivée de deux paysagistes G. Chauvel et A. Freytet.

Au même moment la direction des départements commençait également à changer au profit de jeunes paysagistes : O. Marty en arts plastiques succédait à Daniel Mohen et quelques années plus tard M. Audouy prenait en main le département des techniques.

Après 1986

Jusqu’à la fin des années 1990. M. Rumelhart ajouta aux exercices pédagogiques issus de l’héritage de J. Montégut, ceux qu’avec G. Chauvel ils menaient dans le Potager du roi dans des placettes de jardinage confiées pendant trois ans aux étudiants. En 1999, ils en tirèrent une philosophie originale qui faisait un large écho à la pensée « pratique » des projets des paysagistes8.

Ils adoptent un point de vue qui privilégie la subjectivité de l’observateur, aux dépens des concepts de connaissance, et le savoir propre du paysagiste projeteur qui écoute ses propres intuitions et expériences.

« Une écologie du projet devrait tendre à privilégier l’intérêt pour le el aux dépens du virtuel, le raisonnement inductif plutôt que la démonstration déductive, la phénoménologie plutôt que la modélisation, le fait local avant la règle gérale. Mieux que le long cours et le vol direct, le cabotage et la pégrination sont complices des tendances didactiques qui irriguent majoritairement les pensées et les pratiques paysagères. Mais, comme la démarche de projet, cette attitude impose une contrainte spécifique : elle doit être expérimentée.

En incitant à une pratique, nous divergeons dautres institutions qui, plus disposées à diffuser des méthodes et des règles, donnent bien vite au quidam le sentiment d’être promu spécialiste… au risque dengendrer la réponse toute faite, la recette ou la géralisation – mères de bien des vices paysagers.

Constatant que le concours d’entrée à l’école sattachait à l’hétérogénéité des profils d’étudiants recrutés, et non à leur nivellement par des savoirs abstraits, ils donnent la priorité à l’appropriation personnalisée de savoirs utilisables dans les projets :

« Certains arrivent avec des réponses (à leurs questions) : d’abord surpris qu’il en existe d’autres, ils peuvent découvrir le plaisir et l’efficacité de la reformulation des questions. Nous les invitons à observer et à décrire fidèlement le réel, sur une palette restreinte de cas concrets bien choisis. Moins confortable qu’un catalogue d’énoncés magistraux, ce pari vise à fonder plus durablement savoirs et savoir-faire. Sitôt quitté le mode univoque qui, à une question, souffle une réponse, s’ouvre la soif inextinguible de reconstruire son propre bagage, garante d’une adaptabilité salutaire (si l’on place le niveau d’ambition professionnelle au-delà du copier-coller) (…)

Alors ils découvrent avec quelles petites satisfactions peut samorcer progressivement leur bagage, et donner place périodiquement aux engrangements nouveaux. Nous voici envers eux le devoir de lethnologue : respecter chaque taxonomie vernaculaire ».

Ils sengagent fermement dans la construction collective des savoirs individuels (le compagnonnage) :

« Cette somme de regards différents sur un même objet devient un bien commun, à partir duquel nous pouvons alors, en salle, du côté de la pratique, offrir une approche plus confortable, à d’autres échelles de perception, et de plus amples possibilités de recherches documentaires ; ou encore susciter, après un bref travail de mise en forme, le partage entre les étudiants par la restitution collective des observations de terrain ; du côté de la théorie, exposer un point de vue élargi, un éclairage différent, ou présenter des résolutions différentes de questions analogues. ».

Réfutant l’idée commune que des bases scientifiques de connaissance biologique sont indispensables à ce niveau d’études paysagistes, M. Rumelhart plaide pour un savoir et un savoir-faire finalisés par lexpérience de la conception du projet de paysage.

« Sortir dans la rue ou dans la campagne livre mille exemples d’installations végétales, parfois riches en espèces, conçues par des créateurs “connaissant” bien les plantes, et qui se révèlent médiocres quant à l’espace ou aux effets produits, ou peu adaptés au contexte écologique ou gestionnaire. Symétriquement, nous avons parfois été très heureusement surpris, visitant les réalisations de nos anciens élèves, d’y trouver la manifestation de réflexions très fines sur l’usage des plantes ou sur la création d’écosystèmes artificiels aimables et durables. Ce n’est sans doute pas à l’école qu’ils en avaient acquis tous les mécanismes, mais nous voulons croire que nous avons contribué à leur en donner le désir ; ce n’est pas si simple qu’il paraît et, en tout cas, ce n’est pas mineur.

Depuis que nous avons abandonné l’enseignement spécifique de la biologie végétale, au profit d’un développement de la formation à l’utilisation des plantes, on nous reproche chroniquement son “absence” – formulation excessive de sa réduction-dispersion. Au point que les permanents corvéables exorcisent parfois cette culpabilisation en dispensant des cours facultatifs, acrobatiques et matutinaux, de biologie et de botanique au succès variable, mais émouvant. Quand les collègues insistent, je leur demande de donner du “temps-élève” pour étancher plus officiellement cette soif de culture biologique. Cela relativise immédiatement les reproches. »

 

« Le Transformateur ne perd rien et créé en transformant tout »

Le site du Transformateur à Saint-Nicolas de Redon (44), un projet de recherche action initié par M. Rumelhart avec G. Chauvel et leurs étudiants9, en 2004.

Les innovations pédagogiques et de recherches de M. Rumelhart et de ses collaborateurs nont pas été reconnues par ses pairs de la section 2 (Milieux, organismes, populations) de la CNECA. Pourtant, elles étaient et restent fondées sur une critique empirique de la production des savoirs du vivant parfaitement recevable.

Une épistémologie du vivant

Contrairement à ses pairs scientifiques en écologie du paysage et autres sciences de l’environnement, M. Rumelhart et ses associés paysagistes sont les héritiers de l’art des jardins et du paysage. Leur mission est de former des professionnels du paysage, des paysagistes concepteurs, et non des écologues. Il leur faut donc trouver un équilibre entre sciences cognitives, biotechniques et arts du projet de paysage et de jardins. Et être attentifs à « nouer des relations entre les regards cognitif et sensible, objectif et poétique ».

L’enjeu est de taille, puisque leurs expérimentations pédagogiques audacieuses visent à réunir ce que la culture des sociétés « naturalistes » (selon l’anthropologue P. Descola, 2005 ) dissocie depuis deux siècles : la nature et la culture, autant que le sujet et l’objet, la sensibilité et la raison10. Au profit de l’efficacité de l’action et du progrès économique et social, mais aux dépens des relations affectives et symboliques à l’espace et à la nature qui deviennent un souci marginal de l’aménagement de l’espace.

« Si l’on veut un instant explorer l’épistémologie de cette “discipline”, projeter avec des plantes mobilise évidemment des sciences comme la botanique, la biologie, l’écologie végétale, mais aussi des ingénieries et techniques variées comme l’horticulture, l’arboristerie, la foresterie, l’agronomie, le pastoralisme, etc. Quand on a cité tous ces emprunts, on n’a toujours pas parlé de ce qui fait paysage dans le vivant et qui doit pouvoir se ranger du côté de l’esthétique. En réalité, il est bien question de revendiquer une part de l’héritage de l’art des jardins, ce champ vaste et inclassable qui résume à lui seul tout le reste. Plus sagement, on peut admettre que l’art de créer, avec des végétaux et des animaux, des espaces, des usages, des fonctions, des ambiances, etc., s’étudie et s’enseigne efficacement, aujourd’hui, en adoptant le point de vue interdisciplinaire de l’ethnoécologie, science des relations entre les hommes et leur environnement. A condition d’y inclure implicitement la dimension créative de ces relations. ».

Ce point de vue signifie que la compétence spécifique du paysagiste concepteur est de savoir « faire paysage ou jardin ». Une habilité hybride qui ne peut se transmettre que par une pédagogie originale s’attachant à la personne apprenante autant qu’à son inventivité. Elle s’appuie sur l’héritage des peintres impressionnistes (peindre sur le motif) autant que sur l’aptitude à « changer les regards », à voir et faire voir le non vu, et à accompagner la transformation matérielle des sites. L’intention ambitieuse du projeteur y est essentielle, qui a appris comment inscrire son action à des échelles territoriales et des temporalités différentes (du juridique à la création jardinière, de l’éphémère au siècle).

« Nous avons commencé à explorer, pour chacun des trois grands dispositifs spatiaux que sont le couvert, le découvert et la lisière, comment les motifs d’assemblages spatiaux préconisés (et les conduites associées) servent des intentions : jalonner, border, garnir, guider, montrer, protéger, clore, abriter, ombrager, produire (du bois, des fruits, du foin…), etc. Le corpus est énorme, et l’on trouve à chaque plongée de nouveaux éléments d’éclairage ».

M. Rumelhart a formé des paysagistes aptes à « créer des espaces vivants » qui « font paysage », c’est-à-dire qui provoquent les affects et portent les messages correspondant en principe aux intentions du paysagiste, mais pas seulement. Celui-ci s’appuie sur une subjectivité partageable11 qu’il suppose commune aux partis-prenantes du projet.

Selon qu’il est créateur ou gestionnaire d’espace, les intentions peuvent différer. L’ENSP a choisi de former surtout des créateurs, et non en priorité des gestionnaires comme aujourd’hui à Agrocampus ouest centre d’Angers. C’est pourquoi la connaissance utile doit être créée par l’observation des créations des projets réalisés. Autant en principe que par les études scientifiques menées par l’institut professionnel Plantes & Cités d’Angers.

« Décrivant la structure horizontale et verticale d’un assemblage végétal, sans se priver d’enquêter et de se documenter, on peut comprendre les processus expliquant sa forme et son fonctionnement actuels, mais aussi l’histoire des interactions entre les végétaux constitutifs, et celle de leur conduite par l’homme. On devient alors capable de mieux faire le chemin inverse : anticiper au prix de quelles actions telle plantation pourrait produire tel motif de paysage dans dix, vingt ou cinquante ans. Nous avons abandonné, et pas encore su reconstruire, l’approche systématique par “milieux” du jardin, enseignée dans les années 1980 et 1990. Quoique nettement plus écologique, par le recours à la notion de groupement végétal adapté, elle finissait par trop ressembler aux catalogues botaniques si peu stimulants de nos parcours horticoles. ».

Pour trouver le moment pédagogique approprié à l’étude précise du milieu vivant envisagé, végétal en général, les enseignants du département d’écologie ont fini par faire admettre aux ateliers de projet (très autonomes) les dispositifs pédagogiques dinterfaces puis de postfaces. Plus récemment un atelier de première année a été consacré à ce sujet.

« Jusqu’en 2007-2008, une sorte de pratique simulée s’obtenait en isolant artificiellement, dans la pratique de projet, la part qui concerne les végétaux et, plus largement, la constitution de milieux accueillants pour le vivant. Nous appelons postfaces et interfaces ces exercices de “projet végétal” de trois jours, greffés en cours d’avancement sur des ateliers de projet propices. Depuis lors, nous animons en première année le nouveau troisième atelier, intitulé selon les contextes “conduire le vivant” ou “inviter le vivant” avec pour sous-titre “le droit à l’erreur”. Etat des lieux, visites de références, esquisses rapides, ».

La pensée de M. Rumelhart et de son équipe sest positionné entre sciences écologiques et art des jardins et du paysage, non loin de celle du paysagiste G. Clément (argumentant le « génie de la nature »). Tenir compte du « déjà là » appartient à la doxa de lart des jardins, sinscrire dans les transitions écologiques et climatiques du XXIe siècle relève de la conscience citoyenne de chacun, élève ou enseignant. De tous points de vue, la démarche mise au point est le résultat d’une recherche persévérante d’intérêt général. Elle aurait mérité une reconnaissance plus appuyée de la part de la puissance publique.

« Apprendre à agir, pour nous, veut dire d’abord tirer un parti optimal des ressources existantes. C’est dans ce sens que le partage entre analyse et projet est lui aussi artificiel.

Quand nous aidons les élèves à savoir lire l’espace, ce n’est presque jamais sans les inviter à qualifier les dynamiques en route, les enjeux, les évolutions possibles et à s’interroger sur les formes qu’elles peuvent prendre, c’est-à-dire sur les projets en gestation. Quand, à l’inverse, nous aiguisons leurs outils de création et de construction, ce n’est presque jamais sans exiger qu’ils disent en même temps précisément de quoi l’on part et comment on le fait bouger.

Malgré l’écologisme ambiant, ou peut-être à cause de ses idéaux trop exclusivement conservateurs, nos sociétés n’ont pas fini de se débarrasser du formalisme en matière d’aménagement et de gestion de l’espace. A travers les choix techniques que nous enseignons, notre mission première consiste, sans brider la créativité, à éveiller l’amour de la transformation complice, de la récupération maligne, de l’installation durable (car rajeunissable), de l’économie d’énergie. L’écologie n’est pas loin… mais le jardinage non plus ! ».

En 2019, M. Rumelhart a aidé les enseignants à installer des haies plessées, des frênes voués à un destin de « trognes » et un troupeau de moutons au Potager du roi. La lutte continue

Une dernière dégustation littéraire :

« Lors nous pourrons expérimenter, puis décrire, formuler, et finalement (pour commencer !) ranger sur l’étagère nos bocaux de perceptions pédestres en les classant bien comme il faut. 
– Auriez-vous un échantillon de crissant ? 
– Vous pensez au crissant graveleux, ou sableux ? 
– Non, je songeais plutôt au crissant agréable, voyez quand il y a des brindilles … 
– Vous voulez dire du crissant organique, peut-être ? Le dernier congrès de pédopédie a rangé cela aux côté de l’émietté, considérant les liens phylogéniques avec le craquant.
– Ah ! … [Elle réfléchi, dubitative.] Dites, j’aurais bien pris aussi un peu de pitrougne …
– [Il rit.] On ne dit plus “pitrougne” depuis belle lurette. mais je vois ce que c’est : vous aimez cette boue claire qui s’inflitre entre les orteils, hein ? 
– [Elle rougit.] Oui, on ne sait jamais bien quand ça va s’arrêter, mais ça ne craint pas grand chose – sauf à rencontrer une de ces grosses moules d’eau douce. Non, le seul truc qui me gêne, ce sont les herbes. 
– Quoi, les herbes ? 
– Oui, les herbes du bord : quand elles dépassent, ça va, on voit ce qu’on touche, mais les espèces de nénuphars sans feuilles, là, tout gluant, et les algues, beuh … 
– On fait des muddy footcakes déglués, vous savez ! 
– ?? 
– Oui, sans le toucher végétal. Garantis ‘boue minérale’. C’est un label bio.
– Ah ? Je veux bien essayer, tiens. Alors … donnez-moi une pitrougnette sans gluant, bien affiné ; et deux crissants », Les Carnets du paysage, n° 13 & 14, p. 148.

Pierre Donadieu avec le concours de M. Rumelhart

Mars 2020

Publications :

Gabriel Chauvel et Barbara Monbureau, « Eloge du flou végétal : quen pensent les vaches du Transformateur ? »Les Carnets du paysage, n°19, 2010, 135-159.

Alain Freytet, « Carte et paysage, linvention dun monde sensible de représentation des pays, des sites et des lieux », Paysage et aménagement, n° 32, 1995, 27-37

Alain Freytet et Marc Rumelhart, « Une tranche de persuasion massive : le bloc diagramme », Les Carnets du paysage n° 20, 2010-11, 31-42.

Marc Rumelhart, Préface de L’année du jardinier de Karel Čhapek (1890-1938), Berlin, Cramer, 1991,

Marc Rumelhart, « Mouvoir le jardin (gestes pour jardiner), plate-bande annonce d’une hortochorégraphie en gestation », Les Carnets du paysage n° 9-10, 2003, 69-101,

Marc Rumelhart et Alain Freytet,  «Cairns en marche» : « Mise en jambes pour sortir des sentiers battus », Les Carnets du paysage, 2004, 109-111,

Marc Rumelhart, « Oh ! les plantes avec les pieds ! » Les Carnets du paysage, n° 13-14, 2007, 131-149,

Marc Rumelhart, J. Baudry, P. Blandin, F. Burel, M. Toublanc, « Comment rapprocher l’écologie du paysage et le projet de paysage ? », Les Carnets du paysage n° 19, 2010, 29-56,

Marc Rumelhart, Une vie denseignants au service des paysagistes, Expériences de paysage, conférence FFP, Paris, http://www.paysage.tv/609_p_40448/marc-rumelhart-conference-du-28-janvier-2012.html,

Marc Rumelhart, Sueurs froides au Salève en 1775. Morceaux choisis du Journal de Voyages de T. Blaikie”, Les Carnets du paysage, n° 22, 2012,

Marc Rumelhart, Eugénie Denarnaud et Sarah Sellam, « La vie sous presse, recrudescence de lherbier paysagiste », Les Carnets du paysage n° 26, 2014, 63-68.


Notes

1 L’essentiel de ce texte est tiré de l’article biographique publié par M. Rumelhart dans les Carnets du paysage n° 20 en 2010 : http://www.ecole-paysage.fr/media/ensp_fr/UPL8273023605893900080_Article_Carnets_du_paysage.pdf

2RUMELHART (Marc) ; GIRARD (Colette) ; MOISAN (Hervé) ; GILIBERT (Jacques) ; RAICHON (Camille) ; THIEBAUT (Luc) ; GUITTET (Jean) : Quelle nature aujourd’hui pour les anciens paysages pastoraux ? Patrimoine écologique et paysage, moteurs de création de nouvelles natures rurales périurbaines. Rapport final. Versailles : ENSP, 2000.- 184 p.http://isidoredd.documentation.developpement-durable.gouv.fr/document.xsp?id=Temis-0086334&q=%28%2Bdate_creat%3A%5B2016-04-02+TO+2017-04-02%5D%29&n=147&sort=&order=

3 P. Frileux avait préparé son doctorat avec l’ethnologue Bernadette Lizet, professeure au Muséum national d’histoire naturelle. La collaboration avec M. Rumelhart à l’ENSP était ancienne.

4 Le livre d’or et la fête « Chaulhart » organisée au Potager du roi au moment de la retraite de G. Chauvel et M. Rumelhart ont été une marque de reconnaissance très appréciée. Des centaines d’anciens étudiants sont venus lui témoigner leur dette.

5 Lettre à P. Donadieu du 14 mars 2020.

6 Hors médailles.

7 H.T. Odum, 1953, Fundamentals of Ecology, with Eugene P. Odum, (first edition).

8 Texte repris dans l’article des Carnets déjà cité.

10 Analyse qu’a faite également le géographe et philosophe Augustin Berque depuis 1987.

11 Ce concept a été développé par P. Aubry, in Mouvance, 70 mots pour le paysage, (Berque A., édit.) éditions de la Villette, 2003.

Bernard Lassus

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Bernard Lassus

Plasticien & architecte paysagiste, enseignant & chercheur

La Section du paysage et de l’art des jardins (ENSH Versailles), 1963-1967Le CNERP de Paris et Trappes (1972-1976)L’École nationale d’architecture de Paris-La-Villette (1977-1998)L’ENSP de Versailles (1976-1986) Le Centre d’études d’ambiances (depuis 1962)Les DistinctionsLes Publications Les Idées

Bernard Lassus est né en 1929 à Chamalières (Puy-de-Dôme). Archéologue, son père était professeur d’université.

Ancien élève de l’historien et critique d’art Pierre Francastel, des peintres Léon Gischia et François Desnoyer, de l’Ecole Nationale des Beaux Arts et de l’atelier Fernand Léger, Bernard Lassus, peintre, abandonne rapidement la peinture de chevalet pour des recherches d’environnement cinétique et souhaite participer à l’élaboration de nouveaux lieux de vie pour ses contemporains. Il se consacre d’abord à l’aménagement des paquebots de croisière, à des opérations d’urbanisme, puis il est amené à s’intéresser aux pratiques paysagères.

