Pierre Dauvergne autobiographie

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L’enseignement de Pierre DauvergnePierre Dauvergne au Conseil Général du Val-de-marne

Pierre Dauvergne

L’émergence du « paysage d’aménagement » en France

1967-1985

Témoin et acteur de cette période historique, Pierre Dauvergne, paysagiste DPLG, raconte le début de sa carrière.

Ce texte est un matériau de recherche utilisable par les chercheurs en le citant.

Avant-guerre, à Paris mon père a eu une activité commerciale en contact avec des décorateurs et architectes d’Intérieur : les Établissements PERZEL (luminaires) et le groupe DIM (Décoration Intérieure Moderne). Luminaires et meubles de ces établissements étaient présents chez mes parents et, pour certains, m’accompagnent aujourd’hui.

Puis mes parents se sont installés à l’angle de la rue Guénégaud et du quai de Conti. Nous étions au-dessus d’un magasin d’antiquités « A la reine Margot », véritable petit musée.

C’était l’après-guerre. Mon père, toujours dans le commercial, a travaillé quelques années à la Halle aux vins chez un négociant. Il y a fait la connaissance d’un voisin, le peintre Jean DUBUFFET, qui avait repris l’activité de son père. C’était avant ses activités d’artiste. Quelques années plus tard, en 1954 (j’avais 11 ans), il invite mon père au vernissage d’une exposition à la galerie Drouin, rue Visconti. Accompagnant mon père, je suis profondément surpris par cette exposition intitulée « Les petites statuettes de la vie précaire ». J’ai eu un choc sur ce que pouvait être l’art … faire des statuettes en assemblant des scories de mâchefer ! c’était vraiment un choc !

Avec mes parents, nous faisions aussi des visites régulières des nombreuses galeries d’art dans le quartier, dans les rues Mazarine, Jacques Callot, de Seine, des Beaux-Arts, Bonaparte, rues Guénégaud, Visconti, … De plus, mes parents avaient des amis artistes, dont Frans MASEREEL, peintre et graveur sur bois, Pinchas Burstein, dit MARYAN, peintre. Ce dernier venait très régulièrement à la maison, souvent avec des amis dont, Irving PETLIN, peintre et pastelliste, June LEAF, peintre et sculpteur, Sam ANDEL, peintre (cf. mon document « Les Maryan et la tribu Dauvergne » – 2013). Aux murs de la maison, les œuvres étaient nombreuses.

Sans aucun doute ces visites ont développé ma sensibilité et mon ouverture aux arts. De 1953 à 1958, avec les encouragements de mes parents, je pratique la gouache, l’aquarelle, le dessin…

L’Institut et la passerelle des Arts- dessin au Flo Pen, 21 x 29,7 vers 1957

…notamment sur les quais de la Seine, à la hauteur du Vert Galant. De 1956 à 1958 je participe à l’Atelier d’arts plastiques des moins de 15 ans au Musée des Arts Décoratifs avec Colette COULON (peintre et graveur) et Pierre BELVES (illustrateur de livres).

En 1943, à ma naissance, mes parents achètent un terrain sur un versant du début de la vallée de l’Yvette aux Essarts-le-Roi, ceci pour mettre ma mère et moi-même à l’abri … Un abri rudimentaire a même été creusé dans la pente sableuse pour se protéger d’éventuels bombardements du triage de la gare de Trappes. Ce terrain de 5 000 m2 est rapidement devenue un lieu d’autosubsistance, voir de troc : légumes, fruits, volailles, lapins, et produits du braconnage de mon frère aîné.

Au fil des années, ce terrain est devenu un terrain d’expérience, de chasse, et de découverte de la nature. Nous y allions quasiment toutes les fins de semaine et durant les vacances scolaires. Le terrain était boisé dans sa partie haute, en friche dans sa pente, et herbue dans la partie basse, où coulait l’Yvette.

Moi, marchant le long de l’Yvette, dans le bas du terrain, le chalet et les terrasses.

La gestion de ce petit territoire était une grosse charge pour protéger les cultures, contenir l’enfrichement, voir l’embroussaillement de la pente, et lutter contre l’érosion des berges de l’Yvette. C’était mon apprentissage à la gestion de milieux végétaux, à la culture potagère, et fruitières (petits fruits).

Je chassais et collectionnait les papillons et insectes divers (il y en avait à cette époque … !). Je capturais les reptiles : couleuvres à collier, coronelles, mais aussi des lézards, dont orvets, lézards des souches, gris, verts et ocellés. Également, des grenouilles, divers petits rongeurs pour nourrir mes reptiles avant de les « livrer » au vivarium du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris, un lieu magique pour moi. J’y étais accueilli par son responsable, un ami de mon père connu durant la guerre. J’échangeais avec lui mes captures contre des insectes tropicaux et des chenilles, qui faisaient ensuite leur cocon où elles pouvaient à la maison. Je faisais aussi un peu de commerce avec les animaleries du Quai de la Mégisserie.

J’ai également vu la paysannerie de près. En effet j’allai chercher œufs et lait à la ferme MERELLI, du nom de l’agriculteur. J’ai eu la chance de voir cette paysannerie à la veille de sa disparition. C’était une petite exploitation. Et, puisque nous habitions sur la Seine, face au Pont Neuf et au Vert Galant, il m’arrivait de pêcher à pied !!! des écrevisses, car à l’époque l’essentiel des barrages réservoirs en amont de Paris n’était pas encore construits.

LES PRÉMICES : MA FORMATION AUX VEGETAUX, AUX JARDINS, PUIS AU PAYSAGE (1959 – 1966).

En 1959 : Etant très mauvais au collège, sauf en dessin et en sciences naturelles, … l’Orientation Professionnelle suggère, qu’entre nature et peinture, ma voie devrait être celle de “Paysagiste”. Elle indique alors l’existence de l’Ecole Du Breuil, l’Ecole d’Horticulture de la Ville de Paris. À cette époque, il faut entendre un jardinier plus qu’un paysagiste concepteur, métier alors quasi inexistant. J’obtiens, contre toute attente, mon Brevet.

De 1959 à 1962, je suis les enseignements de l’Ecole d’horticulture de la Ville de Paris, dite “Ecole DU BREUIL” :

1959 – Concours d’entrée à l’Ecole du Breuil : reçu 13éme sur 40.

1959 – Les Floralies au Palais de la Défense (CNIT) sont organisées par la Société Nationale d’Horticulture de France (SNHF), et la Ville de Paris me conforte d’emblée dans mon orientation professionnelle. J’ai en effet un véritable coup de foudre pour le grand stand central réalisé par les Établissement Vilmorin-Andrieux, et conçu par le grand paysagiste britannique RUSSEL-PAGE (1er prix). En particulier les scènes végétales à base d’azalées et de lys dont les teintes multiples d’oranges et de jaunes me subjuguent. Sans le savoir à ce moment-là, j’allais rencontrer plus tard certains concepteurs d’autres stands, comme enseignants : Jacques SGARD (déjà !!!), et Henri BRISON.

Trois années d’études : Enseignants principaux : CLEMENT (Culture potagère), BRETAUDEAU (Arboriculture fruitière), CHANTRIER (arboriculture d’ornement), Lucien SABOURIN (floriculture), Pierre GRISON (parasitologie), GOUET (botanique), Henri BRISON (art des jardins). Malheureusement, pour ce dernier, son enseignement ne dura qu’un an. En effet, il meurt prématurément des suites d’un accident de la route. Il était paysagiste à la Ville de Paris avec Daniel COLLIN, dans l’équipe dirigée par Robert JOFFET. Il me révèle mieux ce qu’est un paysagiste. Nous faisions avec lui des projets de petits jardins ou de scènes végétales.

Pour les travaux pratiques (50 % du temps de l’enseignement), nous avions de nombreux enseignants techniques, principalement LEFEBRE, qui a rejoint le Potager du Roi de Versailles, bien après. Également, BESNIER pour les vergers où je me passionne pour la formation et la taille des fruitiers, PAULIN pour le potager, …De cette période, date une profonde amitié avec Pierre PILLET, élève comme moi.

Dès le départ, en première année, j’ai été très surpris, ne voyant pas le rapport avec les jardins et le métier de paysagiste. En effet les matières principales étaient la culture potagère, l’horticulture générale, et la connaissance des végétaux par leur appellation en latin. Ce fut dur ! J’étais loin des Floralies … et de ce qui me passionnait dans la vallée de l’Yvette, mon territoire de chasse et de captures de batraciens, reptiles, rongeurs et insectes.

Par la suite, je suis devenu un véritable connaisseur des végétaux horticoles, et pris goût aux travaux pratiques, d’autant que j’en avais menés auparavant, durant mon enfance, dans la maison de campagne de mes parents aux Essarts-le-Roi. J’ai également pris goût à la formation des arbres fruitiers et à leur taille, que je pratique toujours dans les jardins de la famille et d’amis.

J’ai découvert aussi, avec un professeur remarquable Pierre GRISON et son assistant, tous deux à l’INRA, la parasitologie et la lutte biologique (Elle en était à ses tous débuts). Un premier contact avec l’écologie avant l’heure ! À partir de la deuxième année, nous étions dans notre sujet avec Henri BRISON. Enfin, Lucien SABOURIN (Ville de Paris, Conservateur des Serres d’Auteuil), avec son enseignement tourné vers la floriculture, un grand pédagogue. Au total, un enseignement complet, transversal, avec des enseignants de qualité alliant connaissances et pratiques. Un enseignement qui n’existe plus, nulle part.

1962 : diplôme de fin d’études, dit de “Jardinier quatre branches” (culture potagère, floriculture, arboriculture fruitière, et arboriculture d’ornement), diplôme équivalent aujourd’hui à un BTS. Classement : 2ème / 40. Chez Jacques YOVANE, architecte, amateur de jardins, je contribue à la conception d’un jardin d’esprit japonais au Salon des Arts Ménagers. Avec Pierre PILLET, nous participons au concours de la Société Nationale d’Horticulture de France (SNHF) pour la conception du jardin d’essais de Melun. Classés 10ème sur 11. A cette époque, nous faisions aussi, avec ma mère et ma sœur, de la céramique chez un potier dans le quartier d’Alésia. Pierre PILLET était avec nous.

L’école nous encourage à passer le concours à L’ENSH / SPAJ (Section du Paysage et de l’Art des Jardins), afin de nous former véritablement au Paysage et à l’Art des Jardins. La Direction de l’école, et Lucien SABOURIN (Ville de Paris), qui enseignait aussi à L’ENSH, nous présentent très favorablement à l’ENSH. Mon père exerce aussi auprès de la Direction ses talents de diplomate, sachant que Pierre PILLET et moi-même, nous n’avions pas le niveau pour nous présenter au concours (nécessité d’un Bac).

De 1962 à 1965 : LA SECTION DU PAYSAGE ET DE L’ART DES JARDINS (SPAJ) DE L’ECOLE NATIONALE SUPERIEURE D’HORTICULTURE (ENSH) de Versailles

1962 – 1963 : Cours privés de rattrapage, et en autoformation, afin de préparer l’examen probatoire, pour pouvoir se présenter au concours d’entrée à la SPAJ. Il s’agissait d’un “examen Maison” d’équivalence du Bac. Il s’adressait aux candidats non bacheliers.

Par ailleurs, cours de composition avec Guy MARANDET (peintre, élève d’André LHOTE), dans les Ateliers des Beaux-Arts de la Ville de Paris (cours du soir à Montparnasse), que m’a fait connaître Pierre PILLET.

Composition, gouache, 43,5 x 75 en 1963.

C’est dans cet atelier que je rencontre Monique POUSSARD, costumière de théâtre, épousée en 1964 à la fin de la 1ère année de la SPAJ. En parallèle, auditeur libre à l’ENSH : essentiellement en dessin avec René ENARD.

1963 – Avec Pierre PILLET, obtention de l’examen probatoire pour nous présenter au concours d’entrée de la SPAJ Puis de 1963 à 1965 après un concours, entrée à la SPAJ (deux années). Je suis classé 1er. À noter que les ingénieurs horticoles et les candidats externes se répartissaient à l’époque plus ou moins par moitié.

L’équipe pédagogique de la SPAJ :

En 1ère année :

Albert AUDIAS (technique), Théodore LEVEAU (Composition, ancien élève de J.C.N. Forestier), Jeanne HUGUENEY (Histoire de l’art), Simone HOOG (Histoire de l’art des jardins), les BERNARD Jean et Jean Pierre (Techniques), Roger PUGET et DESCATOIRE (Urbanisme), THOMAS (sols sportifs), René ENARD, puis Jacques CORDEAU (Dessin), …

Les matières enseignées concernent l’architecture et la construction, la composition, la construction des sols sportifs, le dessin, le droit foncier, les espaces verts, l’histoire de l’art des jardins, la technique des travaux, les travaux publics, l’urbanisme et l’utilisation des végétaux.

Nous avions des cours et des exercices sur des espaces limités, comme par exemple l”aménagement d’une terrasse d’immeuble, la conception d’escaliers et de gradines… et ceci, à des échelles dépassant rarement le 1/200ème.

Cette équipe pédagogique s’ouvre à de nouveaux enseignants paysagistes, sous la pression des étudiants, dont Caroline MOLLIE, Michel-François CITERNE, Michel VIOLLET, Allain PROVOST, …

En 2ème année, ce sont Jacques SGARD, Bernard LASSUS, Pierre ROULET, Jean-Claude SAINT-MAURICE, Jean Pierre BERNARD, Alain SPAKE, Elie MAURET, qui enseignent. Après l’école du Breuil, la plongée à Versailles fut brutale en 2ème année ! Changement complet d’échelle. Deux enseignants m’ont particulièrement marqué : le paysagiste et urbaniste Jacques SGARD et le plasticien coloriste Bernard LASSUS

Jacques SGARD :

Il nous a ouvert à la géographie, à l’« écologie végétale », et déjà au « grand paysage », avec d’emblée un projet d’aménagement d’un terrain d’environ 200 hectares à Bruyères-le-Châtel, un milieu très fragile, comparable aux milieux du massif forestier de Fontainebleau.

Nous n’étions plus à des échelles du 1/50ème ou 1/200ème. Nous devions caractériser le site, ses composantes pour justifier et argumenter ensuite un projet, qui consistait à accueillir de la voirie et un certain nombre d’habitations, ou un lotissement.

J’ai déniché un livre à la bibliothèque du Muséum d’Histoire naturelle de Paris sur les milieux du Massif de Fontainebleau, un ouvrage d’A.K. IABLOKOFF, “Un carrefour biogéographique – le Massif de Fontainebleau – Ecologie des réserves – 1953 ». Du coup, j’y appris énormément sur les milieux. C’était de l’écologie avant l’heure. Je regrette, à posteriori de ne pas avoir pu bénéficier à l’époque de l’enseignement du botaniste et écologue Jacques MONTEGUT qui enseignait la malherbologie à l’ENSH.

Je me confronte avec le site des boucles de l’Oise, futur Base de Plein Air et de Loisirs de Cergy-Pontoise.

Pause avec Jacques SGARD assis, Chantal DUCRUIX au centre Bernard LASSUS debout et moi couché. Photo de Pierre PILLET

Nous participons au séminaire de Royaumont en 1965, organisé par l’Association “Aménagement et Nature” présidée par Roland BECHMANN. Ce séminaire était une sorte d’école des futurs directeurs des Parcs Nationaux (création institutionnelle en 1960 – La Vanoise, premier parc créé en 1963). Encore un saut d’échelle ! un brillant exposé me marque, celui de Jean BLANC, animateur de l’école des directeurs des parcs. Il interviendra dans le cadre du cycle de conférences du GERP en 1969.

Bernard LASSUS :

Il nous a appris à regarder et à analyser avec rigueur le pourquoi de nos sensations en rapport avec les apparences des espaces urbains ou naturels. Il nous a obligé à relativiser nos premiers jugements de valeur, à décortiquer la notion du beau. Il nous a ouvert à la physiologie et à la psychologie de la perception, aux modes de représentations du réel en nous encourageant à lire des ouvrages, comme ceux de Pierre FRANCASTEL, Fernand LEGER, Gaston BACHELARD, … Il nous conseillait les expositions d’artistes à voir.

Nous faisions des exercices plastiques, dont les fameux “bouchons”, des études visuelles d’espaces proches de l’école, des études sur la mobilité des apparences selon les saisons et les heures de la journée. (Étude de la Plaine de Stains en 1965).

L’une des trois planches

Des extraits de cette étude sont parus dans le Livre d’or de l’architecture et de l’urbanisme” publié par la Grande Masse de l’ENSBA en 1966).

Avec Jean Pierre-BERNARD et Alain SPAKE, nous avons été confrontés au problème de l’insertion d’infrastructures routières et autoroutières dans le paysage, avec notamment un exercice portant sur une future aire de repos et sa bretelle d’accès et de sortie de l’autoroute du Nord vers Compiègne. Avec Pierre ROULET, Gilbert SAMEL et Jean-Claude SAINT-MAURICE, nous découvrions la problématique des Grands Ensembles d’Habitations, avec des projets d’espaces publics. Au total, nous étions, d’emblée, confrontés aux nouvelles et grandes questions posées par le développement du pays aux lendemains de la guerre : construction massive de logements, exploitation de carrières, réalisation du programme autoroutier, aménagements touristiques du littoral (Languedoc-Roussillon, Côte Aquitaine), création des parcs nationaux, des villes nouvelles, et des bases de loisirs, …

1965 – Obtention du certificat de fin d’études de la SPAJ, classé 1er.

1965 – 1966 – L’ANNEE DE STAGE à « l’ATELIER DE PAYSAGE »

À la fin de la SPAJ, le paysagiste Elie MAURET a proposé à Pierre PILLET un stage à la Compagnie Nationale d’Aménagement du Bas-Rhône-Languedoc (CNABRL), et Jacques SGARD m’a proposé d’effectuer mon stage à l’ATELIER DE PAYSAGE. Ce stage était d’une durée minimale d’un an avant de pouvoir présenter le DPLG – C’était en fait une 3ème année.

Cet atelier était à l’époque l’une des plus importantes agences paysagistes. Trois paysagistes y étaient associés : Jacques SGARD, Jean-Claude SAINT-MAURICE (Assistant Michel VIOLLET) et Pierre ROULET (Assistant Michel CASSIN). Cette agence était au cœur des nouvelles commandes dépendant des politiques d’après-guerre en urbanisme, environnement, et aménagement. Je travaillais principalement sur les projets de Pierre ROULET, fortement axés sur les espaces extérieurs de grands ensembles, comme celui du Grand Ensemble de Massy.

J’ai vite compris, que ma voie ne serait pas dans ce domaine. En effet les marges de manœuvres y sont très faibles pour s’exprimer. Les espaces sont réduits par la découpe du plan masse résultant bien souvent des chemins de grues pour la construction, et la présence des VRD en surface, comme en souterrain …1 L’année passée dans cet atelier a été très fructueuse. C’était un lieu où régnait une ambiance extraordinaire, “une ruche”, où cohabitaient plusieurs stagiaires étrangers : Angrid TILANUS, hollandaise, Léandro Sylva DELGADO, uruguayen et disciple de Roberto BURLE MARX, et Wilfried KIRCHNER, autrichien. Aussi, Paul CLERC, autodidacte en reconversion professionnelle, Samuel ADELAÏDE, moi-même, tous trois futurs cofondateurs du GERP. Les discussions, confrontations et échanges entre nous étaient nourris et souvent enragés : l’œuvre de Le Corbusier, son modulor, le freudisme, les royautés en Espagne et aux Pays-Bas ……

J’ai malheureusement peu travaillé pour Jacques SGARD : seulement pour le plan de réaménagement des sablières en cours d’exploitation dans les boucles de la Seine aux Andelys. Je voyais l’avancement de son travail sur le parc André Malraux à Nanterre, en particulier pour le jardin de collection, sur lequel travaillait la stagiaire hollandaise Angrid TILANUS, savante en végétaux ; également ses travaux, plus d’urbanisme, sur la côte Landaise. C’est à cette occasion, que j’ai pris une nouvelle leçon d’écologie en découvrant les travaux de Georges KUHNHOTZ-LORDAT – “Essai de géographie botanique sur les dunes du Golfe du Lion – 1924. » Il mettait en évidence la dynamique de colonisation des dunes par la végétation. J’ai alors, par moi-même, senti le besoin d’approfondir mes connaissances en lisant des ouvrages comme ceux d’OZENDA, (Biogéographie végétale – Edit. Doin – 1964), ou de TRICART (J.) – (“L’épiderme de la terre – esquisse d’une géomorphologie appliquée” – Coll. Evolution des sciences – Edit. Masson et Cie – 1962). J’ai également eu accès à la thèse de J. Sgard à l’Institut d’Urbanisme de l’Université de Paris (1958) « Récréation et Espaces Verts aux Pays-Bas”, qui m’a ouvert sur les possibilités de travail aux échelles de la planification et de l’aménagement du territoire. Je me rappelle aussi des cotés très perfectionnistes de Jean Claude SAINT-MAURICE et de Pierre ROULET pour les tracés des circulations piétonnes, qu’il fallait anticiper : courbes tendues, contrariées, contre courbes, … et longuement mises au point. La gomme de Michel VIOLLET était très active …Un bon exemple : les allées du parc de la République à Pierrefitte-sur-Seine, que concevait Léandro Sylva DELGADO pour le compte de Pierre ROULET.

1966 : Obtention du titre de paysagiste DPMA (Diplôme de Paysagiste du Ministère de l’Agriculture), après concours en loge. Je suis classé 1er et Pierre PILLET, second.

Le concours en loge durait une journée au cours de laquelle une esquisse devait être remise. Le jury donnait alors, ou non, le feu vert pour présenter après un an de stage minimum le DPLG, soit un dossier complet comportant une analyse du site, toutes les pièces techniques et écrites, et bien sûr, le projet. Les membres du jury, durant une journée, se partageaient les diverses pièces à évaluer, puis s’entretenaient avec le candidat.

Le jury était composé de :

M.M. JUSSIAUX, Ingénieur général d’agronomie, Président du jury, Le GUELINEL, Ingénieur général d’agronomie, Directeur de l’ENSH, AUDIAS, paysagiste, professeur, COLLIN, paysagiste, ingénieur à la Ville de Paris, Président de l’Association des anciens élèves, CORDEAU, professeur de dessin, GRISVARD, Conservateur des jardins du Luxembourg, LEVEAU, architecte et urbaniste en chef honoraire des bâtiments civils et palais nationaux, professeur, PERRIN, chef du service des espaces verts à la direction de l’aménagement de la région parisienne, PUGET, Inspecteur général au Ministère de la Construction, professeur, SABOURIN, Ingénieur à la Ville de Paris, professeur, SGARD, paysagiste et urbaniste, professeur.

À l’issue de la soutenance, le diplôme était attribué, ou non. Dans la négative, soit le candidat était invité à repasser devant le jury, lors de la session suivante en apportant les compléments demandés à son dossier. Soit le candidat était invité à se présenter à une nouvelle session. Cependant, le candidat ne pouvait pas se présenter à plus de trois sessions. Au-delà, il ne pouvait obtenir le titre de paysagiste DPLG, et n’avait que le certificat de fin d’études de la SPAJ.

Le sujet de ma session a été donné par Jean-Bernard PERRIN : » l ‘aménagement d’un parc sur le versant du Mont Valérien, sous l’esplanade du Mémorial de la France Combattante (Rueil-Malmaison, Nanterre, Suresnes) ». Ce lieu fait partie aujourd’hui du Parc-Promenade Départemental Jacques BAUMEL (1979) et du Cimetière-Parc de Nanterre (1969-1979) – (J. DARRAS, architecte, Michel CASSIN et Pierre ROULET paysagistes)

Ce concours en loge a été très combattu par les élèves, les anciens élèves candidats au DPLG, par le Groupe d’études et de Recherches du Paysage (GERP). Ce dernier a signé une tribune dans Le Monde du 3 décembre 1970 “Pour un traité de paix avec le Paysage”, signé de Paul CLERC et Denis ROUVE. Le GERP est également intervenu vigoureusement lors d’une assemblée générale de la Société des Paysagistes français (SPF, alors présidée par Daniel COLLIN). J’étais porteur d’une pétition signée d’une trentaine de jeunes paysagistes, afin d’obtenir le soutien de la SPF auprès de la tutelle ministérielle pour la réforme du DPLG. Également, pour obtenir la possibilité aux non encore diplômés, souvent déjà engagés dans la vie professionnelle, d’en être membre, en l’attente de la reprise des DPLG sur une autre base.

SERVICE NATIONAL en 1966 – 1967

Libéré à 12 mois, car soutien de famille indispensable (un enfant et un à naître).

UN RICHE ET INTENSE DEBUT PROFESSIONNEL :

1 – 1967 – 1969 : STCAU

2 – 1967 – 1970 – Association GERP

3 – 1968 – 1975 – Association PAYSAGE

4 – 1969 – 1974 : OREALM *

5 – 1975 – 1979 – CNERP

6 – 1979 – 1984 – STU

Puis, 20 ans en collectivité territoriale,

7 – 1985 – 2005 – CG 94 *

* Qui fera plus tard l’objet d’un texte spécifique.

1 – LE S.T.C.A.U. (1967 – 1969), point de départ :

Le Service Central d’Aménagement et d’Urbanisme dépendait de la Direction de l’Aménagement Foncier et de l’Urbanisme (DAFU), du Ministère de l’Equipement et de l’urbanisme (MEL). Ce service a été mis en place pour mettre en application la Loi d’Orientation Foncière, la LOF de 1967. Cette loi permettait de mettre en œuvre les Schémas Directeurs d’Aménagement et d’Urbanisme (SDAU), les Plans d’Occupation des Sols (POS), les Coefficients d’Occupation des sols (COS), la Taxe Locale d’Equipement (TLE), et les Zones d’Aménagement Concertée (ZAC).

Pour ce faire, dans le même temps, une administration territoriale technique se met en place et se renforce : les Directions Départementales de l’Equipement (DDE), les Groupe d’études et de programmation (les GEP). Ces services étaient pour la plupart dirigés par de jeunes Ingénieurs des Travaux Publics. Sont également mis en place les Services Régionaux de l’Equipement (SRE).

Le STCAU a été créé, afin de les aider dans leurs nouvelles tâches par des assistances techniques, méthodologiques, documentaires, … Ainsi, le STCAU a été structuré autour de groupes d’études et de recherches thématiques, comme le Centre de Documentation sur l’Urbanisme (CDU), le Groupe de travail “Relations Ville Campagne ».

Ce groupe était dirigé par Rémi PERELMAN, Ingénieur agronome. Il était composé d’une petite équipe interdisciplinaire : Colette SAUVANT, géographe, Florence MAROT, sociologue, Claude LELONG, architecte à mi-temps, chercheur au CDU, et moi-même, paysagiste. J’y ai été recruté, grâce à Jacques SGARD, conseiller paysage auprès de la direction du STCAU, tout comme Bernard LASSUS.

Des consultants étaient mobilisés, dont Charles ROSSETTI, ingénieur écologue, CLAUZURE, et LASSEIGNE, forestiers, de François BRUN, Denis POUPARDIN, Sané de PARCEVAUX, et Jean-Pierre DEFFONTAINES, agronomes, tous de l’INRA. Le STCAU a édité de nombreuses notes techniques à l’adresse des équipes d’urbanisme sur le terrain. Ce sont les fameuses “notes violettes”, couleur déterminée par Bernard LASSUS, afin de contraster avec la masse habituelle des documents sur les bureaux … ! Par ailleurs, le Centre de Documentation de l’Urbanisme, le CDU édite en particulier le “BULLDOC”.