LA SECTION DU PAYSAGE ET DE L’ART DES JARDINS (1963-1967)

À 33 ans, le 2 janvier 1962, après plusieurs expositions en France et l’étranger, il crée le Centre de Recherches d’Ambiances consacrés à des problématiques d’architecture et d’urbanisme. Il a déjà travaillé sur  la coloration de logements des cités ouvrières, d’installations industrielles, d’usines pour les houillères du Bassin de Lorraine, puis pour l’acier et la couleur des constructions dans les villages corses pour le ministère du Logement, quand, avec la construction d’un grand ensemble de 740 logements à la Maurelette dans la banlieue de Marseille où il intervient de 1962 à 1965, il retrouve le paysagiste et urbaniste Jacques Sgard qu’il avait appelé à Quétigny et faisait partie du centre d’études d’ambiances. Ils ont le même âge. Le paysagiste linvite à enseigner en 1963 à la Section du paysage et de lart des jardins à l’ENSH de Versailles. Bernard Lassus proposera un cours et des exercices d’ «Études visuelles » Car, dira plus tard J. Sgard, nos compétences d’aménageur despaces étaient complémentaires.

Lunité de voisinage de La Maurelette, Marseille nord. Paysagiste : Jacques Sgard, coloriste : Bernard Lassus.4

Appelé en 1962 par le directeur de lENSH Etienne Le Guélinel, J. Sgard a marqué avec J.-C. Saint-Maurice, P. Roulet et G. Samel le renouveau du personnel enseignant de la Section du Paysage au moment où l’ENH devient Ecole nationale et supérieure d’horticulture, et où le titre de paysagiste DPLG (diplômé par le gouvernement) est homologué.

B. Lassus associe J. Sgard à des projets urbains dans la commune de Quétigny près de Dijon. Le plasticien intervient sur les façades (2600 logements) et J. Sgard sur les plantations. Ils y font la connaissance de l’ingénieur agronome Rémi Pérelman qui deviendra quelques années plus tard directeur du CNERP, institution interministérielle de formation post diplôme – notamment de paysagiste, d’architecte et d’ingénieur – qu’ils vont créer ensemble à Paris puis à Trappes (78) en 1972.

Jusquen 1967, B. Lassus est chargé d’enseignement à la Section et participe aux débats sur la réforme de lENSH et de la Section. Au sein du conseil des enseignants de la Section, il est à l’origine de la première proposition de création dune « École nationale supérieure de paysage », qui verra le jour neuf ans plus tard en 1976.

Le 1er janvier 1968, il est nommé professeur à l’École des Beaux-Arts, section « Architecture » par le ministre de la Culture André Malraux, puis après le Groupe C, à la suite de la réforme de cette institution, il est affecté à la nouvelle Unité pédagogique darchitecture de Paris-La Villette (UPA 6).

De 1970 à 1972, il participe activement, comme représentant du ministère des Affaires Culturelles au projet (inabouti) de création d’un « Institut du paysage » à Versailles animé par Paul Harvois.

LE CNERP DE PARIS ET TRAPPES (1971-1979)

En 1971, ayant convaincu Serge Antoine de la création d’un enseignement spécifique pour le paysage,il rencontre avec J. Sgard, Robert Poujade, maire de Dijon et ministre délégué auprès du premier ministre (J. Chaban-Delmas), chargé de la protection de la nature et de l’environnement. Lassociation « Paysage » sous la présidence de Jacques Sgard et avec le concours, entre autres, du paysagiste P. Dauvergne vient d’être créée en 1968. Elle met en place à Paris à la rentrée 1972 la structure denseignement post diplôme qui préfigurera le Centre d’étude et de recherche du (ou sur le) paysage (CNERP). Celui-ci sera installé en 1974 dabord rue de Lisbonne à Paris, puis à Trappes dans les locaux provisoires dune unité pédagogique darchitecture avec lappui politique et financier du haut fonctionnaire Serge Antoine au ministère de lEnvironnement.

Les locaux du CNERP à Trappes (78) 1974-79, archives ENSP.

Jusquen 1976, date à laquelle il démissionne de ses responsabilités au CNERP qui connait des difficultés financières de fonctionnement, B. Lassus continuera à enseigner dans cette institution interministérielle. Il rejoindra la même année lENSP nouvellement créée au Potager du roi à Versailles après la disparition de la Section du paysage. Sous tutelle de lENSH et du ministère de lAgriculture, cet établissement développera la formation paysagiste de la Section du paysage (de deux à quatre années d’études) et prendra en charge les missions du CNERP qui sera supprimé en 1979. Elles concernent la formation au «Paysagisme d’aménagement, au Grand Paysage ». 

Dans les séminaires du CNERP, Bernard Lassus insiste sur la dimension sensible du paysage avec ses principes de coloriste, notamment de ceux de « contraste retardé » et de « dénominateur commun ». Il fait venir des musiciens, des anthropologues … dont le compositeur Pierre Mariétan, auteur d’œuvres contemporaines. Ceci afin douvrir les sensibilités des stagiaires à la question des ambiances sonores.

L’ECOLE NATIONALE D’ARCHITECTURE DE PARIS LA VILLETTE (1968-1998)

À la demande du directeur de l’Enseignement Supérieur du ministère de l’Education Nationale et après sa nomination comme professeur à l’École des Beaux-Arts, il est chargé avec Bernard Teyssèdre de créer en 1969 l’Unité d’Etudes et de Recherches d’Arts Plastiques et des Sciences de l’Art à l’université de Paris I (devenue l’UFR04 : centre Saint-Charles). Il y sera professeur et directeur adjoint jusqu’à sa dissolution par décision gouvernementale en 1973.

Parallèlement, de 1960 à 1977, ses recherches pour la Délégation Générale à la Recherche Scientifique et Technique (D.G.R.S.T.), sous la direction des professeurs Aigrain puis Curien, lui permettent de mettre en évidence ce que lethnologue Claude Lévi-Strauss, au cours de la présentation de ses résultats de recherches au Collège de France en 1974, a désigné comme un nouveau domaine, celui de lart des jardins dans lhabitat pavillonnaire que B. Lassus avait dénommé « les Habitants-Paysagistes ».

De 1980 à 1986, il devient professeur et directeur d’études de la formation doctorale (DEA 108) à l’Université de Paris Dauphine où il a été habilité à la direction de recherche (HDR).

Après son départ de lENSP de Versailles en 1986, il enseigne le paysage à l’Ecole dArchitecture de Paris la Villette où, en 1989, il crée avec Augustin Berque, Lucien Chabason, Alain Roger, Michel Conan et Pierre Donadieu une nouvelle formation doctorale : le DEA « Jardins, Paysages, Territoires » et le laboratoire homonyme, cohabilités avec lEcole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS).

L’affiche du DEA publiée en 1989, B. Lassus, Archives P. Donadieu, cl. S. Bonin


Le DEA est en effet une nouveauté dans le domaine de lenseignement du paysage au niveau Bac + 5 ans. Le DEA « Jardins, Paysages, Territoires » recrute des étudiants de toutes origines dont de nombreux Asiatiques. Lenseignement permet aux étudiants de suivre des cours sur les diverses théories du paysage, surtout culturalistes, puis d’élaborer des mémoires sous la direction de lun des enseignants. Ces mémoires ont pour objectif, ce qui est nouveau, de rendre compte de lassimilation par les étudiants des connaissances apportées afin de répondre à des questions d’aménagement formulées en termes de paysage et de jardin. Cette formation débouche pour une petite partie dentre eux  sur la préparation d’un doctorat.

Surtout théoriques, les enseignements apportent cependant des méthodologies adaptées à la question d’une recherche sur le paysage, en des tentatives de rapprochement Théorie-Pratique. En 1998, Bernard Lassus qui prend sa retraite pressent pour lui succéder Yves Luginbühl, alors directeur du laboratoire LADYSS du CNRS et des Universités de Paris1 Panthéon Sorbonne, de Paris 8 St-Denis et de Paris 10 Nanterre.  Nommé par les directeur de la recherche du Ministère de l’Éducation Nationale, Yves Luginbühl introduira les méthodologies de la recherche en développant les démarches des sciences sociales. Le DEA disparaitra en 2008.

Puis il prend sa retraite de professeur en 1998, mais poursuit son activité libérale darchitecte paysagiste et de plasticien.

L’ENSP DE VERSAILLES (1976-1986)

En 1976, au moment de la création de lENSP qui succède à la Section du paysage de lENSH, B. Lassus revient au Potager du roi, appelé par le directeur Raymond Chaux. Il créé et dirige avec le paysagiste Pascal Aubry latelier « Charles-Rivière-Dufresny » jusquen 1986. Son atelier est dabord suivi en alternance avec dautres ateliers de projets notamment latelier « André-Le-Nôtre » créé par le paysagiste Michel Corajoud avec ses anciens élèves de la fin de la Section (Jacques Coulon, Alexandre Chemetoff en particulier).

Dès le début des années 1980, une forte rivalité nait entre les deux systèmes pédagogiques qui reposent sur des principes de conception de projets différents, plus tournés vers larchitecture et lurbanisme chez M. Corajoud, plus transversaux, conceptuels et plasticiens chez B. Lassus. De 1984 jusqu’au départ de B. Lassus, pendant deux ans, les étudiants de troisième année se verront offrir un choix entre les ateliers concurrents Le Nôtre et Dufresny.

Le Potager du roi à Versailles

Parallèlement, émerge dès 1982 un projet de création d’un « Institut français du paysage » qui n’aboutit pas et provoque une grève des étudiants en 1985. La sortie de grève s’accompagne en septembre de la même année de la création du premier poste de maitre de conférences titulaire en « Théories et pratiques du projet de paysage », qui est confié après concours à Michel Corajoud (B. Lassus déjà professeur titulaire à l’Ecole d’architecture de Paris-La-Villette, n’était pas candidat).

Parallèlement, le titre professionnel de paysagiste diplômé par le ministère de lAgriculture est attribué par arrêté ministériel en 1985 à M. Corajoud et B. Lassus ainsi qu’à d’autres professionnels du paysage expérimentés ne s’étant jamais présenté au concours en loge pour devenir paysagiste DPLG.

En désaccord avec le Conseil des Enseignants de l’Ecole, et le responsable de l’enseignement au Ministère de l’Agriculture, B. Lassus et son équipe quittent lENSP en 1986. Plusieurs motifs ont pu expliquer ce départ (la rivalité persistante des deux chefs dateliers, la réforme pédagogique des ateliers de projet, un litige sur des rémunérations de vacation jugées insuffisantes, lopposition de certains enseignants paysagistes à la création dun laboratoire de recherches souhaité par B. Lassus depuis 1971 …).

LE CENTRE DE RECHERCHE DAMBIANCES ET LATELIER BERNARD LASSUS (depuis 1962…)

Parallèlement à son activité d’enseignant et de chercheur, Bernard Lassus poursuit sa participation à « l’inflexion du processus »5 d’aménagement de jardins et de paysages.

En 1982, B. Lassus et son équipe sont lauréats du concours pour le parc de la Corderie Royale à Rochefort. Il présente son projet à François Mitterrand qui linscrit dans les Grands Travaux de la Présidence de la République.

Bien que sfaisant partie des 10 premiers lors de la première phase pour le concours du parc de la Villette, il ne gagne pas cette compétition dont le lauréat est en 1983 l’architecte Bernard Tschumi. Après le 2ème tour, il sera troisième.

De 1990 à 2012, il devient conseiller auprès du directeur des routes (Christian Leyrit et ses successeurs Patrick Gandil et Patrice Parisé)  pour une politique paysagère, en particulier le 1% Paysage et Développement et les traces routiers nationaux au Ministère de l’Équipement, des Transports et du Tourisme, et coordinateur du collège d’experts Paysage et environnement (A. Roger, B. Rappin, P. Donadieu ). Parallèlement, il fera évoluer conception et réalisation des aires de repos et aménagera des sections courantes pour les sociétés ASF et Cofiroute (aujourd’hui Groupe Vinci). Commence alors pour lui une longue activité de paysagiste consacrée à la conception des aires de repos des sociétés autoroutières (notamment Nimes Caissargues, Crazannes …).

HORS DE FRANCE (1984-2006)

Professeur invité de 1984 à 1985 à l’Université de Kassel, puis de 1990 à 1991 à l’Université de Montréal, il est nommé professeur associé à l’Université de Philadelphie où il enseigne de 1995 à 2000.

Puis, il a successivement enseigné aux universités de Cambridge en 2002-2003, de Bologne et de Venise en 2004-2005 et, à l’Université Leibniz de Hanovre en 2005-2006.

Il a ainsi obtenu de nombreuses distinctions en France et à l’étranger.

DISTINCTIONS

Chevalier de la Légion d’Honneur, Ministère de l’Ecologie, 1989 

Prix de réhabilitation des logements sociaux, CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier), 1972,

Ruban d’or” de la Direction des Routes du Ministère de l’Equipement pour la réalisation de deux aires de repos de 65 hectares à Nimes-Caissargues, 1993,

Grand Prix du Patrimoine, « Le Jardin des Retours et l’aménagement du parc de la Corderie Royale » à Rochefort-sur-Mer, en 1995,

Grand Prix du Paysage en 1996,

Ruban d’or” de la Direction des Routes du Ministère de l’Equipement pour la réalisation dune aire de repos de 7 hectares « les Carrières de Crazannes » et de 2,5 km de carrières, en 1997.

Chevalier des Arts et Lettres, Ministère de la Culture, 1998

Officier de la Légion dHonneur, Ministère de l’Équipement, en 2005.

Hors de France

Docteur Honoris Causa de l’Université de Montréal, en 2002, pour « discipline davant-garde au carrefour des sciences, des sciences humaines et du paysage »

Docteur Honoris Causa de la Leibniz Universität Hannover, « en remerciement de lexceptionnalité de ses recherches, de son enseignement et de sa pratique », en 2006. Il sera membre du Conseil Consultatif Scientifique du Zentrum fur Gartenkunst+Landschaftarchitektur de cette même université de 2007 à 2015.

Docteur Honoris Causa de l’Université de Venezia en 2007, pour « son extraordinaire contribution à l’œuvre du Landscape Design et son constant engagement civil 

Médaille d’Or Sir Geoffrey Jellicoe, I.F.L.A. (International Federation of Landscape Architects)-UNESCO, en 2009. Voir sur le site de l’IFLA.

Médaille pour la Science, Istituto di Studi Avanzati, Università di Bologna, Italie, en 2010, pour ses études et applications de stratégie paysagère dans le respect de la biodiversité, de lhistoire, du multiculturalisme et des logiques sensibles

Il représente la France à l’ONU pour la conférence « Habitat 1 » à Vancouver, et fait de très nombreuses conférences organisées par l’Ambassade de France aux Etats-Unis, en de nombreuses universités au Liban, en Syrie, en Chine, en Russie, en Suède…….

 

PUBLICATIONS

Publications de Bernard Lassus

2012 –   Il restauro impossibile – Un progetto di Bernard Lassus per il Cilento – Paola Capone

 

 

 

2010 Paesaggio : unesperienza multiculturale Scritti di Bernard Lassus 
a cura da Francesca Bagliani
Editions Kappa, Rome, Italie

 

 

 

2007 Les Jardins Suspendus de Colas
Edit
é par Bernard Lassus, Paris

 

 

 

2004 Petit Patrimoine Péri-Urbain
Recherche effectuée par Bernard Lassus pour le compte de la Direction de la Nature et des Paysages au ministère de l’Ecologie et du Développement Durable

2004 Couleur, lumière … paysage – Instants d’une pédagogie
Introductions de François Barré, Florence Contenay, Peter Jacobs, Philippe Poullaouec-Gonidec,
Stephen Bann
 – Monum, Editions du Patrimoine, Paris

1999 La Mouvance, cinquante mots pour le paysage
A. Berque, M. Conan, P. Donadieu, B. Lassus, A. Roger, Dessins de B. Lassus. Editions de La Villette, Paris

1998  The Landscape Approach
Introduced by Stephen Bann, Peter Jacobs, Robert B. Riley
University of Pennsylvania Press, Philadelphia, U.S.A.

1995 The Landscape Approach of Bernard Lassus 
Texts translated and introduced by Stephen Bann, off-print from Journal of Garden History,
vol. 15, n° 2, p. 67 à 106, publisher Taylor & Francis,
Coracle Press, Londres et Bernard Lassus, Paris

1995 Bernard Lassus in Eden
By John Dixon Hunt, off print from Eden, n° 3, p 67 à 93
Edited by Benedetto Camerana, Turin et Bernard Lassus, Paris

1994 Autoroute et Paysages 
Publié à l’initiative de la Direction des Routes du Ministère de l’Equipement, sous la direction de
Christian Leyrit et Bernard Lassus, préface de Michel Tournier, avant-propos de Bernard Bosson avec la participation de Jacques Beauchard, Pierre Donadieu, John Dixon Hunt, Yoshio Nakamura, Jean-Marie Rapin, Alain Roger et Bernard Thuaud
ISBN : 978-2-907757-49-2
Editions du Demi-Cercle : 29 rue Jean-Jacques Rousseau 75001, Paris tél : 01 42 33 06 85 

1992 Hypothèses pour une Troisième Nature
Séminaire réuni à l’initiative de Bernard Lassus avec Stephen Bann, Christophe Bayle, Lucius Burckhardt, Anne Cauquelin, Lucien Chabason, Michel Conan, John Dixon Hunt, Lucien Kroll, Jean Pierre Le Dantec, Philippe Poullaouec-Gonidec, Franco Zagari, Préface de Pierre Mayet
Cercle Charles-Rivière-Dufresny, Coracle Press, Londres et Bernard Lassus, Paris

 

1991 Le Jardin des Tuileries de Bernard Lassus 
Avant-propos de Simon Cutts, commentaires de Stephen Bann, Christophe Bayle, Philippe Boudon, Lucius Burckhardt, Michel Conan, John Dixon Hunt, Philippe Poullaouec-Gonidec, Peter Jacobs, Robert B.Riley, Alain Roger
Edité par Coracle Press, Londres et Bernard Lassus, Paris

 

1990 Villes-Paysages, Couleurs en Lorraine 
Préface de Robert Schoenberger ; postfaces de Lucius Burckhardt, Stephen Bann et Michel Conan,
Editions Pierre Mardaga / Batigère, Paris

 

 

1983 The Landscape Approach of Bernard Lassus 
Texts translated and introduced by Stephen Bann, off-print from Journal of Garden History,
vol. 3, n° 2, p. 79 à 107, publisher Taylor & Francis,
Coracle Press, Londres et Bernard Lassus, Paris 

 

1977 Jeux
Préface de Michel Conan et Léo Scher, Paris
Editions Galilée, Paris 

 

 

1977 Jardins Imaginaires 
Collection “Les Habitants-Paysagistes”
Editions Presses de la Connaissance Weber, Paris

 


1976
Une Poétique du Paysage : le Démesurable
Paris-Vancouver, Ministère de la Qualité de la Vie, Habitat I conférence de lONU, Paris
Réédité en 1991. Bernard Lassus, Paris

1975 Le Jardin de l’Antérieur 
Avant-propos de Michel Conan, tirage limité à 300 exemplaires, 34 x 51,5, grand in-4, papier d’Arches, 16 pages, trois dessins sur calque
Bernard Lassus, Paris


Publications à propos de Bernard Lassus

2015, Massimo Venturi Ferriolo, Le Démesurable, une démarche de paysage, Presses Universitaires de Valenciennes.

2014 Le destin paysager de Bernard Lassus – Stephen Bann
Edition bilingue: Anglais, Français
ISBN : 978-2-910385-85-9
Lien – Link

 

2010 Die Kunst, Landschaft neu zu erfinden – Werk und Wirken von Bernard Lassus
Andrea Koenecke, Udo Weilacher, Joachim Wolschke-Bulmahn (Hg)
CGL-Studies 8, Leibniz Universität Hannover, Martin Meidenbauer Verlag (München), Allemagne

2006 Paesaggi Rivelati Passeggiare con Bernard Lassus
Massimo Venturi Ferriolo
Editions Guerini e Associati, Milano, Italie

2006 The Crazannes Quarries by Bernard Lassus
édition en Chinois ISBN7-5357-4481-8, Eds Hunan Publishing Group, Chine

2004
The Crazannes Quarries by Bernard Lassus
An essay analyzing the creation of a landscape by Michel Conan
Dumbarton Oaks Contemporary Landscape Design, Series I
Spacemaker Press, Washington DC., U.S.A.

LES IDÉES DE BERNARD LASSUS

Pendant presque 60 ans, la démarche de B. Lassus a exprimé une pensée nouvelle de l’environnement et de l’aménagement de l’espace, traduite en projets et souvent en actions concrètes exemplaires.

À l’occasion de la remise du Grand prix du paysage à B. Lassus en 1996, ses commentateurs résumaient son œuvre. J’en extrais quelques citations :

« En quarante ans, le principe de son travail est resté le même, celui d’élaborer et de structurer un code qui nous permet de voir, de reformuler un paysage dans toute son étendue () Il créait des espaces non pas en annexant de grandes étendues mais en élargissant de manière poétique leurs propres domaines restreints »(S. Bann, critique d’art).

« B. Lassus conçoit lartiste comme un chercheur au service de la société ou plutôt de chaque homme en société (…) et lart comme un dévoilement, une manière de donner à chacun une manière de sortir de nous, de savoir ce que voit un autre de cet univers qui nest pas le même que le nôtre, mais surtout pour être à même de poursuivre lexploration imaginaire du monde … » (M. Conan, sociologue et historien des jardins).

« Les conceptions de B. Lassus remettent en question de manière efficace le paysage conventionnel de la pratique professionnelle …en réinventant le banal et le quotidien en montrant aux architectes paysagistes la nécessité de créer des territoires mythiques ou métaphoriques » (J.-D. Hunt, historien des jardins).

1960- 1979

Il participe à de nombreuses expositions (la série des « Ambiances » de 1 à 14). Parallèlement, il élabore « le schéma directeur dapparences du centre directionnel de Marseille », proposition où il définit les principes plasticiens de la démarche quil utilise et enseigne : échelle tactile/visuelle ; contraste retardé/dénominateur commun ; miniaturisation/redondance6.

De 1967 à 1971, il applique ces concepts à l’étude des ambiances dune friche industrielle de 70 ha le site de la Coudoulière à quelques kilomètres de Toulon. « Les sensations tactiles y sont largement utilisées à l’échelle tactile et largement suggérées à l’échelle visuelle »7 L’étude propose d’établir les liaisons entre des micropaysages contrastés et de trouver les formes darchitecture correspondant à ces typologies.

À cette époque, il enseigne au CNERP ces notions nouvelles quil enrichit progressivement. Dans Une poétique du paysage : le démesurable publié en 1976, il développe le « démesurable » comme concept « opposable aux pseudo rationalités qui ont nié l’approche sensible et par la même ont étouffé le paysage »8. Pour ce faire, il expose son étude sur « Les habitants paysagistes »9 et quelques hypothèses de travail sur limaginaire poétique. Il explique le double concept d’ « apport » (d’un nouveau paysage) et de « support » (de « substrat paysager ») dont l’hétérogénéité est souhaitable, ainsi que le projet (gagné mais non réalisé) du Jardin de l’Antérieur.

C’est avec ces études quil arrive à l’ENSP en 1976 en suscitant chez les paysagistes enseignants beaucoup plus dincrédulité que d’intérêt. Il nest pas compris, mais persévère.

Blanche-Neige dans le jardin de Charles Pecqueur, Les habitants paysagistes, 1977, atelier Bernard Lassus. © Archives P. Donadieu

Les habitants-paysagistes, atelier Bernard Lassus. ©

Pourtant, de multiples questions d’aménagement formulées en termes de paysage nont à cette époque pas de réponses convaincantes chez les paysagistes ; comme celle par exemple de l’intégration paysagère des nouvelles constructions et des équipements routiers. B. Lassus y répond avec les concepts des arts visuels quil explique aux étudiants paysagistes. Mais leurs compétences restent centrées sur la conception et la maitrise d’œuvre de projets d’aménagements paysagers et assez peu sur les réponses en termes de régulation10 des paysages et de leurs apparences.

À cette époque, la Mission du paysage du ministère de lEnvironnement nest pas encore créée (elle le sera en 1979), et la politique gouvernementale de paysage est réduite à la protection des sites et des monuments historiques classés et inscrits, ainsi quaux études dimpact prévues par la récente loi de protection de la nature de 1976.

1980-1990

Pour convaincre la profession des paysagistes concepteurs, B. Lassus doit présenter des réalisations sinscrivant dans leurs compétences historiques de maitres d’œuvre. Car aucun dentre eux nest coloriste ou plasticien. Aucun naurait prétendu à la réhabilitation des façades dimmeubles de logements sociaux en Lorraine en utilisant la couleur comme « éléments du paysage »11.

En 1982, lopportunité lui est donnée de « faire ses preuves » avec le concours pour le parc de la Corderie royale à Rochefort. Il en est le lauréat face notamment à J. Sgard. Il utilise de nouveaux concepts : l’ « analyse inventive » et l’ « attention flottante » pour relier connaissance du site et processus de projet, ainsi que « l’entité paysagère » distincte par sa définition subjective de lunité paysagère objective des géographes12.

Dans ce projet, B. Lassus et son équipe inventent à Rochefort le Jardin des Retours comme théâtre de limaginaire de la relation retrouvée de la Corderie Royale et de son port historique à l’au-delà des mers. Vingt ans seront nécessaires à son achèvement, mais consacreront B. Lassus comme un architecte paysagiste reconnu.

Le Jardin des Retours de la Corderie royale à Rochefort, 1996, extrait de « Grand Prix du paysage », Ministère de lEnvironnement. Archives ENSP.

Trois autres concours (perdus) lui donnent loccasion daffiner la démarche de projet et dinventer de nouveaux concepts. En 1984, le concours du parc de la vallée du Molenbek près de Bruxelles, se traduit par la proposition du Jardin de l’Hétérodite où des éléments ruraux hétérogènes sont mis en relation par le projet. En 1990, celui du jardin des Tuileries à Paris est fondé sur un palimpseste de strates évoquant lhistoire du site et permettant de nouveaux usages en relation avec les bords de la Seine. La même année, celui de lEmscher Park à Duisbourg fonde le devenir dune friche industrielle (une ancienne cookerie) sur la re-naissance de la rivière Emscher oubliée.

Toutefois, de 1983 à 1989, la réalisation d’une passerelle « poétique », Le Serpent et les Papillons à Istres, près de Marseille, lui permet d’illustrer concrètement sa démarche en reliant deux quartiers coupés par une voie rapide.

1990-2000

En créant en 1989 à l‘École darchitecture de Paris la Villette, le Diplôme d’études approfondies (DEA) « Jardins, Paysages, territoires », B. Lassus réalise le projet de laboratoire de recherches quil avait introduit, sans succès, dans les deux projets inaboutis dInstitut du paysage à Versailles (1972 et 1985).

Il y enseigne lapplication des concepts élaborés pour ses projets et surtout développe la distinction paysage et environnement à partir du projet de la Ceinture verte de Francfort13. Il existe, dit-il, une « continuité » entre nature, paysage et environnement, mais le paysage relève du registre subjectif, alors que la qualité de lenvironnement (leau propre par exemple) appartient à celui, écologique, des pollutions et des nuisances à supprimer. Beaucoup reste alors à faire car, écrit-il, : « Un lieu non pollué n’est pas nécessairement beau »14.

En prenant cette position, B. Lassus rejoignait celle du géographe Georges Bertrand qui avançait dans les années 1970 le triptyque « Géosystème, Territoire, Paysage » où la notion de paysage exprimait la dimension sensible de la relation humaine à l’espace et à la nature.

B. Lassus mobilise cet « arsenal » de concepts dans le collège dexperts quil anime pour la Direction des routes au début des années 1990. Car à cette époque, quelques autoroutes peinent à « passer » là où les riverains et les associations sy opposent. Les succès obtenus ouvrent à B. Lassus le marché autoroutier, notamment celui des aires de repos dont il renouvelle totalement la conception en mobilisant ses concepts de projet à Nimes-Caissargues et dans les carrières de Crazannes près de Rochefort-sur-Mer.

L’autoroute A 837 dans les carrières de Crazannes, cl. B. Lassus et associés, 1996

C’est également au cours de cette décennie que sont publiés plusieurs ouvrages de « l’équipe de base » du DEA « Jardins, paysages, territoires ».15 A la suite de B. Lassus, chacun montre son souci de définir des concepts de connaissance et daction dans son champ propre. Le philosophe Alain Roger avec ceux depays/paysage, et d’artialisation in visu et in situ, le géographe Augustin Berque avec la médiance, l’écologue P. Donadieu avec la conservation inventive, l’historien et sociologue M. Conan, avec les identités paysagères, etc.

En 1999, B. Lassus, jeune retraité, cède sa fonction de directeur du DEA au géographe et agronome Yves Luginbühl, directeur de recherche au CNRS, et enseignant à l’ENSP de Versailles et à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Et cest Jean-Pierre Le Dantec, alors directeur de l’École darchitecture de Paris-La-Villette, qui prend la direction du laboratoire de recherches associée au DEA « Jardins, Paysages, Territoires » qui deviendra plus tard « Architecture, Milieu, Paysage ».

Pour conclure

La carrière de B. Lassus a laissé probablement plus de traces dans les écoles darchitecture du monde entier que dans les écoles de paysage. En France, où il fait désormais partie de lhistoire contemporaine de la profession de paysagiste, il est à la fois connu et méconnu. Connu par ses travaux et publications nombreuses comme artiste, coloriste et paysagiste concepteur, méconnu pour ses idées novatrices qui ont été diffusées mais peu retenues par la profession.

On trouve des marques de son influence dans les projets, atlas et plans de paysage réalisés par ceux de ses élèves qui se sont inspirés de sa démarche (A. Mazas, P. Aubry, M. Collin, A. Freytet, M. Péna C. Chazelle, P. Poullaouec-Gonidec au Canada…).

B. Lassus est beaucoup lu car il a beaucoup écrit. Sa production est sans doute lune des plus importantes parmi les paysagistes du XXe siècle. Pourtant les projets des paysagistes contemporains ny font pas allusion. En dautres termes il na pas engendré une école de pensée et de pratiques comme ont pu le faire en leur temps en France A. Le Nôtre, J.-P. Barillet-Deschamps, E. André ou Michel Corajoud. Peut-on lexpliquer ?

D’abord, il est probable que sa démarche n’est pas dissociable de son itinéraire personnel qui l’a conduit des arts visuels à l’architecture du paysage. Son langage conceptuel de plasticien comme ses réalisations sont singuliers. Ses projets sont les produits d’une méthode et de concepts originaux (analyse inventive, entité paysagère, apport/substrat, intervention minimale, contraste retardé par exemple). Ils ne préjugent pas des résultats de la démarche qui ne se prêtent à aucune imitation formelle. Cette méthode rationnelle aurait donc pu être reprise par les paysagistes concepteurs, mais elle ne l’a pas été.

On peut lexpliquer de différentes façons. Dabord le contexte politique, social et juridique des pratiques paysagistes qui a changé depuis 20 ans privilégie aujourdhui les approches scientifiques (écologiques et sociogéographiques notamment) et non les démarches artistiques et poétiques. Confrontés aux propositions des recherches sur lenvironnement cinétique et les jardins de B. Lassus ainsi que du land art en particulier, les paysagistes concepteurs ny ont peut-être pas trouvé les sources dinspiration leur permettant de concevoir leurs projets et de convaincre leurs clients. Enfin, le développement dans lenseignement paysagiste des démarches philosophiques dinspiration phénoménologique a privilégié les approches analytiques dites sensibles, et moins celles qui mettaient en avant la primauté des idées et des concepts de projet.

Les enseignants des écoles de paysage, paysagistes ou non, nignorent pas les travaux de B. Lassus. Quils soient historiens des jardins et du paysagisme, ou chef dateliers, ils ne peuvent éviter den parler au même titre que les autres professionnels qui ont marqué le métier (en France, E. André, J.-C.-N. Forestier, Les Duchêne, J. Simon, J. Sgard, M. Corajoud, G. Clément). Tout en laissant chaque étudiant mettre au point sa propre démarche de projet en fonction de ses propres références16. Peu, sans doute, ont de bonnes raisons de sinspirer des innovations conceptuelles de B. Lassus, nées dans un contexte qui nest pas celui du début du XXIe siècle.

Toujours avec la même rigueur dexplication, B. Lassus a exposé ses travaux aux étudiants architectes ou paysagistes concepteurs. Mais il na pas caché que sa démarche pouvait intéresser et concerner surtout des étudiants en fin d’études ou des jeunes diplômés déjà familiers des pratiques d’aménagement de lespace. Le succès remporté par le DEA Jardins, paysages, territoires en a témoigné. Pour cette raison la figure de B. Lassus est devenue pionnière dans lhistoire de la fondation de la recherche en architecture de paysage.

Plus reconnue à l’étranger quen France, distinguée par lUNESCO et lIFLA, la carrière de Bernard Lassus mérite d’être revisitée autant pour la cohérence, laudace et la pertinence des idées défendues que pour la persévérance avec laquelle lauteur du Jardin des Retours poursuit leur explication.

Pierre Donadieu

avec le concours de Y. Luginbüh, P. Aubry et B. Blanchon.

Avril 2020, remanié en février 2021 avec B. Lassus


Bibliographie

B. Blanchon, « Les paysagistes français de 1945 à 1975, l’ouverture des espaces urbains », Annales de la recherche urbaine, n° 85, 1999.

M. Conan, « Bernard Lassus (né en 1929) », Créateurs de jardins et de paysage en France du XIXe au XXe siècles, (M. Racine édit.), Actes Sud/ENSP, 2002.

J.-P. Le Dantec, Le sauvage et le régulier, arts des jardins et paysagisme, Paris, Le Moniteur, 2002, réédition en 2019.

B. Lassus, Biographie, https://www.bernard-lassus.com


Notes

1« Plafond : Matière visuelle » C.E.S de St. Avold, 1966-1967, mentionné par Stephen BANN, dans « Bernard LASSUS, paysages quotidiens, de l’ambiance au démesurable, catalogue de l’exposition au Musée des arts décoratifs de 1975.

2« Une sorte de bureau d’étude destiné à concentrer l’intérêt de spécialistes de divers disciplines -technologie, sociologie, psychologie – sur les problèmes complexes posés par la création de l’environnement. Parmi les membres les plus importants, le paysagiste J. Sgard, les ingénieurs Jacques Dreyfus et Jean Dourgnon, spécialiste de la lumière attaché au centre scientifique et technique du bâtiment », S. Bann, op. cit., p. 77.

3B. Blanchon, Pratiques paysagères en France de 1945 à 1975 dans les grands ensembles d’habitations, rapport final de recherche, volume 1, Plan Construction et Architecture, ministère de l’Equipement, des Transports et du Logement, 1998, pp. 52-54.

4B. Blanchon, « Les paysagistes français de 1945 à 1975, l’ouverture des espaces urbains », Annales de la recherche urbaine, n° 85, 1999.

5 « L’inflexus ou l’inflexion d’un processus », B. Lassus, dans « La Mouvance », (sous la Direction d’A. Berque), éditions de La Villette, Paris, 1999

6CREE, sept.-octobre 1973.

7La Coudoulière, une étude d’ambiance au bord de la Méditerranée par B. Lassus, Min. Equipement, DAFU, GRE, 1974.

8Une poétique du paysage : le démesurable par B. Lassus, Paris-Vancouver, 1976,

9B. Lassus, Jardins Imaginaires, Les habitants paysagistes, Editions Presses de la Connaissance Weber, Paris, 1977

10B. Lassus et P. Aubry auraient dit d’ « inflexion » …

11C. Bayle, « Uckange, restructuration urbaine », Urbanisme, n° 220, 1988

12B. Lassus, « L’analyse inventive et l’entité paysagère », Trames, revue de l’aménagement, vol. 2, printemps 1989, Montréal.

13B. Lassus (exposé de ), La ceinture verte de Francfort, 1990, doc. ronéo. Archives Donadieu/ENSP.

14B. Lassus, « Les continuités du paysage », Urbanisme et architecture, n° 250, 1991.

15A. Berque (dir.), Cinq propositions pour une théorie du paysage, Seyssel, Champ Vallon, 1994, 125 p.

B. Lassus et A. Berque (dir.), La Mouvance : du jardin au territoire, cinquante mots pour le paysage, Paris, Éditions de la Villette, 1999, 100 p.

A. Roger, Court traité du paysage, Paris, Gallimard, 1997.

16Ce que confirmait en 1995 Michel Corajoud  à Barcelone,: « Je n’ai jamais cessé de penser que le rôle de l’enseignant n’est pas celui de se substituer à l’étudiant pour lui imposer ses propres modes d’agencement mais de l’accompagner pas à pas au cours de sa démarche ». Colloque sur lenseignement et les pratiques paysagistes, http://corajoudmichel.nerim.net/10-textes/01b-colloque-de-barcelone.html

Le CNERP de Zsuzsa Cros

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Zsuzsa CROS

souvenirs d’une ancienne élève du Centre national d’étude et de recherche du paysage de Trappes

Zsuza Cros, paysagiste hongroise, ancienne élève du CNERP (1972-79), raconte sa carrière en France et en Hongrie.

Le bâtiment du CNERP à Trappes (78), dans les locaux d’une école d’architecture parisienne, archives ENSP Versailles.

Novembre 1972 était le début d’une grande aventure pour moi, jeune diplômée en 1970 en architecture des jardins et du paysage à Budapest1.

Déjà, sortir de la Hongrie barricadée à cette époque derrière le rideau de fer était une épreuve difficile. Comment ne pas être impressionnée quand on ne maîtrise pas encore bien la langue du pays d’accueil, de se retrouver face aux fondateurs et enseignants émérites et aux stagiaires français sélectionnés parmi les meilleurs de l’Ecole de Versailles ou d’autres disciplines : agronome, géologue, architecte, juriste, économiste, sociologue…

Cette formation post graduée a débuté dans les locaux de la rue de Lisbonne à Paris par des exposés des membres fondateurs et d’autres intervenants ponctuels de l’Association Paysage (Rémi PERELMAN, Jacques SGARD, Bernard LASSUS, Charles ROSSETTI, Jean CHALLET, Pierre DAUVERGNE…). Ils ont été rapidement suivis par les études de terrain avec 3 équipes constituées.

L’équipe qui a travaillé en Bretagne dans le secteur du Faou comportait 3 paysagistes et 3 stagiaires venant d’autres disciplines :

Alain Levavasseur : Paysagiste

Jean Pierre Saurin : Paysagiste

Zsuzsa Cros : Paysagiste hongroise

Pierre Poupinet : Géologue-biologiste

Christiane Tournier : Sociologue

Alain Sandoz : Juriste – économiste

Après les années d’études en Hongrie, le changement de pays, l’étude du Faou était pour moi la première investigation dans le domaine du paysage en France.

Plusieurs séjours sur le terrain et les débats entre nous ont permis des échanges, des confrontations, un travail d’équipe matérialisé par des rapports d’études que j’ai retrouvés au grenier parmi mes archives. Trois fascicules photocopiés au format A4 permettent d’évoquer cette expérience de nos débuts au CNERP, il y a presque 50 ans.

2 annexes témoignent des efforts des stagiaires pour avoir une bonne connaissance du terrain :

– une approche plutôt scientifique de la géomorphologie et des composants du milieu qui donnent la structure du paysage « naturel » représenté par une cartographie et des schémas détaillés.