Le Groupe Relations Ville Campagne a été très productif en notices violettes sous l’intitulé “les éléments principaux du site”. L’objectif était d’informer les DDE sur le fait que les espaces à urbaniser n’étaient pas des pages blanches, comme indiqué sur la plupart des fonds de plan de l’époque… ! Ainsi, de 1967 à 1970, les notes ont balayé la quasi-totalité des éléments physiques et naturels des sites, dont les exploitations agricoles, la bioclimatologie, la géomorphologie, la géologie, l’hydrologie…Pour ma part, j’ai travaillé sur les notes « Végétation » (1968), et « Forêt » (1969) avec l’aide d’ingénieurs forestiers, Mrs CLAUZURE conseiller technique auprès du Préfet de la région parisienne, et LASSEIGNE, du département tourisme, chasse et pêche à la Direction Technique de l’ONF (note rééditée en 1971 par Rémi PERELMAN).

Ces deux notes d’information accompagnaient en particulier la politique du ministre Albin CHALANDON, qui souhaitait développer l’urbanisation dans les massifs forestiers (en effet, la LOF l’autorisait à condition de laisser ouvert au public les 9/10ème du massif urbanisé), ainsi qu’autour de plans d’eau, afin de « rapprocher les français de la nature ». (Voir les lotissements de maisons individuelles dites « Chalandonnettes »).

Une note sur l’expérience des Pays-Bas en matière d’environnement et d’aménagement a également été diffusée. Une note sur le « Paysage » était prévue. Le groupe a eu à suivre et à conclure en 1969 une recherche menée par les bureaux d’étude CINAM-SCAUE lancée par la DAFU – “La mise en valeur et la protection des paysages – De la protection des paysages à la mise en valeur du milieu de vie”. Cette recherche a été menée à la demande de Paul DUFOURNET, architecte, Inspecteur Général de la Construction. C’est certainement la première étude générale recensant les diverses approches du paysage, principalement à l’étranger, et proposant des axes d’action. Jean ZEITOUN, polytechnicien, l’un des membres de l’équipe, a publié un long article « La notion de paysage » dans la revue « L’architecture d’aujourd’hui » – N° 145.- 1969. Cette recherche a été exploitée par les travaux du GERP (Groupe « Paysage »), par l’Association “PAYSAGE”, pour mes enseignements : SPAJ de l’ENSH, UV dans plusieurs Universités, sessions de formation continue, colloques, articles, …

Dans le même temps, le Centre de documentation livrait un numéro de son bulletin, dénommé le BULLDOC. Il comprenait deux articles principaux, très remarqués, mais guère apprécié par la hiérarchie (DAFU et Cabinet).

– DREYFUS (Jacques) – Les ambigüités de la notion d’environnement (critique sur la naissance de la politique d’environnement),

– LASSUS (Bernard) – Les habitants face aux structures dans la création du paysage urbain.

Le STCAU était une véritable plaque tournante pour échanger connaissances, expériences avec les équipes de terrain, et vice versa. Ainsi, le groupe relation ville campagne a animé le Club des paysagistes d’OREAM”, avec la participation du responsable de l’environnement de l’Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture, l’APCA : Jacques SGARD (Nancy-Metz-Thionville, et Aix-Marseille-Fos), Michel-François CITERNE (Nancy-Metz-Thionville), Jean CHALLET et Pierre MAS (Nord – Pas de Calais), et Michel VIOLLET, (Nantes-Saint-Nazaire)

C’était bien nécessaire à une période où nous étions tous confrontés à des échelles et à des questionnements totalement nouveaux, en particulier la protection et l’aménagement des espaces agricoles, et des projets de « ceintures vertes », « coupures vertes », « coulées vertes », … dans les aires urbaines.

Ce rôle de “plaque tournante” a joué à plein durant les évènements de 1968… Le STCAU a été en grève et en assemblée générale durant plusieurs semaines. Avec son central téléphonique, le STCAU était en lien permanent avec les équipes de terrain et vice versa… De ces évènements ont été élaborés des motions, textes, qui ont fait la une des Revues d’Urbanisme au plan international. Cela n’a pas été pardonné, … et à partir de 1969, le STCAU a été démantelé en douceur, moi-même étant invité à rejoindre l’équipe de l’Organisation d’Etude, d’Aménagement de la Loire Moyenne en cours de constitution (OREALM).

En marge des activités du groupe « relations Ville Campagne », nombre d’intervenants se sont mobilisés pour agir et poursuivre la défense des idées de paysage, et tout particulièrement pour demander la création de formations de professionnels, sachant que le Ministère de l’Agriculture avait l’intention d’arrêter la Section du Paysage et de l’Art des Jardins, la SPAJ de l’ENSH. Pour ce faire, en 1968, ils se sont constitués en Association « PAYSAGE ». Voir le chapitre 4.

2 – 1967 – 1970 : LE G.E.R.P.  GROUPE D’ETUDE ET RECHERCHE SUR LE PAYSAGE 

A cette période, les enseignants et élèves de l’ENSH-SPAJ revendiquent auprès de la tutelle des moyens pour développer les enseignements au regard des forts développements de la demande en paysagiste préparés pour les actions dans les domaines de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire.

1968 – Grève des étudiants. Leur représentant EICHENBAUM monte à la tribune de la Mutualité lors du meeting du 18 juin « non aux bidonvilles, non aux villes bidons ».

mission des principaux enseignants de la SPAJ, après le refus de la tutelle de prendre en considération leurs propositions, les enseignants ne poursuivent plus leur enseignement. Ils jugent les conditions déplorables. Dans le même temps, le Ministère de l’Agriculture, décide de ne pas poursuivre la SPAJ. Il restait à assurer l’enseignement des étudiants présents en 1ère et 2ème année, et de ceux fraîchement recrutés … ! la fermeture de la SPAJ étant programmée pour 1974. En attendant l’obtention de ces moyens, les étudiants et jeunes anciens élèves décident la création du GERP pour à la fois compenser les manques de l’enseignement, et en même temps, s’organiser pour mener des actions, tant auprès de l’école, que de la tutelle pour faire évoluer la situation. Ainsi, Philippe TREYVE, Paul CLERC, Samuel ADELAÏDE, et moi-même fondront l’association GERP avec le soutien d’enseignants, en particulier de Jacques SGARD, et de Bernard LASSUS. Philippe TREYVE en sera le Président, très charismatique.

L’association rassemble de 30 à une centaine de membres à la fin de son existence. Ce sont des étudiants, de jeunes anciens, notamment en attente d’obtention de leur diplôme, des enseignants, et même des professionnels. Lors de l’assemblée générale de janvier 1969 (cf. pages 3 et 4 du bulletin N° 5), Bernard LASSUS, chargé de la présider, a introduit la réunion comme suit :

Après avoir brossé rapidement «la croissance du GERP, en la qualifiant d’initiative heureuse et circonstancielle par rapport à un enseignement du paysage très insuffisant.”, il indique que pour lui le GERP est d’utilité double, à savoir :

– Prolongation d’une scolarité.

– Etablissement de liens entre les anciens élèves autour de problèmes de recherche en élargissant la profession et les activités professionnelles.

– Le GERP doit faire face à la demande de paysagistes et défendre une optique du Paysage.

– Le GERP doit promouvoir le paysagiste au sein de la Collectivité Publique.

Et cela, face à une prise en compte du paysage par de nombreuses disciplines.

Ce contexte nécessite la participation à certains travaux et le GERP pourrait être une esquisse à la recherche d’une méthode d’approche du paysage.

Enfin, il faut mettre l’accent sur un Centre de Documentation, qui est le moteur de la transformation de l’enseignement, et l’embryon d’un Centre de Recherche »  

Dès le départ, le GERP s’est structuré autour de groupes thématiques dont l’organisation a été confortée lors de l’assemblée générale : « Information – Documentation » : Caroline Baudelot, « Environnement » : Paul CLERC, « Paysage » : Pierre DAUVERGNE, « Ecologie » : Denis ROUVE, puis Alain MIGNARD, « Enseignement » : Michel Viollet. Les divers bulletins rendent compte des activités des groupes et mentionnent nombre de participants.

Durant les débats, Bernard LASSUS, intervient sur les questions relatives à la recherche :

« … Il faut que le Gerp, fasse un inventaire de ce qui se dit, ce qui se fait et ce qui s’est fait. Il faut qu’il publie l’inventaire des questions même non résolues. Il faut qu’il répertorie suivant une méthode, les problèmes déjà situés … »

Progressivement, le GERP attire et anime le monde professionnel, notamment par l’organisation de cinq conférences magistrales de personnalités de premier plan dans le grand amphi de l’école, durant lesquelles une centaine personnes est présente. A noter la participation du Directeur de l ’école, Etienne LE GUELINEL, PUGET, Jacques MONTEGUT, Jacques SIMON, des professionnels comme Pierre ROULET, Jean Claude SAINT-MAURICE, BIZE, CLOUZEAU, CAMAND. Également, plus nombreux, des étudiants et jeunes anciens., qui animeront les groupes de travail.

Les groupes « Ecologie » de Denis ROUVE, et « Paysage » ont souvent mené des travaux en commun, réalisé des bibliographies. Pierre DAUVERGNE a publié dans trois bulletins un résumé des études paysagères menées à l’étranger en exploitant l’étude de la CINAM – SCAUE pilotée au STCAU : « La mise en valeur et protection des paysages – De la protection des paysages à la mise en valeur du milieu de vie ». De même, pour les notes « Eléments principaux du site » du STCAU : La « végétation » et « la forêt ». Il anime le groupe jusqu’à la mi 1969, période où il intègre l’OREALM.

Le groupe « environnement » animé par Paul Clerc a cherché à approfondir les réflexions menées dans le cadre du cours d’études visuelles » à la SPAJ avec Bernard LASSUS, puis aux Beaux-Arts. Des bulletins de 1968 et 1969 présentent « Le plan d’intentions ou plan psychologique », Une méthode en trois étapes : Objectifs et motivations, Qualités d’espaces, Relation entre les espaces : cheminements.

Enfin, un exemple d’étude visuelle menée à la SPAJ par Georges DEMOUCHY, Elisabeth FREMOLLE et Pascal AUBRY.

Les premières conférences en 1968 :

– Jean COIGNET, urbaniste (IAURP) et Jacques BOUBAUD, paysagiste (Ville nouvelle de Cergy-Pontoise) : “Architecture du Bassin Parisien”, Rémi PERELMAN, ingénieur agronome (STCAU) : “Paysagisme et espace rural », Lucien HERVE, photographe de Le Corbusier : “Environnement”

Celles en 1969 :

– Jean BLANC, Dr. des cycles d’études de formation des Dlrs des parcs nationaux et régionaux : “Les mécanismes des paysages”, Mr DENANTES, IPC, (SCET nord-est) : “Le paysagiste dans l’aménagement urbain”

Chaque conférence a fait l’objet d’un compte rendu dans le bulletin du GERP.

Dans le bulletin N° 4 de janvier 1969, l’éditorial exprime clairement le contexte ambiant, presque un manifeste !

« …Le GERP a l’avantage d’exister, d’avoir un nombre non négligeable d’adhérents, d’avoir été créé par une équipe neuve, peu soucieuse des barrières, des protections, du mandarinat.

Si un dialogue permanent et direct pouvait s’établir, il serait répondu :

– A ceux qui croient que le GERP repousse certaine tendance ou génération,

– A ceux qui lui prêtent, telle ou telle arrière-pensée et qui pensent à tort ou a raison que nous sommes trop jeunes.

– A ceux pour qui le GERP doit être un recueil d’expériences et non pas, comme nous le souhaitons, un moyen de permettre à chacun, quel que soit son niveau et son expérience, de trouver le temps d’accomplir des recherches en dehors de l’accaparent travail journalier.

– A ceux qui croient voir dans ses travaux une intellectualisation systématique des questions traitées.

– A ceux qui craignent que le GERP s’attribue leurs méthodes ou es fruits de leurs mûres réflexions

– A ceux qui seraient tenter de limiter dès le départ ses ambitions….

Le GERP a été lancé par des jeunes qui ont ressenti un besoin auquel n’avait su répondre que partiellement l’enseignement et les groupements professionnels … »

Il est effectif, que les organisations professionnelles ne croyaient pas aux préoccupations du GERP. En effet, la réalisation de contrats d’étude, encore peu nombreux à l’époque, était de plus jugés peu rénumérateurs au regard du montant des honoraires liés aux marchés de travaux pour la réalisation de projets.

En 1969, un peu en apothéose, le GERP organise à l’INA deux journées d’études sur « L’AVENIR DU PAYSAGE RURAL ». Ce fut un grand succès, et un évènement remarqué avec la participation de conférenciers de premier plan dont :

– Philippe de SAINT-MARC, Directeur de la Mission Aquitaine  “Problèmes et principes d’aménagement du territoire”, Paul REY, Directeur de la carte de la végétation de la France  “Ecologie et aménagement”, Nicole MATHIEU, géographe au CNRS «Formation et évolution des paysages ruraux », Mr LEYNAUD, Chef de l’Atelier central d’Etudes d’Aménagement Rural , « Aménagement de l’espace rural », Jacques SGARD, paysagiste-urbaniste « Paysage et espace rural », Bernard LASSUS, «  Complexité visuelle et lisibilité relative données pour l’élaboration d’un paysage global ».

Chacune de ces conférences ont été suivies de débats importants. Le bulletin N° 6 de 1969 (le dernier) les relate. De même, pour la table ronde, qui a réuni 12 personnalités, dont :

Bernard LATARJET, Igref, mission d’étude d’aménagement rural pour la région parisienne, François – – François LAPOIX, assistant au Museum et FNPN, Mr MAZZOLINI, conseiller technique au District de la région parisienne, Mr DELLUS, urbaniste, à l’IAURP, Mr CLAUZURE, IGREF, Chargé de mission auprès du Préfet de Région, Mr BETHOLAUD, Directeur de l’espace rural au Ministère de l’Agriculture, Mr PESSON, Professeur d’écologie à l’INA, Mr ROGER, Dr de la SAFER Ile de France, Rémi PERELMAN, ingénieur agronome, STCAU, Mme BONNAMOUR, géographe, Professeur à la Faculté de Rouen, Phillipe TREYVE, ingénieur INA, paysagiste à l’IAURP, qui a introduit la table ronde, et Pierre Dauvergne, paysagiste à l’OREALM, qui a tiré les conclusions.

Le GERP participe à la Commission Harvois (voir Pierre Donadieu dans Histoire et mémoire de l’ENSP, Topia …).

En 1970, il intervient pour une réforme du diplôme de paysagiste. Voir Le Monde du 3 décembre : Paul CLERC et Denis ROUVE, au titre du GERP (représentants les anciens élèves diplômés et les élèves diplômables, “Pour un traité de paix avec le paysage. ».

1970 – Dissolution du GERP à la suite des deux journées d’études.

1971 – Philippe TREYVE rejoint l’entreprise familiale près de MOULINS

C’est alors, que, l’Association « PAYSAGE » prend le relai avec les mêmes objectifs, mais à une autre échelle, et préparera la naissance du CNERP…

3 – 1968 – 1975 : L’ASSOCIATION PAYSAGE :

Douze fondateurs dont :

Jacques SGARD, paysagiste-urbaniste, Président, Bernard LASSUS, plasticien, Vice Président, Rémi PERELMAN, ingénieur agronome, Secrétaire général, Pierre DAUVERGNE, paysagiste, Secrétaire, Paul CLERC, paysagiste, du bureau d’étude PAYSA, Trésorier.

Autres membres : Jean CHALLET, paysagiste-urbaniste à l’OREAM Nord, Charles ROSSETTI, ingénieur écologue, Claude AUBER, architecte, directeur adjoint du STCAU, CLAUZURE, ingénieur forestier, conseiller technique auprès du Préfet de la région parisienne, Jean-Pierre DEFFONTAINES, ingénieur agronome à l’INRA, Olivier DOLLFUS, géographe, Paul RENDU sociologue au Centre de Sociologie Urbaine, le CSU.

C’est un regroupement de disciplines variées pour aborder les questions de paysage dans toute leur ampleur, et en cela bien au-delà des questions esthétisantes et protectionnistes, qui ont cours … Comme on l’a vu précédemment, le GERP mène en parallèle ses propres activités en lien avec le STCAU et l’association.

1971 – Lors de la création du premier ministère de l’Environnement par Robert POUJADE, l’association PAYSAGE lui fait part de ses préoccupations et propositions, soit de mettre en place une formation au paysage d’aménagement pour des professionnels de l’aménagement et de l’urbanisme.

Le Ministre, qui avait besoin d’asseoir son autorité le plus vite possible, donne son accord au projet de l’association, car il pouvait être mis en place très rapidement. Ainsi, l’association est chargée par le Ministère de l’environnement de créer un cycle d’un an pour une formation expérimentale au “paysage d’aménagement” destinée à des professionnels de l’aménagement et de l’urbanisme, et pour développer la recherche. Ce cycle a été mis en place en 1972.

1973 : Le Ministre prend publiquement position dans LE MONDE du 22 septembre 1973 par un article en pleine page, intitulé “Vie et mort des paysages – Les pouvoirs publics peuvent-ils sauver les sites ?”.

L’association s’installe dans des locaux rue de Lisbonne à Paris. La première promotion de quinze professionnels a été prolongée d’un an. Le bilan étant jugé très positif, ce cycle a été reconduit durant trois ou quatre années. Il était animé par le Groupe d’Orientation Pédagogique et scientifique (GOPS). C’est la mise en place expérimentale du CYCLE PROFESSIONNEL DE FORMATION AU PAYSAGE D’AMENAGEMENT.

Robert POUJADE est le premier Ministre de l’Environnement, (1971 – 1974). Dès sa nomination, il cherche à lancer le plus rapidement possible un projet. Serge ANTOINE au Haut Comité de l’Environnement lui suggère la création du cycle de formation au paysage, projet qu’il connait et qui de son point de vue est mûr pour sa mise en œuvre. D’autre part, ce projet contribuerait à la formation de personnels compétents pour les futures politiques du ministère et ses nouvelles structures administratives décentralisées.

Le 2 novembre 1971, un Conseil Interministériel charge l’Association de mettre en place un cycle professionnel annuel sur le paysage d’aménagement. Grâce à une subvention du Ministère le cycle est installé le 16 novembre 1972, rue de Lisbonne à Paris, près du parc Monceau. Une petite équipe auprès de Rémi PERELMAN prépare le cycle : Sarah ZARMATI, Charles ROSSETTI, et moi-même, puis, mise en place du Groupe d’Orientation Pédagogique et Scientifique, le GOPS, avec la participation de C. ROSSETTI, Jacques SGARD, Bernard LASSUS et Rémi PERELMAN.

Les stagiaires font acte de candidature après parution d’annonces dans la presse, ou par connaissance de l’existence du cycle, notamment par les GERP et la SPAJ. Ils sont recrutés après entretien. Il est veillé à la constitution de promotions équilibrées entre les paysagistes et les autres disciplines.

Le premier cycle expérimental s’est déroulé sur deux années, et non pas une comme prévu à l’origine. Les trois suivants (ou quatre ?) ont bien été d’un an.

De 1973 à 1974, je suis chargé de mission pour mettre en place l’ « appui technique » aux Ateliers Régionaux des Sites et Paysage (ARSP), puis aux Directeurs Régionaux de l’Environnement (DRE), deux nouvelles structures de l’Administration.

1972 à 1976 : Quatre (ou cinq) cycles longs interdisciplinaires de formation professionnelle au paysage (post 3ème cycle) se déroulent durant cette période. Le Groupe d’Orientation Pédagogique et Scientifique, le GOPS, rassemble Jacques SGARD, Bernard LASSUS, Charles ROSSETTI, Jean CHALLET, Jacques MONTEGUT, Michel MACARY, moi-même et d’autres intervenants ponctuels.

En 1975, l’Association PAYSAGE laisse la place à l’association (loi de 1901), dite CENTRE NATIONAL D’ETUDE ET DE RECHERCHE DU PAYSAGE, le CNERP, structure plus pérenne. Elle poursuit le cycle de formation jusqu’en 1976.

1973 – 1974, Je suis détaché par l’Organisation d’Etudes d’aménagement de la Région Centre (OREALM), auprès de l’Association Paysage, pour la mise en place et l’animation de l’appui technique en matière de paysage auprès des nouveaux chefs des ateliers régionaux des sites et des paysages (ARSP), et des délégations régionales de l’environnement (DRE), mais aussi auprès des services décentralisés du Ministère : SRE, CETE, DDE. 7 Feuilles « Informations Appui Technique » rendent compte des contacts avec le terrain.

1976 : l’Association est érigée en Centre National d’Etudes et de Recherches du Paysage (CNERP) jusqu’au début de 1979.

4 – 1969 – 1974 : L’OREALM – La « METROLE JARDIN »

ORGANISATION D’ETUDES D’AMENAGEMENT DE LA LOIRE MOYENNE :

Bien que ce moment professionnel ne durât que près de cinq ans, il fut extrêmement riche sur le plan méthodologique, et constitue une véritable recherche appliquée. Ce moment sera décrit dans un chapitre particulier ultérieurement. La bibliographie sommaire présentée ci-après permet, en l’attente, d’en prendre connaissance sous certains de ses aspects.

5 – Le CNERP : CENTRE NATIONAL D’ETUDE ET DE RECHERCHE DU PAYSAGE.

Par commodité et compréhension nous entendrons le CNERP comme la somme de l’Association PAYSAGE, période où elle est chargée du cycle expérimental de formation professionnelle au « paysage d’aménagement » (1971 à 1974), puis du CNERP stricto sensu (Décembre 1974 à janvier 1979).

Quelques documents (B. Barraqué, 1985) relatent plus ou moins bien l’histoire du CNERP. Il est bon de s’y référer. Cependant, les différentes sources sont souvent fragmentaires, partielles, voir contradictoires sur les dates. Accéder aux archives du CNERP déposées au Ministère permettrait de progresser pour cerner avec justesse cette période.

Après les deux premières années, le cycle est institutionnalisé en CNERP le 31 mars 1975 par le Ministre de la Qualité de la Vie, André JARROT, à Trappes, dans les locaux d’une antenne pédagogique d’une école d’architecture parisienne. Il reste une Association loi de 1901, qui dispose d’un Conseil d’Administration Interministériel, présidé par Pierre de la Lande de Calan de la Fondation de France (il est par ailleurs l’un des dirigeants de la Barclay s Bank).

Le CNERP est confirmé par le Ministre André FOSSET le 27 avril 1976. Mais à l’issue de l’Assemblée générale du CNERP du 24 janvier 1979, le Ministre Michel d’ORNANO décide de fermer le CNERP. Au total, presque 7 années et … quatre Ministres !

Sur toutes ces périodes d’activités, exploiter en particulier :

– La Plaquette du CNERP.

– R. PERELMAN – L’aménagement de la nature – cf. encadré sur le CNERP en page 12 – et dans la Revue Sciences et Avenir – N° spécial « La science du Paysage. 1974

– Les Nouvelles du Paysage n° 1 de juin/juillet 1975 au N° 8 de novembre/décembre 1976,

– le bulletin de la Documentation d’avril 1977.

– le rapport de 1985 de Bernard BARRAQUE « Le Paysage de l’Administration » Mission de la Recherche urbaine DUP / MULT. 

LE CNERP à partir de 1975 :

En résumé :

– La direction est assurée par Rémy PERELMAN et un secrétariat,

– Le cycle de formation professionnelle au paysage d’aménagement :

Jacques SGARD, Bernard LASSUS, Charles ROSSETTI, Rémi PERELMAN. D’autres enseignants participent également à l’enseignement comme Michel MACARY, architecte, Jean CHALLET, paysagiste, Jacques MONTEGUT, écologue, moi-même.

Se sont déroulés quatre (ou cinq ?) cycles, soit plus de 60 professionnels formés au paysage d’aménagement. Certains d’entre eux intègreront les structures du CNERP, et plus tard, la plupart occuperont des postes dans les services du Ministère.

– Le Centre de Documentation du Paysage, dirigé par Sarah ZARMATI, est assistée par Claudine ZYSBERG, Nicole DE GOUTTE, Alain SANDOZ, puis Luc VOYENNE pour « les Nouvelles du Paysage ». Le centre réunira plusieurs milliers d’ouvrages, publications diverses. Il réalisera des bibliographies, des notes et recherches documentaires

La cellule audiovisuelle : dirigée par Yves LUGINBUHL, assisté de Jean Pierre BOYER et Pierre VANTOUROUX, constituera une diathèque, réalisera des documents audiovisuels de sensibilisation au paysage. Cette cellule concevra les maquettes des publications du CNERP.

– La cellule de la Formation Continue animée par Anne KRIEGEL a réalisé de nombreuses sessions de formation continue à l’adresse des milieux professionnels de l’aménagement et de l’urbanisme. Voir par exemple le programme de l’année 78.

Le groupe d’étude, de recherche, et d’expérimentation (ERE) :

Avant la mise en place du groupe, l’Appui Technique, 1973-1975, animé par moi-même, a fonctionné principalement auprès des Chefs des Ateliers Régionaux des Sites et Paysage (ARSP), puis des Directeurs Régionaux de l’Environnement (DRE).

Par ailleurs, Alain MIGNARD, paysagiste, a été recruté temporairement en 1973-1974 et mis à disposition de l’Etablissement Public d’Aménagement de la Ville Nouvelle du VAUDREUIL.

Voir les documents internes suivants :

– Les notes « Informations Appui Technique » N°1 à 7 – novembre 1973 / juillet-aout 1974.

– Note d’aout 1973 sur les demandes enregistrées à l’Appui Technique.

– Note du 28 aout 1973 sur les préoccupations des ARSP et DRE

À leur lecture, il est possible de bien prendre la température de la période en matière de préoccupations des administrations et du Ministère.

À partir de 1975, je suis recruté au 31 01 1975, en tant que directeur d’étude responsable de l’équipe des études, recherches et expérimentations. L’équipe est rapidement constituée principalement par des professionnels issus des cycles de formation du CNERP dont : Alain LEVAVASSEUR, paysagiste, Marie Noëlle BRAULT, paysagiste, Zsuza CROS, paysagiste polonaise, Jean Pierre SAURIN, paysagiste, Jean Rémy NEGRE, architecte-urbaniste. Autres membres de l’équipe : Marie Claude DIEBOLD, géographe, Claude BASSIN-CARLIER, ingénieur écologue, Janine GREGOIRE, secrétaire. IL était fréquent que des travaux mobilisent des membres de plusieurs unités en même temps.

Selon le Centre de Documentation, de 1973 à 1977, 127 rapports d’études, ou de recherches sont réalisés par les équipes du CNERP (7 en 1973, 24 en 1974, 28 en 1975, 34 en 1976 et 34 encore en 1977).

Voir :

– L’Inventaire des études dressé par le Centre de documentation au 5 octobre 1978

– L’actualisation des études et recherches à la date du 18 octobre 1978 et études en cours 1978/1979.

A l’analyse de ces listes il est possible de recenser les thèmes, qui préoccupaient le Ministère et ses services.

En effet, la quasi-totalité de celles-ci correspondent à des commandes du Cabinet et des services centraux. Les contrats étaient négociés par Rémi Perelman. Certains constituaient des formes de subvention de fonctionnement.