– une approche sensible basée sur la perception du paysage de bocage qui constitue le liant et des éléments forts comme les rias, l’Aulne, la forêt de Cranou, la lande, le Menez-Hom, les Monts d’Arrée qui attribuent au paysage des valeurs particulières. C’est dans cette partie de l’étude que j’ai pu m’investir le plus avec une sensibilité probablement différente des autres stagiaires.

Pour moi la Bretagne était un terrain totalement inconnu, toutefois j’avais l’impression de trouver quelques similitudes avec ma région natale. En effet dans les deux cas il s’agissait d’un lieu éloigné, assez isolé du reste du pays, avec une situation péninsulaire qui donne l’impression de se trouver au bout du monde. Alors que dans le Finistère ce sont les données de la géographie naturelle et d’une histoire ancestrale qui déterminent les caractéristiques du site et du paysage, dans le cas de ma ville natale c’est l’histoire récente au 20ème siècle qui a radicalement transformé notre cadre de vie. La ville de Sopron est située aux confins ouest de la Hongrie, c’était le siège du « Burgenland » petite région qui à la fin de la première guerre mondiale fut rattachée à l’Autriche. Mais suite à un référendum en 1921 les habitants de Sopron ont voté pour rester hongrois. La ville a obtenu le titre glorieux de « Civitas fidelissima » mais elle se retrouvait comme une pointe, une poche isolée de son ancien territoire. À la fin de la deuxième guerre mondiale, l’installation du rideau de fer a conduit à une coupure totale non seulement avec les pays de l’Ouest, mais aussi avec le reste de la Hongrie car il fallait une autorisation pour séjourner ou se rendre dans cette zone frontalière. C’est dans ce milieu fermé, protégé, isolé du monde extérieur que j’ai grandi. À 5 km de la ville dans un vieux moulin à eau au milieu d’un grand jardin et d’un paysage romantique où se retrouvait chaque été notre famille avec les amis : mon père géographe et biologiste, mes oncles, l’un botaniste célèbre, l’autre architecte et peintre ont sûrement éveillé mon intérêt pour la nature et le paysage.

Mais revenant à notre terrain d’étude, le rapport final rédigé par les stagiaires en septembre 1973 à l’issue des analyses de terrain montre qu’il y a eu un vrai travail d’équipe dans lequel nous avions tous apporté notre propre expérience, notre vécu malgré nos approches différentes du paysage. Nous devions répondre aux préoccupations des demandeurs dans le cadre du Plan d’occupation du sol, du Parc Naturel Régional d’Armorique permettant d’orienter l’évolution future du paysage en évitant sa banalisation. Mais nous sommes arrivés à la conclusion que la notion du paysage est du domaine du sensible et est difficile à exprimer en matière d’aménagement.

Nous avons toutefois donné quelques recommandations :

  • Apprendre le paysage par la connaissance du terrain et les attentes des habitants, des usagers du paysage.

  • Quelques réactions des usagers après enquêtes spontanées sur le terrain

  • Raisonner paysage en tenant compte de ses composants, de ses caractéristiques, de ses possibilités d’évolution pour éviter la banalisation.

Paysage caractérisé par le liant homogène constitué par le relief, le bocage, les habitations et les éléments particuliers comme la rade, l’Aulne, le Menez Hom, la Forêt de Cranou, la lande, les vallées, les Monts d’Arrée

  • Les paysagistes sont des acteurs du paysage parmi d’autres, comme les élus, techniciens, agriculteurs, industriels, habitants, touristes…

Il est regrettable que les résultats de cette étude pionnière de paysage n’aient pas été publiés mais soit restés sous forme de petits fascicules photocopiés en noir et blanc qui ne mettent pas en valeur le contenu, les illustrations : montages de photos, cartes, schémas, dessins… des outils de visualisation indispensables pour sensibiliser au paysage.

Dans ce travail d’équipe, ce qui était intéressant, c’est que nous avions tous apporté notre propre expérience, notre vécu, donc une approche différente du paysage. Il fallait donc trouver un terrain d’entente, malgré les confrontations, les avis divergents, bref apprendre à travailler en équipe.

Unités de paysages du secteur du Faou et propositions d’aménagement : 1 Bocage, 2 Espaces semi déserts 3 Vallées, 4 La Vallée de l’Aulne, 5 Amphithéâtre du Faou

À la suite de ces 2 années expérimentales de formation j’ai été retenue comme chargée d’étude au CNERP où j’ai pu participer à la réalisation de plusieurs études de paysage dans différentes régions tout en continuant à travailler en équipe. Quelques exemples :

L’étude paysagère de la Vallée de la Seine, réalisée en 1974, pose la problématique commune aux vallées fluviales qui sont des lieux privilégiés pour l’établissement humain. Le tronçon étudié en Seine et Marne, entre Morsang-sur-Seine et Moret-sur-Loing, est soumis aussi à la pression urbaine de la région parisienne. Il est intéressant de revoir avec recul la démarche utilisée pour l’analyse des paysages de la vallée mettant l’accent sur la structure du paysage issue d’une approche essentiellement visuelle. L’étude traite aussi du problème des sablières et de leur réaménagement.

L’étude paysagère de Fontevrault réalisée en 1975 à la demande de la Caisse des Monuments historiques, avait comme objectif la reconversion et la mise en valeur de l’ensemble abbatial et son environnement fortement dégradés à la suite de l’utilisation en centre pénitentiaire. L’aspect peu accueillant du village, les bâtiments historiques en mauvais état, les jardins en friche, l’isolement du site par les camps militaires étaient loin d’être gratifiants à cette époque pour un patrimoine historique exceptionnel. Aujourd’hui on ne peut que se réjouir en visitant l’abbaye devenu un centre culturel de portée internationale entouré d’un village accueillant. L’étude du CNERP était peut-être un premier pas vers la revalorisation de Fontevrault.

L’impact du reboisement sur le paysage des Ardennes. La préoccupation des demandeurs d’étude était le problème du reboisement en résineux sur le paysage de cette région frontalière qui a beaucoup souffert non seulement de de la première guerre mondiale mais du déclin industriel et agricole récents. Comme la forêt mitraillée avait peu de valeur comme bois d’œuvre pour l’industrie du bois, l’ONF a opté pour les coupes à blanc des massifs de feuillus truffés de projectiles et a mis au point une technique de reboisement en lignes. Les coteaux se trouvaient peignés de lignes régulières de résineux inappropriées dans le paysage légendaire de la Vallée de la Meuse sans parler des conséquences écologiques. Le reboisement en résineux s’est développé aussi dans les clairières des zones agricoles sous forme de timbres-poste. L’équipe du CNERP a réalisé un survol de la région en avion de tourisme pour sensibiliser avec les vues aériennes forestiers et agriculteurs au mitage du paysage.


Boucle de la Meuse à Monthermé Reboisement en bandes dans les Ardennes

L’étude du PAR de l’Argonne s’est finalisé par un document de sensibilisation graphique peu habituel, présenté à la manière de bandes dessinées grâce au coup de crayon de Jean-Pierre Boyer graphiste talentueux intégré à l’équipe. Après enquêtes et études sur le terrain les caractéristiques du paysage existant et futur sont représentées sous forme de scénographie fictive et ludique (modèle de villages avec les noms rebaptisées: Argonnay, Argonette) mais leur description s’inspire de la réalité du terrain, du cadre de vie des habitants. Une publication en anglais dans la revue Landscape planning No3/1980 révèle les résultats de cette étude.

J’ai été frappée dans ce paysage par le contraste entre la vallée de l’Aire, bucolique, et les forêts sombres qui ont connu des combats terribles pendant la Première Guerre Mondiale. On y voit encore les tranchées et les cratères des obus. Nous avons étudié les formes des villages dont de nombreux ont été bombardés, mais qui sont souvent des villages-rue, avec les usoirs, espaces collectifs où les habitants entassent le bois de chauffage et le fumier. Les maisons sont souvent en longueur, avec des pièces aveugles, sans fenêtres. Nous avons tenté de redonner aux habitants une meilleure image de leur paysage marqué profondément par cette guerre, en leur montrant que ce paysage avait des atouts et des valeurs indéniables.

Paysage bucolique de l’Argonne : la vallée de l’Aire Modèle de village schématisé en Argonne

Après avoir quitté le CNERP j’ai continué à exercer comme chargée d’études dans le domaine du paysage :

De 1980 à 1987 auprès de Jacques SGARD à l’Atelier d’Urbanisme et du Paysage, en contribuant à la réalisation d’études et projets de paysage, d’études d’impact des grandes infrastructures, notamment pour l’implantation des lignes électriques THT de 400 000 volts. Ces études ont exigé une analyse approfondie du terrain, afin de pouvoir proposer les tracés ayant le moindre impact sur l’environnement et le paysage. L’EDF assurait l’impression des documents en offset en couleurs. Cela a permis une meilleur qualité du rendu d’étude et d’ utiliser des techniques de représentation visuelle plus attrayantes aux niveaux graphique, cartographique, photographique.

Détail du tracé retenu pour l’implantation de la ligne Argoeuves-Penly dans la Somme

Recherche de tracé sur la presqu’ile de la Hague et photomontages avec emplacement des pylônes

De 1987 à 1993 à la SEGESA – Société d’études géographiques, économiques et sociologiques appliquées où j’ai contribué au développement de l’activité dans le domaine du paysage. J’ai participé à l’élaboration de plusieurs études dans différentes régions à différentes échelles ainsi que dans le cadre de la recherche méthodologique avec Yves Luginbühl lui aussi ancien du CNERP. A titre d’exemple je cite ici quelques études réalisées à la SEGESA sous la direction de Jean-Claude Bontron.

L’étude sur les paysages de la vallée de la Loire a consisté à réaliser un inventaire des paysages riverains de la Loire dans la partie Pays de la Loire et à en faire une évaluation permettant d’établir un ordre de priorité d’intervention pour le Conservatoire des rives de la Loire et de ses affluents afin de garantir la qualité de ces espaces. Une approche nouvelle basée sur les enquêtes nous a permis de connaître les représentations du paysage des riverains et la valeur qui lui est attribué par les différents usagers. Cette méthode fut utilisée par la suite pour établir une méthodologie commune pour les Atlas de Paysages permettant de couvrir tout le territoire français. Cette étude a permis de rassembler les avis des communes par une enquête auprès des maires ou des secrétaires de mairie des communes riveraines de la Loire, soit 100 communes ; nous avons obtenu 80% de réponse et avons pu cartographier les paysages appréciés ou non par les habitants, les évolutions des paysages et les projets d’aménagement ; nous avions envoyé aux mairies une carte de la commune avec une légende. Le résultat a été présenté devant le Président du Conseil Régional des Pays de la Loire, Olivier Guichard et les maires. L’étude a été réalisée en parallèle avec une méthodologie d’identification et de caractérisation des paysages pour le Bureau des Paysages du ministère de l’environnement. Elle a ensuite permis d’aboutir à la première méthode des Atlas de paysages, publiée en 1994.

Iconographie et textes littéraires sur la Vallée de la Loire

Les enquêtes sont devenues des outils incontournables pour mieux connaître les attentes des utilisateurs vis à vis du paysage.

L’étude sur les paysages de la baie du Mont-Saint-Michel comprend deux parties. L’une basée sur l’analyse géographique et paysagiste visant à identifier les caractéristiques, la structure et les dynamiques des paysages de la baie, l’autre basée sur les enquêtes permettant de saisir les représentations que les acteurs de la baie, résidents permanents ou temporaires, touristes ou acteurs institutionnels se font du Mont-Saint-Michel et de sa baie. La stratégie des décideurs devait se nourrir de ces représentations pour mieux ancrer les projets d’aménagement dans le milieu social de la baie. Les entretiens réalisés ont permis de constater une évolution des représentations sociales des paysages chez les personnes interrogées qui ont évoqué en plus de la vue, les odeurs, celles des lisiers ou de la mer, les sons, comme les chants des oiseaux, le toucher, comme par exemple la marche sur la tangue, c’est-à-dire la plage. C’était la première fois que tous les sens humains apparaissaient ouvertement dans la perception du paysage par les habitants.

Acteurs enquêtés : agriculteurs, ostréiculteurs, pécheurs, chasseurs, résidents, résidents secondaire, touristes, institutionnels

Avec Mairie-Conseils2 nous avons organisé des ateliers pour la mise en place de communautés de communes. Les élus et les techniciens des différentes communes devaient réaliser les cartes thématiques avec l’aide des paysagistes, interpréter ensemble les résultats, faire une visite collective sur le terrain où chaque maire présentait les caractéristiques de sa propre commune et les projets souhaités. Cette méthode participative a permis de faciliter les échanges, de trouver un bon terrain d’entente pour travailler ensemble dans le cadre d’une nouvelle organisation intercommunale.

Cette méthode participative a été aussi exploitée dans le cadre du Plan Paysage de la vallée de la Dordogne pour EPIDOR avec la participation de 289 communes riveraines. Mais j’ai dû interrompre cette étude à cause de mon départ pour la Hongrie.

Entre 1993-2003 je suis retournée avec ma famille en Hongrie où mon mari a travaillé pour plusieurs sociétés franco-hongroises. Pour moi ces 10 années étaient des retrouvailles avec mon pays tout en gardant le contact avec la France et mes collègues français.

Je donnais des cours à l’Institut de Gestion de l’Environnement de l’Université d’Agriculture à Gödöllö et à l’Ecole du Paysage de Budapest. L’exposition présentée à Budapest au siège des Monuments Historiques ayant comme titre « Paysage culturel – Protection au niveau local » était l’occasion de montrer un petit coin bucolique de la Hongrie menacé par l’évolution récente de la ville au détriment de son environnement naturel.

Iconographie d’époques différentes représentant le village et le moulin d’eau près de Sopron en Hongrie

Pendant mon séjour en Hongrie j’ai participé au programme européen INTERREG sur les Paysages Viticoles, Patrimoine Mondial de l’UNESCO sur 7 sites européens dont le Tokaj. L’évolution de la région viticole de Tokajhegyalja et la renaissance du célèbre vin de Tokaj a été étudiée pendant plusieurs années par une équipe française (Nicole Mathieu, Françoise Plet, Yves Luginbuhl, Aline Brochot…dont je faisais partie en facilitant les échanges entre les chercheurs français et les acteurs hongrois). Les nombreuses visites effectuées dans la région, les enquêtes réalisées auprès des viticulteurs (œnologues, investisseurs étrangers, viticulteurs hongrois) des institutionnels, des habitants…ont donné une riche matière à exploiter. Plusieurs publications en français et en hongrois relatent les résultats de ce travail.

Nous avons aussi monté une coopération scientifique PICS dirigée par Françoise Plet, entre le LADYSS3, l’Académie des Sciences de Budapest (Victoria Szirmai) et celle de Varsovie où nous avons travaillé ensemble sur les jardins familiaux. Cf. : Yves Luginbuhl : Jardins de tous les désirs d’Europe centrale. In Les carnets du paysage – Acte sud n° 9&10 – pp. 229-255.

Par la suite j’ai travaillé avec Gabor Onodi et une équipe constituée avec les étudiants de l’Institut de Gestion de l’Environnement de Gödöllö sur la transformation des jardins ouvriers et familiaux en Hongrie en comparaison avec les tendances d’évolution dans d’autres pays européens. Un livre fut édité en hongrois ; Cf. :Cros Karpati Zsuzsa – Gubicza Csilla – Onodi Gàbor : Kertségek és kertmüvelök urbanizàcio vagy vidékfejlesztés ? MGK 2004. (Jardins et jardiniers, urbanisation ou développement rural ?)

Revenue en France, de 2003 à 2007, j’ai travaillé comme chercheur associé au LADYSS/CNRS sur la méthodologie des Atlas du Paysage. Nous avons contribué au lancement du Système d’Information sur la Nature et les Paysages (SINP) pour le Bureau des Paysages dirigé par Jean-François Seguin avec son adjointe Elise Soufflet. À partir de la méthodologie des Atlas de Paysage que nous avions élaborée en 1994 nous avons développé de nombreux aspects des atlas de paysage et engendré l’actualisation de la méthode à niveau national. Malheureusement, au départ à la retraite de Jean-François Seguin, ses successeurs n’ont pas continué et seule la nouvelle méthode a été publiée en 2015. En effet, la nouvelle méthode des Atlas de paysages a été rédigée par cette équipe du laboratoire LADYSS et elle a été publiée en 2015. Elle permet d’actualiser l’ancienne méthode ; la décision de réaliser un atlas de paysages tous les 10 ans a été prise par le Bureau des Paysages du ministère de l’environnement.

Couverture de la méthode des Atlas de paysages publiée en 2015.

Dans la perspective de notre retraite nous avons acheté en 2004 une vieille maison en face du Château de Villandry qui est devenue notre résidence principale. Après toutes ces années consacrées aux paysages c’était le retour aux jardins ; d’abord la création de mon propre jardin, puis en 2008 du réseau « Guest & Garden-Hôte et Jardin-G&G » pour valoriser le tourisme de jardins dans la Vallée de la Loire dont font partie nos chambres d’hôtes au jardin nommées « Petit Villandry ». J’ai également lancé l’association « L’embellie de Villandry » dont le but est de contribuer avec la participation active de la population du village de Villandry à l’embellissement floral et paysager de la commune. Je peux ainsi partager ma passion des jardins et des paysages avec des hôtes venant des quatre coins du monde.

Rémi Perelman et son épouse nous y ont retrouvés il y a 2 ans et nous avons naturellement remémoré nos souvenirs de l’époque du CNERP, parlé du paysage et de la possibilité de retrouvailles entre anciens « Cnerpiens ». Il nous reste à trouver le lieu et le moment !!! Pourquoi pas à Villandry ?

Les jardins de Villandry – Aquarelle de Florence d’Ersu

En guise de conclusion

Que pourrais-je dire de cette longue expérience au service des paysages français mais aussi au-delà de l’hexagone ? Le CNERP était sans doute le point de départ vers une autre façon d’aborder le paysage où l’approche visuel des paysagistes a été élargie par l’apport des autres disciplines scientifiques et sociologiques. Durant ce presque demi-siècle nous avons pu assister à l’évolution non seulement de la méthodologie mais aussi à celle des outils employés. L’étude du terrain permettant l’inventaire des composants du paysage, la compréhension de sa structure, de ses tendances d’évolution a été complétée par les enquêtes effectuées auprès des acteurs du paysage.

Il est intéressant de rappeler à quel point les outils employés ont changé pendant notre parcours professionnel avec l’apparition et le progrès de l’informatique ! Les cartes IGN indispensables lors du repérage sur le terrain étaient relayées par la géolocalisation, la cartographie manuelle par les cartes numériques, les photos argentiques par les photos numériques, les textes manuscrits ou tapés à la machine par l’ordinateur, la présentation orale des résultats de l’étude par la projection de diaporamas, de vidéos. Les seuls outils qui semblent immuables pour les paysagistes restent les dessins manuels sous forme de croquis, schémas, vol d’oiseau, blocs-diagramme.

Nous avons attribué beaucoup d’importance lors de nos études à l’iconographie ancienne pour sensibiliser à l’histoire des paysages et leur évolution dans le temps. Il est probable que nous, « anciens cnerpiens », avons pu y laisser aussi nos empreintes pour les générations futures.

Zsuzsa Cros, Mai 2019


Bibliographie

https://topia.fr/2018/11/30/les-debuts-de-lenseignement-a-lensp-2/


Notes

1 La formation de paysagistes (Landscape and Garden Engineer) a débuté dans les années 60 en Hongrie au sein de l’Institut d’Horticulture et de Viticulture avec un recrutement sur concours après le Bac, elle durait 9 semestres. Après 2 ans de formation générale de botanique, dendrologie, horticulture, pathologie végétale, biochimie…on pouvait choisir une discipline spécifique. Je faisais partie de la deuxième promotion de paysagistes qui comptait 10 élèves entre 1965 et 70. Depuis 1987, l’institut est devenu l’Université d’horticulture et d’industrie alimentaire avec des effectifs beaucoup plus élevés : actuellement, le nombre de personnes pouvant être inscrites à une formation spécialisée comme architecte-paysagiste ou paysagiste d’aménagement varie entre 25 et 140 en raison du besoin de spécialistes.