Pour ma part, je citerai cinq travaux particuliers du CNERP :

La formation de tous les ingénieurs (dits lignards) du Centre d’Etude du Réseau de Transport (CERT) de l’EDF dans les années 1975 et 1976.

Ainsi, la totalité des 200 ingénieurs du CERT, ont participé à u formation exemplaire sur deux années. Ces ingénieurs, dits les « lignards » étaient responsables des tracés des lignes à très haute tension et hautes tensions pour transporter l’énergie produite par les nouvelles centrales nucléaires.

Les études se heurtaient à de fortes oppositions, car les lignards élaboraient des tracés linéaires faisant fi des singularités géographiques. Parfois, les tracés évitaient des secteurs trop sensibles. Ainsi, le CNERP a été chargé de développer une culture du paysage à ces lignards par des sessions courtes de formation organisées par Anne Kriegel. Des exercices pratiques, à partir d’une maquette au 1/ 1000ème d’un territoire de 9 x 6,6 km conçue par Y. LUGINBUHL et représentant de nombreuses situations géographiques. Au-dessus de celle-ci des caméras mobiles permettaient de visualiser et d’évaluer des simulations de tracé. Les lignards devaient justifier leur projet de tracé. Le déroulement de ces sessions alternait des exposés généraux (Rémi PERELMAN et Pierre DAUVERGNE), une visite de terrain proche du Centre (Alain LEVAVASSEUR), et des relations de cas par des intervenants extérieurs (Jacques SGARD, Caroline BAUDELOT et Martine GUITTON). A noter qu’EDF faisait partie du Conseil d’Administration du CNERP. (Voir deux dossiers de sessions de 1976).

En 1977, une expertise éclair sur le projet d’implantation de la station de sports d’hiver de Barca dans la vallée d’Aspe, près du village d’Aydius. Elle a été réalisée pour le compte du Conseil Général des Pyrénées Atlantiques par Yves LUGINBUHL, Sarah ZARMATI, Janine GREGOIRE et moi-même. Il était demandé d’évaluer le volume bâti dans le paysage et de mesurer l’impact de la voirie d’accès à créer.

Cette expertise réalisée en un temps record est exemplaire de l’approche paysagère du CNERP, à la fin de son existence. Cette approche globalisante affiche une problématique en termes de développement et d’aménagement d’un territoire, bien au-delà des simples impacts visuels.

De 1973 à 1984, 12 années d’assistance à l’Etablissement Public d’Aménagement de la Ville Nouvelle du Vaudreuil (EPVNV) et à sa Cellule Environnement. Cette assistance correspondait à l’une des « 100 mesures pour l’environnement » puis, a été inscrite dans le programme de la DGRST. Ont été réalisées plusieurs études méthodologiques, recherches et une présence au sein du Conseil scientifique environnement. C’est un ensemble de travaux mené par le CNERP dans la durée, puis, à partir de 1979, par le STU-ENSP, dont :

Présentation de la maquette du « germe de ville » par Gérard THUNAUER, architecte, à Paul DELOUVRIER. Suis à gauche – cliché EPVNV

– Le conseil scientifique de la cellule environnement. Il comprenait un géographe, un sociologue, un acousticien, un hydrogéologue, un naturaliste pour la faune, et un paysagiste. Le conseil a particulièrement travaillé sur les dossiers d’impact.

– en 1974, l’étude paysagère du site de la ville nouvelle du Vaudreuil par Alain MIGNARD,

– en 1978, avec Alain LEVAVASSEUR recherche méthodologique pour l’établissement de palettes végétales des sites en voie d’urbanisation.

– de 1978 à 1980 : Recherche sur « la production, la gestion et l’appropriation des espaces extérieurs en milieu urbain nouveaux ». Recherche menée par Sarah ZARMATI, Alain LEVAVASSEUR, moi-même avec les sociologues Maurice IMBERT et Jean Charles LAGREE du Centre d’Ethnologie Sociale et de Psychologie du CNRES, enfin avec Michel GANTIER, photographe à l’EPAVNV.

Les 6 et 7 mai 1976, à Cabourg, présentation des résultats de l’étude sur « les approches paysagères ». Ce fut le séminaire « Paysage et Aménagement » de CABOURG. Travail mené par Sarah ZARMATI, Jean Pierre SAURIN, Ssuzsa CROS, et moi-même. Graphisme de Jean Pierre SAURIN et Jean Pierre BOYER.

C’était une commande importante du ministère de la Qualité de la vie. La restitution de l’étude s’est faite dans le Grand Hôtel de Cabourg devant une centaine de personnalités des différentes directions et services des ministères en charge des questions de sites, paysage et environnement.

1978 à 1981 – Préparation et exploitation du concours du parc départemental du SAUSSET pour la Société d’Economie Mixte du Conseil Général de la Seine-Saint-Denis (la SODEDAT 93). Sous la Direction de de C. BOUZEMBERG, architecte-urbaniste, une équipe a été constituée avec, pour le CNERP : Alain LEVAVASSEUR, Claude BASSIN-CARLIER, et moi-même, pour l’Université de Paris Nord (Villetaneuse), le Professeur SIVIGNON, géographe, et pour le laboratoire d’économétrie de l’Ecole polytechnique, Robert BALLION, sociologue.

Les propositions remises ont mis en évidence nettement les deux tendances conceptuelles du moment dont l’une récente, qui s’est affirmée lors du concours. Maquette du projet lauréat : Equipe Michel CORAJOUD.

À ce titre, ce concours présente une certaine exemplarité, qui a d’ailleurs inspiré les responsables de la mission parc de l’Etablissement Public d’Aménagement du Parc de la Villette.

BILAN ET FIN DU CNERP. Une appréciation personnelle 

Cette fin, ou pour certains la « mort du CNERP, vive le paysage », tient à plusieurs raisons concomitantes :

Une gestion désastreuse a-t-on dit … !

C’est vers l’année 77, que les premiers signes de difficultés financières se font sentir. Celles-ci deviennent permanentes dans le courant de l’année 78 avec en particulier des retards dans les versements des salaires en fin de mois.

Cette situation s’explique par la forte diminution des subventions à l’issue des cycles de formation, et par le désengagement progressif de certains ministères (le ministère de l’agriculture n’a jamais apporté une aide). C’est en quelque sorte un désengagement général des ministères.

La compensation à ces manques s’est faite par la réalisation d’études de plus en plus nombreuses, « alimentaires » pour certaines, faisant dériver ainsi l’équipe vers un bureau d’étude classique, et des études éloignées des objectifs assignés au Centre, soit des études méthodologiques et des recherches.

D’ailleurs, à ce propos, la profession a dénoncé cette situation jugée déloyale et concurrentielle. C’est un retournement de situation par rapport au début des années 70, où cette même profession critiquait l’orientation de la formation vers le « paysage d’aménagement », sachant que pour elle, le métier était avant tout de faire de la maitrise d’œuvre. Pour les « Cnerpiens », les deux approches, s’exercent à des échelles différentes, et font partie du même métier.

Des différences de points de vue avec la tutelle …

Par exemple, sur les dossiers d’impact, le CNERP ne s’est pas engagé auprès de l’Atelier Central de l’environnement pour faire des guides méthodologiques à l’adresse des maîtres d’ouvrage. Ces dossiers développaient forcément une démarche déductive, et non pas inductive, c’est-à-dire en termes de projet.

Par exemple, encore, une entreprise importante, mais en difficulté, fabricant des poteaux métalliques pour supporter les câbles électriques ou téléphoniques, était combattue par des associations, ces poteaux étant jugés disgracieux dans les sites et paysages. Le ministère souhaitant défendre les emplois de cette entreprise, a demandé au CNERP des arguments pour poursuivre, selon des modalités à définir, la fabrication de ces poteaux.

Le CNERP a proposé d’implanter ces poteaux dans les paysages artificialisés, du type de la Beauce, et de réserver l’implantation des poteaux en bois dans les paysages de bocage, boisés ou forestiers. Le ministère a fait le choix inverse. Incompréhension donc …

Le séminaire de Cabourg a engendré quelques mouvements. D’abord sur le caractère somptuaire du lieu (choisi avec l’accord du Ministère …), mais plus sur la défense de méthodes d’approche large, par rapport aux approches esthétisantes et règlementaires, soit le quotidien des services.

Les réunions périodiques des chefs des ARSP à Trappes avec l’Appui technique ont finalement été suspendues et rapatriées au ministère, ce dernier vivant mal l’imprégnation des idées du CNERP à ses jeunes services… sans compter avec les difficultés d’accès depuis la province.

Une grève et des interventions des personnels :

À la fin de 78, les personnels, une vingtaine, mènent une série d’actions pour défendre l’existence du CNERP, outil expérimenté dans le domaine du paysage, et bien sûr pour la défense de leur emploi. Avec le soutien de l’Union locale de la CGT, de nombreuses interventions sont menées. Deux parlementaires des Yvelines se mobilisent et posent une question orale tant à l’Assemblée Nationale, qu’au Sénat : Michel ROCARD, député des Yvelines, Maire de Conflans Sainte Honorine, et Bernard HUGO, sénateur, maire de Trappes, Président de l’EPA de la ville nouvelle de Saint Quentin en Yvelines. Les préoccupations des personnels sont prises en considération, comme l’intérêt de préserver l’expérience du CNERP, notamment lors d’une Inspection générale du Ministère.

L’évolution du contexte administratif du ministère …

La création d’une nouvelle direction, celle de la Direction de l’Urbanisme et du Paysage (DUP), une grande première ! et en son sein, la Mission du Paysage ! Le CNERP n’a pas été inutile, il pouvait laisser la place à une administration durable.

Pour une part, des personnels du CNERP, intègreront ces nouveaux services, tandis que l’essentiel de l’équipe d’études, de recherche et d’expérimentations, contribuera à renforcer l’« Atelier » du Service Technique de l’Urbanisme (STU).

Les observations de la Cour des Comptes :

La Cour des Comptes venait de faire des observations à l’Etat sur le recours fréquent à des associations loi 1901 pour créer avec souplesse des services en marge de l’administration. Tel était le cas, d’une certaine manière, du CNERP. Il en a été de même, à la même période du Centre de Recherche d’Urbanisme (CRU).

______________________________

Au total, le bilan n’est pas si négatif, qu’on l’entend encore souvent … Le CNERP a joué sans conteste un rôle utile dans l’émergence des idées nouvelles de paysage, dans la formation de nouveaux professionnels, et l’engagement de nouvelles pratiques professionnelles.

Une recherche documentaire à partir des archives du CNERP permettrait de mieux cerner le rôle joué par le CNERP, et son utilité.

6 – 1979 – 1984 : LE STU, SERVICE TECHNIQUE DE L’URBANISME

Après la fermeture du CNERP, l’essentiel de l’équipe « Etudes, Recherches et Expérimentations », est reprise par le Ministère, et affectée à l’Atelier d’aménagement et d’urbanisme du STU.

Ainsi, Alain LEVAVASSEUR, Marie Claude DIEBOLD, Marie Noëlle BRAULT, Claude BASSIN-CARLIER, et moi-même, sommes affectés au sein de l’Atelier dirigé par Claude BREVAN, Urbaniste de l’Etat. Au fil des années, chacun quitte le STU pour occuper des postes ailleurs dont Alain LEVAVASSEUR, qui part pour la DDE de la Charente Maritime, Marie Claude DIEBOLD pour la direction de la revue « Diagonal ». Marie Noëlle BRAULT et Claude BASSIN-CARLIER quittèrent le Ministère.

Nous y menions des assistances techniques auprès des services déconcentrés du Ministère, ainsi qu’auprès de collectivités territoriales : La Rochelle, Besançon, …

J’ai proposé un « projet de programme d’actions 1980 du STU dans le domaine du paysage, « Les interventions paysagères dans l’aménagement et l’urbanisme », programme peu suivi d’actions.

Plusieurs assistances techniques ont été assurées : La Rochelle, Besançon, …

Pour ce qui me concerne, je tenais à poursuivre mon enseignement à L’ENSP. J’y suis détaché à 50 % de mon temps, puis à 100 % deux après, jusqu’ en décembre 1984. Ce détachement était la contribution en nature du Ministère au fonctionnement de l’ENSP récemment crée. Je devais y développer un enseignement orienté vers l’aménagement et l’urbanisme.

De 1979 à 1980, J’ai eu la chance de participer à une coopération du Ministère auprès de la Tunisie sous l’égide de l’UNESCO, pour la création du « Parc National Archéologique et Naturel de Carthage – Sidi Bou Saïd » financé par le PNUD et exécuté par l’UNESCO. Le ministère a désigné Lucien Chabason, juriste, mais aussi directeur de l’Urbanisme et du paysage, de conduire une équipe composée de Jacques de Courson, économiste, Jean Paul Dumontier, urbaniste, Denise Taillandier, architecte et moi-même paysagiste. Nos travaux étaient coordonnés par Dorothée Barbier-Vauzelles, architecte-urbaniste pour le compte de l’UNESCO. Ainsi, j’ai assuré quatre missions d’environ une semaine chacune. A chaque fois, je rendais compte de mes réflexions et des contacts sur place, principalement auprès du Conservateur du site et directeur du musée de Carthage, et de responsables de la Direction de l’Aménagement du Territoire. Je participais également aux réunions périodiques consacrées à l’avancement des fouilles archéologiques. L’ensemble de ces travaux s’est traduit dans un plan de paysage prenant appui sur la cadastrationne rurale romaine. Ces travaux sont consignés dans l’article « Le parc national archéologique de Carthage- Sidi Bou Saïd, près de Tunis » – Revue « L’Architecture d’Aujourd’hui » – N ° 218 spécial « Paysages » – 1981.

Les citernes romaines de la Maalga après débroussaillage.

Fin 1984, lassé des études générales, des guides méthodologiques, je souhaite retourner sur le terrain au contact du réel, des acteurs locaux, et de pratiques opérationnelles. Je démissionne du Ministère, et par voie de conséquence, de mes responsabilités d’enseignant à l’ENSP, et de ma participation au Conseil scientifique environnement de la Ville Nouvelle du Vaudreuil.

 

7 – CG 94, CONSEIL GENERAL DU VAL DE MARNE

La Décentralisation de 1983, un grand tournant, m’encourage à intégrer une grande collectivité territoriale, soit le Conseil Général du Val de Marne. Responsable au départ du service départemental des espaces verts, j’occupe par la suite, la Direction de l’aménagement, puis dirige la plupart des directions techniques, jusqu’à participer à la Direction générale des services départementaux. Cet engagement, durera 20 ans, jusqu’au début de 2005.

C’est une autre histoire singulière d’un paysagiste dans une grande collectivité publique, qui fait l’objet d’une contribution particulière.

Version du 30 décembre 2018 (mise en forme de P. Donadieu), modifiée par des ajouts de 10/01/2019 par P. Dauvergne et l’introduction d’images par Yves Lüginbühl.


1 Voir à ce sujet BLANCHON (Bernadette) – Les paysagistes en France dans les grands ensembles d’habitations – Programme architecture des espaces publics modernes – Plan construction et architecture – MEL – 1998

 

7 – Les débuts de la recherche

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Chapitre 7

Les débuts de la recherche à l’ENSP (1980-82)

Version du 1er décembre 2018

Pierre Donadieu revisite la période où a été réalisé le premier programme de recherches de l’ENSP.

Les pionniers

À la fin des années 1950, aucun enseignant de la Section n’avait soulevé le problème d’une recherche permettant de mieux former les apprentis paysagistes. Car le modèle lointain restant les ateliers de l’École des Beaux-arts, il allait de soi que les enseignants d’ateliers détenaient les savoirs les plus pertinents, techniques et de création, pour former des concepteurs de projets de jardins et de paysage, c’est-à-dire des architectes de jardin et de paysage.

Le premier à parler de recherche dans les conseils d’enseignants fut Bernard Lassus à partir de 1963. Ancien élève de l’historien et critique d’art Pierre Francastel et de l’atelier du peintre Fernand Léger, jeune professeur de l’École des Beaux-Arts en 1968, il détenait le capital de prestige et de compétences plasticiennes qui lui permettait d’introduire des pensées et pratiques innovantes dans les formations de paysagistes de la Section. N’étant pas architecte, mais peintre coloriste, il s’était distingué par de nombreux travaux de recherches sur la couleur et les ambiances, puis par des publications remarquées dans le cadre de commande de recherches de la Direction Générale de la recherche scientifique et technique. Elles aboutiront aux premières publications qui l’introduisirent dans le champ paysagiste : Le jardin de l’Antérieur en 1975, Les habitants paysagistes en 19771.

Il fut à l’origine de la notion de recherche associée à l’enseignement pratique d’atelier dans le premier Institut national du paysage imaginé par la commission Harvois (1969-1972). Voir chapitre 3.

Quand l’ENSP fut créée, l’idée d’une recherche liée à l’enseignement fut à nouveau proposée par B. Lassus. Elle fut comprise de manière très différente par les enseignants présents selon leur domaine.

D’un côté les enseignants de l’ENSH, scientifiques biologistes, technologues ou économistes en majorité, connaissaient peu les travaux de B. Lassus, contrairement aux enseignants d’arts plastiques et de techniques de représentation. Ils les accueillirent au mieux avec la réserve des non spécialistes …

De l’autre côté, les praticiens associaient l’idée de recherche à celle de conception du projet de jardin, d’espaces verts et de paysage, sans relation avec la posture académique et scientifique du chercheur professionnel. Alors que les chercheurs (jeunes et moins jeunes) de l’ENSH et de l’ENSP disposaient d’une culture scientifique que le ministère de tutelle, l’Agriculture, souhaitait développer. Autant dire que les échanges furent rares entre ces deux groupes. Seuls les économistes de l’ENSH Jean Carrel, puis Philippe Mainié, seuls représentants du champ des sciences sociales, maintinrent ce lien ténu jusqu’en 1983.

Formé à la recherche scientifique expérimentale en écologie à l’Université de Montpellier, j’étais intrigué par le discours et les publications de B. Lassus. Il développait la compréhension de l’imaginaire du paysage et du jardin, non comme un psychologue ou un neuroscientifique, mais comme un artiste curieux des processus perceptifs qu’il souhaitait maitriser et surtout expliquer. Je le situais d’autant plus dans le champ des sciences humaines, et en particulier l’anthropologie, que je venais de côtoyer au Maroc les pratiques des ethnologues et des agronomes en étudiant le partage des communaux pastoraux.

Je venais de découvrir un monde de savoirs pour lequel je n’avais pas été formé. Je les trouvais fort pertinents puisqu’ils me permettaient de comprendre les relations entre les hommes et leur milieu de vie. Et surtout de pouvoir agir sur elles. Ce qui semblait l’enjeu principal des recherches à entreprendre.

Que pouvions nous apporter M. Rumelhart et moi, qui nous intéressions aux relations entre les végétaux dans le champ de la phytosociologie, notre domaine de compétence ? Quel projet de recherche pouvions nous proposer, alors qu’aucun indice ne permettait de dire que ce champ était important pour former les paysagistes ? Nous étions, de fait, limités par notre spécialité héritée des enseignements de l’écologue Jacques Montégut. Et les études écologiques que nous menions pour divers commanditaires publics (autoroutes, Directions départementales de l’Équipement, collectivités) ne nous en disaient pas plus sur le choix du thème des recherches à entreprendre.

La commande du ministère

Une commande de travaux de recherche fut adressée à l’école en 1979 par Alain Riquois, responsable de la mission du Paysage du ministère de l’Environnement et du Cadre de vie (rattachée à la Direction de l’urbanisme et des paysages -DUP- du ministère de l’Équipement et du Logement )2. Sa direction fut en partie confiée par R. Chaux à P. Mainié, un agro-économiste et chercheur à l’INRA de Versailles qui s’intéressait à l’ENSP à l’économie des agences de paysagistes autant qu’aux paysages ruraux.

Cette commande était adressée à d’autres chercheurs en France par la sociologue Isabelle Billard de la DUP, notamment Abraham Moles psychologue, Judith Epstein, Michel Conan historien et sociologue, François Béguin philosophe, Jean-René Hissard artiste, Pierre Sansot, anthropologue, Marie-Hélène Chassagne et quelques autres.

Le financement de la Mission fut réparti entre plusieurs personnes, au titre de leurs agences respectives, à M. Corajoud et B. Lassus, et pour les autres via la prise en charge directe par l’ENSP.

M. Corajoud se consacra, avec les paysagistes M-H. Loze et J. Coulon, aux jardins de Versailles ; B. Lassus, seul, à un travail sur « La profondeur » et les autres (P. Donadieu, M. Rumelhart, G. Clément, P. Dauvergne, …) à une étude prospective des paysages de la vallée de la Mauldre à l’ouest de Versailles.

À cette époque (la fin des années 1970), la recherche scientifique sur le paysage était émergente et vigoureuse en France. Elle intéressait les géographes (G. Bertrand à l’Université de Toulouse notamment), les géoagronomes (J.-P. Deffontaines à l’INRA-SAD de Versailles), les sitologues (les architectes J.-P. Faye et M. Tournaire), les paysagistes d’aménagement (B. Fischesser et H. Lambert) au CEMAGREF de Grenoble, les phytoécologues (G. Long et M. Godron au CEPE-CNRS à Montpellier), les phytosociologues (J.-M. Géhu à Bailleul), sans compter les historiens de l’art et des jardins (M. Conan) et bien d’autres spécialistes comme, entre autres, le philosophe Alain Roger (Nus et paysages, essai sur la fonction de l’art, 1978).

Les notions de paysage et d’environnement séduisaient de nombreuses disciplines universitaires, mais sans rapport immédiat avec le métier de paysagiste encore peu professionnalisé. Il était représenté par la Société Française des Paysagistes et la Chambre syndicale des paysagistes conseils

À l’école était donc posée, par le gouvernement, la question de la création de démarches de recherches, qui satisfassent autant les paysagistes maîtres d’œuvre que les tous nouveaux métiers du « paysagisme d’aménagement », autre dénomination énigmatique d’une pratique qui ne voulait pas s’appeler planification des paysages, ni planification écologique sur le modèle américain (Design with nature, I. McHarg, 1969), jugé trop naturaliste et peu créatif.

Les uns voulaient éclairer le processus créatif de projet de paysage, les autres expliquer l’origine et les transformations des paysages, afin d’en maitriser les changements controversés (le mitage, les remembrements, les équipements touristiques, les lotissements …). Dans ce contexte, qu’avons-nous fait dans la vallée de la Mauldre ?

La vallée de la Mauldre

Assez vite, je me suis convaincu que je ne pouvais reconduire les démarches scientifiques de la phytoécologie dans ce projet de recherche. Pourtant, je m’apercevais que P. Dauvergne connaissait les travaux de cartographie écologique du CEPE-CNRS de Montpellier sur la Sologne et y faisait référence dans les travaux menés au CNERP. J’avais acquis cette compétence car, formé au CNRS de Montpellier en 1970, j’avais pu cartographier, avec d’autres, de vastes régions pastorales selon cette méthode en Algérie steppique pour la FAO, et au Maroc. Était-il pertinent dans la vallée de la Mauldre ? Il eut fallu en parler collectivement ce qui se révéla impossible dans une école qui ressemblait plus à un hall de gare qu’à une communauté de chercheurs. Et où les enjeux de pouvoirs commençaient à être visibles.

N’ayant pu définir une problématique de recherche, et en l’absence de directives de la part du commanditaire, je décidais d’explorer le terrain choisi, une petite vallée résidentielle de banlieue, au milieu de vastes plateaux céréaliers au sud de la vallée de la Seine à l’Ouest de Paris.

J’ai beaucoup photographié la vallée, son urbanisation, les architectures pavillonnaires, les bords de la rivière et les jardins, sans en tirer de conclusions probantes. Et pour cause : je ne savais pas ce que je cherchais … Jusqu’au jour où je me suis joint aux enquêtes que menaient l’économiste P. Mainié et le sociologue Marc Chopplet auprès des habitants. Je me suis souvenu de mon expérience marocaine auprès des éleveurs transhumants. Là où j’avais recours aux filtres de la science botanique et phytogéographique pour décrire l’acheb (l’herbe) des parcours, les bergers me répondaient en termes de préférence, de rejet ou de danger des plantes pour les troupeaux de moutons. Là où je disposais de deux mots latins pour désigner une plante, ils en utilisaient trois au quatre pour rendre compte de ses usages alimentaires, pharmacologiques ou symboliques. Là où je distinguais soigneusement des genres, des espèces et des variétés, ils les regroupaient sous un nom berbère qui signifiait que les moutons ne les mangeaient pas (les plantes épineuses ou vénéneuses par exemple).

En écoutant les habitants de Mareil-sur-Mauldre et de Maule nous parler de leur cadre de vie, j’ai fait le parallèle avec mon expérience nord-africaine. Je me rendais compte qu’ils parlaient d’abord d’eux, de leur histoire, de leur origine (la Bretagne souvent), de leur famille, et surtout de leur jardin. Ce que je regardais avec intérêt (les plantes évidemment), ils n’y accordaient de l’importance que s’ils pouvaient en évoquer l’usage alimentaire ou décoratif. Ils décrivaient des paysages familiers, des lieux intimes, insoupçonnables et inépuisables. Les plus bavards racontaient des souvenirs, de leur enfance ou de leurs voyages. Tous nous faisaient partager des bribes de leurs récits de vie, souvent émouvants.

Comment relier le monde matériel, objectif, que je savais décrire en termes de séries de végétation ou d’activités agricoles et forestières, et les mondes insaisissables de chacun ? Fallait-il avoir recours à la psychologie (les coquilles emboitées d’Abraham Moles) ? A la sociologie poétique de Pierre Sansot ? Au triptyque du géographe G. Bertrand (Territoire, géosystème, paysage) ? A la logique systémique du géoagronome J.-P. Deffontaines ? Sans compter tous les auteurs que j’écartais involontairement parce que je ne les connaissais pas !

En fait, je m’en suis aperçu ensuite, il ne fallait pas choisir, car toutes les entrées avaient un intérêt descriptif, explicatif ou interprétatif. Ce qui obligeait soit à une posture méta disciplinaire surplombante (philosophique par exemple), soit à un point de vue holiste, globalisant, prometteur de synthèses impossibles et de difficultés avec ses pairs scientifiques. Mais ce dernier problème ne se posait pas encore.

Au début des années 1980, mon projet personnel était en effet de rendre compte de mon expérience scientifique de phytogéographe et de pastoraliste méditerranéen en soutenant une thèse de doctorat à l’université de Montpellier. Ingénieur d’agronomie, je n’étais pas destiné à devenir enseignant-chercheur bien que cette perspective se concrétisa dix ans après. À cette époque, j’étais surtout un ingénieur fonctionnaire d’un corps d’État employé à mettre en place, avec d’autres, une politique publique de formation de cadres paysagistes. Je ne prétendais à aucune œuvre personnelle, ni à une carrière dans un ministère. Je tentais d’éclairer le mystère de la notion de paysage, laquelle était restée pour moi d’une limpidité surprenante grâce au paradigme de la plante indicatrice qui fonctionnait très bien au sud de la Méditerranée. Un vrai plaisir pour le voyageur curieux d’Essaouira à Gabès, et de Tanger à Bizerte. Mais l’idée de paysage s’était brutalement obscurcie en France au contact de la planète paysagiste.

Toujours est-il que le mélange de praticiens paysagistes libéraux, de jeunes enseignants des écoles d’architecture et d’ingénieurs horticoles formés récemment à la recherche scientifique créait un milieu incertain pour faire émerger une recherche cohérente à l’école. Chacun fit la sienne, indépendamment des autres, y compris sur le même lieu (la vallée de la Mauldre) et en publia les résultats significatifs quatre ans après la commande du ministère de l’Environnement et du Cadre de vie.