2 Groupe Caisse des dépôts et consignations

3 Laboratoire Dynamiques Sociales et Recomposition des Espaces

Pierre Dauvergne et le Conseil Général du Val-de-Marne

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Pierre Dauvergne et le Conseil Général du Val-de-Marne (CG 94)

1985-2005

 

Pierre Dauvergne raconte la période de sa carrière consacrée au Conseil Général du Val-de-Marne, après ses fonctions d’enseignant à l’ENSP.

 

Ce texte est un témoignage. Il peut être utilisé en citant les sources (P. Dauvergne, Topia/Histoire et mémoire, 2019)

 

À la fin de 1984, je rencontre Michel GERMA, Président du Conseil Général du Val-de-Marne. C’est pour moi, un évènement majeur ! Je suis délégué général de la Fédération Française du Paysage (FFP) pour l’organisation des premières Assises Nationales du Paysage « …Pour une politique du Paysage » (du 11 au 13 Octobre 1984 à Aix-les-Bains). Mon rôle était de trouver les personnalités des principales formations politiques du moment pour la présidence des quatre carrefours thématiques.

À ces Assises ont participé deux Ministres : Huguette BOUCHARDEAU (Environnement) et Michel ROCARD (Agriculture), deux députés de la Savoie, Michel BARNIER, pour le RPR, Président du CG de la Savoie, et Éric BESSON, pour le PS.

Le Parti communiste français (PCF) a désigné Michel GERMA (CG 94), après les désistements successifs de Georges VALBON CG 93), puis de Jacques RIMBAULT (maire de Bourges), pour présider et animer avec Michel CORAJOUD, professionnel paysagiste, l’un des quatre carrefours thématiques, “les espaces urbains et industriels”.

Il m’a reçu dans son bureau avec, sur l’un des murs en face de lui, une grande mosaïque de photos aériennes de l’IGN couvrant le département. Notre rencontre, fait tout à fait exceptionnel, dura tout un après midi, durant lequel nous avons fait une lecture ensemble du territoire, et tracé des possibilités pour sa valorisation et son aménagement.

Une grande familiarité d’approche s’installa entre nous, d’autant que son père avait travaillé dans les forceries de lilas sur le plateau de Vitry-sur-Seine.

À plusieurs reprises, Michel Germa m’a fait comprendre qu’il cherchait quelqu’un pour la direction du Service des Espaces Verts Départementaux (SEVD), poste alors laissé vacant par Jean Luc BONJOUR, ingénieur horticole, parti à la Direction des Espaces Verts des Hauts de Seine. Je me suis alors engagé à prendre des contacts avec la profession pour lui suggérer des candidats, sans penser à mon éventuelle candidature !

Quelques semaines après, lors des Assises à Aix-les-Bains, je lui ai dit que le poste pouvait m’intéresser. Il m’encouragea à présenter mon dossier à l’administration départementale dirigée alors par Michel-Camy-Perret.

Le jury m’a désigné parmi une dizaine de candidats, j’étais le seul candidat paysagiste, les autres étant des ingénieurs et techniciens horticoles.

Ma décision correspondait à mon souhait, qui, depuis quelque temps, était de m’échapper des services centraux des Ministères successifs de l’Équipement, du Logement, de l’Aménagement ou de l’Environnement. En effet, j’étais saturé par les études générales, dites méthodologiques, les guides techniques, … et surtout sans pouvoir agir véritablement sur le terrain et travailler avec les “locaux”.

Depuis 1982, la décentralisation se mettait en place. C’était le moment de faire un choix, qui me permettrait de régler ma situation précaire de contractuel m’empêchant d’accéder à de véritables responsabilités, et d’intégrer la Fonction Publique Territoriale.

J’interromps alors mes missions en cours, que je juge incompatibles avec la direction quotidienne d’un service comprenant un peu plus de cent agents, dont mes responsabilités d’enseignant à l’ENSP, et de conseiller scientifique “Paysage” au sein de la cellule environnement de la Ville Nouvelle du Vaudreuil.

En 1967, année de création du Département du Val de Marne, existaient 27 hectares d’espaces verts hérités de l’ancienne Seine. À la fin de 1999, ce sont 390 hectares de parcs, jardins et espaces verts départementaux, dont 159 hectares de parcs ouverts au public, au nombre de 14, 80 hectares en attente d’aménagement, 79 hectares d’espaces extérieurs aux collèges, 11 hectares de jardins de crèches, et 23 hectares à usage privatif : la pépinière et le centre de modélisme. Ce sont également 311 hectares de parcs de sports et de loisirs dont, 75 hectares pour le parc interdépartemental de sports et de loisirs du Tremblay à Champigny sur Marne, 64 hectares pour la base de plein air et de loisirs à Créteil, et 182 hectares pour le parc interdépartemental des sports et de loisirs à Choisy le Roi.

Soit 674 hectares supplémentaires qui ont été acquis en 30 ans !

Aux côtés de Michel GERMA

 

20 années au service du Val de Marne :

Depuis 1985, mon parcours dans l’administration départementale :

– 1985 recruté comme Chef du Service de Espaces Verts Départementaux (SEVD)

– 1988 : le SEVD est érigé en Direction. J’en deviens le Directeur (DEVD)

– 1991 : Création de la Direction de l’Aménagement (DAM). J’en deviens le Directeur.

En son sein, la Délégation au Paysage (DAP) est créée.

-1994 : Promu Directeur Général Adjoint, chargé des services techniques, de l’aménagement

et de l’Environnement, dont la DEVD. Celle-ci devient la Direction des espaces verts et du

Paysage (DEVP), après l’intégration de la Délégation au Paysage (DAP).

– Enfin, promu Directeur Général Adjoint, chargé de l’environnement et du cadre de vie

– 2005 : Départ en retraite.


DE 1985 à 1991 : DES ESPACES VERTS AU PAYSAGE ET A L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE DU VAL DE MARNE :

Recruté le 1er janvier 1985, en poste jusqu’en décembre 1987, Chef du Service des Espaces Verts Départementaux (SEVD). Puis, en mai 1991, le Service devient une Direction, la Direction des Espaces Verts Départementaux (DEVD). Je suis placé sous la direction du Directeur des Services Techniques d’alors, et de deux ingénieurs des Ponts et Chaussées Jean CHAPELON et Michel MERMET,

Durant les premiers mois, un constat, une stratégie d’actions, et les fondements d’une politique :

Depuis la création du Département, Michel GERMA a souhaité protéger les terrains boisés ou non, pour les aménager et ce, dans les secteurs les plus densément peuplés, et “martyrisés” par une urbanisation non maîtrisée. Après de nombreux contacts et d’échanges avec les agents, la visite de l’ensemble des sites gérés par le service, et ceux en cours d’acquisition, ou en cours de travaux d’aménagement, je fais un constat :

Le SEVD est un bel outil technique, un potentiel… Néanmoins, un certain nombre de questions apparaissent :

– Les parcs réalisés sont impeccables, mais se ressemblent tous, quel que soit leur environnement. Il s’en dégage une certaine monotonie, tristesse, du fait du choix des végétaux très en vogue, en particulier dans les pays anglo-saxons.

Ce constat induit une réflexion critique sur la palette végétale et les végétaux mis en culture à la pépinière départementale à Mandres-les-Roses.

– Les parcs sont bien verts ! sans beaucoup de couleurs et pas de fleurs, si ce n’est celles des arbres et arbustes. A cette époque, je dis que “les espaces verts sont des déserts verts”, un constat assez général à l’époque.

Conséquence immédiate, plantation massive de bulbes : tulipes, narcisses et jonquilles pour le fleurissement au printemps.

– Les parcs sont sans vie, sauf les classiques jeux industrialisés pour les petits, mais rien pour les adolescents, les adultes.

Conséquences : Revoir le « gardiennage » des parcs, en faisant évoluer progressivement le profil des agents, comme par exemple le recrutement de femmes et surtout, changement dans le costume des gardiens, assimilés par les jeunes à des CRS … !

Un concours est organisé avec les étudiants d’une école de Cachan. Le jury comportant enseignants, élus et membres du SEVD retient un projet. Celui-ci est fabriqué à grande échelle, car il est décliné pour d’autres agents techniques départementaux. Le visage des parcs commence à changer !

– La conception des parcs était confiée au Bureau de Dessin, alors composé de deux dessinatrices. Il fallait dimensionner la fonction d’étude à la hauteur de la charge du nouveau plan décennal des espaces verts.

Ainsi, dans un premier temps, les dessinatrices bénéficieront d’une initiation-formation aux techniques de représentations. Ensuite, un Bureau d’Etudes est créé. Plusieurs paysagistes sont recrutés, pour la plupart des anciens élèves de l’ENSP où j’enseignais : Une équipe de maîtrise d’œuvre et de maîtrise d’ouvrage publiques en paysage, se met rapidement en place. Elle sera la principale agence publique de paysage en France.

Ont été ainsi recrutés les paysagistes Véronique LATHIERE, Vincent BENARD, Daniel JARRY, Jacqueline VARIER-GANDOIS, Florence CARRIERE, puis, Marion GILLIOT, Martine RENAN, auxquels se sont joints par la suite des agronomes, forestier, géographe, urbaniste.

L’avantage d’une telle structure, c’est de se donner les moyens de tenir dans la longue durée la cohérence des actions et projets au fil des acquisitions foncières, et donc de nouvelles tranches de travaux. C’est aussi la meilleure façon d’associer autour des projets tous les agents qui auront aux divers stades leur part de responsabilité. C’est la meilleure garantie de tenir dans le temps les objectifs. J’ai donc pu vérifier sur le terrain le bien-fondé de mes positions tenues en tant qu’élu à la Ville Nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines, puis au CNERP avec la recherche sur les espaces extérieurs du germe de la ville nouvelle du Vaudreuil :

Bibliographie : En 1977 – « la conception des espaces extérieurs et la coordination des divers intervenants ». Dans « espaces extérieurs » – Centre de Recherche en Urbanisme (CRU), en 1979 « la gestion des espaces verts », le colloque de Marly « espaces verts et habitat » – CRU, en 1980, les « espaces verts et collectivités locales » dans les conclusions du rapport du groupe de travail de la revue « Espaces verts » n° 66, en 1985, « Le projet de paysage … un processus complexe à gérer, une chaîne d’intervenants à mettre en place » dans la Revue P+A n° 3.

– Michel GERMA était très attaché à la Roseraie Départementale à l’Hay-les-Roses, remarquablement dirigé par son responsable André BRUNEL.

Mais, Michel GERMA regrettait que ce bijou, qui représentait un coût relativement élevé ne soit pas suffisamment connu et ne profite qu’à une population périphérique. Je lui ai alors proposé la création d’une association, afin de faire rayonner la roseraie avec la présence de scientifiques du monde végétal, des rosiéristes-producteurs de nouvelles variétés, amateurs, collectionneurs de roses, …C’est ainsi, qu’est née l’Association des Amis de la Roseraie Départementale à L’Haÿ-les-Roses.

– Il convenait de développer encore plus ce que l’on a appelé l’animation des parcs. Pour ce faire un nouveau service est créé, celui de la “vie des parcs”. Le service gère alors une population non plus de gardiens mais d’agents d’animation, afin d’organiser des manifestations diverses et des fêtes en lien avec les communes d’implantation. Il participe à la conception des parcs pour anticiper sur les pratiques des utilisateurs, notamment il définit la nature des équipements à implanter.

– Une politique de communication se met également en place pour toucher les Val de Marnais et ainsi développer la fréquentation des parcs.

– L’art s’introduit dans les parcs : Le Fonds Départemental d’Art Contemporain est mobilisé et investit les parcs départementaux. Des œuvres, sculptures et installations y sont implantées. La DEVD en prépare l’accueil en lien étroit avec Raoul JEAN-MOULIN, critique d’art, responsable du Fond Départemental d’Art Contemporain (FDAC), qui a préfiguré le Musée d’Art Contemporain du Val de Marne (Le MACVAL), et les artistes, dont Eugène DODEIGNE et Jean CLAREBOUDT au parc du Rancy, Peter STAMPFLI au parc du Petit Leroy, d’autres y sont créées in situ : Jean CLAREBOUDT et Irmgard SIGG au Parc du Plateau à Champigny-sur-Marne, Eva WELLESZ aux Domaine des Marmousets.

De Peter STAMPFLI « empreinte de pneu S 155 » dans la pelouse du Parc Petit Leroy à Chevilly -Larue. 30 mètres par 3, 40. Une fabrication, transport et installation épiques !

De droite à gauche Anne DALSTRÖM, chef du service culturel, Peter et Anna-Maria STÄMPFLI lors du vernissage d’une exposition du FDAC. Cliché CG 94.

– Enfin, la partie noble des missions du SEVD, celle de la gestion, sont structurées en deux divisions territoriales, afin d’être plus en prise au quotidien avec la vie des parcs. La subdivision à l’Ouest de la Seine comprend la roseraie, tandis que celle à l’Est, comprend la pépinière.

Le SEVD étant reconfiguré, enrichi, il pouvait penser et réaliser le nouveau plan décennal des espaces verts.

 

LES RÉALISATIONS ET ACTIONS MARQUANTES :

La conception et la mise en œuvre du plan décennal d’espaces verts 1987 – 1996 :

Le précédent plan décennal 1976 – 1986 concernait principalement les opérations foncières pour les futurs parcs. La relative lenteur entre le moment de réaliser un parc et les délais nécessaires pour en maîtriser le foncier s’explique dans le cas du département par le non recours aux expropriations, mais plutôt à des négociations à l’amiable.

Ces préalables étant suffisamment atteints, pouvaient alors s’ouvrir l’aménagement des premières tranches de travaux, et débuter deux décennies de projets et de réalisations, une période enthousiasmante pour les agents :

° Achèvement du Parc du Plateau à Champigny-sur-Marne avec Chantal POURRAT et Vincent BENARD,

° Poursuite du Parc des Hautes Bruyères à Villejuif avec Vincent BENARD, puis Daniel JARRY, l’Atelier de Renzo PIANO (pour les abris des jardins familiaux), Philippe ANDRIEUX (archéologue départemental),

° Préparation foncière et programmation du Parc des Cormailles à Ivry-sur-Seine avec Daniel JARRY, la conception du parc étant confiée à la SADEV 94, et l’agence paysagiste TER – Grand Prix National du Paysage en 2007.

° Réalisation du parc des sports et de loisirs du Grand Godet à Villeneuve-le-Roi et Orly, avec Daniel JARRY.

° Aménagement du centre de modélisme à La Queue-en-Brie, conçu par l’agence Michel CORAJOUD.

° Réalisation du parc du Champ-Saint-Julien à Valenton et lancement de l’opération du parc de la Saussaie-Pidoux à Villeneuve Saint-Georges avec Florence CARRIERE

° Programmation du Parc du Coteau à Arcueil – Gentilly avec Daniel JARRY et la DSEA, pour l’inscription d’un bassin d’orages en sous-sol.

° Réhabilitation des espaces extérieurs du foyer du Parangon à Saint-Maur-des-Fossés et la requalification du centre-ville de Valenton avec Marion GILLIOT.

Quelques mots sur des projets et réalisations particuliers, voir emblématiques :

° Ouverture du chantier du Parc des Lilas à Vitry-sur-Seine avec Jacqueline VARIER-GANDOIS, puis Martine RENAN, la collaboration de l’agence de Florence MERCIER (pour la réalisation du grand mail) et Véronique LATHIERE (pour la réalisation des premières tranches de jardins familiaux), et les services de la DSEA pour le traitement du sous sol miné.

° Réalisation des “jardins du Val de Bièvre » à l’Haye-les-Roses avec Véronique LATHIERE et les services de la DSEA, pour l’insertion d’un bassin d’orages.

° Une opération majeure conçue et réalisée dans des conditions exceptionnelles :

Le Parc de la Plage Bleue à Valenton, Trophée du Paysage avec l’Agence ILEX en 1993 pour la première tranche.

Remise du Trophée par Michel BARNIER, Ministre de l’Environnement. À gauche Laurent Maillet, Directeur des espaces verts, et à droite, l’équipe de l’agence paysagiste ILEX.

 

Ont été associés, les maires successifs de la ville de Valenton, Roland ROCHE, puis Daniel TOUSSAINT, la Société DIS (Déchets Industriels Spéciaux) et SDVM (Sablières du Val de Marne) d’Armand LOPEZ, exploitants du site, une gravière en eau, et bien sûr, le staff technique de la DEVD, dont les paysagistes Véronique LATHIERE (DEVD), Vincent BENARD et ceux de l’agence ILEX.

Parc de la Plage Bleue à Valenton. Cliché J. M. PETIT – CG 94

Au-delà de la conception du parc, c’est aussi, sous la responsabilité d’Elisabeth THOMAS, responsable du service gestion de la DEVD, avec son équipe technique : Alain NICAISE, Gérard SANDERS, Martial GUINET, Nicolas MATI, et Xavier ANSORENA, les paysagistes Véronique LATHIERE, et ceux de l’Agence ILEX, la conception d’un Projet de gestion pour la 1ère tranche du parc, prototype pour la gestion de l’ensemble des parcs.

En 1986 -1987 la décentralisation de la DDE,

Après de rudes négociations avec les services de l’Etat, principalement au sujet des transferts des moyens financiers, la gestion et l’aménagement des berges de Seine et de Marne sont confiés à la Direction des Services de l’Environnement et de l’assainissement (DSEA), les plantations d’alignement le long des routes départementales, et les îles de la Marne sont confiées à la DEVD et à la DAP, enfin les collèges sont confiés à la Direction des Bâtiments Départementaux.

Est créé alors au sein de la DEVP le service d’arboriculture avec le recrutement de Nicolas MATI, ingénieur forestier. Les jardiniers et paysagistes travaillent avec les ingénieurs, dits les ” routiers” de la DDE. Un programme pluriannuel est arrêté pour reprendre les charpentes des arbres souvent maltraitées par des coupes et tailles abusives, qui mettent en péril leur pérennité (On sortait à peine des campagnes au niveau national, menées entre autres par la Mission Paysage de la Direction de l’Urbanisme et des Paysages). Ces plantations, au moment de la décentralisation de la DDE, représentaient 20 000 arbres environ. Par ailleurs à l’occasion de travaux routiers, la DEVP conçoit les projets aves les ingénieurs. La qualité des réalisations s’en ressent, comme par exemple, celle de l’opération remarquable associant les routiers et la DEVD : la Place Emile-Guenet à Ivry-sur-Seine conçue par Véronique LATHIERE.

En 1992, le département accueille la première semaine internationale de l’arbre « l’arbre, la vie, la ville », dans le parc de la Roseraie départementale. Il est pilote au plan national (Mission du Paysage) pour l’inventaire des arbres d’alignement d’un département urbain, le premier en son genre. Il obtient en 2008 le Prix National de l’Arbre.

Remise du Prix National de l’arbre

Grâce à une opportunité foncière Michel GERMA a demandé à la DEVP d’envisager le doublement de la Pépinière départementale à Mandres-les-Roses. Cette intention correspondait au doublement des surfaces cultivées, afin de répondre aux nouveaux besoins en arbres d’alignement. Elle est alors dénommée la “Pépinière Parc”, car visitable par le public. Michel GERMA y allait souvent y rencontrer Martial GUINET, son responsable, encore un jardinier et une grande figure de la DEVD. Deux cultures particulières y sont développées, celle de rosiers pour renouveler les collections anciennes de la roseraie à l’Haye-les-Roses, et celle de lilas pour la constitution de la trame arbustive du parc des lilas, siège d’anciennes cultures et forceries à Vitry-sur-Seine.

En 1990, Michel GERMA a pris l’initiative de mettre en débat l’avenir du territoire départemental, tout en respectant les prérogatives de chacun, notamment celles des communes. Les discussions sur ce sujet, et sur le qui fait quoi … ? étaient souvent animées avec les communes. Elles portaient sur l’aménagement, l’urbanisme et le développement économique. Michel GERMA, se rappelant des modalités d’organisation des Premières Assises Nationales du Paysage à Aix les Bains, m’a demandé de lui faire des propositions.

Une mission temporaire, dite de l’aménagement, d’une durée de six mois s’est mise en place sous ma responsabilité. Cette mission était chargée de préparer et d’exploiter ces assises. Je propose à deux d’entre nous d’être détachés de notre structure, la DEVD : Jacqueline VARIER-GANDOIS, paysagiste et Anne ROLLIN, attachée administrative

Ces Assises de l’aménagement et de la Qualité de la vie se sont tenues les 15 et 16 Mars 1991. Elles eurent un grand succès : Quatre cents personnes représentant “les forces vives ” du département y ont participé.

Conséquences de ces Assises : le 1er juin 1991, il m’est demandé de créer la Direction de l’Aménagement (DAM), par le rassemblement de services dispersés préexistants : le Bureau d’Etude Départemental, le Service à l’action économique et à la formation professionnelle, le Service du Logement et des Transports, la Direction des espaces verts départementaux, et par la création de deux nouvelles unités : l’Atelier de l’Aménagement, confié à Anne FOURNIAU, et la Délégation aux Paysages, confiée à Jacqueline VARIER-GANDOIS.

Donc, changement d’échelle !

En septembre 1994, je suis nommé Directeur Général Adjoint (DGA 5). La DGA comprend les Directions des Services de l’Environnement et de l’Assainissement, la Direction des Services Techniques : Celles des Bâtiments Départementaux, des Infrastructures Routières Départementales, des Services Informatiques, du Parc Automobile Départemental, et la Direction de l’Aménagement.

En 1995, Christian FAVIER est élu premier Vice-Président chargé de l’Aménagement du Territoire.

À l’école de Michel GERMA, il prend et développe les initiatives déjà prises. Il est très présent auprès des directions et services, qu’il pilote. Une nouvelle dynamique est lancée. La DAM a la charge de l’élaboration de plusieurs documents relatifs à de nouvelles politiques et projets départementaux : en 1995, le programme général d’aménagement des berges de Seine et de Marne ; en 1996, elle prépare et exploite les rencontres pour l’avenir du pôle Orly-Rungis ; en 1999, elle réalise le plan des itinéraires de promenade et des randonnées ; en 2000, elle élabore les propositions départementales pour le XIIème Plan, la politique départementale des circulations douces, l’élaboration du schéma directeur des itinéraires cyclables, et participe au projet de la coulée verte d’interconnexion Est des TGV avec l’Agence des Espaces Verts de la Région Ile de France. Au-delà, d’autres politiques sont engagées, comme le projet de coulée verte Bièvre-Lilas avec la contribution de SADEV 94 et l’Agence paysagiste de Pascale HANNETEL, le projet de l’arc boisé, et le plan vert et bleu.

Un maillage vert territorial est clairement en marche.

Quelques années après, avec le fort développement des investissements départementaux, la DGA5 est divisée en deux DGA : les DGA 5 et 6 (Jean Pierre NOURISSON). La nouvelle DGA 5 rassemble la Direction des Bâtiments Départementaux, principalement les crèches et collèges, la Direction des Services de l’Environnement et de l’Assainissement, la Direction des Espaces Verts Départementaux.

La DEVD devient alors, après intégration de la Délégation au Paysage, la Direction des Espaces Verts et du Paysage (DEVP).

Mes activités de DGA sont lourdes, et de plus en plus loin du terrain et des agents …. Mais, je suis en même temps, acteur et témoin des prises de décisions départementales, lors des réunions hebdomadaires de la Direction Générale (Francis NEHER), des réunions hebdomadaires entre la DG et le Président du Conseil Général, des réunions hebdomadaires de la Commission Permanente, des séances mensuelles de l’Assemblée Départementale, et de nombreuses rencontres avec les communes, collectivités, et institutions diverses …Et tout de même … échanges et pilotages constants des Directions et Services de la DGA (un peu plus de 800 agents se répartissant pour 2/3 d’agents techniques, et 1/3 d’agents administratifs. Un travail passionnant, en particulier pour animer, favoriser les approches interdisciplinaires indispensables pour l’aboutissement de projets de qualité, ce qui ne va jamais de soi !

Fin de mes activités : mars 2005.

En 2006, le Département approuve le “Plan Vert 2006-2016 -Nature et ville : le défi du Val-de-Marne »” élaboré par la DEVP…. Ce document valorise les travaux passés et récents, tout en ouvrant de nouvelles perspectives d’actions et de projets.

Ensuite, la vie continue …

Pierre Dauvergne, avril 2019

 

B. Fischesser et le paysagisme d’aménagement (1974-2003)

Le paysagisme d’aménagement (1974-2003)

Une recherche appliquée du CEMAGREF de Grenoble

 

Les travaux de recherche appliquée en matière de paysagisme d’aménagement (ou encore Grand Paysage) conduits de 1973 à 2003 au groupement du Cemagref de Grenoble (devenu IRSTEA) ont été essentiellement le fait de Bernard Fischesser, Marie-France Dupuis-Tate (cf biblio) et Hugues Lambert.

Hugues Lambert (diplômé de l’Ecole de Versailles et qui a suivi les enseignements du CNERP) a travaillé au Cemagref de 1973 à 1985 (ou 1987 ?). Il a, par la suite, conduit l’insertion paysagère de l’autoroute de Maurienne et réalisé des terrains de golf exemplaires ( Corrençon, col Bayard,….)

Ont également participé à ces travaux : Jean Mounier (ingénieur paysagiste), P. Charretton (IGREF), Marie-Pierre Bazan et Anne-Lyse Comparet, B. Gadrat (tous les trois paysagistes DPLG diplômés de Versailles).

Sortant volontairement des bureaux, la recherche, conduite par notre équipe, s’est appuyée sur le traitement de cas concrets exemplairesfaisant office de laboratoires de terrain et de supports d’action de sensibilisation et de médiation grandeur nature. Elle a permis de développer un éventail de méthodologies originales d’analyse des caractéristiques d’ambiances des paysages. Ces méthodologies ont été enseignées dans des pays étrangers ( Grande-Bretagne, Allemagne, Belgique …)

Ce sont plus de 120 exemples qui ont été traités à des échelles diverses et dans des contextes géographiques et sociaux très divers. Et cela va du plan intercommunal de paysage à la charte des parcs naturels régionaux, de la valorisation de sites d’exception à l’amélioration du paysage quotidien, de la prise en compte des valeurs paysagères en gestion forestière à l’aménagement de la montagne et à la réhabilitation des rivières. Ces exemples ont été traités en France comme à l’étranger (Suisse, Belgique,…). Les chercheurs sont revenus sur place une dizaine d’années après pour constater l’évolution du paysage à la suite de leur intervention.

Cette recherche-expérimentation a été mise au service d’une meilleure prise en compte des données qualitatives dans l’aménagement du territoire en souhaitant une gestion volontaire de l’espace-cadre de vie pour en éviter la banalisation et pour promouvoir des paysages de qualité dans une modernité respectueuse de leur identité territoriale.

L’équipe a notamment développé des approches globales associant des données écologiques à des données perceptives. Elle a ajusté une méthodologie de médiationsociale pour l’ajustement de projets collectifs de gestion de l’espace utilisant des simulations visuelles (scénarios d’évolution probable), des estimations économiques de la valeur paysagère (économétrie). Elle travaillé avec des équipes françaises et étrangères sur l’étude  des mécanismes de la perception visuelle (oculométrie,….)…..

Meylan,le 22/04/2019                                               

Bernard Fischesser

L’enseignement d’Yves Luginbühl

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Chronique de mes enseignements du paysage

Yves Luginbühl

Directeur de recherche émérite au CNRS

A priori, je n’avais pas de prédilection pour l’enseignement. C’est un peu forcé par ma situation au retour de mon séjour en Espagne, en 1982, à la Casa de Velázquez que j’ai dû m’y engager, car je suis resté quelques mois au chômage. J’ai finalement trouvé du travail dans un bureau d’étude, la SEGESA, Société d’Etudes Géographiques, Economiques et Sociologiques Appliquées. Ce bureau d’études m’a confié quelques études et recherches, dont une recherche sur les représentations sociales des paysages dans le Boischaut, région de l’Indre, où George Sand a vécu, à Nohant-Vic. J’y ai réalisé 68 entretiens semi-directifs auprès des habitants et surtout des agriculteurs pour saisir leur vision du paysage. C’est dans ce bureau d’études que j’ai rencontré Nicole Mathieu, directrice de recherche au CNRS, qui m’a demandé si je souhaitais enseigner dans un institut privé, l’Institut des Hautes Etudes de Droit Rural et d’Economie Agricole. Comme je n’avais pas de salaire élevé, j’ai accepté et j’ai préparé mes cours sur l’espace rural et sa géographie.

Le premier cours fut une épreuve, parce que je ne savais pas vraiment m’exprimer en public, mais finalement, tout s’est bien passé et j’ai institué, sur le conseil de Nicole Mathieu, un exercice consistant à étudier un canton français pour en faire l’analyse géographique et en montrer les évolutions. Les étudiants y consacraient 6 mois environ, par binôme, et devaient me restituer un mémoire d’une centaine de pages que j’ai dû corriger.

Dans la même période, je fus contacté par un organisme de formation professionnelle, le CREPAUC, qui souhaitait m’embaucher pour former à l’aménagement du territoire des géomètres. Il s’agissait de séquences de formation de 2 à 3 jours avec un exercice d’aménagement sur un territoire réel, mais qui n’était qu’expérimental. Ce fut une expérience enrichissante, même si je n’étais pas toujours à l’aise avec ces géomètres qui avaient déjà une trajectoire professionnelle. Je me débrouillais comme je pouvais, et je n’étais pas seul pendant les séances de formation ; il y avait aussi un urbaniste et l’animatrice qui m’avait recruté.

Après 2 années de travail dans le bureau d’études SEGESA et un autre (GEM), ainsi que ces deux activités d’enseignement, en 1984, je suis recruté au CNRS en tant que chargé de recherche seconde classe, au laboratoire STRATES dirigé par Nicole Mathieu ; c’est d’ailleurs grâce à elle que j’ai été recruté au CNRS, et grâce à d’autres chercheurs, comme Gilles Sauter et Jean Malaurie qui siégeaient au jury. D’une certaine manière, ce fut une chance pour moi, car je ne connaissais que très mal le milieu de la recherche.

C’est à partir de ce moment que je me suis investi davantage dans l’enseignement et notamment à l’Université de Paris1 Panthéon Sorbonne, dans un DEA, “Organisation et Dynamiques des Espaces” où intervenaient des chercheurs du laboratoire STRATES, dont Nicole Mathieu. Ce DEA n’était pas spécialisé sur le paysage, mais j’ai fait plusieurs interventions devant les étudiants et les chercheurs sur diverses recherches que j’avais réalisées et en particulier sur les méthodes d’enquête. Je me souviens avoir fait un exposé sur l’usage des photographies dans les entretiens : l’une de mes recherches dans le Boischaut, dans le département de l’Indre, m’avait permis d’expérimenter cet usage des photos. Il s’agissait de clichés que j’avais pris moi-même sur place, des photos de paysage montrant l’évolution du bocage depuis un bocage dense à un bocage déstructuré par les remembrements. Or, lors des 7 premiers entretiens, les personnes interrogées, habitants et surtout agriculteurs me répondaient que ce paysage n’était pas le leur. Lors du huitième entretien, la personne me demanda si j’avais d’autres photographies à proposer ; j’en avait en effet d’autres et je lui montrai : quelle ne fut pas ma surprise lorsque cette personne désigna une photo d’un paysage qui n’était pas du tout un bocage, mais une apparente forêt : j’avais pris cette photo depuis une colline et l’on ne voyait que les cimes des arbres et pas du tout les parcelles, d’où cette apparence de forêt ; depuis ce jour, je remplaçais une photo par celle-ci et toutes les personnes suivantes choisissaient ce cliché pour me dire que c’était bien chez eux, leur paysage ; alors, pourquoi cette photo ? En fait, celle-ci correspondait à l’idée qu’ils se faisaient du paysage de leur région, qui, pour elles, n’était pas un bocage ; le bocage, c’est en Normandie, en Vendée, mais pas dans le Boischaut ; ici, ce sont des arbres et des bouchures, terme utilisé pour désigner les haies. En outre, ce paysage correspondait à une description du paysage local par George Sand au 19ème siècle ; et les habitants s’y étaient retrouvés ; l’un d’entre eux me raconta que le général Montgomery, arrivant dans la région, s’arrêta sur une éminence d’où il pouvait voir le paysage qu’il décrivit comme une forêt.

Lors des séances du DEA, je fus parfois pris à parti par des collègues qui ne comprenaient pas toujours ma spécialisation sur le paysage : pour eux, le paysage était une notion bourgeoise, conservatrice, sans vision globale et dépassée. Un exposé que je fis sur les Atlas de paysages déchaîna un torrent de critiques, parce qu’à leurs yeux, je pensais avoir trouvé une méthode d’identification des paysage infaillible ; ce qui me conduisit à réfléchir et à modifier la méthode et à l’améliorer. Je pense que ce qui troublait les chercheurs de mon laboratoire, c’est que le paysage était donc une notion un peu ringarde, alors que pour moi-même, le paysage était le cadre de la vie quotidienne. En tout cas, mes interventions furent organisées selon 12 séances de 3 heures, de 1992 à 2003.

Dans la même période, je fus contacté par une collègue de l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles pour y donner un cours que le paysage rural. Ce cours porta sur l’histoire du paysage européen et de ses représentations sociales (30 heures par an pendant presque 20 ans) ; j’y ai introduit un module sur l’analyse de l’évolution du paysage d’un canton français à l’aide des données écologiques et socio-économiques, comme à l’IHEDREA. Cet exercice a recueilli de nombreuses critiques de la part des professeurs du projet de paysage, car il n’était pas dans la ligne sacrée du projet de paysage. Mais j’ai tenu bon et le module a continué pendant 20 ans, malgré les observations défavorables des professeurs de projet. Un peu plus tard, j’ai reçu le soutien d’une sociologue de l’ENSP, Monique Toublanc qui venait d’être recrutée, en provenance de l’INHP, Institut National d’Horticulture et du Paysage d’Angers. Je lui suis très reconnaissant de m’avoir aidé à prolonger cet exercice dans le temps et d’ailleurs, c’est elle qui a repris ce module lorsque j’ai abandonné mon enseignement à l’ENSP alors que je venais de prendre ma retraite.

Titre d’un cours réalisé à l’ENSP

Dans les années 1980, j’ai également assuré un enseignement à l’Ecole d’Architecture de Versailles. Il s’agissait d’un Certificat d’Etudes Approfondies “Paysage” avec 6 heures de cours. Dans la même période, je fus sollicité par l’Ecole Nationale de Formation Agricole de Toulouse avec 2 cycles de formation au paysage des enseignants de géographie.

Cours réalisé à l’ENSP et l’Ecole d’Architecture de Versailles

En 1979 j’ai aussi assuré un cours sur le paysage à l’Ecole d’Architecture de Nanterre dans le cadre de l’obtention du diplôme d’architecte.

Toujours dans la même période, j’ai été sollicité par l’Ecole Nationale d’Ingénieurs de Techniques Horticoles et du Paysage (ENITHP) pour un cours sur l’histoire du paysage et de ses représentations sociales qui a duré quelques mois. Puis par le Conservatoire des jardins, de la nature et des paysages de Chaumont-sur-Loire et l’Université de Tours, au sein du DESS aménagement et paysage, pour un cours magistral de 12 H de 1993 à 2002. En 2002, j’ai assuré deux conférences sur le paysage à l’Ecole d’Arts plastiques Camondo, à Paris.

De 1997 à 2005, ce fut un cours important à l’Université d’Angers : dans le cadre d’un Diplôme universitaire de géographie du paysage, j’ai enseigné un module consistant en des cours théoriques et un exercice thématique comportant l’analyse d’un territoire le plus souvent rural réalisé par de jeunes professeurs de lycées agricoles en formation, en termes d’évolution d’un paysage ; il s’agissait de 12 heures annuelles. J’ai dû évaluer les mémoires des étudiants qui faisaient environ 100 pages et leur rendre un corrigé annoté et une note finale. Ce fut une bonne expérience, car ces futurs professeurs de lycées agricoles étaient sérieux, posaient toujours de bonnes questions pendant les cours.

De 2005 à 2013, j’enseignais à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture et du Paysage de Bordeaux, dans un séminaire de troisième année qui durait 6 heures ; dans cette école, dont je fus le président du Conseil Scientifique, j’ai donné des cours sur les représentations sociales des paysages et sur l’évolution de ces représentations. Je dois dire que les étudiants étaient plutôt assidus, posaient des questions pertinentes ; ce n’était pas comme à l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles où les étudiants arrivaient tardivement au cours, les premiers vers 9h30 alors que le cours commençait à 9h, les derniers vers 10h30, se plaçaient au fond de la salle, et travaillaient sur leur ordinateur ou regardaient leur téléphone mobile. C’était exaspérant, seuls ou plutôt seules 4 ou 5 étudiantes suivaient le cours et posaient parfois posaient quelques questions. Je pense que les étudiants étaient encouragés par certains professeurs du projet de paysage qui estimaient que les connaissances ne servaient à rien et que tout sortait du génial cerveau des concepteurs ; c’était une manière de pouvoir contrôler les étudiants en leur laissant croire qu’ils étaient des génies. Je n’en crois rien, il n’y a qu’à voir comment Picasso a réalisé sa carrière de grand peintre en travaillant ardemment sur les peintres qui l’avaient précédé, comme Velázquez notamment. Il était un bourreau de travail, avalait toutes les connaissances sur la peinture et n’a pas inventé le cubisme avec d’autres peintres uniquement grâce à son cerveau surdimensionné.

Deux cours que j’ai enseignés à l’ENSP de Versailles

De 1996 à 2000, j’ai enseigné dans un DEA cohabilité entre les Universités de Paris 1 Panthéon Sorbonne et de Paris 10 Nanterre : “Sciences sociales, sociétés rurales” ; il s’agissait d’un séminaire sur les problèmes d’environnement qui consista en 8 séances de 3 heures. Ce DEA était associé au laboratoire LADYSS dont j’étais alors membre puis directeur.

Entre 1992 et 1997, je fus contacté par Bernard Lassus, plasticien, que j’avais connu au CNERP et qui avait créé le DEA “Jardins, paysages, territoires”, cohabilité entre l’Ecole d’Architecture de Paris-La Villette et l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), où enseignaient alors Augustin Berque, Alain Roger, Pierre Donadieu, Bernard Kalaora et Lucien Chabason, notamment. Ce DEA avait été créé à la suite d’un colloque au Centre Georges Pompidou, à Beaubourg, qui avait donné lieu à un numéro spécial de la revue « Le Débat », intitulé « Au-delà du paysage moderne. » J’avais d’ailleurs assisté à ce colloque. En fait, la création de ce DEA était la conséquence du départ de Bernard Lassus de l’ENSP de Versailles où il était professeur et était entré en conflit avec Michel Corajoud également professeur. Bernard Lassus souhaitait développer la recherche sur le paysage et c’est pourquoi il pensait qu’il fallait former des étudiants à cette recherche. J’y ai enseigné pour quelques séances au début surtout sur le paysage rural, puis Bernard Lassus m’appela un jour de 1998 pour me rencontrer.