Les résultats des recherches

Ils furent publiés en 1983 dans le dossier « Des paysages » des Annales de la Recherche urbaine, n° 18-19, sous les titres : « Lecture d’un jardin » (Corajoud, M., et al), « Profondeurs » par B. Lassus et « La démarche de projet » par P. Mainié et al.

M. Corajoud et ses associés rendirent compte d’une analyse très fine des bosquets des jardins du château de Versailles, appuyée sur des mesures et des observations. « Nous avons fait le choix, écrivaient-ils en introduction, d’aborder cette recherche selon des modalités proches de celles que nous utilisons dans notre propre démarche de projet, c’est-à-dire en décomposant l’espace selon certains processus de son élaboration et en privilégiant un de ses aspects (…). Pour nous, la conception du jardin commence par la maîtrise du site, par le bâti général à partir duquel les lieux s’organisent, les formes s’installent. ».

Ils concluaient la publication ainsi : « Nous avons cependant quelques raisons de croire qu’elles (nos observations) laissent transparaître des ruptures évidentes dans les modes d’élaboration du jardin(…). En considérant seulement l’intervalle de temps qui va de 1660 à 1775, nous pouvons isoler trois grandes périodes formelles. La première, à Versailles, trouve son terme avec la représentation du jardin tel qu’il figure sur le plan «de l’Institut», trouvé par Alfred Marie (…). La seconde période correspond à la maîtrise d’œuvre effective de Le Nôtre et de ses collaborateurs de Vaux (1662-1663). Après Monceaux, Rueil et Vaux-le-Vicomte, l’influence italienne transforme le Versailles de Louis XIII, le jardin s’ouvre et annexe tout le territoire. Pour ce faire, Le Nôtre utilise des tracés qui introduisent une dynamique. Les figures instaurent un mode de croissance du jardin par des relations homothétiques et additives, des correspondances ouvertes et subtiles entre longueurs, surfaces et volumes, un enchaînement continu de proportions qui, partiellement, rompent avec la symétrie pour introduire l’équivalence (…). La troisième période correspond, pensons-nous, à la reprise en main du jardin par Mansart. A la fin de sa vie, Le Nôtre lui-même avait déjà modifié son vocabulaire formel et simplifié ses figures ».3

De son côté, B. Lassus a réuni plusieurs travaux personnels sous l’intitulé « Profondeurs ». Le Jardin vertical proposé pour le concours du parc de la Villette ; le Jardin des Planètes qui a fait également partie du projet pour le site des anciens abattoirs parisiens ; et deux textes plus anciens, « Le puits » et « Le monument », destiné à illustrer la dimension incommensurable de l’imaginaire poétique des lieux4.

Enfin, au nom de l’ENSP, l’économiste P. Mainié a rassemblé les travaux des autres enseignants dans un texte synthétique « La démarche de projet ». Neuf enseignants y ont participé : deux paysagistes, M. Corajoud et P. Dauvergne, deux écologues (et non écologistes !), P. Donadieu et M. Rumelhart, une historienne S. Hoog, un agronome économiste P. Mainié, un sociologue M. Chopplet, une plasticienne F. Blin et une documentaliste C. Bou5.

Le premier texte, rédigé par les paysagistes (essentiellement par P. Dauvergne), fait surtout état du rôle souhaitable des paysagistes dans l’établissement des documents d’urbanisme, notamment dans la conception des plans d’occupation des sols (POS). Il plaide l’idée que le Plan d’occupation des sols devrait devenir un véritable projet de paysage. Et il discute le droit, sinon le devoir, de juger « du beau et du laid » pour les habitants et les praticiens. Le texte s’appuie sur les travaux de B. Lassus (Le Jardin de l’antérieur, 1976 ; le Jeu des points rouges, 1978) et de l’historien dix-huitièmiste M. Conan.

Le second texte, intitulé « Les hommes et le milieu », expose succinctement l’étude sociologique : « les perceptions et satisfactions des habitants en matière de paysage » dans la vallée de la Mauldre, insiste sur le mitage du paysage, évoque des catégories de jardins (d’invention et de reconduction), et souligne l’intérêt de la mémoire et de l’histoire des lieux. Mais il est peu question des paysages de la vallée de la Mauldre qui ne sont pas décrits, ni évoqués. En conclusion, des « propositions pour des recherches ultérieures » sont indiquées. P. Mainié constate que « la vie difficile du groupe de recherche a reproduit le divorce qui bloque la création dans le domaine paysager ». Il suggère d’étudier les pratiques professionnelles qui sont diverses et peu connues, d’analyser la demande sociale et les formations dans ce domaine et de proposer une politique publique gouvernementale ambitieuse de paysage.

Toutes ces questions recevront des réponses de chercheurs au cours des trente années suivantes.

Conclusion

L’étape fondatrice de la recherche à l’ENSP peut paraitre hétérogène. Elle est en fait à l’image des acteurs principaux des débuts de l’école. Deux écoles nouvelles de pensée paysagiste (dite plus tard « école française de paysage » par la Fédération française du paysage) se juxtaposaient (avant de s’affronter) en indiquant leurs postulats, celui d’une matérialité à gérer par la maitrise formelle, dessinée, globale et de détail, du projet dans le cas de M. Corajoud, qui s’inscrivait dans les pas d’André le Nôtre ; celui d’un imaginaire du paysage à susciter par « apport sur un support » en s’appuyant, notamment sur les théories du jardin pittoresque de Williams Chambers et de l’abbé Delisle (1776).

A côté de ces deux pôles majeurs du débat, la recherche académique dans les autres disciplines était balbutiante à l’école. Les sciences écologiques n’émergeaient pas pour des raisons que j’ai expliquées. Elles se développeront à partir d’un foyer franco-américain dix ans plus tard au CNRS et à l’INRA en dehors de l’école sous la forme de la landscape ecology. Seules les recherches en sciences humaines et sociales (géographie, sociologie, ethnoécologie, histoire des jardins, des paysagistes et du paysage, sciences politiques), portées d’abord par P. Dauvergne puis par A. Mazas, P. Donadieu et D. Bouillon, poursuivront ensuite leur développement avec la création du LAREP (laboratoire de recherches de l’École du Paysage) en 1993. Quatre années après que Bernard Lassus eut créé à l’École nationale d’architecture de Paris-la-Villette le diplôme d’Études approfondies (DEA) « Jardins, paysages, territoires » et sa formation doctorale avec l’École des hautes études en sciences sociales de Paris.

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Bibliographie

Pierre Donadieu : Retour sur la recherche à l’École nationale supérieure de paysage de Versailles-Marseille (1995-2011). Publié dans Projets de paysage le 16/01/2012.


Notes

2 Ce rattachement reste à vérifier.
3 http://corajoudmichel.nerim.net/10-textes/01-versailles-lect.htm
5 http://www.persee.fr/doc/aru_0180-930x_1983_num_18_1_1075

5 – Histoire du CNERP

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Chapitre 5
Pour une histoire du Centre National d’Étude et de Recherche du paysage (CNERP)
(1972-1979)

Version du 30 12 2018

 

Membres du CNERP, Yves Luginbühl et Pierre Dauvergne retracent un moment fondateur de l’histoire de la pensée du paysage en France.

Au regard de ce qu’a représenté le paysage dans l’histoire des relations des sociétés à la nature et à l’aménagement du territoire, l’histoire du Centre national d’Étude et de Recherche du paysage (1972-1979), le CNERP, pourrait paraître dérisoire. Le terme paysage apparaît en effet pour la première fois dans les Provinces Réunis, c’est-à-dire l’actuelle Hollande, en 1462 sous le mot « Lantscap », avant l’équivalent français dont la première occurrence connue date de 1549. Les diverses dates d’apparition du terme dans les autres langues s’éparpillent sur une durée de presque deux siècles et demi si l’on admet que le terme espagnol ne voit le jour qu’en 1708, selon l’Académie Royale d’Espagne.

Dès son origine, le terme est lié à l’aménagement du territoire, bien que certains spécialistes aient voulu voir en lui un mot du seul domaine artistique, la peinture de paysage, qui émerge chez les maîtres flamands. Pourtant, des manifestations picturales du paysage sont reconnues bien avant, notamment dans certaines fresques des villas romaines, et dans la célèbre fresque d’Ambrogio Lorenzetti peinte sur les murs du Palais ducal de Sienne en 1338 ; mais alors, le terme équivalent à paysage n’existait pas dans les langues correspondantes (le mot paesaggio apparaît en 1552, calqué sur le terme français bien que le dictionnaire Robert ait affirmé longtemps que c’était le terme italien qui avait inspiré le français).

Le CNERP à Trappes (Yvelines) dans les locaux d’une unité pédagogique parisienne d’architecture.

 

Pourquoi une histoire du CNERP ? Le contexte

Cette histoire sémantique pourrait sembler éloigner le sujet de cet article de son objet fondamental : il n’en est rien, dans la mesure où la somme des connaissances acquises lors de la création du CNERP n’était pas encore d’une ampleur suffisante pour fonder une ou des théories du paysage. Or, le CNERP doit son existence à cette histoire et il paraît essentiel de le rappeler. Pourquoi alors se consacrer à l’histoire de cet organisme qui vit le jour en 1972, après presque cinq siècles de pratiques d’aménagement des territoires, de réalisation de jardins dans tous les pays du monde, et de production d’une immense quantité de toiles représentant le paysage, dont certaines atteignent des sommes vertigineuses lors de ventes aux enchères ?

Pour les auteurs de cet article, l’objectif visé ici est une manifestation nécessaire de mémoire collective envers les jeunes générations de paysagistes et de chercheurs en paysage. Passer sous silence cette histoire serait oublier des milliers d’heures de réflexion, des débats parfois enflammés ou polémiques sur ce qui fait, finalement, le cadre de vie des populations de la planète. Car il s’agit bien de cela : loin de réserver la question du paysage à son unique protection, lorsque le paysage n’est conçu qu’en tant que sites remarquables ainsi que le défendent les lois de 1906[1] et 1930[2], les auteurs de ce texte souhaitent raviver un ensemble de questions que leur communauté s’est posée dans le cadre d’un formidable mouvement de transformation des paysages aussi bien français que mondiaux à la fin du XXe siècle.

Le CNERP doit son existence à un processus qui s’est amorcé bien avant sa date de création. Il n’est pas inutile de rappeler que dès le XIXe siècle, certaines personnalités ont déjà pensé le paysage dans leurs œuvres. À commencer par Alexander von Humboldt, explorateur et botaniste allemand qui parcourut le monde et surtout l’Amérique du sud de 1799 à 1803 pour comprendre la répartition des espèces végétales sur la planète ; certes, le savant allemand, membre de l’Académie des Sciences de la France, est un naturaliste passionné par la flore et la faune, mais dans ses récits, il est clair qu’il est fasciné par la beauté de la nature et des paysages. On pourrait dire qu’il est l’un des premiers à décrire les paysages qu’il a contemplés lors de ses expéditions.

Un peu plus tard encore, Elisée Reclus, célèbre anarchiste emprisonné pour avoir milité lors de la Commune, écrit en 1866 un article intitulé « Du sentiment de la nature dans les sociétés modernes »[3]. Il amorce un point de vue sur le paysage qui ne sera conceptualisé que bien plus tard, lorsque la Convention Européenne du Paysage sera adoptée en octobre 2000 à Florence par 18 Etats membres du Conseil de l’Europe et aujourd’hui ratifiée par 38 de ces Etats : « La nature que le Français comprend le mieux et qu’il aime le plus à regarder, c’est la campagne doucement ondulée dont les cultures alternent avec grâce jusqu’à l’horizon lointain des plaines (…) Partout l’homme qui contemple cette scène voit des marques de l’industrie de ses semblables : la nature, façonnée par le travail, s’est humanisée pour ainsi dire, et le spectateur aime à se retrouver lui-même dans l’œuvre commune. ». Ici, c’est l’expression « œuvre commune » qui doit retenir l’attention car elle renvoie au cadre de vie élaboré par tous les acteurs du paysage et qui se retrouve sous le terme « paysages du quotidien » présent dans l’article 2 de la Convention Européenne du Paysage. Là se situe l’enjeu fondamental du sens du terme paysage alors que dès les années 1960, certains spécialistes s’alarment de l’étalement urbain et de la prolifération des lotissements, de la construction de nombreuses infrastructures, des stations balnéaires ou hivernales, des centrales nucléaires, de la disparition du bocage, des lignes à haute tension, etc.

Les premières dispositions réglementaires ont donc pour objectifs de rationaliser l’occupation du sol : c’est notamment la Loi d’Orientation Foncière (LOF) de 1967 qui institue les POS et les SDAU[4]. Mais ces documents législatifs ne règlent pas la qualité des paysages : ils ne font que tenter de répartir les activités sociales et économiques dans l’espace, à diverses échelles.

Le Service Central d’Aménagement et d’Urbanisme (STCAU), existant de 1967 à 1969, dépendant de la Direction de l’Aménagement Foncier et de l’Urbanisme (DAFU), du ministère de l’Equipement et de l’urbanisme (MEL) a été mis en place pour mettre en application la Loi d’Orientation Foncière. Dans ce but, dans le même temps, une administration territoriale technique se met en place et se renforce : les Directions Départementales de l’Equipement (DDE) et les Groupes d’études et de programmation (les GEP). Ces services étaient pour la plupart dirigés par de jeunes Ingénieurs des Travaux Publics. Sont également mis en place les Services Régionaux de l’Equipement (SRE). Le STCAU a été créé afin de les aider dans leurs nouvelles tâches par des assistances techniques, méthodologiques, documentaires, il a été structuré autour de groupes d’études et de recherches thématiques, comme le Centre de Documentation sur l’Urbanisme (CDU), et le Groupe de travail “Relations Ville Campagne ».

Ce groupe était dirigé par Rémi Pérelman, ingénieur agronome. Il était composé d’une petite équipe interdisciplinaire : Colette Sauvant, géographe, Florence Marot, sociologue, Claude Lelong, architecte à mi-temps, chercheur au CDU, et Pierre Dauvergne, paysagiste DPLG. Le STCAU a fait appel à des conseillers pour le paysage ou à des consultants : Jacques SGARD, paysagiste DPLG et urbaniste, et Bernard LASSUS plasticien coloriste, puis Charles ROSSETTI, ingénieur écologue, François BRUN, Denis POUPARDIN, Sané de PARCEVAUX, et Jean-Pierre DEFFONTAINES, agronomes, tous issus de l’INRA.

Cet organisme a publié de nombreuses notes techniques à l’adresse des équipes d’urbanisme sur le terrain. Ces notes sont baptisées « notes violettes » en raison du contraste qu’elles offrent par rapport aux documents habituels. Par ailleurs, le Centre de Documentation de l’Urbanisme, le CDU a édité en particulier le « BULLDOC ». Le Groupe Relations Ville Campagne a été très productif en notices violettes sous l’intitulé « les éléments principaux du site ». C’était le refus de l’idéologie de la table rase : sur un espace donné, il ne pouvait être question de tout urbaniser, car le paysage existe matériellement ; un plan n’est pas un espace vide, il y a toujours un élément concret du paysage ; ce principe s’adressait surtout aux DDE. Ainsi, de 1967 à 1970, les notes ont balayé la quasi-totalité des éléments physiques et naturels des sites, dont les exploitations agricoles, la bioclimatologie, la géomorphologie, la géologie, l’hydrologie, etc.

Dans cette période d’effervescence autour de l’émergence du paysage en tant que concept de l’aménagement et du territoire, de nombreuses notes sur divers sujets ont été publiées : en particulier des notes sur la végétation (1968) et la forêt (1969) par Pierre Dauvergne associé à des Ingénieurs du GREF, comme Mrs CLAUZURE conseiller technique auprès du Préfet de la région parisienne, et LASSEIGNE, du département tourisme, chasse et pêche à la Direction Technique de l’ONF[5]. Ces deux notes d’information accompagnaient en particulier la politique du ministre Albin CHALANDON, qui souhaitait développer l’urbanisation dans les massifs forestiers[6], ainsi qu’autour de plans d’eau, afin de « rapprocher les français de la nature »[7]. Une note sur l’expérience des Pays-Bas en matière d’environnement et d’aménagement a également été diffusée ; il faut préciser que les Pays-Bas étaient en avance sur ces questions et en particulier sur celle du paysage. Une note sur le « Paysage » était prévue également. La première étude générale recensant les diverses approches du paysage, principalement à l’étranger, et proposant des axes d’action, a été produite par les bureaux d’étude CINAM-SCAUE lancée par la DAFU – « La mise en valeur et la protection des paysages – De la protection des paysages à la mise en valeur du milieu de vie ». Cette recherche a été menée à la demande de Paul Dufournet, architecte, Inspecteur Général de la Construction. Jean Zeitoun, polytechnicien, l’un des membres de l’équipe, a publié un long article sur « La notion de paysage »[8].

Les années 1960 sont particulièrement fécondes en ce qui concerne le paysage et surtout 1968, année de renouveau des publications sur le paysage, notamment par Georges Bertrand, géographe et naturaliste, qui publie un article : « Le paysage, science diagonale » ; suivent des articles de Roger Brunet, « Analyse des paysages et sémiologie, Eléments pour un débat »[9], de Gilles Sautter, « Le paysage comme connivence »[10], et de bien d’autres. La communauté des géographes renoue avec la question négligée de paysage alors qu’elle avait été auparavant fortement analysée par de grands noms de la géographie, comme Paul Vidal de la Blache (le paysage comme produit de la relation des sociétés à la nature) ou Jean Brunhes.

Dans le même temps, le Centre de documentation livrait un numéro de son bulletin, dénommé le BULLDOC. Il comprenait deux articles principaux, très remarqués, mais guère apprécié par la hiérarchie (DAFU et Cabinet du ministre) :   de Jacques Dreyfus « Les ambigüités de la notion d’environnement » (critique de la politique d’environnement), et   de Bernard Lassus, « Les habitants face aux structures dans la création du paysage urbain.

Le STCAU était une véritable plaque tournante pour échanger connaissances, expériences avec les équipes de terrain, et vice versa. Ainsi, le groupe relation ville campagne a animé le Club des paysagistes d’OREAM, avec la participation du responsable de l’environnement de l’Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture, l’APCA : Jacques Sgard (Nancy-Metz-Thionville, et Aix-Marseille-Fos), Michel-François Citerne (Nancy-Metz-Thionville), Jean Challet et Pierre Mas (Nord – Pas de Calais), Michel Viollet, (Nantes-Saint-Nazaire). Ces échanges étaient nécessaires dans cette période, où tous les spécialistes étaient confrontés à des échelles et à des questionnements totalement nouveaux, en particulier la protection et l’aménagement des espaces agricoles, et des projets de « ceintures vertes », « coupures vertes », « coulées vertes », … dans les aires urbaines.

Les évènements de mai 1968 ont eu des conséquences sur le processus de développement des études et analyses du paysage en France : le STCAU a été en grève et en assemblée générale durant plusieurs semaines, et des motions ont fait la une des Revues d’Urbanisme au plan international. Le gouvernement n’a pas apprécié et, à partir de 1969, le STCAU a été démantelé en douceur. En marge des activités du groupe « relations Ville Campagne », de nombreux intervenants se sont mobilisés pour agir et poursuivre la défense des idées de paysage, et tout particulièrement pour demander la création de formations de professionnels, sachant que le ministère de l’Agriculture avait l’intention d’arrêter la Section du Paysage et de l’Art des Jardins (SPAJ) de l’ENSH.

Quelques repères à retenir :

1967 – 1970 : LE G.E.R.P. GROUPE D’ETUDE ET RECHERCHE SUR LE PAYSAGE est mis en place, et dans le même temps :

1969 – 1974 : L’OREALM, ORGANISATION D’ETUDES D’AMENAGEMENT DE LA LOIRE MOYENNE, où travaille le paysagiste Pierre Dauvergne ,

1968 – 1975 : L’ASSOCIATION PAYSAGE, préfigurant le CNERP, est créée :

Douze fondateurs se réunissent dont : Jacques Sgard, paysagiste-urbaniste, Président, Bernard Lassus, plasticien, Vice-Président, Rémi Pérelman, ingénieur agronome, Secrétaire général, Pierre Dauvergne, paysagiste DPLG, Secrétaire, Paul Clerc, paysagiste, du bureau d’étude PAYSA, Trésorier. Autres Membres : Jean Challet, paysagiste DPLG et urbaniste à l’OREAM Nord, Charles Rossetti, ingénieur écologue, Claude Auber, architecte, directeur adjoint du STCAU, Clauzure, ingénieur forestier, conseiller technique auprès du Préfet de la région parisienne, Jean-Pierre Deffontaines, ingénieur agronome-géographe à l’INRA, Olivier Dollfus géographe, et Paul Rendu, sociologue au Centre de sociologie urbaine, le CSU. Il s’agit d’un regroupement de disciplines variées pour aborder les questions de paysage dans toute leur ampleur, et en cela, bien au-delà des questions esthétisantes et protectionnistes, qui ont cours à cette époque.

En 1971, lors de la création du premier Ministère chargé de l’Environnement par Robert Poujade (1971/1974), l’association PAYSAGE lui fait part de ses préoccupations et propositions, soit de mettre en place une formation au « paysage d’aménagement » pour des professionnels de l’aménagement et de l’urbanisme. Le Ministre, qui avait besoin d’asseoir son autorité le plus vite possible, donne son accord au projet de l’association, car il pouvait être mis en place très rapidement. Ainsi, l’association est chargée par le Ministère de l’environnement de créer un cycle d’un an pour une formation expérimentale au « paysage d’aménagement » destinée à des professionnels de l’aménagement et de l’urbanisme, et pour développer la recherche. Ce cycle a été mis en place en 1972. En 1973, le Ministre prend publiquement position dans Le MONDE du 22 septembre 1973 par un article en pleine page, intitulé « Vie et mort des paysages – Les pouvoirs publics peuvent-ils sauver les sites ? »[11]. L’association s’installe dans des locaux 45, rue de Lisbonne à Paris. La première promotion de quinze professionnels a été prolongée d’un an. Le bilan étant jugé très positif, ce cycle a été reconduit durant trois années. Il est animé par le Groupe d’Orientation Pédagogique et scientifique (GOPS),

Serge Antoine, du Haut Comité de l’Environnement, suggère au ministre la création du cycle de formation au paysage, projet qu’il connait, et qui de son point de vue, est mûr pour sa mise en œuvre. D’autre part, ce projet contribuerait à la formation de personnels compétents pour les futures politiques du ministère, et ses nouvelles structures administratives décentralisées. Le 2 novembre 1971, un Conseil Interministériel charge l’association PAYSAGE de mettre en place un cycle professionnel annuel sur « le paysage d’aménagement ». Grâce à une subvention du Ministère, le cycle est installé le 16 novembre 1972. Une petite équipe auprès de Rémi Pérelman prépare le cycle : Sarah Zarmati, Charles Rossetti et Pierre Dauvergne, puis est mis en place le GOBS, avec la participation de membres de l’équipe plus Jacques Sgard et Bernard Lassus. Les stagiaires font acte de candidature après parution d’annonces dans la presse, ou par connaissance de l’existence du cycle, notamment par les GERP et la SPAJ (section du paysage et de l’art des jardins de l’ENSH de Versailles). Ils sont recrutés après entretien avec un jury. Il est veillé à la constitution de promotions équilibrées entre paysagistes et les autres disciplines. De 1973 à 1974, Pierre Dauvergne est chargé de mission pour mettre en place l’« Appui Technique » aux Ateliers Régionaux des Sites et Paysage (ARSP), puis aux Directeurs Régionaux de l’Environnement (DRE), deux nouvelles structures de l’Administration. De 1972 à 1976 : quatre cycles longs interdisciplinaires de formation professionnelle au paysage (post 3ème cycle) se déroulent durant cette période. Le Groupe d’Orientation Pédagogique et Scientifique, rassemble Jacques Sgard, Bernard Lassus, Charles Rossetti, Jean Challet, Jacques Montégut, Michel Macary, Pierre Dauvergne et d’autres intervenants ponctuels.

En 1975, l’Association PAYSAGE laisse la place à une association (loi 1901) qui devient le support du CENTRE NATIONAL D’ETUDE ET DE RECHERCHE DU PAYSAGE (CNERP), structure plus pérenne. Elle poursuit le cycle de formation jusqu’en 1976.

Le CNERP : CENTRE NATIONAL D’ETUDE ET DE RECHERCHE DU PAYSAGE.

Après les deux premières années, le cycle de formation est institutionnalisé au sein du CNERP le 31 mars 1975 par le Ministre de la Qualité de la Vie, André JARROT, à Trappes près de Versailles, dans les locaux d’une antenne pédagogique d’une école d’architecture parisienne. Il reste une association, mais comporte un Conseil d’Administration interministériel, présidé par Pierre de la Lande de Calan de la Fondation de France[12]. Le CNERP est confirmé par le Ministre André FOSSET le 27 avril 1976. Mais, à l’issue de l’Assemblée générale du CNERP du 24 janvier 1979, le Ministre Michel d’ORNANO décide de fermer le CNERP.

De gauche à droite, Alain Levavasseur, Janine Grégoire, Yves Luginbühl, …, Jean-Pierre Boyer, Sarah Zarmati, Pierre Dauvergne, Viviane (secrétaire du CNERP), Rémi Pérelman,…, Philippe Robichon, Alain Sandoz, Bernard Fischesser, Claude Bassin-Carlier.…, 1974.

 

Les missions du CNERP et ses réalisations

Les missions du CNERP comprenaient :

  1. Les études et la recherche
  2. La documentation
  3. La conception et la diffusion de documents d’information, la mise en place de session de formation.
  4. La formation proprement dite de « paysagistes d’aménagement », expression qui mérite que l’on s’y arrête un moment.

Toutes ces missions ont été assurées, plus ou moins. La formation des paysagistes d’aménagement n’a duré que 5 années, c’est-à-dire 4 cycles de formation. La documentation a bien fonctionné avec le recueil de nombreux ouvrages, articles, rapports grâce à la ténacité de Sarah Zarmati assistée plus tard de Claudine Zysberg et de Nicole de Gouttes ; y participent également Alain Sandoz et Luc Voyenne qui s’occupe des « Nouvelles du Paysage », lettre d’information sur l’actualité du paysage. De nombreux documents d’information ont été réalisés, avec la mise en place de sessions de formation pour les cadres et techniciens des administrations concernées. L’équipe des études et de recherche, dirigée par Pierre Dauvergne, recruté le 31/01/1975 à cet effet, produit des études de paysage un peu partout en France avec l’aide des stagiaires devenus chargés d’étude. La recherche reste cependant une activité plutôt marginale.

À partir de 1975, la direction est assurée par Rémy Pérelman et un secrétariat assuré par diverses personnes qui se sont succédées au cours du temps. Le cycle de formation professionnelle au paysage d’aménagement comprend des séminaires animés par un groupe d’enseignants comportant Jacques Sgard, Bernard Lassus, Charles Rossetti, Rémi Perelman. D’autres enseignants participent également à l’enseignement comme Michel Macary, architecte, Jean Challet, paysagiste, Jacques Montégut, écologue, Pierre Dauvergne. Les séminaires portent sur des sujets divers, comme la poly-sensorialité du paysage, l’apprentissage de nouvelles sensations sensorielles avec l’écoute de musiques contemporaines (le compositeur Pierre Mariettan), les approches philosophiques de la sensorialité, la démarche écologique, la question du changement d’échelle, l’apprentissage de l’analyse des photographies aériennes, etc. Plusieurs voyages furent organisés pour la première promotion : autour de Fos-sur-Mer, au moment de la constitution du grand aménagement du terminal pétrolier et la découverte de l’étang de Berre, une journée au BRGM à Orléans pour découvrir les capacités du microscope électronique, notamment.