Lors de notre entretien, il m’annonça qu’il devait prendre sa retraite et avait besoin d’un successeur. Il me demanda si je souhaitais prendre sa suite. Je dois dire que j’étais très ennuyé, pour plusieurs raisons : je dirigeais alors le laboratoire LADYSS, Unité Mixte de Recherche (UMR) cohabilitée par le CNRS et les Universités de Paris 10, 8 et 1 qui me donnait un travail extrêmement prenant. Le laboratoire comportait environ 50 chercheurs et enseignants chercheurs et de nombreux doctorants. En outre, je venais d’être nommé au Comité National de la Recherche Scientifique, à la section géographie et architecture, organe qui évalue les chercheurs et les laboratoires équivalents, ce qui représentait une énorme tache. J’exposais ces problèmes à Bernard Lassus qui insista et je me suis donc retrouvé directeur du DEA « Jardins, Paysages, Territoires », de mars 1999 à 2003. Les professeurs étaient presque les mêmes qu’au début, c’est-à-dire Alain Roger, philosophe de l’esthétique, Augustin Berque, Augustin BERQUE, géographe, professeur de géographie à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Pierre Donadieu, agronome et géographe, Pascal Aubry, Paysagiste DPLG, chargé de cours à l’Ecole d’Architecture de Paris La Villette et Arnaud Laffage, Plasticien paysagiste, maître assistant à l’Ecole d’Architecture de Paris La Villette, Jean-Pierre Le Dantec, historien et ingénieur de l’Ecole Centrale de Paris, Professeur des Ecoles d’Architecture.

Des Séminaires optionnels comprenaient : Philippe Güttinger, juriste et Maître de Conférences à l’Université de Paris X, chargé de cours à l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles, Frédéric Pousin, Architecte, Directeur de recherche au CNRS, Philippe Descola, Anthropologue, Directeur d’étude à l’EHESS, Jean-Marc Besse, Philosophe, Chargé de recherche au CNRS, Jacques Leenhardt, Sociologue, Directeur d’étude à l’EHESS.

Deux exemples de cours que j’ai réalisés au DEA « Jardins, Paysages, Territoires »

Ce fut un énorme travail, car il fallait organiser les emplois du temps des professeurs, examiner les candidatures des étudiants (entre 30 et 35 selon les promotions) qui venaient de plusieurs pays, comme la Chine, le Japon, l’Italie notamment, puis auditionner ceux qui avaient été choisis lors de l’examen de leur dossier ; il était nécessaire d’évaluer la connaissance de la langue française pour les étudiants étrangers. Il fallait également organiser deux journées de séminaire commun avec les professeurs, suivre la rédaction de la lettre du DEA et les mémoires des étudiants et bien évidemment faire cours. Il s’agissait de 8 séances de 3 heures pendant une année. Au début, j’exposais aux étudiants les résultats de mes propres recherches sur le paysage, mais je m’aperçus rapidement qu’ils manquaient cruellement de méthode ; j’ai alors mis en place un enseignement davantage centré sur la méthodologie de recherche, la définition de la problématique, des hypothèses, du programme de travail et des méthodes d’enquêtes, de leur exploitation. Dans cet objectif, je mis à contribution mes propres recherches comme des exemples de mise en œuvre. Je pense que ces cours de méthodologie ont porté leurs fruits, peut-être pas pour tous les étudiants, mais en tout cas pour certains d’entre eux.

Je pus m’en apercevoir lors du séminaire annuel pendant lequel les étudiants exposaient leur mémoire de DEA ; ce séminaire avait pour but de faire exposer leur travail aux étudiants et d’évaluer leurs capacités de s’exprimer en public, de maîtriser la langue française et leurs méthodes de recherche. C’est à la suite du séminaire que nous décidions des étudiants qui pourraient réaliser une thèse. J’ai d’ailleurs pu inscrire quelques-uns d’entre eux sous ma direction à l’Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne, en géographie.

J’enseignais également à l’Institut National d’Horticulture d’Angers (Agrocampus Ouest depuis 2008), lors d’un séminaire de seconde année (3 heures) depuis 2005. Et dans la même période à l’Ecole Spéciale d’Art des Jardins de Paris, où je donnais 3 conférences en 2008.

Avec la réforme de l’enseignement supérieur, dite de « Bologne » (à l’échelle européenne), je participais à trois masters, depuis 2003 :

Le Master « Géographie de l’environnement », Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne, cours magistraux sur le paysage (20 heures au début, 4 heures en 2008). Ce master faisait suite au DEA « Jardins, Paysages, Territoires » (JPT) que j’avais réussi à faire cohabiliter par l’Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne ; en effet, à l’origine cohabilité par l’EHESS, j’avais eu un entretien avec la Directrice des Etudes de cette institution qui m’avait convoqué dans son bureau en présence du président. Elle m’avait dit que Bernard Lassus avait l’intention d’instaurer une discipline du paysage ; pour elle, il n’en était pas question, les disciplines existantes, la géographie, la sociologie, l’anthropologie, etc., se suffisaient à elles-mêmes et en conséquence, avec l’accord du président de l’EHESS, elle mit fin à la l’accord passé avec l’Ecole d’Architecture de Paris La Villette ; c’est pourquoi je dus chercher une autre institution universitaire et c’est donc Paris 1 qui a accepté le DEA JPT.

Le Master recherche et professionnel : « Géographie de l’environnement », Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne, avec des séminaires de 3 heures sur le paysage.

Enfin, le Master recherche et professionnel : « Théorie et démarche du Projet de Paysage », à l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles et l’Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne, où je donnais 21 heures de cours lors des séminaires sur le paysage. En fait, ce dernier master était la continuité du précédent.

Tous ces enseignements m’ont accaparé longtemps et je donnais dans la période de 1998 à 2008 environ 120 heures de cours par an, ce qui équivalait au service d’un professeur d’université alors que j’étais directeur de recherche au CNRS.

En outre, j’ai dirigé des thèses à l’Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne au nombre de 13 soutenues, et participé à 36 jurys de thèses. J’ai aussi encadré des mémoires, ceux du DEA JPT, des diplômes de fin d’études de l’Institut des Hautes Etudes de Droit Rural et d’Economie Agraire, des diplômes DPLG de paysagiste à l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles et des maîtrises à l’Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne  (8 maîtrises soutenues), ainsi que des mémoires de DEA à l’Université de Paris 1 (30 mémoires soutenus), et des mémoires de masters (Université de Paris 1 et Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles).

Je dois dire que cette expérience d’enseignement a contribué à structurer ma pensée de la recherche, à aider des étudiants, souvent étrangers en difficulté dans leur pays d’origine, dont une étudiante brésilienne et une vénézuélienne qui parlaient mal le français et que j’ai accompagnées lors de la réalisation de leur thèse dont j’ai dû corriger les fautes d’expression. L’étudiante brésilienne m’en a été reconnaissante puisqu’elle m’a invité deux fois au Brésil, dans l’Etat du Minas Gerais et dans l’Etat d’Espiritu Santo pour des conférences et des colloques. Mais je retiens surtout de ces divers enseignements une qualité essentielle : celle d’être parfaitement à l’aise lors de conférences et de pouvoir m’exprimer facilement devant n’importe quel public. Ainsi en a-t-il été lors des ateliers de la Convention Européenne du Paysage où j’ai souvent prononcé des conférences devant les représentants de 43 pays d’Europe. En même temps, ces enseignements m’ont permis de valoriser mes recherches et de les faire connaître à un public d’étudiants de nombreux pays, ce qui sans doute leur apportait des connaissances et des méthodes de recherche, un apprentissage de la réflexion théorique et pratique. Je souhaite ardemment que mon apport leur a été profitable.

 

L’enseignement de Pierre Dauvergne

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Pierre Dauvergne, formateur au paysage d’aménagement

 Dauvergne, mars 2019

 

Des formations initiales : à l’ENSH – SPAJ, à l’ENSP, dans les universités, les grandes écoles, des formations professionnelles, le CNERP, des formations continues, de l’information et de la sensibilisation :

De 1967 à 1974, à la Section du Paysage et de l’Art des Jardins (SPAJ) de l’École Nationale Supérieure d’Horticulture (ENSH).

Puis, de 1976 à 1984 à l’École Nationale Supérieure du Paysage (ENSP).


De 1967 à 1974 à l’ENSH-SPAJ

1967 – 1968 : Je suis assistant de Bernard LASSUS – cours d’études visuelles. En 1968, après la démission de l’équipe pédagogique, la grève des élèves, la création et les interventions du Groupe d’Étude et de Recherche du Paysage (GERP), l’immobilisme de la Tutelle, une nouvelle équipe pédagogique se constitue, afin de prendre en charge les promotions présentes à l’école…

De 1969 à 1974, cette équipe rassemble en fait des « militants » pour défendre la SPAJ et les étudiants recrutés. Elle fonctionne sans véritable mandat de l’administration, mais elle est plus ou moins soutenue, car la Direction souhaitait éviter de nouveaux soubresauts des étudiants.

L’équipe constituée par cooptation rassemble Michel VIOLLET, secrétaire général de la SPAJ (jusqu’en 1971), Jacques SIMON, moi-même, et à partir de 1972, Michel CORAJOUD. Par ailleurs, des enseignants de l’ENSH poursuivent leur cours. Interviennent également des conférenciers. Cette équipe travaille quasiment en autonomie, construit et expérimente une nouvelle pédagogie avec les étudiants. Dans ce cadre, je reprends alors, avec l’accord de Bernard LASSUS, son cours d'”études visuelles”, et certains de ses exercices plastiques, tout en conduisant des exercices pédagogiques métissés avec les éléments sous jacents aux apparences, que sont les facteurs écologiques, géographiques, économiques, et sociaux. Au cours de cette période, j’exploite mes activités principales déployées successivement au sein du STCAU (1967 – 1969), du GERP (1967 – 1970), et de l’OREALM (de 1969 à 1974).

En 1969, l’OREALM me détache à la SPAJ, à raison d’une demie journée par semaine.

Parmi les exercices menés, je citerai en premier, celui de 1972 avec les deux promotions réunies. L’objectif était d’élaborer un plan de paysage pour l’avenir de la clairière de la Commune de LOURY, dans le Loiret, afin de déterminer les grandes orientations du futur Plan d’Occupation des Sols (POS).

Ce travail a donné lieu à une présentation en Mairie sous la forme d’une exposition publique des travaux durant 15 jours, et une présentation par les étudiants devant un jury constitué du Conseil Municipal au complet, du curé, de l’architecte-urbaniste du Service Régional de l’Equipement. ! Ce projet était prétexte à la connaissance de la nouvelle planification territoriale : les SDAU, PAR et POS. Voir le compte rendu de l’exposé du 3 juillet 1972 à l’UER Sciences d’Orléans – La Source, de Pierre CHABRIER de la SAULNIERE, Maire de Loury « Recherches sur l’aménagement des communes rurales” dans le cadre du congrès commémorant le centenaire de la Fondation de l’Association Française pour l’Avancement des Sciences (AFAS). Voir aussi en page 20 de « Le Courrier du CNRS » – N° 24 – 1977, l’article de, Pierre CHABRIER – “Réflexions – Pour un aménagement rationnel et humain du territoire rural”.

A Loury : en haut à droite, le Conseil Municipal, en bas à gauche, le curé.
Clichés d’Alain Marguerit, l’un des étudiants.

Autre exercice, la simulation théorique des apparences successives d’un versant forestier, selon la nature du foncier, l’âge et la nature des peuplements, … exercice permettant d’aborder la connaissance de la forêt, de l’économie et des organisations forestières, avec des interventions ponctuelles d’experts, dont Tristan PAULY, Igref, responsable du centre de gestion de l’ONF à Versailles. Cet exercice sera repris plus tard, en 1977, lors d’une session de formation continue de l’ENGREF à Charleville-Mézières dans les Ardennes (voir dans les actions de formation continue.

Autre exercice en 1972 : le réaménagement d’une sablière en fin d’exploitation en forêt domaniale de Saint-Germain-en-Laye. Le projet devait être justifié par l’évaluation de la demande en loisirs du territoire au sens large. Le centre de gestion de l’ONF à Versailles est encore intervenu. Les extraits ci-après de l’un des projets rendu correspondent à l’interprétation de la méthode de Kevin LYNCH (« L’image de la cité » – Edit. Dunod – Coll. Aspects de l’urbanisme – 1969).

 

Extraits d’un travail d’étudiant : carte des zones de perception et légende des symboles graphiques.

Enfin, en 1974 des projets sur des espaces habités se sont déroulés en Ville Nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines sur les communes de Guyancourt, et d’Elancourt. Dans les deux cas, il s’agissait d’inventorier les usages des espaces aménagés, notamment à partir des traces au sol, puis de faire des propositions d’amélioration. A une autre échelle, c’est le développement urbain de la ville de Chevreuse et ses incidences sur la vallée, qui ont été réfléchis.

Le quartier d’Elancourt-Maurepas – Ville Nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines.


De 1976 à 1984, enseignant à l’ENSP. (Création de l’ENSP en 1975) :

Durant le CNERP, j’ai participé aux enseignements de la SPAJ, puis de l’ENSP. Après la fermeture du CNERP, en 1979, je suis mis à disposition de l’ENSP à mi-temps, de 1979 à 1981, puis à temps plein jusqu’à fin 1984 par le Ministère de l’Equipement et du logement (j’étais au Service Central de l’Urbanisme – STU), pour développer un enseignement du paysage envers l’aménagement et l’urbanisme. C’était une contribution du Ministère au fonctionnement de l’école. Evidemment, je participe à de nombreuses réunions pour la coordination des enseignements, en particulier entre les ateliers et les départements, et la définition du projet pédagogique de l’école. J’ai été membre du Conseil d’Administration, Vice-Président, avec un intérim long de la Présidence, puis Président du CA jusqu’à la Présidence d’Éric ORSENA. A partir, du début de 1985, je poursuis ma carrière dans une grande collectivité territoriale, le Conseil Général du Val de Marne.

1978 – Fondation du département des Sciences humaines :

Mon implication dans l’enseignement diffère très sensiblement de celui de la SPAJ. En effet, l’ENSP est structurée autour de trois ateliers de projet (Michel CORAJOUD, Bernard LASSUS, et Allain PROVOST), ramenés à deux par la suite (Atelier Charles-Henry DUFRESNY avec Bernard LASSUS, et l’Atelier LE NÔTRE, avec Michel CORAJOUD,) et cinq Départements, dont celui des Sciences Humaines. Les ateliers disposent de près de la moitié des heures. Ainsi, les Départements, pour assurer l’acquisition des connaissances avaient un temps pédagogique partagé et morcelé. L’articulation des départements avec les Ateliers autour de projets s’est avérée très difficile.

– Création et développement des « Ateliers Régionaux de Paysage ».

Il s’agissait, en particulier de la reproduction d’une pédagogie du CNERP confrontant les étudiants à des territoires concrets. Comme pour le CNERP, c’était également la possibilité de trouver des compléments de financements.,

– Responsable du département des sciences humaines, mais aussi, suivi de diplômes, et pédagogie du projet de paysage (participation à des ateliers avec Michel CORAJOUD)

En 1979, dans la plaquette du cercle des élèves de l’ENSSH -ENSP, je publie un long article « plaidoyer » pour la prise en compte du Paysage dans l’aménagement et l’urbanisme, et les conséquences pour la conduite d’un enseignement, en s’appuyant sur les expériences pédagogiques menées depuis les années 70. (C’est un article, qui conserve toute son actualité, voir à la fin du « chapitre IV. Quel enseignement ? ») :

« L’analyse d’un espace est prétexte à l’acquisition de connaissances théoriques, et dans cette mesure, aide à l’articulation des cours et des travaux d’atelier. L’analyse de l’espace n’est jamais neutre, elle est toujours orientée en fonction d’un contexte. Le choix de terrains réels est essentiel à ce niveau-là.
Le paysagiste, dans sa pratique professionnelle, ne travaille pas seul. Il a des interlocuteurs, qu’il doit connaître, convaincre. Les terrains réels permettent la confrontation avec ces interlocuteurs.
L’étudiant doit alors mener son travail avec méthode pour atteindre ces objectifs et se faire comprendre à la fin de son travail. Il doit pour cela sélectionner les informations et les données pour les interpréter. Les travaux nécessitent alors, et naturellement, l’intervention d’enseignants couvrant des matières théoriques et techniques. Certaines phases du travail peuvent être menées par plusieurs enseignants.
Les terrains réels permettent alors un travail en équipe d’enseignants. De ces projets, s’ils débouchent au prochain cursus pédagogique, des travaux en équipe d’enseignants sur un même terrain seront assurés. Dans cette mesure, on peut penser, que les étudiants seront mieux préparés à affronter les problèmes d’aménagement. L’enseignement doit être attentif à la demande sociale et ne doit pas se contenter de la suivre, mais aussi dans toute la mesure du possible la précéder. »

Dans les années 1980, animation d’un cycle de conférences – débats mobilisant les enseignants principaux de l’école, dont. Michel CORAJOUD, qui invite Henri GAUDIN, architecte : « Orées, ou la topologie des marges », Moi-même, Jean François REVERT, architecte urbaniste : « Paysage et structures décentralisées », et Allain PROVOST John WHALLEY, paysagiste – architecte britannique : « Jardins anglais du XXème siècle ». Pour des raisons matérielles, ce cycle n’a pas été poursuivi.

Membre de la direction de l’école de 1981 à 1984.

1981 – ATELIER “PERCEPTION ET ANALYSE DU PAYSAGE” :

Cet atelier a permis de conduire plusieurs exercices d’études sensorielles de cheminements, ou d’espaces dans le quartier environnant l’école, autant de prétextes à l’acquisition de connaissances sur les mécanismes de la perception. Le cours « Etudes visuelles » de Bernard LASSUS est encore exploité. Voir en particulier deux documents réalisés par des conférenciers : Pierre MARIETAN et Jean-Marie RAPIN, « environnement sonore et aménagement de l’espace », et Madeleine LOUYS, auteur de décors et costumes de théâtre, « Scénographie et espace ».

ATELIER VALLEE DE LA MAULDRE :

Toujours en 1981, cet exercice portait sur une vallée confrontée à une urbanisation diffuse, et à des signes de déprise agricole. Ce terrain a permis de présenter les outils de la planification territoriale en France, le recours à la prospective et à la technique des scénarios, en partant de l’exemple de la Loire Moyenne (OREALM). Voir le document « Prospective et paysage – atelier vallée de la Mauldre ». Il a aussi, fait important, induit la participation d’autres enseignants aux travaux des étudiants (Michel CORAJOUD, pour l’Atelier Le Nôtre, Philippe MAYNIE du département des sciences humaines, et Marc RUMELHART, du département du milieu). Cet exercice a été difficile à conduire dans un temps pédagogique trop court. Cependant, il fut, je crois, le premier travail transversal entre enseignants de l’ENSP … une première !

Cette question a agité nombre de réunions des enseignants, d’abord sur la question de la répartition des heures d’enseignement entre les Ateliers et les Départements, sachant que chacun estimait, que la répartition lui était défaroble, et que pour d’autres, les heures des Départements constituaient un réservoir où piocher ! notamment au moment des rendus des projets d’atelier, les fameuses « charrettes ». Il en était de même pour les Ateliers. Dans ce contexte de frustration, la construction d’équipes pédagogiques pluri disciplinaires était vaine. Plus étonnant, a été l’impossibilité d’articuler et d’organiser les pédagogies des ateliers. L’administration, faible …, a demandé alors aux étudiants de se positionner pour tel ou tel atelier. Un comble ! Il arriva ce qui devait arriver, l’un des ateliers, en l’occurrence l’Atelier Le Nôtre ramassa largement la mise, ce qui n’a rien arrangé dans le climat délétère de cette période. Des étudiants ont refusé de participer à ce marchandage, et ont suivi les deux Ateliers simultanément.