La présentation de la première étude sur le paysage à l’échelle de l’aménagement du territoire, en vallée de la Loire, est réalisée par l’OREALM et une équipe de jeunes paysagistes sous la direction de Pierre Dauvergne, avec des phyto-sociologues du Centre d’études phytosociologiques et écologiques (CEPE),un laboratoire du CNRS à Montpellier. Cette étude, publiée sous le nom « Le paysage rural et régional » a été l’occasion de découvrir l’approche poly-sensorielle et les méthodes de diagnostic paysager, d’évaluation des évolutions des paysages, et l’intégration des propositions dans les documents d’urbanisme tels que les POS et SDAU.

Les stagiaires ont participé à trois études de paysage à l’échelle de l’aménagement du territoire : l’étude paysagère du plateau de Valbonne-Sophia-Antipolis, l’étude paysagère d’un périmètre dans le Parc naturel régional d’Armorique autour de la commune du Faou, et l’étude de paysage d’un axe routier en Champagne.

Plus précisément, le CNERP s’est organisé selon les activités suivantes :

  • Le Centre de Documentation du Paysage, dirigé par Sarah Zarmati, réunira plusieurs milliers d’ouvrages et de publications diverses. Il a réalisé des bibliographies, des notes et des recherches documentaires.
  • La cellule audiovisuelle, dirigée par Yves Luginbühl, assisté de Jean Pierre Boyer et Pierre Vantouroux ,a constitué une diathèque et réalisé des documents audiovisuels de sensibilisation au paysage. Cette cellule concevra les maquettes des publications du CNERP.
  • La cellule de la Formation Continue animée par Anne Kriegel a animé de nombreuses sessions de formation continue à l’adresse des milieux professionnels de l’aménagement et de l’urbanisme. Voir par exemple le programme de l’année 78.

  • Le groupe d’étude, de recherche et d’expérimentation :

Avant la mise en place du groupe, l’Appui Technique (1973-1975) animé par Pierre Dauvergne, a fonctionné principalement auprès des Chefs des Ateliers Régionaux des Sites et Paysage (ARSP), puis des Directeurs Régionaux de l’Environnement (DRE). Par ailleurs, Alain Mignard, paysagiste, a été recruté temporairement en 1973-1974 et mis à disposition de l’Etablissement Public d’Aménagement de la Ville Nouvelle du Vaudreuil. À partir de 1975, Pierre Dauvergne est recruté au 31/01/1975, en tant que directeur d’étude responsable de l’équipe des études, recherches et expérimentations. L’équipe est rapidement constituée principalement par des professionnels issus des cycles de formation du CNERP dont : Alain Levavasseur, paysagiste DPLG, Marie Noëlle Brault, paysagiste DPLG, Zsuza Cros, paysagiste hongroise, Jean Pierre Saurin, paysagiste DPLG, Jean Rémy Nègre, architecte-urbaniste. S’y joindront d’autres membres de l’équipe : Marie Claude Diebold, géographe, Claude Bassin-Carlier, ingénieur écologue, Janine Grégoire, secrétaire. Il était fréquent que des travaux mobilisent des membres de plusieurs unités en même temps. Selon le Centre de Documentation, de 1973 à 1977, 127 rapports d’études, ou de recherches sont réalisés par les équipes du CNERP (7 en 1973, 24 en 1974, 28 en 1975, 34 en 1976 et 34 encore en 1977). À l’analyse de ces listes il est possible de recenser les thèmes qui préoccupaient le Ministère et ses services. En effet, la quasi-totalité de celles-ci correspondent à des commandes du Cabinet et des services centraux. Les contrats étaient négociés par Rémi Pérelman. Certains constituaient des formes de subvention publique de fonctionnement au CNERP.

Désormais, il faut se pencher sur les apports du CNERP non seulement au domaine du paysage lui-même, mais également aux paysagistes et à la recherche sur le paysage.

 

Les apports du CNERP

Le premier apport a sans doute été une nouvelle manière d’aborder le paysage en lui donnant une dimension sensible. Cependant, celle-ci se résumait à la poly-sensorialité, surtout centrée sur la vue ; c’est cette sensorialité qui a été présente dans l’étude des paysages de la Loire moyenne réalisée par l’OREALM. Elle se traduisait par des schémas de vues sur les éléments du paysage, et des coupes de la vallée notamment. La question des sensibilités sociales aux paysages n’était pas vraiment évoquée. Elle viendra plus tard, lors du premier appel d’offres de recherche engagé par la Mission de la Recherche Urbaine en 1983. Une tentative eut lieu pourtant dans une étude effectuée sur la vallée aval de la Loire, mais elle n’aboutit pas totalement. L’intérêt pour cette sensibilité est cependant précurseur des nombreuses recherches qui ont commencé dans les années 1980 avec les notions de représentations sociales des paysages et qui ont marqué profondément un renouveau des approches paysagères ; ces représentations sociales ont été au cœur de toutes les recherches réalisées dans le cadre des programmes scientifiques engagés ensuite au ministère chargé de l’environnement[13].

Cet apport s’est accompagné d’une réflexion globale sur les dimensions matérielles et immatérielles du paysage, qui ne virent leur aboutissement que plus tard, avec les recherches conduites dans les programmes scientifiques évoqués ci-dessus. Mais cette réflexion avait permis d’engager un débat qui se cristallisera en 1991 lors du colloque organisé par Bernard Lassus, Augustin Berque, Alain Roger, Pierre Donadieu, Lucien Chabason et Bernard Kalaora au Centre Georges Pompidou et intitulé « Au-delà du paysage moderne »[14]. C’est lors de ce colloque que les participants ont d’une certaine manière entériné la fin de l’esthétique du pittoresque et du sublime qui avaient déjà été critiqués dans les séminaires du CNERP.

Le second apport a concerné les méthodologies d’analyse des paysages. Alors que celles-ci s’appuyaient principalement sur l’étude de l’occupation des sols à l’aide de données statistiques quantitatives, notamment chez les géographes, les enseignants du CNERP ont développé des approches qualitatives fondées sur des analyses sensibles. Les études précédentes qui utilisaient ces données des recensements de la population ou de l’agriculture étaient critiquées pour leur « froideur » qui ne rendait pas compte des sensibilités aux paysages. L’étude de l’OREALM fit figure de pionnière, en mettant en œuvre la dimension sensible. C’est d’ailleurs cette méthode qui fut appliquée dans les études du CNERP, non seulement à Sophia Antipolis, mais aussi au Faou. Puis dans les autres études qui suivirent, la même méthode fut également mise en œuvre. Notamment dans l’étude du Plan d’Aménagement Rural de l’Argonne, lieu des terribles combats durant la Grande Guerre de 1914/18.

La formation des ingénieurs du Centre d’Etude du Réseau de Transport (CERT) d’Electricité de France) (EDF)[15]. Ainsi, la totalité des ingénieurs du CERT, ont participé à une formation exemplaire sur plusieurs années. Ces ingénieurs, dits les « lignards » étaient responsables des tracés des lignes à très haute tension et hautes tensions pour transporter l’énergie produite par les nouvelles centrales nucléaires. Les études se heurtaient à de fortes oppositions car les lignards élaboraient des tracés linéaires faisant fi des singularités géographiques. Parfois, les tracés évitaient des secteurs trop sensibles. Ainsi, le CNERP a été chargé de développer une culture du paysage chez ces lignards par des sessions courtes de formation, mais aussi par des exercices pratiques avec une maquette représentant le terrain. Au-dessus de celle-ci des caméras mobiles permettaient de visualiser et d’évaluer les simulations de tracé. Les lignards devaient justifier leur projet de tracé.

Les cadres des entreprises d’extraction des granulats ont aussi fait l’objet de sessions de formation. C’est ainsi qu’à partir d’une maquette de 5 m x 5 m conçue par Y. Luginbühl représentant la situation géographique de la confluence de la Seine et de l’Yonne a été réalisée et filmée en 16 mm avec la caméra d’Yves Luginbühl, assisté de Jean-Pierre Boyer et de Pierre Vantouroux, image par image afin de reconstituer l’évolution des paysages avec le développement des sablières et de l’urbanisation.

En 1977, une expertise éclair sur le projet d’implantation de la station de sports d’hiver de Barca dans la vallée d’Aspe, près du village d’Aydius. Elle a été réalisée pour le compte du Conseil Général des Pyrénées Atlantiques par Yves Luginbühl, Sarah Zarmati, Janine Grégoire et Pierre Dauvergne. Il était demandé d’évaluer le volume bâti dans le paysage et de mesurer l’impact de la voirie d’accès à créer. Cette expertise réalisée en un temps record est exemplaire de l’approche paysagère du CNERP, à la fin de son existence. Cette approche globalisante affiche une problématique en termes de développement et d’aménagement d’un territoire, bien au-delà des simples impacts visuels.

De 1973 à 1984, 12 années d’assistance à l’Etablissement Public d’Aménagement de la Ville Nouvelle du Vaudreuil (EPVNV) et à sa Cellule Environnement. Cette assistance correspondait à l’une des « 100 mesures pour l’environnement » puis a été inscrite dans le programme de la Délégation générale à la recherche scientifique et technique (DGRST). Ont été réalisées plusieurs études méthodologiques et recherches et assurée une présence au sein de la cellule ‘environnement du Conseil scientifique. Cet ensemble de travaux a été mené par le CNERP dans la durée, puis, à partir de 1979, par le service technique de l’urbanisme avec l’ENSP de Versailles nouvellement créée. Il comprenait un géographe, un sociologue, un acousticien, un hydrogéologue, un naturaliste pour la faune, et un paysagiste. Le conseil a particulièrement travaillé sur les dossiers d’impact des projets d’ aménagement:

  1. en 1974, l’étude paysagère du site de la ville nouvelle du Vaudreuil par Alain Mignard,
  2. en 1978, avec Alain Levavasseur recherche méthodologique pour l’établissement de palettes végétales des sites en voie d’urbanisation.
  3. de 1978 à 1980 : Recherche sur « la production, la gestion et l’appropriation des espaces extérieurs en milieux urbains nouveaux ». Recherche menée par Sarah Zarmati, Alain Levavasseur, moi-même avec les sociologues Maurice Imbert et Jean Charles Lagree du Centre d’Ethnologie Sociale et de Psychologie du CNRS, enfin avec Michel Gantier, photographe à l’EPAVNV.

Les 6 et 7 mai 1976, à Cabourg, présentation des résultats de l’étude sur « les approches paysagères ». Ce fut le séminaire « Paysage et Aménagement » de Cabourg. Le travail fut mené par Sarah Zarmati, Jean Pierre Saurin, Ssuzsa Cros, et Pierre Dauvergne. C’était une commande importante du ministère de la Qualité de la Vie (MQV). La restitution de l’étude s’est faite dans le Grand Hôtel de Cabourg devant une centaine de personnalités des différentes directions et services des ministères en charge des questions de sites, paysage et environnement.

1978 à 1981 – Préparation et exploitation du concours du parc départemental du SAUSSET pour la Société d’Economie Mixte du Conseil Général de la Seine-Saint-Denis (la SODEDAT 93). Sous la Direction de de C. Bouzemberg, architecte-urbaniste, une équipe a été constituée avec, pour le CNERP : Alain Levavasseur, Claude Bassin-Carlier, et Pierre Dauvergne, pour l’Université de Paris Nord (Villetaneuse), le Professeur Sivignon, géographe, et pour le laboratoire d’économétrie de l’Ecole polytechnique, Robert Ballion, sociologue. Les propositions remises ont mis en évidence nettement les deux tendances conceptuelles du moment dont l’une, récente, qui s’est affirmée lors du concours. À ce titre, ce concours présente une certaine exemplarité, qui a d’ailleurs inspiré les responsables de la mission du parc de l’Etablissement Public d’Aménagement du Parc de la Villette.

L’apport à la recherche scientifique fut cependant marginal : il y eut bien deux réponses à un appel d’offres du CORDA, du ministère de la Culture, l’une sur les paysages de coteaux, conduite en Bourgogne par Yves Luginbühl et Rémi Pérelman, l’autre par Rémi Nègre. Mais elles n’aboutirent pas à des enseignements très déterminants, même si la première se poursuivit pour Y. Luginbühl, par une thèse de doctorat sur les valeurs attribuées aux paysages de la Côte viticole bourguignonne.

Sans doute le principal apport du CNERP a-t-il concerné les significations du paysage, en particulier la double dimension, matérielle d’une part et immatérielle d’autre part en ayant recours à ce qui avait été développé autour du « sensible ». Il est possible d’affirmer que tous les travaux qui ont été réalisés plus tard dans la communauté scientifique et dans celle des praticiens du paysage ont été marqués par les avancées du CNERP, même si celles-ci n’étaient pas toujours évoquées. Dans la sphère des administrations concernées par l’aménagement du territoire, il est certain également que ces avancées ont été significatives, notamment à la Mission Paysage devenue en 1993 Bureau des paysages. Il faut rappeler que la Mission Paysage a été composée dès sa création en 1979 de deux anciens stagiaires du CNERP, Yves Luginbühl et Anne Kriegel placés sous la direction de Lucien Chabason, au sein de la Direction de l’Urbanisme et des Paysages dirigée par Yves Dauge puis par Eudes Roullier. D’ailleurs, en 1993, Ségolène Royal a fait voter la première loi « Paysage » qui s’est inspirée indirectement des avancées du CNERP[16].

Un autre apport, enfin, a été déterminant pour l’avenir du paysage d’aménagement : celui d’avoir constitué une communauté de praticiens du paysage. Ils sont passés de l’échelle du jardin à celle du territoire habité et ont structuré la collectivité des chercheurs en un grand groupe opératoire sur les analyses des paysages grâce à une forte diversité de démarches et de résultats. Mais d’une certaine manière, le fait d’avoir contribué à la reconnaissance des paysagistes d’aménagement a conduit le CNERP à sa perte.

En 1975, la création de l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles a provoqué la fin du CNERP : non seulement, de nombreux paysagistes, qui n’étaient pas passés par cet organisme, le considérèrent comme un concurrent à leurs propres agences libérales, mais, en outre, le CNERP connut une période de difficultés financières en raison de son mode de fonctionnement, fondé sur des contrats, sans subvention régulière qui aurait pu assurer sa survie. La composition interdisciplinaire du CNERP n’était sans doute pas non plus bien vue des paysagistes. En février 1979, le ministère de l’Environnement mit fin au CNERP. Ses agents partirent soit au Service Technique de l’Urbanisme, soit à la Mission Paysage, soit à l’Atelier Central de l’Environnement ; les autres suivirent une autre voie, en dehors des institutions publiques.

Les réunions périodiques des chefs des ateliers régionaux des sites et paysages (ARSP) à Trappes avec l’Appui Technique ont finalement été suspendues et rapatriées au ministère, ce dernier vivant mal l’influence des idées du CNERP sur ses jeunes services…sans compter avec les difficultés d’accès depuis la province. Avant la dissolution du CNERP, les agents entreprirent une grève. À la fin de 78, les personnels, une vingtaine de personnes, mènent une série d’actions pour défendre l’existence du CNERP, outil expérimenté dans le domaine du paysage, et bien sûr pour la défense de leur emploi. Avec le soutien de l’Union locale de la CGT, de nombreuses interventions sont menées. Deux parlementaires se mobilisent et posent une question orale tant à l’Assemblée Nationale, qu’au Sénat : Michel Rocard, député des Yvelines, Maire de Conflans-Sainte-Honorine, et Bernard Hugo, sénateur, maire de Trappes, Président de l’EPA de la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines. Les préoccupations des personnels sont prises en considération, comme l’intérêt de préserver l’expérience du CNERP, notamment lors d’une Inspection générale du Ministère. La création d’une nouvelle direction, celle de la Direction de l’Urbanisme et du Paysage (DUP), une grande première ! Et en son sein, la Mission du Paysage ! Le CNERP n’a pas été inutile, il pouvait laisser la place à une administration durable.

Aujourd’hui, le paysage s’est relativement bien imposé dans le domaine de l’aménagement du territoire. Il y occupe une place non négligeable et surtout dans les dispositifs participatifs à l’échelle locale ; il reste cependant assez loin au-dessous des enjeux actuels du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité. Par ailleurs, il signifie souvent pour les élus davantage protection plutôt qu’aménagement du territoire. En conséquence, il devient une contrainte plutôt qu’un atout. En outre, il est le plus souvent invoqué dans les opérations de tourisme qui devient ainsi l’une des activités économiques les plus attractives des collectivités territoriales. Pourtant, à l’échelle européenne, grâce à la Convention Européenne du Paysage, le paysage est fréquemment un facteur de développement économique et de bien-être social. Mais il reste du chemin à parcourir pour que l’idée de paysage devienne un objectif à part entière à côté du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité. Bien qu’il puisse, par la prise en compte des structures paysagères, pouvoir servir ces deux causes essentielles pour l’avenir de l’humanité et de la planète.

Au-delà du CNERP, les anciens stagiaires ont suivi des trajectoires différentes, les uns dans l’administration déconcentrée, d’autres dans le privé, d’autres encore dans la recherche ou dans des associations, des CAUE, etc. Chacun d’entre eux ont vécu l’expérience du CNERP d’une manière différente. C’est donc leurs témoignages individuels qui complètent cette brève histoire, mais qui apportent des enseignements essentiels pour comprendre le développement pionnier en France du « paysage d’aménagement ».

Yves Luginbühl et Pierre Dauvergne avec le concours de Pierre Donadieu, décembre 2018.

 

Voir également

Pierre Dauvergne, L’émergence du « paysage d’aménagement » en France, 1967-1985, Topia/Histoire et mémoire/Biographies, 2019.

Yves Luginbühl, Pour une histoire personnelle du CNERP, Topia/Histoire et mémoire/Biographies, 2019.

Zsuza Cros, paysagiste hongroise, ancienne élève du CNERP (1972-79), raconte sa carrière en France et en Hongrie. Topia/Histoire et mémoire/Biographies, 2019.

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Notes

[1] Loi sur la protection des sites et monuments naturels de 1906 pour leur intérêt artistique, légendaire, scientifique et esthétique. Cette loi a concrétisé un long parcours de diverses personnalités françaises dont Prosper Mérimée et le Touring Club de France. C’est Charles Beauquier, député du Doubs qui fit voter la loi à la Chambre des Députés.

[2] Loi de 1930 sur les sites classés et inscrits remplaçant celle de 1906.

[3] Reclus Elisée, 15 mai 1866, « Du sentiment de la nature dans les sociétés modernes », Revue des Deux Mondes, Paris.

[4] Cette loi permettait de mettre en œuvre les Schémas Directeurs d’Aménagement et d’Urbanisme (SDAU), les Plans d’Occupation des Sols (POS), les Coefficients d’Occupation des sols (COS), la Taxe Locale d’Equipement (TLE), et les Zones d’Aménagement Concertée (ZAC).

[5] Note rééditée en 1971 par Rémi Pérelman.

[6] En effet, la LOF l’autorisait à condition de laisser ouvert au public les 9/10ème du massif urbanisé

[7] Voir les lotissements de maisons individuelles dites « Chalandonnettes »

[8  Zeitoun,1969, « La notion de paysage », in L’architecture d’aujourd’hui – N° 145.

[9] Brunet Roger, 1974, « Analyse des paysages et sémiologie, Eléments pour un débat », L’espace géographique, n° 2, pp 120-126, Paris.

[10] Sautter Gilles, 1979, « Le paysage comme connivence »- Hérodote (16), p. 41-66.

[11] Ce texte est intégré dans son ouvrage de 1975 « Le ministère de l’impossible ».

[12] Par ailleurs l’un des dirigeants de la Barclay’s Bank.

[13] Programmes de recherche : Paysage et Politiques Publiques, de 1998 à 2003, Paysage et Développement Durable, phase 1, de 2005 à 2010, Paysage et Développement Durable, phase 2, de 2010 à 2015, Paysage, Territoires, Transitions, à partir de 2015. Yves Luginbühl, membre du CNERP a été président des comités scientifiques de ces programmes.

[14] Le Débat (1991). « Au-delà du paysage moderne ». Paris, Gallimard, n° 65, mai-août.

[15] A noter, qu’EDF faisait partie du Conseil d’Administration du CNERP.

[16] LOI n° 93-24 du 8 janvier 1993 sur la protection et la mise en valeur des paysages et modifiant certaines dispositions législatives en matière d’enquêtes publiques (1

6 – Les débuts de l’enseignement à l’ENSP

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Chapitre 6

Les débuts de l’enseignement à l’École nationale supérieure du paysage de Versailles

La continuité

(1975-1980)

Après avoir évoqué la fin de la Section du paysage et de l’art des jardins de l’ENSH, Pierre Donadieu évoque la mise en place de l’enseignement à l’ENSP.

La fin de la Section (voir chapitre 4)

Les derniers étudiants paysagistes sont sortis de la Section à l’automne 1974. Les annuaires des anciens élèves de l’ENSH et de l’ENSP signalent un phénomène significatif. Les faibles effectifs d’étudiants paysagistes inscrits à la Section se sont mis à augmenter de 1962 à 1972, date de la dernière rentrée. Ils sont passés de 5 en 1962 et 8 en 1963 à 28 en 19721.

Pendant cette période, l’ENSH et le ministère de l’Agriculture commencent à penser la réforme des deux formations versaillaises d’ingénieur horticole et de paysagiste DPLG. La demande de paysagistes augmente. Ce qui s’est traduit pour l’École par le projet d’Institut du paysage lequel, malgré les efforts de la commission présidée par Paul Harvois, n’aboutira pas en 1971 (Chapitre 3).

On connait également les derniers enseignants paysagistes de la Section : A. Audias (depuis 1946), J. Sgard (depuis 1962), B. Lassus (depuis 1963), M. Viollet (depuis 1968), P. Dauvergne (depuis 1969), G. Samel et J.-C. Saint-Maurice (depuis 1960) ainsi que P. Roulet, mais également M. Corajoud et J. Simon qui furent invités à enseigner à partir de 1972. Deux d’entre eux étaient ingénieurs horticoles et paysagistes DPLG (Saint-Maurice, A. Audias). Ils symbolisaient la fin d’une longue période (depuis le début du siècle) où les besoins paysagistes de l’urbanisme avaient été satisfaits surtout par les compétences de l’art des jardins, de l’horticulture ornementale et du jardinage dans les services techniques de parcs et jardins publics.

Parallèlement avait été peu à peu développée, au contact de la culture des Beaux-Arts, des arts décoratifs et de l’architecture, la compétence de concepteur de projet, d’architecte de jardins, distincte de la culture technique de l’ingénieur horticole. Elle était revendiquée par les jeunes professionnels en même temps qu’apparaissait une demande politique de formation de paysagistes comme agents de la requalification des paysages urbains et ruraux avec l’épisode du CNERP (1972-79).

Dans cette période charnière de 1974 à 1980, la nouvelle école du paysage de Versailles, créée par un décret de 1976, se mit en place avec un nouveau directeur, Raymond Chaux2, ingénieur agronome et inspecteur général du ministère de l’Agriculture. Celui-ci était également directeur de l’ENSH – établissement principal devenu nouvelle école d’application des écoles d’ingénieurs agronomes la même année – à laquelle était rattachée l’ENSP.

Le premier programme

Nommé en 1974, R. Chaux succède à E. Le Guélinel qui avait présidé le dernier conseil des professeurs de la Section le 27 juin 1974. Il prépare le concours d’entrée de la première promotion de la jeune ENSP à l’automne 1975.

Un premier programme est rédigé au printemps 19753. Il prévoit en première année des enseignements de base qui supposent l’intervention des enseignants de l’école d’horticulture ou de l’INRA de Versailles4 : climatologie, sols, topographie, floristique, mathématiques, mais également d’autres compétences, enseignées dans la Section, en histoire de l’art, ainsi qu’en dessin. En seconde année, un enseignement plutôt technique et d’atelier est inspiré de celui de la Section (techniques forestières, botanique, hydraulique, aménagement des terrains, gazons…) ainsi qu’une formation à la « composition paysagère », au dessin et, en groupes, à une « orientation urbanisme et aménagement ». La troisième année est surtout consacrée à des ateliers de « composition paysagère », comme dans la Section, avec des compléments en urbanisme, en aménagement du territoire, et en « économie de l’espace ».

R. Chaux l’avait conçu avec les anciens enseignants de la Section, mais surtout avec ceux de l’ENSH déjà impliqués. Car il devait s’appuyer sur les compétences de ces derniers en l’absence de postes budgétaires propres à l’ENSP. Ce programme était donc hybride. Il ne choisissait pas entre un profil technique d’ingénieur paysagiste et un profil de concepteur de projet.

Dans les « Considérations générales », il insiste sur l’expression graphique et la connaissance des matériaux vivants et inertes, ainsi que « du milieu où sera appliqué le travail du paysagiste ». Il souligne « l’apprentissage de l’art de la composition des volumes et des couleurs ». Le paysagiste est pour R. Chaux « un producteur autonome d’espaces verts et un expert s’associant dès la conception à l’élaboration de projets plus complexes ».

Les études doivent durer trois ans suivis d’un stage de neuf mois au minimum, et l’effectif restera inférieur à 15-20 étudiants par année. Aucune option n’est prévue, mais les étudiants pourront choisir les thèmes de leurs projets.

Le programme prévoit que la moitié du temps d’enseignement est consacrée « à la formation au tracé et à la composition graphique dans des ateliers » selon deux groupes de disciplines : 1/ Le dessin, l’expression plastique et la perspective, 2 / La composition paysagère, réunissant des cours d’histoire de l’art, de l’art des jardins et de l’architecture, et l’étude et la composition du paysage.

Ce programme, qui annonce des débats vifs à venir, insiste sur la compétence spatiale du paysagiste qui « conçoit et construit des espaces » et qui, d’un point de vue écologique, « respecte le milieu naturel indispensable au bien-fondé de l’action paysagère ». Compétence qui s’inscrit dans le temps « d’autant plus long que les espaces traités sont de plus grande étendue et constitués d’éléments composites dont il faudra prévoir et diriger l’évolution en vue d’atteindre les objectifs fixés ». Phrase qui suppose la prise en compte, dans la formation, de l’idée de « grand paysage » ou de « paysage d’aménagement » qui est expérimentée au même moment au CNERP de Trappes, à quelques kilomètres de Versailles.

La formation prévue réunit en fait la capacité à la maîtrise d’œuvre et à la planification de la production des paysages. Elle reprend une partie des compétences que le CNERP transmettait au même moment à de jeunes diplômés d’architecture, d’agronomie et de paysage. Mais elle ne fait pas appel explicitement à la notion de paysagisme d’aménagement ou de « grand paysage » qui s’imposera plus tard.

Elle explicite l’idée que le paysagiste « partage plus que tout autre ce qui constitue les préoccupations des urbanistes », notamment d’un point de vue géographique, économique et juridique.

L’ambition de ce programme, rédigé après de nombreuses consultations, est importante, mais beaucoup moins que le projet d’Institut national du paysage et de l’environnement de 1971. Elle s’inspire du premier projet d’ « École du paysage et de l’art des jardins » élaboré en 1966 avant le projet d’Institut (Chapitre 1). Elle reprend la pédagogie de la Section (qui est comparable à celle des ateliers des Unités Pédagogiques d’architecture) en y associant celle des écoles d’ingénieurs (les cours et les applications). R. Chaux ignore cependant que ces deux domaines s’articulent très difficilement, ce que ne tarderont pas à lui faire savoir les étudiants et les enseignants d’ateliers. Il ne semble pas s’appuyer sur les dernières expérimentations pédagogiques menées de 1972 à 1974 par P. Dauvergne, J. Simon et M. Corajoud (voir chapitre 4).

La première équipe enseignante et les départements

En 1966, le premier projet d’école du paysage et de l’art des jardins en trois ans prévoyait une structure pédagogique simple. Quatre domaines devaient organiser l’enseignement : « la connaissance de l’homme (le cadre juridique et social des activités de plein air), la connaissance de la nature (l’utilisation des végétaux et la phytogéographie), les techniques de réalisation (de jardinage, de génies civil et rural) et les travaux d’atelier de projet (esquisse, avant-projet, projet technique, rendu, devis estimatif, rapport de présentation) ».

Etaient ainsi préfigurés les regroupements d’enseignements qui virent le jour en 19775 : « La connaissance du milieu humain ; la connaissance du milieu (écologique) ; les techniques de l’ingénieur, les études sur les processus d’élaboration d’un aménagement ». Le mot atelier n’apparaissait pas comme dans la Section des années 1972-74.

Autant de futurs départements auxquels il fallut ajouter : « les techniques de communication, les arts plastiques, la phase d’accueil de début de première année, la phase de sensibilisation à l’expression6, l’histoire de l’art, les voyages d’étude …».

Ces regroupements ne prirent progressivement le nom de département qu’en 1979 avec cinq pôles : Connaissance du milieu social, Connaissance du milieu (physique), Techniques de projets, Ateliers de théories et de projets, Arts plastiques, Techniques de représentation et de communication. Usuelle dans les écoles d’ingénieurs ou à l’université (avec les chaires7), cette structure en départements n’existait pas dans les écoles d’architecture.

Pour structurer l’enseignement, il fallait constituer un gouvernement stable de l’école. Ce qui fut fait avec l’arrêté du 15 septembre 1977 créant les conseils des enseignants et le conseil de l’enseignement et de la pédagogie de l’ENSP de Versailles.

Dès le début de la première année d’enseignement 1975-1976, un conseil d’enseignants provisoire avait été créé. En juin 1977, il réunissait, répartis en plusieurs groupes de réflexion :

dans le groupe Arts plastiques et Histoire de l’art des jardins : F. Blin, R. Péchère ; dans « Milieu humain » : l’économiste et juriste J. Carrel et le paysagiste (et ingénieur horticole) Elie Mauret ; dans « Techniques de représentation », le paysagiste P. Aubry, P. Bordes (topographie) et F. Manach (techniques de représentation) ; dans « Milieu écologique » : P. Pasquier (Sciences du sol) ; le paysagiste et ingénieur horticole G. Clément (Utilisation des végétaux) ; N. Dorion (Physiologie végétale), P. Lemattre (horticulture ornementale) et M. Rumelhart, assistant représentant J. Montégut, professeur d’écologie végétale. S’y ajoutaient, surtout dans des activités de type ateliers, les paysagistes, anciens comme D. Collin, L. Tailhade-Collin, J.-B. Perrin et P. Roulet, et plus jeunes comme M. Corajoud, B. Lassus, L. Saccardy, A. Provost, P. Dauvergne, A. Spaak ; des historiens : J. Pasquier (ingénieur horticole et directeur adjoint de l’ENSH), S. Hoog, conservatrice au château de Versailles et d’autres professeurs de l’École d’horticulture : J.-M. Lemoyne de Forges (en génie horticole) et T. De Parcevaux en bioclimatologie (un chercheur de l’INRA qui sera remplacé l’année suivante par P. Donadieu) 8

R. Chaux avait pu ainsi rassembler une trentaine de personnes de différents horizons. Une douzaine d’entre eux étaient des paysagistes ayant suivi la Section, ingénieurs horticoles ou non, et/ou ayant participé à l’histoire de la Section depuis 1961 comme B. Lassus, P. Dauvergne ou P. Roulet. La majorité des autres était issue du personnel enseignant titulaire (assistant, chef de travaux et professeur) de l’ENSH, soit une dizaine de personnes.

Structurés en conseil de l’enseignement et de la pédagogie et en conseil des enseignants (notamment sous une forme restreinte aux représentants des cinq départements), ils vont faire évoluer le programme pédagogique de 1975.

1978 : le second programme pédagogique

Dès 1975, R. Chaux avait distribué les grands volumes horaires d’enseignement. Sur les 2700 à 3000 heures prévues pendant trois ans, la moitié devait revenir à des pédagogies collectives et pratiques de « composition paysagère » et d’ «études d’urbanisme et aménagement de l’espace». Il affirmait ainsi l’orientation professionnelle de la formation mais ne définissait pas les objectifs et les modes pédagogiques.

À la rentrée 19779, les enseignants n’étaient pas une population stable. De nouveaux arrivaient (P. Donadieu en Ecologie, P. Lemonnier en ethnologie ; D. Mohen en dessin, C. Preneux en horticulture ornementale, T. Pauly en techniques forestières, M. Vidal en psychosociologie). Et d’autres repartaient ou allaient repartir (D. Collin, J.-B. Perrin, P. Roulet, R. Péchère, M. Guitton, A. Spaak, M. Grocholsky …).10

Néanmoins, des orientations pédagogiques commençaient à être débattues, chaque groupe affirmant ses convictions interdisciplinaires en fonction des expériences acquises.

Par exemple le groupe Milieu écologique (M. Rumelhart, J. Montégut) faisait valoir la nécessité pour le paysagiste de « connaitre les groupes végétaux d’utilisation en fonction des caractères du milieu, d’y associer les caractères plastiques et techniques et de savoir analyser un paysage en fonction des plantes indicatrices identifiées, ceci afin de savoir recréer et compléter un milieu à aménager ». D’autres (P. Dauvergne) insistaient en première année sur l’étendue de la palette végétale du paysagiste (semblable à celle du peintre) ; sur la conscience des ambiances paysagères (L. Tailhade Collin) ; sur, en deuxième année, les « fonctions et moments du processus d’élaboration d’un aménagement (A. Provost avec une base de loisirs ; J.-B. Perrin avec un parc urbain, B. Lassus avec la réhabilitation d’une cité ouvrière). E. Mauret en 3e année voulait développer le savoir participer à « la création d’un schéma directeur d’aménagement et de sauvegarde d’un paysage territorial », et M. Corajoud défendait la pratique de conception d’un parc semi urbain. La question de la progression pédagogique était mieux posée (et provisoirement résolue) que celles de la pertinence et de l’articulation des prestations des uns et des autres. Ces dernières questions apparaitront dans le conseil des enseignants progressivement.

Premières tensions

En mars 197911, G. Clément, ingénieur horticole (IH 65) et paysagiste DPLG regrette que « l’on forme plus des plasticiens que des spécialistes d’utilisation des végétaux » et P. Pasquier que les étudiants ne lisent pas les polycopiés de sciences du sol. P. Aubry, paysagiste DPLG et assistant de B. Lassus, plaide pour développer « l’outil de la reconnaissance paysagère » et le peintre J. Sire pour « axer l’enseignement sur l’univers perceptif ». M. Corajoud déplore « des enseignements trop cloisonnés et l’absence de concepts généraux », J. Coulon, élève du précédent, recommande « d’agrafer analyse et création », P. Dauvergne « de présenter les travaux de groupe devant les élus », et D. Mohen et E. Mauret de changer de locaux trop provisoires et inconfortables (des modules préfabriqués dans la cour de l’École ).

Deux mois plus tard, en mai 1979, le procès-verbal12 n’ignore pas les tensions qui émergent. « Comment intégrer les techniques de travaux et les techniques de représentations » (A. Provost), « Faut-il des enseignements (d’ateliers) optionnels ou monolithiques ? « (P. Aubry) « Les départements sont-ils nécessaires ? (…) N’y a-t-il pas surenchère des disciplines au détriment du concept général de paysage ? (…) Quelle importance du végétal par rapport à l’architecture ? (M. Corajoud), « Les enseignants doivent être des consultants dans les ateliers dans le cadre d’un parcours » (F. Manach), « le paysagiste relève d’une option culturelle et non scientifique » (B. Lassus).

Le principe de deux ateliers de projet de paysage commence à émerger : Corajoud-Provost, et Lassus-Aubry, ce dernier sur des principes plasticiens.

Comme il devient difficile de débattre et de décider avec plus de 20 personnes, une commission restreinte, chargée de préparer les conseils des enseignants, est désignée par R. Chaux le 22 octobre 1979. Elle réunit régulièrement les responsables des cinq départements (Dauvergne, Donadieu, Manach, Sire, Provost) avec ceux des ateliers (Lassus et Aubry, Corajoud et Provost).

Les conseils restreints

Dans le compte-rendu du 25 10 1979, R. Chaux demande que l’on explicite les principes pédagogiques de l’ENSP, mais que, d’abord, l’on confirme que la structure actuelle est conforme aux objectifs de l’école définis par lui en 1975, puis dans ses articles plus récents. M. Corajoud n’approuve pas tant que « la structure actuelle (reste) trop monolithique ; elle n’offre aucune option, aucune passerelle ». Dans le conseil suivant, en formation complète, est développée une critique des stages de quatrième année, mal rémunérés et peu efficaces d’un point de vue pédagogique (mauvaise qualité du travail personnel associé). Il est alors envisagé de « réintroduire la quatrième année comme année de formation » et d’inventer une pratique de recherche dans l’établissement par les enseignants pour y associer les étudiants. Le dispositif universitaire et des écoles d’ingénieurs doit être distingué de celui des écoles de concepteurs « au même niveau des notions de projet (dans les écoles d’architecture) assemblant un mémoire à un projet ».

La notion de projet « spécifiquement paysager » n’est donc pas encore claire ou suffisamment partagée pour le Conseil restreint qui demande un nouveau débat.

Le Conseil précédent l’avait montré. M. Corajoud rejetait « la compilation qui n’est jamais dépassée ». Il craignait le « détournement de projet » s’opposant ainsi à P. Donadieu qui soutenait qu’une recherche « hors du projet » est parfois attendue par les étudiants. Tous semblaient s’être mis d’accord cependant sur la phrase proposée par P. Dauvergne : « Le travail personnel serait constitué par un mémoire devant aboutir sauf exception à un projet d’aménagement de l’espace aux échelles et dans les milieux les plus divers … »13.

Cependant P. Aubry demanda de préciser le texte en introduisant « la proposition d’aménagement de l’espace et du temps, ne pouvant être faite que par un paysagiste, et montrant ce que pourrait être le projet de paysage ». Le danger d’une interprétation trop corporatiste est signalé par P. Dauvergne et la proposition écartée avec l’appui de M. Corajoud.

Cette négociation point par point entre enseignants demeura longtemps la règle de R. Chaux. Par exemple pour la création des postes d’enseignants-praticiens obligeant à transformer des postes de vacations en postes budgétaires ; pour modifier les conditions du concours mal adaptées aux objectifs de l’école ; pour créer un premier cycle spécifique de préparation au concours d’entrée ; ou pour réformer l’enseignement du département du milieu trop isolé des pratiques d’ateliers14.

R. Bellec et R. Chaux parvinrent ainsi à écrire le texte de la première « plaquette », une notice de présentation de l’ENSP.

La première plaquette

L’introduction de cette notice provisoire pour les candidats au concours d’entrée, qui est soumise au Conseil restreint le 2 novembre 1980, affirmait le socle sur lequel sera bâtie la formation dans les années suivantes.

Elle n’éludait pas la difficulté : « pour tenir ce qui est avancé, (il faudra) un certain nombre de réformes pédagogiques …parfois déchirantes ».

L’environnement, écrivait R. Bellec, doit nous stimuler et nous soutenir. « Comment les besoins des hommes peuvent-ils être satisfaits d’une manière compatible avec cet environnement ?». Le paysagiste « à sa place et parmi d’autres » (une formule de R. Chaux) apporte des solutions à ce problème. En intervenant sur l’esthétique du changement « grâce à sa formation artistique et une approche subjective mais méthodique », c’est-à-dire en mettant en forme l’espace. En comprenant, avec les scientifiques, les faits relationnels (inscrits dans le paysage) pour aboutir « à une complicité avec le milieu physique et culturel ». Ce qui n’exclut pas l’intervention forte, et n’implique en rien l’esprit de conservation. « En créant des aménagements qui devront être agréables, confortables …et dont on se souviendra ».

Le texte conclut :« Les paysagistes travaillent en collaboration avec les urbanistes, les architectes et les ingénieurs (…). Ils peuvent intervenir comme maître d’œuvre (…) et comme conseil ou expert au sein d’équipes interdisciplinaires. ».

Ce texte, en forme de manifeste (ici reformulé), réaffirme l’identité des paysagistes concepteurs et les distinguent des compétences voisines. Le paysagiste DPLG n’est ni un architecte, ni un urbaniste ou un ingénieur, et encore moins, sauf cas particulier, un artiste. Sa singularité est de contribuer à la satisfaction des besoins humains, là où les autres aménageurs de l’espace ne le font pas ou mal. Sans préjuger des moyens techniques ou des démarches d’inspiration artistique. Sans s’inféoder aux démarches dites du paysage d’aménagement, ni à celles des ingénieries horticoles et écologiques qui ne sont pas évoquées, ni à celles des sciences qui nourrissent ou non ces dernières pratiques.

Ce texte dit, implicitement, que les compétences des paysagistes doivent être réinventées par une formation originale articulée avec la recherche de solutions de projets, nouvelles et singulières. Il s’inscrit dans une conception libérale du métier. Les réformes pédagogiques à faire se lisent entre les lignes : abandonner les enseignements scientifiques inutiles, inventer la recherche par le projet, et faire converger les apports des disciplines vers la pratique des ateliers, voire dans les ateliers.

Parallèlement le ministère de l’Environnement et du Cadre de vie venait d’arrêter la formation au CNERP en 1979 en raison des problèmes posés par son financement interministériel. Il savait que la formation au « Paysagisme d’aménagement » était en principe repris par la nouvelle ENSP. Mais aucune garantie ne lui était donnée, qu’il puisse trouver parmi les jeunes paysagistes des agents compétents pour sa politique en matière de paysage15. Une « Mission du paysage » dirigée par A. Riquois, ingénieur du Génie rural et des eaux et forêts, fut donc créée en 1979 afin de mettre en œuvre cette politique16, notamment sous la forme de contrats de recherche avec l’ENSP et ses étudiants (voir chapitres futurs : La fondation de la recherche et des ateliers pédagogiques régionaux.).

À suivre.

P. Donadieu

Version du 25 novembre 2018

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1 L’annuaire de l’association des ingénieurs de l’horticulture et du paysage de 2011 distingue deux grandes catégories d’étudiants paysagistes : 1/les ingénieurs horticoles qui ont suivi un ou deux ans d’études de la Section et obtenu le titre de paysagiste DPLG (ou non) 2/ Les étudiants de la Section qui ont obtenu ou non le titre de paysagiste DPLG. Selon les années, l’effectif de paysagiste DPLG a varié de 5/12 inscrits dans la Section en 1964 à 19/28 en 1972.

2 R. Chaux (1925-2017) avait été successivement directeur de la Chambre d’agriculture de Marrakech en 1951, directeur de la modernisation agricole au Cameroun, puis sous-directeur de l’enseignement technique agricole au ministère de l’Agriculture de 1967 à 1974. Il est nommé, par J. Chirac, premier ministre sous la présidence de V. Giscard d’Estaing, directeur de l’ENSH et de l’ENSP de Versailles où il restera jusqu’en 1990. Il succédait à Etienne Le Guélinel, ancien directeur des services agricoles de Seine-et-Oise, qui avait pris ses fonctions en 1959.
3 Programme d’enseignement de l’ENSP, 6.05/1975, 12 p., sans auteur.

4 Les enseignants de l’ENSH sont intervenus dans la formation préparatoire et celle de la Section à partir de l’année scolaire 1967-68. Ils étaient cinq au début (Montégut, De Forges, Bordes, Gallien, Anstett).

5 Programme d’enseignement par année, 11/08/1977, doc. ronéo, 6p.

6 Une partie de ces ajouts est liée à l’arrivée de Roger Bellec à la rentrée 1977. Il était animateur socioculturel de lycée agricole, chargé du secrétariat général et de la coordination pédagogique de l’ENSP. Il était assisté par une secrétaire Lydie Hureaux et un paysagiste P. Aubry. Il assura ce poste difficile de 1977 à 1985 avant de regagner sa Bretagne. Il est décédé en 2017.

7 Le terme chaire, après la remise en cause « antimandarinale » de mai 1968 à l’Université, disparut pendant plusieurs décennies. Il réapparut après 2000 avec les chaires d’entreprises surtout dans les Grandes Écoles. Une chaire Paysage et Energie a été créée en 2016 à l’ENSP.

8 Ingénieur horticole, diplômé d’études approfondies d’écologie, ingénieur d’agronomie, P. Donadieu était depuis 1972 chargé d’enseignement et de recherche à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II de Rabat (Maroc). Françoise Blin était professeur certifié de dessin, P. Bordes maître-assistant en Génie rural et topographie à l’ENSH, J. Carrel professeur d’économie et de droit à l’ENSH.

9 Le concours d’entrée recruta en 1977, sur une centaine de candidats, 13 nationaux, quatre à titre étranger, deux réintégrant l’école après une admission l’année d’avant, et deux architectes en troisième année.

10 PV du CE du 21 juin 1977 auquel assistaient 21 personnes. P. Lemonnier était assistant au CNRS, P. Mainié maitre de recherches en économie rurale à l’INRA dans le cadre ENSH, E. Mauret, urbaniste- paysagiste DPLG, T. Pauly, ingénieur forestier, J. Sire, peintre et conseiller technique et pédagogique, D. Mohen professeur certifié de dessin, F. Manach, enseignant à UP n° 5, C. Preneux, assistante à l’ENSH.

11 PV du Conseil des enseignants du 15 mars 1979 (19 personnes)
12 PV du conseil des enseignants du 9 mai 1979 auquel assistaient 24 personnes.

13 PV du conseil restreint du 20 11 1979, p. 3, rédigé par F. Manach. Ce point était conforme à la tradition de la Section depuis sa création.

14 PV du CR du 18/03/1980. Cette proposition fut discutée par A. Provost (clivages trop artificiels, utopie de raisonner du grand aménagement au petit), par M. Corajoud (la forme est prioritaire sur le « gonflage de tête » et par R. Bellec (nécessité d’une concertation entre départements pour une même action (pédagogique) »

15 M. D’Ornano souhaitait, au-delà de la politique de protection des paysages, « retrouver une capacité de création paysagère et mettre en œuvre une politique active de reconquête et de maîtrise de l’évolution des paysages », M. Champenois. Communication au conseil des ministres du 5 novembre 1980. Le Monde du 10 novembre 1980.

16 La Mission recruta notamment Yves Luginbühl et Anne Kriegel qui venaient du CNERP de Trappes.

4 – Le grand flottement

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Chapitre 4

Le grand flottement1

(1968-1974)

 

Ce texte décrit la fin tumultueuse de la Section du paysage et de l’art des jardins de l’École nationale supérieure d’horticulture de Versailles.

L’après mai 1968 : tensions entre enseignants, élèves et direction

Début juillet 1968. Les soixante-huitards et les grévistes viennent de voir mourir leurs espoirs révolutionnaires. Le 4 juin, à Tours comme à Paris, des manifestations gaullistes ont mis fin à l’espoir de changement social et politique.

A l’École d’horticulture de Versailles, la nouvelle des émeutes parisiennes et nationales avait peu ébranlé les élèves ingénieurs qui avaient, à part quelques assemblées générales paisibles en mai, et en raison des avertissements des enseignants, poursuivi leurs études. Quelques-uns plus curieux que les autres avaient participé aux mouvements parisiens de mai, notamment des élèves de la Section du paysage et de l’art des jardins.

Le 5 juillet, le directeur Etienne le Guélinel et son adjoint Jean Pasquier réunissent le conseil des professeurs de la Section dans la grande salle de la bibliothèque de l’école. Treize étaient présents. Des paysagistes : J.-Pierre et J.-Paul Bernard, J. Sgard, P. Roullet, M. Viollet ; un architecte urbaniste R. Puget ; des ingénieurs : L. Sabourin, M. Thomas ; une historienne J. Hugueney ; deux professeurs de dessin Françoise Blin et Jacques Cordeau, un plasticien B. Lassus et un professeur d’écologie de l’ENSH J. Montégut. Tous sont vacataires. Quelques-uns comme l’urbaniste enseignent depuis plus de vingt ans, mais la plupart des autres ont été recrutés depuis moins de 10 ans. Le procès-verbal n’évoquera pas les émeutes parisiennes, comme si elles n’avaient pas existé.

Pourtant, enseignants et étudiants (un élève Alain Eichenbaum avait été pour la première fois admis dans le conseil) pouvaient s’appuyer sur des motifs légitimes pour exprimer leur mécontentement.

« Sans autonomie, sans crédits différenciés, avec comme seuls moyens des vacations pour rémunérer les enseignants »2, rapporte J. Pasquier, la Section vit une précarité de plus en plus mal supportée à côté de l’ENSH. Une concurrence avec le monde des ingénieurs d’autant plus vive que les élèves ingénieurs, et peut-être l’association des anciens élèves de l’ENSH affirment de plus en plus la volonté du monde horticole de mettre en place une formation d’ingénieurs paysagistes à Angers.

Pourquoi, demande P. Roulet, ne va-t-on pas vers un éclatement de la formation entre ingénieurs et paysagistes, plutôt que de maintenir une difficile formation commune ?

Imperturbable, et garant efficace de l’ordre depuis dix ans, E. Le Guélinel fait état de nombreux projets d’amélioration en cours d’étude et rappelle à son conseil que la Section existe avec et par l’ENSH, et que ce lien organique historique « entre mère et fille » doit être maintenu.

C’est un fait qu’en 1945 la Section a été pensée pour former des ingénieurs à la compétence paysagiste pour des emplois dans le secteur public et les agences privées. Ils s’en sont cependant détournés progressivement, laissant ainsi la place à d’autres candidats issus notamment du monde de l’architecture et des Beaux-Arts.

Pourtant, aux 15 élèves3 qui sont autorisé à passer en 2ème année, viennent s’ajouter, en 1968-69, trois ingénieurs horticoles dont Gilles Clément qui deviendra enseignant à l’ENSP.

Depuis le début de la Section, le poids de la culture scientifique et technique horticole sur la formation des paysagistes provoque une demande récurrente de changement des épreuves du concours et des programmes pédagogiques, en particulier des coefficients des disciplines. Le dessin est un parent si pauvre et si peu écouté qu’au cours du conseil suivant de rentrée le 25 septembre 1968, lassés de si peu d’attention, F. Blin et J. Cordeau démissionnent4. Commence alors une longue série d’abandons de l’enseignement, puis de grèves d’étudiants à la mesure de l’exaspération croissante du personnel enseignant. Déjà l’ancien élève de J.-C. Nicolas Forestier, l’architecte et paysagiste T. Leveau, un enseignant respecté d’ateliers de projets depuis plus de 20 ans, était parti pour raisons de santé au début de l’année 19685.

Un autre sujet de tension avec les enseignants concernait l’exigüité des locaux qui leur étaient réservés. La Direction leur annonce qu’un préfabriqué sera construit dans le « dernier des onze », au fond du Potager et que deux salles leurs seront réservées dans les bâtiments C et D, le long de la rue Hardy avec partage du petit amphi avec les « hortis »6. Et surtout qu’un secrétariat et un budget propre leur seront enfin consacrés.

Cela ne suffira pas à empêcher le chaos de l’année 1969. Car, à la rentrée d’octobre 1968, l’effectif d’étudiants paysagistes avait augmenté : 30 en préparation, 20 en 1ère année et autant en 2ème année. 70 étudiants, mal reconnus et parfois méprisés par le personnel de l’ENSH et ses élèves ingénieurs, qui allaient changer avec leurs enseignants peu écoutés, en quelques années, le cours de l’histoire de l’institution.

B. Lassus se voit accorder le recrutement de P. Dauvergne pour « l’aider à l’enseignement des études visuelles de première et deuxième années ». Car, précise-t-il, il envisage de créer un département d’études visuelles lors de la création de la future école du paysage. Ce projet « d’école du paysage et de l’art des jardins » a déjà été écrit7 au cours des deux années précédentes, mais le tumulte de mai 1968 l’a un peu fait oublier.

1969, l’hémorragie

Un autre litige oppose l’administration aux enseignants vacataires, le montant trop faible de leurs rémunérations alors que le temps d’encadrement augmente. Délégué par ses collègues, J. Sgard rencontre en octobre le ministère pour exposer leurs doléances. À nouveau le directeur de l’enseignement supérieur et de la recherche J.-M. Soupault demande à E. Le Guélinel un projet d’organisation générale de l’école autour de trois ou quatre départements, et un projet pédagogique et de statut du personnel enseignant8. Mais le budget ne change pas.

À la fin de 1968, le ton monte dans le conseil des enseignants9. Y assistaient, de l’ENSH P. Bordes et A. Anstett, les paysagistes J.-P. Bernard, A. Audias, G. Samel et M. Viollet, ainsi que R. Puget, L. Sabourin, J. Simian et M. Rossilion. Les paysagistes dénoncent leur surcharge de travail sans contrepartie financière, notamment les heures de réunion non payées. L’absence de programmation pédagogique et de coordination devient de plus en plus insupportable. J.-P. Bernard demande que J. Sgard devienne « le chef d’orchestre », ce qui est approuvé à l’unanimité du conseil, mais ne sera pas mis en œuvre faute de moyens financiers.

La situation s’aggrave au cours de l’hiver. En mai 1969, P. Roulet qui enseigne en préparation, alerte le directeur : « le niveau des élèves est extrêmement bas, les effectifs ont diminué au cours de l’année du fait des abandons et de l’absentéisme »10. Au même moment, dans un manifeste du 28 avril, les élèves de deuxième année annoncent qu’ils boycottent les enseignements d’études visuelles (B. Lassus et P. Dauvergne) : « L’enseignement est incohérent, pas de corrections, une notation sans rapport avec le travail fourni, pas de présence suffisante des professeurs »11.

Lors du conseil du 28 juin 1969, E. Le Guélinel, stoïque, regrette cette « année difficile » et annonce qu’il faut « structurer l’enseignement du paysage et éviter l’amateurisme ». Mais l’important pour lui est d’assurer la continuité du service public. 18 candidats au concours et 7 ingénieurs sont admis en première année12 et 25 élèves de première année passent en seconde.

L’arrivée « massive » des ingénieurs et la mise en place d’enseignements communs avec l’ENSH met le feu aux poudres. B. Lassus demande la suppression de ces cours et dénonce le faible niveau des ingénieurs et leur absentéisme. « Les ingénieurs doivent être dispensés de certaines disciplines techniques et scientifiques et faire l’apprentissage du dessin »13. Décision qui est prise immédiatement. Les ingénieurs devront obtenir l’autorisation du professeur de dessin pour postuler à la Section.