Moi-même, participant aux réunions dites pédagogiques, connaissant trop bien Bernard LASSUS et Michel CORAJOUD, les estimant chacun autant, j’agissais, avec Roger BELLEC, pour que les points de vue se rapprochent, que les deux pédagogies, toute les deux respectables, puissent se valoriser, plutôt que s’opposer.

En prolongement de l’atelier “Vallée de la Mauldre”, une recherche a été menée en 1982 par un groupe de 9 enseignants appartenant à l’un des Ateliers de projet et à plusieurs Départements sur le thème de “la démarche de projet”. C’était une réponse à un programme de recherches lancé par la Direction de l’Urbanisme et du Paysage (DUP). Voir l’article « la démarche de projet – ENSP » parue dans le N° 18-19 spécial « Des paysages » des Annales de la recherche urbaine Edit Dunod. 1983. Ce travail, animé par Philippe MAYNIE, inhabituel au sein des enseignants fut laborieux. Il ouvrait des perspectives possibles.

 

En 1982 – 1983 – Le Département du milieu humain est créée et se met en place.

J’en assure la coordination. La plupart des enseignants et conférenciers poursuivront leur enseignement durant les années suivantes. – voir Doc. « 1982-1983 – Département du milieu humain », dénommé en 1984, Département des Sciences Sociales et de l’l’homme. Il présente les enseignants intervenants sur les quatre années du département, principalement en 3ème année. 292 heures sont réparties entre 13 enseignants et conférenciers, dont deux de l’ENSH, Jean CARREL, juriste, et Philippe MAYNIE, ingénieur agronome, chercheur à l’INRA. Autres intervenants : Robert BALLION, sociologue, chercheur au laboratoire d’économétrie de l’Ecole Polytechnique, Yves BURGEL, géographe, professeur à l’Université Paris X, responsable du laboratoire de géographie urbaine, Marie-Elisabeth CHASSAGNE, chercheuse au CESTA et au laboratoire d’économétrie de l’Ecole Polytechnique, Jacques CLOAREC, sociologue au laboratoire de sociologie rurale de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Simone HOOG, Conservatrice au Château de Versailles, Maurice IMBERT, sociologue au Centre d’Ethnologie Sociale et de Psychosociologie, Jacques JOLY, géographe, professeur à l’ Université de Grenoble et à l’Institut des Sciences Politiques de Paris, Alain SALLEZ, économiste urbain, professeur à l’ENPC et à l’ESSEC, Christiane VAILLANT, géographe-urbaniste, à l’Atelier d’Etudes sur l’Environnement (ATEN), enfin, Yannick YOTTE, sociologue, professeur à l’Université Paris I.

En préambule du document les objectifs pédagogiques du Département sont énoncés comme suit :

« Les objectifs de l’ENSP sont de former des paysagistes capables de répondre à des attentes variées, concernant principalement la maîtrise d’œuvre et les missions de conseil.
Les objectifs du département du milieu humain s’attachent plus particulièrement à préparer le paysagiste à comprendre et à analyser le monde environnant, à lui permettre de se situer par rapport aux phénomènes socio-économiques contemporains, afin qu’ils soient en mesure de traiter les demandes multiples auxquelles il aura à faire face dans sa pratique professionnelle.
En effet, les pratiques s’inscrivent toujours sur un espace concret. Celui-ci à une histoire et est en mouvement. Cette dynamique est à considérer dans l’élaboration de projets.
Par ailleurs, l’un des objectifs sera d’attirer l’attention du paysagiste sur le fait, qu’il n’est pas seul à porter un regard et un jugement sur l’espace.
Les enseignements permettront au paysagiste de l’aider à formuler et à fonder ses hypothèses de travail, de repérer les divers acteurs impliqués et concernés par l’intervention paysagère envisagée, de négocier et d’élaborer avec eux les propositions et le projet. Enfin, réussir une intervention paysagère, c’est aussi prendre en considération les conditions de sa production et de sa gestion, c’est-à-dire les mécanismes et forces qui sous-tendent les apparences des espaces et les logiques des acteurs qui les développent. ….
Par ailleurs, il est envisagé que la formation se développe par articulation avec les ateliers à propos d’exercices décentralisés expérimentaux. ».

Sur ce dernier aspect, un atelier a été notamment mené en ville nouvelle du Vaudreuil, en 2ème année de l’Atelier Le Nôtre, grâce à un « prêt d’heures ».

En 1983, au titre de l’ENSP, et de la FFP, je suis nommé expert à la Commission de Concertation pour le TGV Atlantique, dite “Commission FOUGERE » (du nom de son Président, Conseiller d’Etat). Cette Commission relevait du Premier Ministre, et des Ministères de l’Environnement, et des Transports. Elle était composée de Louis FOUGERE, Conseiller d’Etat, de MM BEAUPETIT, Sénateur, BELORGEY, Député, BOITEL, Préfet hors cadre, Vincent LABEYRIE, Professeur à l’université de Pau, et des Pays de l’Adour, MENET, Président de la commission environnement de la FNSEA. Les travaux de cette commission ont servi de support pédagogique pour aborder la loi sur la protection de la nature et les « dossiers d’impact » appliqués ici aux infrastructures linéaires de transport. Un document a été remis aux étudiants : « 1983 – DAUVERGNE (Pierre) – “Paysage et infrastructures linéaires – Cas du TGV – Note de réflexion”. Cette note reprend les réflexions menées au sein du CNERP à propos des lignes électriques à très haute tension, et pour l’aménagement hydraulique du site du Vaudreuil.

Les étudiants ont pu consulter l’ensemble des rapports de la commission dont, DAUVERGNE (Pierre) « paysage et infrastructures linéaires – cas du TGV – note de réflexion » – ENSP – 1983, DAUVERGNE (Pierre) « Bilan des impacts sur l’environnement du TGV Sud-est – Paysage » – Constitue l’annexe 2 du rapport de la commission Fougère. – ENSP – 1983, « Le TGV Atlantique – notes et rapports de la commission de concertation » – ENSP 1984

1983 – 1985 – En 2ème et 3ème année, deux exercices, sont conduits sur les heures de l’Atelier Le Nôtre en ville nouvelle du Vaudreuil (EPAVNV). Ce terrain pédagogique était riche pour évoquer la politique des Villes nouvelles, et celle-ci tout particulièrement puisque choisie au plan national pour mettre en œuvre une politique environnementale, avec notamment en son sein, un Conseil Scientifique Environnement, moi-même en étant membre pour les questions relevant du paysage.

En 2ème année, le thème choisie était l’espace dit de l’« Ile du Roi », en partie aménagé en jardins familiaux. Alain MIGNARD, paysagiste de la ville nouvelle a présenté sur un plan général la conception de la ville et son inscription dans son site Sont ensuite intervenus des conférenciers pour présenter la politique des jardins familiaux : Françoise DUBOST, sociologue, auteur de l’ouvrage « Coté jardins » (Edit. du Scarabée – 1984), et d’un film pour France 2 sur le thème de la liaison entre politique culturale et politique culturelle, Mr BRION, Délégué général de la Fédération nationale des jardins familiaux, Mr BOUE, Président de l’Association des jardins familiaux du Vaudreuil

C’était aussi pratique pour mobiliser facilement des intervenants cadres de l’EPAVNV, dont Mrs HURE, et LEGAGNEUR, membres de la Direction, LEBEAU, architecte, et Alain MIGNARD paysagiste, des membres du Conseil scientifique environnement : CLEMENT-GRANDCOURT, IMBERT et SALLEZ, ces deux derniers étant par ailleurs enseignants au Département du Milieu Humain. L’encadrement pédagogique était assuré par Isabelle AURICOSTE et moi-même.

Les étudiants ont pu mesurer les grandes différences d’occupation et de cultures des parcelles. Ainsi, les marocains réalisaient des cuvettes pour retenir l’eau, afin de favoriser le développement de la menthe, les turcs avaient des cultures mêlées, dans le plus grand désordre apparent, avec épinards, oignons en dominance, salades et navets, les polonais, comme les français, ont des cultures tracées au cordeau. Les étudiants ont pu également constater comment les hommes et les femmes, selon les divers groupes, se partageaient les tâches. Les étudiants se sont également interrogés sur la présence forte de clôtures compartimentant inutilement l’espace. Il leur a été répondu, que cela était indispensable compte tenu des vols fréquents de légumes ou d’outils. De même, ils ont estimé une présence excessive des abris de jardin plaidant à leur regroupement.

Les étudiants, en deux groupes, ont mené leurs projets sur « le jardin du noyer », un parc urbain, et sur « les jardins familiaux. » les travaux sont restés exposés durant 15 jours.

La direction de la Ville Nouvelle et l’association des jardins familiaux du Vaudreuil ont particulièrement apprécié les propositions, en particulier pour la meilleure insertion des jardins dans la ville, améliorer les jeux pour enfants, désenclaver le jardin du noyer, revoir le tracé d’une route envisagée le long de l’Eure. Au final, ils se sont déclarés favorables pour poursuivre cet échange avec l’ENSP en 1984-85.

Mais, un évènement non attendu a été mon embauche fin 1984 au Conseil Général du Val de Marne … et ma démission concomitante, à la fois de l’ENSP, et du Conseil Scientifique Environnement de la Ville Nouvelle du Vaudreuil.


Autres formations initiales

Nombreuses Unités de Valeur, séminaires, conférences, une activité constante d’« ambassadeur et de militant du paysage d’aménagement ».

Dans les universités

En 1971 et 1972 – Institut d’Écologie Appliquée (IEA – Professeur AGUESSE) – Université Orléans-La-Source – Ce cycle a donné naissance aux « ingénieurs écologues », structurés professionnellement en Association Française des Ingénieurs Écologues ou « AFIE ».

J’y ai développé durant deux années un cycle « Paysage » de 30 heure (3ème cycle). En 1976 et 1977, responsable d’un séminaire ” paysage et aménagement” (3ème cycle) à l’Institut d’urbanisme de Créteil – université Paris-Val de Marne.

En 1978 et 1979, à l’Institut d’urbanisme de Vincennes – Université de Vincennes-Saint-Denis, Paris V111, je suis responsable d’une UV ” paysage et aménagement” (2ème cycle). Elle est très représentative de mes interventions dans les Universités durant la période du CNERP :

U.V. K5 890 : AMENAGEMENT ET PAYSAGE.

Responsable : P. DAUVERGNE + équipe CNERP

1er semestre

Le mot paysage est, sommairement, comparable à l’expression « milieu de vie ». En ce sens le paysage n’est pas seulement le reflet de la vie d’une société, mais aussi le milieu dans lequel se déroulent les activités humaines, qui se modèlent sans cesse. Le paysage n’est donc pas uniquement un tableau, un panorama, qu’un touriste contemple, ou un décor pour certaines activités (loisirs, tourisme, résidence parfois), mais aussi, – et à la fois – le cadre et le produit des activités quotidiennes plus ou moins conflictuelles d’individus, de groupes sociaux et de la société toute entière.

Prétendre alors protéger, aménager ou organiser les paysages, c’est s’intéresser aux agents, qui les modifient, ou les maintiennent, c’est prendre en compte la manière dont ils sont perçus par les divers groupes ou individus concernés et enfin, c’est rechercher leur participation effective pour assurer leur conduite et leur gestion dans le temps, en fonction d’objectifs préalablement définis par toutes les parties.

Étudier et agir sur le paysage amène donc à porter son attention sur les facteurs écologiques, économiques, culturels, visuels et psycho-sociologiques. Il est évident, que selon les contextes, certains facteurs prédomineront, d’autres seront parfois négligeables.

Après une introduction sur le « paysagisme » contemporain (pratiques, besoins, réponses) et les « idéologies paysagères » véhiculées par les divers partenaires de l’aménagement et de l’urbanisme, plusieurs séances seront consacrées, d’une part à l’histoire du paysagisme en Europe, d’autre part à la pratique du paysagisme.

L’objectif majeur de l’U.V. est de donner (et de rechercher) une information concrète et critique sur les pratiques contemporaines. Les interventions de praticiens seront conçues dans ce sens, de même que le travail, qui sera demandé aux étudiants (individuellement ou par groupes de 3 au maximum), pourra, le cas échéant, se concevoir dans le cadre conjoint d’un groupe d’atelier, pour assurer la liaison entre information, enquête de terrain, recherche et pratique.

Par ailleurs, de 1981 à 1982, à l’Institut d’Urbanisme de l’Université de Constantine, dans le cadre d’une coopération avec l’Institut d’Urbanisme de Créteil je suis responsable d’un séminaire “paysage” sur deux ans (3ème cycle).

Enfin, en 1982 et 1983, en 1980 et 1981, coopération pédagogique entre l’Ecole Supérieure d’Horticulture de Chott Mariem (près de Sousse en Tunisie) et l’ENSP, responsable d’un séminaire sur le paysage et les espaces verts, au cycle de formation interdisciplinaire à l’aménagement et à l’urbanisme (FIAU) du Centre de recherche sur l’urbanisme (CRU) (3ème cycle) :

Des formations professionnelles

Pour mémoire, de 1972 à 1976 cycle professionnel au Paysage d’Aménagement de l’Association “Paysage”, puis au CNERP., enseignant au sein des cycles longs interdisciplinaires de formation professionnelle au paysage (post 3ème cycle), avec Bernard LASSUS, Jacques SGARD, Jean CHALLET, Jacques MONTEGUT, Charles ROSSETTI, Michel MACARY, architecte, et moi-même. En 1983 et 1984, membre de l’équipe pédagogique, dirigée par Bertrand WARNIER, de l’Université d’Été de Cergy-Pontoise (fin 3ème cycle),

Des formations continues

Nombreuses sessions de formation continue, comme concepteur, animateur principal, ou simple intervenant. :

En, 1972, de 1975 à 1977 des formations au Département de la Formation continue de l’ENGREF (Dion. MALLAVAl et Jean Pierre CAZEAUX, responsable du département environnement). Nombreuses sessions, dont la création originale de cycles de formation approfondie comprenant trois sessions successives pour les IGREF et ITF (phase 1 : sensibilisation, phase 2 : information, phase 3 : pratique).

La 3ème session correspondant à un exercice pratique in situ, comme en 1977, à Charleville-Mézières. Le groupe de stagiaires est au sommet d’une colline boisée avec vue plongeante sur Charleville-Mézières, et sur le versant boisé occupé par la forêt domaniale de Sedan. On y voit des coupes rases récentes, et des « zébrures » d’enrésinements. Avec Jean Pierre CAZEAUX, et le responsable de l’ONF local, le groupe de stagiaires, fort des connaissances acquises lors des deux précédentes sessions, est alors invité à décrire la situation paysagère, après connaissance des objectifs sylvicoles, mais aussi à proposer des salutations alternatives. L’un des stagiaires fait une maquette. Nous sommes alors dans une période de critiques au plan national de la gestion des arbres : coupes à blanc, monoculture résineuse, paysages forestiers transformés en timbre-poste, ou en zèbre, arbres d’alignement transformés en « totems » sur les routes nationales … C’est la campagne « Halte au massacre et à la dénaturation des paysages ». Dans le même temps il est parlé du « mitage du paysage « par l’habitat individuel ». C’est la période où le CEMAGREF de Grenoble (Bernard FISCHESSER), et surtout de Nogent-sur -Vernisson (Peter BREMAN) œuvrent pour sensibiliser et améliorer les pratiques au sein des forestiers et sylviculteurs. D’autres cycles de ce type se sont déroulés en Val de Loire et en Sologne.

Vue sur Charleville-Mézières et la forêt domaniale de Sedan

Projet d’enrésinements par plages exposé par l’ONF

Maquette d’un « contre-projet » de stagiaire

D’autres sessions se sont déroulées en 1973 et 1975, au Centres interprofessionnelles de formation permanente (CIFP), de 1973 à 1979 – au CNERP, nombreuses sessions de formation continue sous la responsabilité d’Anne KRIEGEL, responsable de la formation continue. En 1975,et de 1977 à 1981 – Nombreuses interventions au Centre de Recherche de l’Urbanisme (CRU), en 1978 – Centre de Perfectionnement pour la Recherche Industrielle et sa Gestion (CEPRIG), de 1979 à 1983 – ENPC – Département de la formation continue dont en 1982 “La prise en compte du paysage dans l’aménagement” – Intervention ” Les méthodes d’approche dans les pratiques paysagères, De 1980 à 1981 : A la DDE de Nancy, de Clermont Ferrand, à la DRAE de Corse et au CETE (Rouen, Aix en Provence), De 1982 à 1985 au Département de la formation continue del ’ENSH-ENSP, et en 1983 ….

 

DES ACTIONS D’INFORMATION ET DE SENSIBILISATION :

 

De 1973 à 1974, au sein du CNERP, je suis responsable de l’appui technique en matière de paysage auprès des nouveaux chefs des ateliers régionaux des sites et des paysages (ARSP), et des délégations régionales de l’environnement (DRE), en 1973 au Centre d’Etudes Supérieures d’aménagement (CESA), à Polytech de Tours, une journée sur les paysages de la Loire Moyenne, En 1979 et 1980 à Tunis, formation au paysage des cadres de la Direction de l’aménagement du territoire, dans le cadre d’une Coopération UNESCO / TUNISIE : 4 missions. Participation au titre du STU – Ministère de l’Environnement et du Cadre de vie pour la conception du futur Parc National Archéologique de Carthage-Sidi Bou Saïd, en 1981, au Centre de Géologie de l’ingénieur à l’Ecole Nationale Supérieure des MinesExposé et travaux pratiques au titre de l’ENSP et de la Cellule Environnement de L’Etablissement Public d’Aménagement de la Ville Nouvelle du Vaudreuil sur les dossiers d’impact, en 2006 – à l’Ecole d’Architecture et de Paysage de Lille : “Les OREAM, laboratoires pour une approche de la grande échelle” en hommage à Jean CHALLET – Cycle de conférences avec Jacques SGARD, Michel VIOLLET, De COURSON, CHARPENET et SENTENAC.

Très nombreux articles dans diverses revues professionnelles dont : Paysage et Aménagement (P+A), Archivert, Pages paysage, Espaces verts, Urbanisme, Architecture d’Aujourd’hui, Métropolis, Technique et Architecture, Casabella, …

Des conseils pour la conception de deux expositions grand public, « Paysages » au CCI du Centre Georges Pompidou en 1981. Voir le catalogue de l’exposition, dont mon article « On a le paysage que l’on mérite !», « La ville en ses jardins » également au CCI du Centre Georges Pompidou en 1982.

Réalisation d’un Film de 16 mm « Paysages des hommes … Hommes du Paysage » conçu par SAMEL (Gilbert), et DAUVERGNE (Pierre) – Société des Paysagistes Français. 1982.

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DISTINCTIONS :

Vers 1985 – Membre d’honneur FFP

1993 – Trophée du Paysage pour la première tranche du parc départemental de la Plage Bleue à Valenton : Maîtrise d’ouvrage CG 94-DEVP associée à l’Agence paysagiste ILEX,

1994 – Chevalier dans l’ordre du Mérite agricole

1998 – nominé pour le Prix National du Paysage (Gilles CLEMENT), et en 2000, nominé pour le Grand prix du Paysage. (Isabelle AURICOSTE). Bien que sollicité par le Ministère, successivement pour ces deux prix, la préférence du jury s’est portée, comme précédemment, sur des paysagistes de maîtrise d’œuvre. Une occasion ratée pour valoriser la maîtrise d’ouvrage paysagiste, toujours mal reconnue et pourtant très nécessaire pour développer la maîtrise d’œuvre.

2001 – Membre du Conseil national du paysage.

2007 – Grand prix national du Paysage pour le parc départemental des Cormailles à Ivry-sur-Seine : Maîtrise d’ouvrage CG 94-DEVP associée à SADEV 94 – Agence paysagiste TER.

2008 – Prix national de l’arbre

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