C’est en fait le concours d’entrée qui est en ligne de mire. « Seules les 8 à 10 premières personnes classées (et retenues) étaient de bon niveaux » constate B. Lassus. Mais également le système de notation employé : « Les notes ne correspondent à rien, puisque le fruit de mon enseignement se révèle le plus souvent avec au moins un an de décalage » (p. 6). Sans compter le temps de préparation qu’il faudrait porter à deux ans, ce que demandent J. Montégut, P. Roulet et J. Simian.

Ce dernier réclame lui aussi des ateliers plus grands, et la possibilité de recourir à des modèles vivants. Une bataille âpre s’engage entre G. Samel et la direction pour récupérer les coefficients des enseignements qui n’ont plus de titulaires (Thébault, Leveau, Puget). La tension est à son comble, et les vacances n’arrangent rien.

À la rentrée 1969, J. Sgard démissionne avec fracas : « Etant donnée l’extrême indigence des moyens matériels où se trouve cet enseignement et le peu de changement survenu depuis plusieurs années, il est inutile de poursuivre mon effort »14. Quelques jours avant, J.-C. Saint-Maurice avait radicalisé sa position : « Etant donné l’absentéisme sans motifs sérieux, les arrivées échelonnées dans les corrections et les cours, je propose de mettre la note de zéro à tout travail non remis à la date fixée sans motifs valables, et de noter plus sévèrement les élèves »15.

Au début du mois d’octobre, 6 enseignants (Lassus, Saint-Maurice, Jean-Pierre Bernard, J. Sgard, J. Montégut) avaient arrêté leurs enseignements, en conditionnant la reprise des cours à la nomination d’un chargé de mission du ministère pour réorganiser l’enseignement du paysage.

Pour E. Le Guélinel, la situation est critique. Il diffère la rentrée de l’année scolaire 1969-70 du 9 au 13 octobre après le conseil où des divisions apparaissent. Faut-il arrêter complétement l’enseignement ? Jean-Paul Bernard, contrairement à son homonyme Jean-Pierre, pense que les élèves seront les premières victimes de cette décision. Le débat est confus, d’autant plus que l’école d’architecture voisine vient d’annoncer l’ouverture d’une formation d’architecte-paysagiste en trois cycles (qui ne se fera pas).

Seul point rassurant : le recrutement où l’effectif se maintient : 32 admis en préparation, 27 (dont 4 ingénieurs) et 21 en seconde année. La demande, non satisfaite, d’assistants reste récurrente et insistante dans les ateliers.

L’année suivante (1970-71), alors que le chargé de mission P. Harvois16 a été nommé, la pression étudiante persiste. Les élèves s’inquiètent : Que sera la seconde année paysage ? demande Noëlle Audas, élève de 1ère année. Les jeunes certifiés de la Section annoncent en mai 1970 leur refus de se présenter au concours en loge. Et huit élèves refusent de passer l’examen d’« Espaces verts » avec A. Audias. Des non redoublements sont prononcés (C. Tamisier et G. Chauvel), malgré l’intervention de P. Dauvergne.

À la fin de l’année scolaire 1970-71 où chacun attend les résultats de la mission Harvois, les nouvelles ne sont pas rassurantes. J. Montégut annonce sa démission. À peine recrutés, deux architectes MM. Autran et Grüber démissionnent au bout d’un an. M. Viollet, P. Dauvergne et L. Sabourin déplorent des résultats faibles, le déficit d’encadrement, l’isolement des premières années dans le nouveau préfabriqué du dernier des onze, l’absentéisme chronique dans les visites et l’émiettement de l’emploi du temps incompatible avec le travail d’atelier.

La désagrégation totale de la formation menace si bien que la direction prévoit de rémunérer les temps de coordination pédagogique. Malgré ce ciel très orageux, l’institution continue à fonctionner.

Pourtant l’année suivante, au conseil des enseignants du 1er juillet 1971, les enseignants présents (G. Samel, J.-C. Saint-Maurice,) connaissent probablement l’échec de la mission Harvois. Le projet d’Institut du paysage a été abandonné. Que s’est-il passé ?

L’échec du projet d’Institut du paysage (extrait du chapitre 3)

C’est en avril 1971 que le coup de grâce est donné par Etienne le Guélinel dans une longue lettre argumentée d’ « observations ». Sans remettre en cause la création de l’Institut, il y dénonce successivement : « l’argumentation du rapport Harvois pour utiliser les moyens de l’ENSH pour créer l’Institut », « l’abandon volontaire de l’enseignement de l’art des jardins », la non compatibilité de la formation d’ingénieurs de travaux paysagers {subordonnés} à des paysagiste concepteurs, la faiblesse des débouchés d’ingénieurs « étroitement paysagistes », et la réticence de Philippe Olmer, directeur en 1970 de l’INA de Paris et chargé de la fusion de l’INA de Paris et de l’École nationale supérieure d’agronomie de Grignon à côté de Versailles. Il plaide pour une ENITAH associant une filière horticole et paysagiste, et la localisation des deux premières années de l’Institut à Angers. Il doute d’une Grande École qui ne formerait que 16 paysagistes de conception par an et propose plusieurs scénarii de transition vers un Institut, dont l’arrêt de la Section en 197217.

Paul Harvois fait part début mai de sa déception à Pierre Desmidt. Lequel a écrit à Etienne Le Guélinel pour dénoncer son manque de soutien des milieux professionnels qui portaient ce projet. Le 17 mai, après la réunion interministérielle du 13 mai, dans une lettre à B. Pons, P. Harvois acte « la remise en cause fondamentale d’une formation même de paysagistes alors que les échanges antérieurs avaient été plus que positifs » et le rejet de son rapport « en l’absence de tout représentant concerné ou informé ».

De son côté, le 26 mai, la Chambre syndicale des paysagistes conseils (G. Samel et P. Roulet) diffuse une « Lettre aux candidats à la profession de paysagiste » pour dénoncer « un objectif délibéré et convergent : la disparition de la profession à laquelle vous vous destinez ». Ils alertent le député Poniatowksy déjà plusieurs fois contacté, en mettant en cause « une maffia de l’Agronomie … concluant à l’inutilité de l’Institut ».

Début juin, P. Roulet informe P. Desmidt, P. Harvois et G. Samel que le projet d’Institut est officiellement abandonné (sous un prétexte financier). Mais que « L’Environnement18 se propose de faire créer un enseignement d’application, qui, en 6 mois, serait susceptible de mettre sur le marché des « paysagistes » issus de l’enseignement supérieur agronomique ou architectural »19 . C’est l’annonce du projet de Centre national d’études et de recherches du paysage (CNERP) à Trappes près de Versailles qui prendra avec la création de l’association « Paysages » à la rentrée 1972 le relais partiel de l’Institut national du paysage abandonné.

Cet épilogue inattendu montre surtout que les positions des services administratifs des ministères -très liés avec les corps d’ingénieurs20 avaient été largement occultées par les échanges officiels. Le ministre de l’Équipement Albin Chalandon affirmait son accord avec le projet en mars, alors que le directeur du personnel de son ministère faisait savoir en mai que « les conclusions du rapport Harvois étaient trop ambitieuses et que la plupart des administrations estimaient qu’il fallait d’abord mettre sur pied un enseignement complémentaire de spécialisation (des ingénieurs et architectes notamment) »21.

La fin de la Section

Avec l’annonce de l’échec de la mission Harvois, et la poursuite des démissions des enseignants (M. Viollet, J.-Paul Bernard, M. Rossilion, J.-C. Saint-Maurice et P. Roulet en 1971), l’équipe enseignante est exsangue. Les rares paysagistes rescapés, P. Dauvergne, G. Samel vont rechercher avec la Direction de nouvelles recrues. J. Carrel, juriste et économiste à l’ENSH succède à M. Rossilion, P. Alvery, jeune paysagiste certifié à M. Viollet comme assistant, et M. Mercier pour reprendre l’enseignement d’architecture, construction et urbanisme. Entrent également en scène comme conférenciers à la rentrée 1971-72, A. Spake (SETRA), Jacques Simon et M. Corajoud dont les travaux et les publications innovantes sont devenus des références pour les paysagistes français22. Alors que les enseignements d’histoire de J. Hugeney, peu suivis, sont relégués en préparation.

Les élèves quittent le préfabriqué inconfortable pour le réfectoire inoccupé du foyer des élèves et un nouveau système pédagogique est mis en place. Il prévoit d’organiser la formation autour de séminaires successifs avec des thèmes d’études regroupant les professionnels avec les enseignants des autres disciplines (dessin, droit, techniques …) ou d’intervenants extérieurs (par exemple les écologues du CEPE-CNRS de Montpellier avec P. Dauvergne dans l’Orléanais).

Au printemps 1972, E. Le Guélinel réunit un conseil d’enseignants exceptionnel, mais peu fourni (6 enseignants)23. Flegmatique, il « constate une certaine dégradation de la situation de l’enseignement dû à l’absence d’avenir de la Section sous sa forme actuelle et la mise en place hypothétique d’un institut du paysage ». Institut qu’il avait largement contribué à faire abandonner en privilégiant la création de l’ENITH d’Angers (voir chapitre 3) dont il annonce la création. « On y formera des ingénieurs spécialisés dans les techniques du paysage et des espaces verts ». La fin de l’enseignement de la section est annoncée pour 1974. Ainsi que de manière plus vague la réforme du (jury du) concours en loge, jugé désuet et inadapté par les jeunes certifiés. Ce qui signifie qu’il n’y aura plus de recrutement en 1973. Rien n’est dit de la création d’une nouvelle école succédant à la Section.

Pourtant c’est bien un nouvel enseignement qui se met en place malgré le scepticisme de la Direction qui doute du travail de groupe préconisée par P. Dauvergne et M. Corajoud. En juillet 1973, ils proposeront un programme pédagogique plus formalisé. En première année, l’essentiel des coefficients ont été regroupés autour de trois champs principaux : architecture-construction-urbanisme : 16 (Mercier), Etudes visuelles : 16 (Dauvergne), Ateliers de projets : 16 (Corajoud, Dauvergne, Simon). Viennent ensuite le dessin et les techniques (10 chacun). Les champs scientifiques sont marginalisés, ce qui met fin à l’offensive des professeurs de l’ENSH adeptes d’une formation inspirée du modèle de l’ingénieur.

Mais l’hémorragie continue : au cours du conseil du 4 juillet 1972, la Direction prend acte des démissions de G. Samel, M. Viollet et J.-C. Saint-Maurice et de l’absence de J. Simon pour cause d’accident. Ce qui entraine les plaintes réitérées des élèves, mais aussi, temporise E. Le Guélinel : « la recherche nécessaire d’équilibre entre cours magistraux (souvent boycottés) et ateliers (parfois fantomatiques), entre « hortis » et non hortis » »24.

Il ne reste plus qu’une cinquantaine d’élèves pour terminer leurs études pendant les années scolaires 1972- 73 et 1973-7425.

À l’automne 1972, J. Montégut, disponible du fait de l’absence de première année à l’ENSH26, revient faire ses cours d’écologie végétale et de botanique. Et René Bossard, professeur titulaire de cultures ornementales à l’ENSH, propose un exercice de composition d’une bordure herbacée. Fort mal reçu par les élèves qui le boycottent de la même façon que les cours d’hydraulique savante de J. M. Lemoyne de Forges.

J. Castex, historien à UP3, est appelé à donner des cours d’histoire de l’architecture et de l’urbanisme en remplacement de M. Mercier qui a jeté l’éponge. Jean-Louis Bernard complète avec un cours de morphologie architecturale. J. Carrel, également économiste, prend en charge l’enseignement des marchés et adjudications et J. Simon la formation plastique dans les projets pour compléter celle donnée par J. Simian.

Usé et surtout déçu par les nouveaux horizons de la Section, à l’âge de 69 ans, Albert Audias donne sa démission après 27 ans d’enseignement dans la section : « Je dis adieu à cet enseignement qui aurait pu former des spécialistes de qualité, mais qui a progressivement dégénéré en négligeant la formation du paysagiste maître d’œuvre (la meilleure formation au « grand paysage »)27. Il avait reçu le 15 mars une lettre des étudiants indiquant sans ménagement «  qu’assister à son cours était une perte de temps » et qu’ils refusaient de passer l’examen »28. L’hécatombe se poursuit avec un refus des examens de M. Thomas (techniques) le 25 mai 1973.29

Pourtant, une relative normalisation de la formation semble éloigner la menace de chaos. Le jury du concours en loge est recomposé (voir chapitre 3) et les sessions rétablies ; J. Montégut organise un voyage dans le midi plus paysagiste (et touristique) que botanique30 et J. Simian promet de s’associer à P. Dauvergne pour un dernier atelier d’études visuelles dans la nouvelle ville de Saint-Quentin-en Yvelines qui sort de terre31.

Le 27 juin 1974 se tient le dernier conseil des enseignants en présence de quatre personnes : J.-L. Bernard, M. Corajoud, P. Dauvergne et J. Simian. E. Le Guelinel valide les 31 derniers certifiés et conclut sereinement, sans émotion apparente (du moins dans le procès-verbal) : « Des études sont en cours pour mettre en place un nouvel enseignement du paysage auquel les professeurs actuels seront peut-être appelés à participer. La dernière année de la section s’est déroulé dans de meilleures conditions ».32

Conclusion : émergence d’une nouvelle pédagogie

Le 22 juin 1972 les projets pédagogiques pour 1972-73 de P. Dauvergne et de M. Corajoud sont diffusés parmi les enseignants. Fondés sur des unités mixtes d’enseignement (paysagistes/non paysagistes), ils prévoient de renforcer les formations essentielles : théorique (avec les non praticiens : historien, écologue, juriste …), plastique et de projet. Par exemple en associant des thèmes en première année (J. Simon et P. Dauvergne) : écologie du paysage, prospective, paysage global, en regroupant les cours pour éviter l’émiettement et en faisant travailler les deux années ensemble.33

Dès le conseil de décembre 1972, le succès des formations itinérantes de J. Simon apparait clairement. Elles s’accompagnent de comptes rendus très complets de visites. Il en est de même des études visuelles (perceptions, ambiances, paysage global) de P. Dauvergne dont tous les travaux demandés sont remis et évalués. Un projet de reconstitution d’un sol et de création d’une zone de loisirs avec l’ONF à Saint-Germain en Laye et J. Montégut remporte lui aussi un vif succès.34

Les élèves deviennent de fait les coproducteurs de la pédagogie nouvelle dont ils sont les cobayes. À la fin de l’année scolaire 1972-73, ils affinent les nouvelles règles pédagogiques en demandant : « des programmes plus courts et chevauchants, de petits voyages d’étude plutôt qu’un grand, un calendrier des thèmes par trimestre, plus de visites de chantiers avec M. Thomas, des conférences de sociologie, et avec J. Montégut, plus d’analyse de paysage et moins de botanique … »35.

Mais cette mutation pédagogique, qui va inspirer la suite à l’ENSP, se heurte à de nombreux freins que résume en 1972 le professeur de dessin Jean Simian : « Un manque de culture générale et artistique chez les élèves, leur passivité, leur désarroi autant que leur prétention, l’affrontement de groupes (…) Car ceux qui donnent satisfaction ont derrière eux une formation artistique de longue durée (…) le paysage ne peut reprendre ses droits qu’en sauvegardant les valeurs humaines et d’agrément qui sont ses lettres de créances »36.

Il faudra attendre les publications de M. Corajoud (notamment La lettre aux étudiants, 2000)37 pour stabiliser les principes pédagogiques de l’ENSP de Versailles-Marseille.

Pendant cette dernière année de la Section, l’association Paysages (ex GERP), qui préfigure le Centre national d’études et de recherche du paysage (CNERP) à Trappes à quelques kilomètres de Versailles a commencé à recruter ses premiers élèves pour des cycles de formation et à produire de nombreuses études de « paysage d’aménagement » commanditées et payées par l’État et les collectivités. Les deux institutions (ENSH et association Paysage/CNERP) semblent ne pas avoir eu de relations formelles de 1972 à 1978. Pourtant J. Sgard, P. Dauvergne, B. Lassus et J. Montégut, qui étaient enseignants dans la Section du paysage, en furent les fondateurs essentiels. Ce divorce ne fut que momentanée car presque tous, avec les compétences qu’ils avaient développées, retrouveront une place à l’ENSP à partir de 1976. (chapitres 5, 6, 12)

P. Donadieu

25 septembre 2018

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1 J’emprunte ce titre à un texte de Jean Simian professeur de dessin de 1969 à 1974 (voir la référence dans la conclusion).
2 Procès-verbal du conseil des professeurs de la Section du paysage et de l’art des jardins du 5 juillet 2018, ADY, p. 2.
3 Dont J. Ricorday qui fut ensuite longtemps enseignant à l’ENSP de Marseille. Sur ces 15 élèves, le passage de 6 était conditionné par des examens à passer et une moyenne générale d’au moins 12. Cette même année 9 élèves étaient certifiés après deux années d’études, diplôme qui leur permettait de se présenter au concours en loge pour obtenir le titre de paysagiste DPLG. Il s’agissait notamment de P. Treyve, A. Levavasseur et C. Faucheur
4 Ils seront remplacés par Jean Simian, diplômé de l’École du Louvre et professeur de dessin au lycée de Rueil, jusqu’en 1974.
5 Il décèdera en 1974.
6 C’est l’actuel bâtiment Lenormand
7 Voir chapitre 3
8 Lette de J.-M. Soupault à E. Le Guélinel du 14/10/1968.
9 PV du conseil du 27/12/1968, ADY
10 Lettre de P. Roulet au directeur du 27 mai 1969, ADY.
11 Manifeste du 28 avril, ADY
12 Dont 18 « cuscutes » (parmi eux/elles P. Aubry, P. Alvery et G. De la Personne qui deviendront enseignants) et 7 « hortis » dont M. Marcesse, H. Lambert et Y.-M. Allain. C’était la 22ème promotion depuis 1946.
13 PV du conseil des enseignants du 28 juin 1969, p. 4.
14 Lettre de J. Sgard à E. Le Guélinel du 7 octobre 1969, ADY
15 Lettre de J.-C. Saint-Maurice à E. Le Guélinel, du 2 octobre 1969, ADY
16 Voir le chapitre 3.
17 Ce document de 8 pages, dont une copie dactylographiée est conservée, n’est pas datée. Le destinataire était le ministère de l’Agriculture.
18 Le ministère de l’Environnement (avec Pierre Poujade comme ministre, Jacques Chaban-Delmas étant premier ministre) vient d’être créé en janvier 1971. Il est probable que cette création a fragilisé le soutien du projet d’Institut en le privant des soutiens du GERP et de R. Pérelman.
19 Copie de la lettre de P. Roulet à Harvois, Samel, Spake, Guelpa, Desmidt, non daté
20 Notamment les ingénieurs des Ponts-et-Chaussées et du Génie rural et des eaux et forêts. Le rôle de l’association des anciens élèves de l’ENSH et de la SNHF, qui n’apparaissent pas dans la correspondance de P. Harvois, reste à éclairer.
21 Lettre de Pierre Delaporte, directeur du personnel du ministère de l’Équipement et du Logement à Monsieur Lacaze Ingénieur en chef des Ponts-et-Chaussées, chef de la mission d’étude à la Ville nouvelle du Vaudreuil, 5 mai 1971, copie à P. Harvois.
22 PV du 1er juillet 1971, ADY
23 PV du 24 mai 1972, ADY
24 PV du 4 juillet 1972, ADY. Les parenthèses sont de l’auteur.
25 Parmi eux A. Chémétoff, J.-P. Clarac, J. Magerand, J. Coulon, D. Laroche (IH 68), L. Saccardy (IH 67)
26 La réforme de l’ENSH en école d’application en deux ans arrête le recrutement des ingénieurs horticoles.
27 Lettre du 19 mars 1973 de A. Audias à E. Le Guélinel, ADY
28 Elle était signée notamment par G. Vexlard, A. Quiot, L. Leblanc et R. Desormeaux. PV du 28 juin 1973, ADY.
29 Dans les deux cas les examens eurent néanmoins lieu et A. Audias comme M. Thomas étaient présents au conseil du 9 octobre 2013 avec J. Carrel, P. Dauvergne, L. Sabourin, J. Montégut et J. Simian.
30 Il sera repris avec succès à l’ENSP par M. Rumelhart et A. Freytet.
31 PV du 9 octobre 1973, ADY.
32 PV du 27 juin 1974, ADY.
33 PV du 4 juillet 1972 et du 11-10-1972, ADY. Les projets de M. Corajoud et P. Dauvergne (4 pages, ronéo) indiquent, sans détails ni objectifs pédagogiques, plusieurs projets courts et longs en première et deuxième année : (5 esquisses, deux avants projets de 15 jours chacun, un projet long de deux mois : un square avec avant-projet, étude technique, et devis estimatif)
34 PV du 15 décembre 1972, ADY
35 PV du 28 juin 1973, ADY
36 J. Simian, Considérations générales sur le « flottement » de la Section du paysage à l’école d’horticulture de Ver asailles, doc. ronéo, non daté, sans doute en 1972., ADY. Sa critique attribue les problèmes posés par la première année en 1970-71 aux « séquelles de la révolution de 1968 »

2 – L’enseignement de la Section du paysage et de l’art des jardins

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Chapitre 2

L’enseignement de la Section du paysage et de l’art des jardins

La renaissance (1956-1968)

Version du 1er juillet 2018

Dès janvier 1956, un projet de réorganisation de la Section est présenté. Il prend acte de la régression du nombre de candidats (un seul à la rentrée de 1955), de la baisse du niveau (au-dessous du bac pour certains) et de la désaffection des ingénieurs horticoles (aucun depuis 1954). Le conseil des enseignants propose que la Section devienne une section d’application du paysage et de l’art des jardins en un an, réservée aux ingénieurs horticoles, agricoles et agronomes (et aux architectes) sans concours. Et que la Section soit remplacée par des sessions de formation accélérée de 10 mois recrutant sur titres, l’accès au titre de paysagiste par le concours en loge restant dans les deux cas inchangé.1

Le conseil est partagé entre plusieurs avis : les exigeants comme T. Leveau qui pense qu’il faudrait former au moins 20 paysagistes par an en privilégiant les élèves des Beaux-Arts ; les pragmatiques (R. Puget) qui proposent de faire connaitre les paysagistes par des expositions et des albums, et les réalistes (A. Audias et R. Brice) qui savent que le ministère de la Reconstruction et du Logement ne prévoit pas d’honoraire pour les paysagistes. Puisque, rappelle M. Cumenge, l’État ne finance pas la création des espaces verts. Sans compter que l’amicale des directeurs de jardins de villes « s’oppose toujours à associer le titre de paysagiste à celui d’ingénieur horticole » (p. 5). Mieux vaut, insiste A. Audias, résigné, « préparer de bons techniciens plutôt que la formation de cadres qui auraient du mal à trouver un emploi ».

À la fin de l’année scolaire 1955-56, six élèves de deuxième année (dont P. Roulet, D. Collin et A. Spake) sont certifiés. Après avis des autres instances de l’ENH, la Section se prépare à fonctionner les années suivantes à deux niveaux : la reconduction de la formation en deux ans (non modifiée) et la création d’une sous-section de stagiaires en 10 mois.

Une lente remontée

À la rentrée 1957, sept candidats sont recrutés dont Jacques Simon qui formera dix ans plus tard Michel Corajoud. Les enseignements dits théoriques (les cours) sont concentrés en première année et les ateliers en seconde année. L’année suivante (en octobre 1958) neuf candidats se présentent et huit, tous bacheliers, sont retenus2. Deux anciens auditeurs de l’ENH sur quatre sont également sélectionnés comme stagiaires3. Le niveau d’étude, malgré les plaintes récurrentes des enseignants d’ateliers, semble remonter ainsi que le nombre d’auditeurs à l’ENH (11). Cette nouvelle organisation oblige les enseignants d’ateliers à diminuer le nombre de projets et à augmenter leur temps de travail. Les travaux d’ateliers en première année passent de 16 à 9 et en deuxième année les projets sont réduit à trois. Mais le taux de vacation apparait de plus en plus insuffisant aux enseignants.

À la fin de cette année scolaire (juin 1959), où J. Pasquier (IH 35) a remplacé le sous-directeur M. Miège, la satisfaction des enseignants est très variable surtout en ateliers : pas assez de travail, assiduité irrégulière, lenteur des projets, travail en amateurs : « Ils n’accrochent pas ». T. Leveau pense que deux années ne suffisent pas mais d’autres (H. Thébaud) rappellent que « il ne peut y avoir de génies tous les ans ». Car J. Simon se distingue déjà « par des travaux qui sont presque ceux d’un professionnel ». Les responsables d’ateliers (MM. Leveau, Puget, Audias) se mettent néanmoins d’accord pour rédiger une plaquette de propagande : « Le paysagiste dans la vie moderne ». Il faut faire connaitre la Section aux candidats potentiels.

À la fin de cette année scolaire 1958-59, l’effectif global des élèves paysagistes (stagiaires compris), qui a atteint 17 et celui des auditeurs 11, soit 28 élèves, a plus que doublé en trois ans. Les ingénieurs horticoles (3) sont revenus et la plupart des autres étudiants ont obtenu un bac philo ou sciences expérimentales. La moitié des auditrices sont des femmes, mais les candidats des Beaux-Arts sont rares (1).

Premiers changements

À la rentrée de l’année 1959, Etienne Le Guélinel, qui assistait régulièrement aux conseils d’administration de l’ENH depuis 15 ans comme représentant du préfet, remplace Jean Lenfant. Sur les 12 candidats à la Section, 6 ont été admis en octobre 1959 dont deux ingénieurs horticoles et quatre femmes4.

Dès le conseil du 6 novembre, le nouveau directeur déplore les absences trop nombreuses « qui laissent supposer un travail insuffisant de la part des élèves. On a l’impression que, pour beaucoup, la Section n’est qu’un port d’attache et qu’ils ont d’autres activités en dehors d’elle »5 . Il souhaite supprimer la jeune section des stagiaires. Ce qu’approuve le Conseil …

Après quinze années de fonctionnement, un autre changement dans la Section est annoncé : le remplacement possible de T. Leveau6 par J. Sgard, un des premiers diplômés de la section, néanmoins considéré comme « trop jeune pour cette importante fonction ». Il serait « très bien pour les cours théoriques, mais manque de métier pour les corrections ». Le nom d’Henri Brison7, professeur à l’école du Breuil est avancé, ainsi que celui de D. Collin.

Un an après, lors de la réunion du 2 décembre 1960, il est décidé de faire appel au célèbre architecte, paysagiste et urbaniste Jacques Greber (1882-1962) -en dépit de son âge- pour cinq conférences, et à nouveau pour un cours « étoffé » d’architecture et de composition à T. Leveau qui aurait pourtant aimé laisser la place à de plus jeunes. Les corrections d’ateliers seront confiées à A. Audias (pour la composition), à H. Thébaud (pour les techniques) et à R. Puget (urbanisme). G. Lysensoone (sols sportifs), démissionnaire pour raison de santé, est remplacé par son collaborateur M. Thomas. Lucien Sabourin, professeur à l’école du Breuil, prend en charge à la place de H. Thébaud l’enseignement de l’utilisation des végétaux8.

Parallèlement à ces premiers changements, les effectifs restent stables : 7 candidats admis9 sur 13 en première année (plus 7 auditeurs libres) et 6 élèves (plus une auditrice) en seconde année. Mais J. Pasquier pense que le nombre de candidats qui s’est accru légèrement passera à 20 en 1961, notamment avec des ingénieurs horticoles et agricoles.

La demande de paysagistes par l’État commence à être sensible : un auditeur M. Sisco a été présenté officiellement par le chef du service spécial des autoroutes. R. Puget transmet l’intérêt du ministre de la Reconstruction pour que : «le paysagiste, dans les grands travaux d’aménagement, intervienne déjà au stade de la conception » (p.4). L’Agence de l’arbre récemment créée par ce même ministre de la Reconstruction est un gisement d’emplois pour les paysagistes selon le directeur.

Un autre indice de ce « frémissement » de l’intérêt porté à la Section est donné par l’effectif de première année qui passe à 14 (autant d’élèves réguliers que d’auditeurs français et étrangers). D’autant plus que l’ENH qui va devenir ENSH l’année suivante envisage de créer une spécialisation en troisième année. La première année de la section pourra-t-elle faire office de spécialisation des ingénieurs ?10

Les enseignants changent …

Alors que l’ENH devient ENSH par le décret du 20 juin 196111, la Section recrute à la rentrée 1961-62, sept nouveaux élèves dont trois femmes et un ingénieur horticole12. Elle en certifiera cinq après deux ans d’études (dont M. Viollet)13.

À la fin de cette année scolaire, plusieurs changements sont notables : la disparition de H. Brison et J. Gréber (potentiels enseignants), le départ de M. Cumenge, professeur de droit (qui sera remplacé par P. Rossilion de l’agence foncière et technique de Paris), et celui de R. Enard (remplacé par Jacques Cordeau, professeur de dessin au lycée C. Bernard à Paris).

Se pose, entre autres, le problème des notes éliminatoires notamment en « projet technique », matière qui relève, soutient J. Pasquier, « d’un examen général ». Elles interdisent d’obtenir le diplôme. Le conseil demande à ce que le changement de notation de cette matière soit porté à la connaissance des élèves. Il accepte également que des jeunes paysagistes14 viennent en 2e année « aider les élèves dans l’étude et la réalisation de leurs travaux » (proposition de Daniel Collin15 et Jean-Pierre Bernard). Une concurrence semble cependant se dessiner entre ces nouveaux enseignements et le temps consacré aux maquettes (H. Thébaud).

L’augmentation des admis en octobre 1962 semble possible avec 18 candidats annoncés dont 4 ingénieurs horticoles. Mais la sélection ne confirme pas cette amélioration hypothétique. Six sont admis en première année dont un ingénieur horticole et 4 femmes16.

Au bout d’un an la situation de l’enseignement ne semble pas meilleure. À la rentrée de l’année scolaire 1964-1965, 9 élèves sont pourtant admis17.

H. Thébaud va être amené à démissionner pour raison de santé. Plusieurs élèves de première année posent des problèmes de résultats insuffisants (surtout en dessin) ou de discipline (fraude). Néanmoins sept élèves de deuxième année sur huit classés sont proposés au certificat d’études et l’expérience d’accompagnement des élèves de deuxième année par de jeunes praticiens semble fructueuse et à pérenniser18.

À la fin de l’année scolaire 1963-64, le conseil des enseignants a été significativement renouvelé. MM. Saint-Maurice, Sgard, Sabourin, Thomas, Cordeau sont nouveaux. Les piliers de la section A. Audias et T. Leveau, à l’exception de J. Hugueney, sont toujours en activité mais absents du conseil de fin d’année. Les étudiants de 1ére année sont devenus « assidus » quoique de « valeur moyenne », mais ceux de deuxième année « manquent tous de formation esthétique, et d’aptitude à la maquette-esquisse,  » (J. Sgard), et « de formation technique » (A. Audias par la voix de J. Pasquier). L’obligation de l’assiduité à l’atelier est encore assouplie avec la réserve d’une présence des élèves quand l’enseignant est présent … « même inopinément… ». (p. 3).

La renaissance

La rentrée d’octobre 1965 marque une transition importante. De nouveaux noms apparaissent (comme invités) dans le conseil des enseignants dès juillet 1965 (B. Lassus, P. Harvois, P. Lemattre, acteurs impliqués dans la réforme de l’enseignement de la Section (voir chapitre 3), réforme qui n’est pas ou peu évoquée dans les débats des conseils d’enseignants. Comme s’ils ignoraient qu’un projet d’institut du paysage et des jardins était en gestation depuis au moins un an…

La sélection du concours a retenu 11 candidats sur 23 inscrits, chiffres jamais observés depuis 194619.

La pédagogie (et la propagande devenue publicité) évolue : possibilité d’une présentation collective des travaux d’élèves en première année, hors de l’école à Versailles (J.-C. Saint Maurice), attribution souhaitée de médailles comme à l’école des Beaux-Arts (T. Leveau), intervention dans les jurys de personne extérieures (J. Hugueney), variation des coefficients en fonction du stade du projet (de 1 pour l’esquisse à 10 pour le projet complet), candidature (exceptionnelle) d’un élève ingénieur de l’Institut national agronomique de Paris …

À la rentrée 1966, deux sélections sont organisées (comme les années précédentes).

La première s’adresse aux candidats à la classe préparatoire (les auditeurs). Il comporte une journée d’épreuves de dessin d’imitation et de composition, et deux journées d’ « interrogations orales » (aujourd’hui on parlerait d’« entretiens avec un jury »).

La seconde concerne 22 candidats à la Section, tous bacheliers ou équivalents, qui sont classés. Les dix premiers sont retenus, dont huit femmes20.

S’ajoutent désormais à l’admission sur concours à la Section, quatre élèves ingénieurs horticoles (recrutés initialement à Bac + un à deux ans) pouvant désormais entrer sans concours en 3e année de spécialisation paysage, comme auditeur. Cette formation est confondue avec la 1ére année de la Section. Il en est de même pour un ingénieur élève de l’INA de Paris Philippe Treyve21. La Section en première année comporte désormais 14 élèves après une sélection portant au départ sur 47 candidats22.

Le concours commençant à jouer son véritable rôle de sélection des élèves recherchés, le conseil, notamment R. Puget, J.-P. Bernard et J.-C. Saint-Maurice, insiste à nouveau sur « l’intérêt d’avoir un plus grand nombre de candidats », d’intensifier la publicité et d’augmenter les moyens et les contenus de l’enseignement. En fait personne ne sait combien de paysagistes il faudrait former à moyen terme, ni quelle politique pédagogique nouvelle adopter. Mais chacun en a une idée.

Pour améliorer les contenus de l’enseignement, J. Sgard propose les cours d’écologie végétale de J. Montégut (ENSH) « discipline utile aux paysagistes », L. Sabourin des carnets de visites et des cours de sylviculture, R. Puget des carnets de croquis notés, J. Hugueney des échanges avec des professeurs étrangers, et B. Lassus des exercices d’expression orale et écrite et des conférences de sociologie des métiers. Tous conviennent avec A. Audias qu’au bout de vingt ans d’enseignement, « il y a lieu de le modifier pour tenir compte des changements survenus depuis cette époque dans la profession de paysagiste, …et notamment de boucher des trous en prévoyant des enseignements dont la nécessité ne se faisait pas sentir en 1946 » (p. 5).

Dès le conseil suivant de juin 196723, de nouveaux enseignants apparaissent : Jacques Montégut, ingénieur agricole (Grignon), maître de conférences en physiologie et écologie végétale à l’ENSH, et Gilbert Samel, jeune paysagiste DPLG, recruté pour coordonner les ateliers de première année. Le problème du niveau nécessaire pour recevoir le diplôme de paysagiste DPLG est à nouveau abordé car la faiblesse majeure est identifiée surtout en « composition ». Alors que les ingénieurs sont mieux notés, car ils savent mieux s’exprimer, ce qui, précise B. Lassus, est renforcé par le dessin de communication, alors que G. Samel, pense que cet avantage peut s’inverser en deuxième année au profit des plus créatifs. L’organisation plus rationnelle de la préparation au concours est devenue désormais, selon J. Pasquier, un enjeu essentiel pour élever le niveau des élèves. On pourrait également ajouter une année de plus, comme le propose au même moment la commission de réforme de la Section.

Le décollage

La rentrée de l’année scolaire 1967-68 marque une nouvelle étape du développement de la Section24. D’abord 4 enseignants titulaires de l’ENSH entrent dans le conseil de la Section, Pierre Bordes et Jean-Marie Lemoyne de Forge (topographie et génie hydraulique), Maryvonne Gallien (Protection des végétaux), Alfred Anstett (sciences des sols) auquel s’ajoute un ingénieur en chef du Génie rural et des eaux et forêts M. Valette. Ensuite la sélection du concours s’est accrue avec 48 candidats. 10 postes ont été proposés au recrutement externe et 5 aux ingénieurs de l’ENSH. En fait 13 seront recrutés dans le premier cas, ce qui porte l’effectif à 19 élèves en première année25 et 13 en seconde.

Enfin, l’enseignement préparatoire au concours est totalement réorganisé (il était resté « à la carte ») au cours des années suivantes. C’est donc en mobilisant A. Anstett (sciences du sol et fertilisation), J. Montégut (connaissance de la végétation et écologie), J.-M Lemoyne de Forges (hydrologie et hydraulique théorique), M. Gallien (Nuisances et pathologies), R. Puget et P. Roulet (matériaux de l’art des jardins), et M. Valette (sciences forestières), soit une dizaine de disciplines nouvelles en formation préparatoire et cinq au cours de la formation que les domaines scientifiques entrent en force dans les programmes d’enseignement.

Une grande partie des enseignants de l’ENSH et de la Section en 1967 (Fig. 1, 2, 3) sera reconduite, huit ans après, dans leurs fonctions au moment de la création de l’ENSP en 1975.


Fig. 1 : Les enseignants de la préparation au concours de la Section (1967-68)

 Fig. 2 : Les enseignants de la première année de la Section (1967-68)

Fig 3 : Les enseignants de la seconde année de la Section (1967-68)

Conclusion

En vingt ans, le nombre d’enseignants et le temps d’enseignement ont doublé, et le nombre d’élèves a triplé, sans modifier sensiblement les disciplines enseignées et la nature de la pédagogie de cours et d’applications.

Les deux recrutements, d’ingénieurs et de non ingénieurs, se sont développés en parallèle jusqu’au dernier concours en 1972. Les formations ne vont plus viser, comme au début de la Section, les emplois publics des ingénieurs de ville et le marché privé de l’architecture des jardins, mais explicitement les nouveaux métiers de la conception du paysage et de l’espace public dans le cadre de l’aménagement des territoires urbains et ruraux.

Cette nouvelle orientation est liée aux changements de génération des enseignants et à l’émergence de nouveaux marchés porté par les politiques publiques (logements, routes et autoroutes, tourisme littoral et montagnard …). J. Sgard, autant urbaniste que paysagiste, défend avec l’architecte urbaniste R. Puget la politique renouvelée des plans de paysage (en fait d’ « urbanisme paysagiste » avant la lettre26), alors que les plus jeunes comme J.-C. Saint-Maurice et P. Roulet, héritiers de A. Audias, A. Riousse et T. Leveau, s’attachent à la composition des espaces verts des ensembles urbains. De son côté le plasticien B. Lassus, appelé par J. Sgard, montre l’intérêt des recherches innovantes sur les approches visuelles des paysages. Cette renaissance de l’enseignement ne peut être dissociée du projet d’institut du paysage (1970-72) avec lequel se confondent les dernières années tumultueuses de la Section (chapitre 3).

Cette évolution a plusieurs conséquences. La durée des études après le bac -en 1947 d’un an à la Section et de quatre ans pour les ingénieurs – s’accroit : un à deux ans de préparation dans les lycées ou d’un an comme auditeur à l’ENSH, 3 ans à l’école pour les ingénieurs, deux ans pour les élèves de la Section, et 2 à 6 années (voir plus) avant le concours en loge, soit au moins six années d’études scolaires. Durée qui sera maintenue à l’ENSP jusqu’à la réforme des études supérieures à 5 ans après le bac, de 2015.

L’accès à la Section devient de moins en moins unitaire comme dans les classes préparatoires, scientifiques ou littéraires des lycées. La Section cherche à recruter des profils différents, à la fois des ingénieurs biotechniciens (horticoles et agronomes), des élèves des écoles des Beaux-Arts et des Arts Décoratifs, et toutes les personnes ayant un potentiel créatif et imaginatif s’exprimant par le dessin et la maquette. L’arrivée des enseignants scientifiques de l’ENH en 1968, puis leur reconduction en 1975 dans la jeune ENSP, va bouleverser, à la faveur du contexte réformiste de l’après 1968, cette singularité patiemment construite en 20 ans.

Pierre Donadieu

Mai 2018

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Bibliographie : Voir celle des autres chapitres

Notes

1 Projet de réorganisation de la Section du paysage et de l’art des jardins , 23 janvier 1956, 3 p., PV du Conseil des professeurs.

2 11 élèves, entrés en 1958, ont, selon l’annuaire AIHP de 2011, obtenu le titre de paysagiste DPLG : 6 IH dont Allain Provost, Pierre Carcenac de Torre et Jelal Abdelkefi de nationalité tunisienne et 5 non IH (dont A. Vergely et A. Szumanska). Deux à trois ans pouvaient s’écouler entre la fin des études d’ingénieurs et l’entrée dans la Section.

3 PV du 7 juillet 1958

4 Deux (ou trois) élèves obtiendront le titre de paysagiste DPLG, annuaire AIHP, 2011.

5 P. 2

6 T. Leveau était architecte en chef des bâtiments civils et palais nationaux, urbaniste en chef honoraire et paysagiste DPLG (en-tête de lettre du 29 juin 1964).

7 IH37, dplg, ingénieur divisionnaire de la ville de Paris. Il disparaitra accidentellement en 1962 .

8 PV du 2 décembre 1960. L. Sabourin (1904-1987), autodidacte, était moniteur chef à l’école du Breuil en 1931. Il dirigea le Fleuriste municipal d’Auteuil en 1959 et devint le trésorier de la SNHF. D. Lejeune (https://www.hortiquid.org/questions/lucien-sabourin/

9 Dont un ingénieur horticole. Trois obtiendront le titre de DPLG dont Michel Viollet, annuaire AIHP, 2011.

10 PV du 29 juin 1961, p. 4.

11 Dans le décret du 20 juin 1961, il est précisé à l’article 15 que L’ENH qui devient ENSH « comporte une section spéciale du paysage et de l’art des jardins, destinée à former des paysagistes DPLG ». Ce diplôme-titre reconnait le même titre -DPLG- que les architectes et les géomètres. Ce qui ouvrait aux paysagistes une meilleure visibilité professionnelle.

12 Trois des nouveaux recrutés obtiendront le titre de DPLG, dont Caroline Mollie et Pierre Carcenac de Torne (IH 58).

13 PV du 2 juillet 1962, p. 3

14 Cette décision concernait J.-B. Perrin (plans d’espace verts et urbanisme), P. Roulet (espaces verts et habitats collectifs), J.-C. Saint-Maurice (jardins d’usines) et J. Sgard (plan régional de paysage). Lettre de D. Collin à E. Le Guélinel du 1er aout 1962.

15 D. Collin était président de l’association amicale des anciens élèves de la Section Paysage.

16 Aucun (e) n’obtiendra le titre de paysagiste DPLG.

17 Dont aucun ingénieur et 5 femmes, et parmi d’autres Pierre Dauvergne et Pierre Pillet. Sept obtiendront le titre de paysagiste DPLG.

18 PV du 2 juillet 1963.

19 PV du 17 novembre 1965. Dont 6 femmes. Parmi eux, six sur 11 obtiendront le titre de paysagiste DPLG, notamment Paul Clerc et Marguerite Mercier.

20 Parmi eux, six obtiendront le titre de paysagiste DPLG, dont A. Levavasseur, J.-P. Pinson, Hélène Huber et Claude Faucheur. L’effectif maximum a été fixé à 11 (PV du CE du 1er juillet 1966), mais aucun texte ne le limite.

21 Il est le fils de Jean-François Treyve, paysagiste DPLG (SP 52), et jouera un rôle actif dans le premier projet d’institut du paysage et la mise en place du CNERP (chapitre 1).

22 PV du 16 novembre 1966.

23 PV du 30 juin 1967, 6 p.

24 PV du 6 décembre 1967, 8 p.

25 Parmi eux 7 femmes. Sur les 14 élèves non ingénieurs, 7 obtiendront le titre de paysagiste DPLG.

26 Le mot vient des Etats-Unis (landscape Urbanism) à la fin des années 1990 avec les travaux de l’architecte Charles Waldheim.

1 – Les débuts de la Section du paysage et de l’art des jardins

IntroductionRetourChapitre 2

Chapitre 1

Les débuts de la Section du paysage et de l’art des jardins

(ENH Versailles, 1946-1956)

La naissance

Version provisoire du 2 juillet 2018

 

De la parution du décret de création de la Section en décembre 1945 à la rentrée de l’année scolaire 1959-60, Jean Lenfant était le directeur de l’ENH dont dépendait la Section du paysage et de l’art des jardins1. Trois fois par an au moins, il présidait le « conseil des professeurs » de la Section qui réunissait un effectif à peu près constant de 9 à 12 enseignants vacataires. Il était assisté par le directeur des études de l’ENH (successivement MM. Khalifa, Miège et Pasquier) qui en était le secrétaire2. Sa première réunion eut lieu le 11 janvier 1947 après la première rentrée scolaire en octobre 1946.

Au cours de cette période pionnière, certains enseignements de la Section étaient très proches des formations techniques de l’École nationale d’horticulture (ENH) où existait une chaire d’architecture des jardins et d’urbanisme de 1934 à 19513. D’autres en étaient cependant très éloignés du fait de l’introduction d’ateliers de projets sur le modèle de ceux de l’École des Beaux-Arts à Paris.

L’organisation pédagogique de la Section était semblable à celle de l’ENH. Le règlement intérieur était le même. Mais les deux formations étaient indépendantes, avaient des conseils des professeurs différents et n’entretenaient pas ou peu de relations sauf dans le domaine de la préparation en dessin des ingénieurs au concours d’entrée à la Section.

Chaque semaine, à l’emploi du temps de la Section, étaient indiquées les matières enseignées et les enseignant concernés. Le libellé des matières et l’identité des enseignants ont peu changé avec les années pendant la période considérée.

Il n’y avait pas de chaire d’enseignement comme à l’ENH.

La dénomination du regroupement des enseignements utilisée est anachronique car elle n’est apparue qu’à la faveur des projets d’institut du paysage notamment le premier à la fin des années 1960 (cf Chapitre 3).

Ce texte, fondé sur les procès-verbaux des conseils d’enseignants, présente d’abord une courte histoire des dix premières années de l’enseignement, puis les différents enseignements et enseignants.

Les premiers conseils des professeurs (1946-56)4

Une formation courte, à la fois proche et éloignée de celles des ingénieurs

Le 11 janvier 1947, le premier conseil réunit 12 enseignants vacataires dont l’expérience pédagogique concernait seulement le début de l’année scolaire 1946-47. Ils n’intervenaient pas à l’ENH dont il ne sera pratiquement jamais question par la suite, alors que l’architecte de jardins Ferdinand Duprat y anime une chaire d’architecture des jardins et d’urbanisme dont il est le professeur titulaire depuis 1934 et a joué un rôle important dans la création de la Section.

Quatre sont fonctionnaires (M.Charageat, R. Puget, R. Enard, M. Jeanneteau) et les autres ont une activité libérale dans leur « cabinet » (agence). Les deux statuts pouvaient se combiner comme dans le cas de F. Duprat.

La première formation se déroule pendant une année après une sélection qui avait recruté six étudiants : P. Mas, E. Mauret, P. Carré, L. Gendre, M. Béjot et J. Challet. Tous sont des ingénieurs diplômés de l’ENH.

La formation avait été installée dans « des locaux détournés hâtivement de leur utilisation première », sans matériel d’enseignement et sans direction des études5. Les enseignements proches n’ayant pu être coordonnés, J. Lenfant demande à un groupe d’enseignants (M. Charageat, A. Riousse, M. Durand et M. Jeanneteau) d’étudier les programmes afin de réduire ou d’éviter les points redondants.

C’est l’architecte de jardins et urbaniste André Riousse qui est chargé « à l’unanimité » de diriger les ateliers, c’est-à-dire « de répartir dans le temps les travaux de projets et d’esquisses demandés aux élèves »6. Cependant « la correction de ces travaux est confiée à une commission de professeurs  : A. Riousse (composition), R. Brice (Techniques), R. Puget (urbanisme) et A. Audias (sites et paysage) ».

Le débat du conseil montre que les enseignants ont besoin de la pédagogie des « applications ». Soit des projets ou des exercices en ateliers (ou non) pour « appliquer » le cours, soit des illustrations concrètes grâce à des visites en région parisienne et au-delà. Il indique également -ce qui sera ensuite récurrent- que le niveau de la sélection en dessin doit être plus exigeant et qu’une préparation au concours devra être prévue les années suivantes. En dépit du faible nombre d’étudiants, la création « d’une chaire » avec un professeur titulaire est demandée au ministère de l’Agriculture ainsi que la nomination d’un secrétaire-surveillant et d’un directeur des études7.

En reprenant le modèle de l’ENH, l’évaluation des cours prévoit un examen général au moins pour chaque enseignement. J. Lenfant introduit un examen de synthèse à la sortie (coefficient 2) et une vraie notation de 0 à 20, visiblement pas utilisée avec la rigueur attendue.

La formation étant jugée trop courte, le conseil demande, pour que le titre de paysagiste soit attribué8, qu’un stage de deux ans soit effectué après la scolarité et de « poursuivre des travaux d’esquisses et de projets (un par trimestre) » sous le contrôle de l’école. Si bien que « selon les résultats obtenus, il leur sera délivré soit le diplôme de paysagiste, soit un certificat de scolarité ».

Dans la seconde réunion du conseil du 25 mars 1947, l’organisation de la « propagande » de la Section en vue du concours est précisée. A. Audias a publié un article dans la revue « Le maître d’œuvre de la reconstruction » et des « notices » seront distribuées à la foire de Paris.

Revenant sur la question de la préparation au concours des ingénieurs, il est envisagé de demander à F. Duprat, professeur d’architecture des jardins à l’ENH, de l’organiser avec M. Le Boul, professeur de dessin. Le délicat problème des stages et de leur suivi (en région parisienne) est posé et le système d’évaluation de la formation est complété, sur proposition du professeur Lysensoonne, par un dossier technique du dernier projet, et « un rapport sur un travail personnel choisi par l’élève ». En même temps la SNHF fait savoir que le concours en loge qu’elle organise en mai sera ouvert aux élèves stagiaires de la Section. Enfin la confection de polycopiés (MM. Durand, Lysensoonne, Audias) est approuvée, à la demande des élèves et aux frais de l’école.

Une formation pionnière mais précaire

Dans la troisième réunion du 1er juillet, le problème le plus préoccupant pour J. Lenfant, c’est la difficulté de recrutement malgré « la propagande » faite dans les lycées et collèges, dans les services agricoles de France et d’Afrique du nord et à la foire de Paris. Aucune des vingt demandes de renseignement parvenues à l’école ne concerne des candidats au niveau requis. Aucun élève ingénieur de 3e année de l’ENH n’a été candidat, car beaucoup ont été recrutés au Maroc après leur voyage de fin d’études. Aucun détachement d’ingénieur fonctionnaire n’a été accepté dans les administrations.

Le verdict du conseil est sans appel : le niveau exigé est trop élevé (le bac est demandé) et les matières techniques horticoles dissuadent les bons candidats (les élèves de l’École des Beaux-Arts notamment). Si bien que les enseignants demandent au directeur de l’enseignement au Ministère d’autoriser «  les candidats non bacheliers et non titulaires des diplômes des grandes écoles à prendre part au concours, …, et d’agir pour permettre le détachement (d’un an pour formation) des ingénieurs divisionnaires des parcs et jardins de la ville de Paris sans modification de traitement ».9 La suppression des connaissances en horticulture du concours est également recommandée, mais en prévoyant ensuite « un cours d’horticulture pour pallier l’insuffisance des élèves en cette matière ». Il est même envisagé de réserver aux meilleurs élèves le diplôme de paysagiste et de créer un diplôme d’aptitude professionnelle pour les autres pour des emplois moins qualifiés « contremaitre, chef de chantier, entrepreneur de jardins »10.

Par ce même courrier est sollicité un financement pour augmenter le nombre de cours qui passera de 169 à 180 (un cours = 1h 30). Car l’insuffisance de la formation en un an apparait évidente dans la mesure où l’École veut apporter les qualités professionnelles suffisantes d’un concepteur, distinctes de celles d’un entrepreneur et complémentaires de celles d’un ingénieur.

L’enjeu des débouchés de la formation est souligné par R. Puget qui demande « de classer la Section du paysage sur la liste des écoles dont les diplômes ouvrent l’accès aux fonctions administratives ayant trait au paysage et à l’art des jardins » (p. 3), notamment au ministère de l’urbanisme11.

Face au problème des stages pour les six élèves, les enseignants ayant des agences ou des laboratoires ou en contact avec des services administratifs (MM. Riousse, Lysensoone, Puget) vont innover en accueillant les premiers stagiaires.

Le premier barème de coefficients des matières adopté en mars paraissant peu adapté, le conseil en adopte un nouveau (de 1 pour l’urbanisme et l’histoire de l’art à 3 pour la composition, sans oublier l’assiduité et la conduite déjà problématique : 2), et supprime l’examen de sortie.

À la fin de cette année, les cours, qui représentent environ 250 heures, n’occupent qu’un petit tiers de l’emploi du temps, le reste (450 heures au moins) étant consacré aux ateliers pratiques, aux applications et aux visites. Ils font la part belle à l’histoire (60 h) et aux techniques de travaux (35 h), mais reste d’importance modeste en urbanisme (15 h) et en constructions des sols (12 h).

La première évaluation des étudiants, discutée le 12 juillet, fait apparaitre les premiers problèmes de notation. Si Pierre Mas et Elie Mauret se classent en tête avec plus de 15 de moyenne, Jean Challet avec 12,6 frôle la note minimale requise (12) car le responsable d’atelier André Riousse déplore « qu’il n’ait pas fourni l’effort nécessaire (en ateliers) pour obtenir de meilleurs résultats »12. Néanmoins tous obtiennent le certificat d’études, « sachant que le titre de paysagiste ne leur sera accordé qu’après un stage de deux ans et la présentation d’un projet complet et d’une thèse »13. Ce stage, précise J. Lenfant, s’accompagnera de la remise d’un projet par trimestre et d’un rapport sur un travail personnel choisi par l’étudiant la première année, et au cours de la seconde année d’un projet trimestriel dont l’un complet avec étude technique et rapport.

L’espoir d’une amélioration renait (1947-48)

A la rentrée de 1947, six élèves sont admis dont trois ingénieurs horticoles. L’un d’entre eux (H. Brison) est employé à la ville de Paris et fera ses études en deux ans. La « propagande » et l’intervention du directeur de l’enseignement auprès de R. Joffet semblent avoir porté leurs fruits. Parmi les trois autres, un bachelier « avec de réelles aptitudes au dessin » mais sans connaissances botaniques et horticoles fait l’objet d’un traitement de faveur14. J. Lenfant lui propose une année d’auditeur libre pour acquérir les connaissances indispensables après sa sortie de la Section.

En novembre, les enseignants sont enchantés de leurs recrues dont M. Charageat qui loue « le travail en équipe ». Ils ouvrent le concours aux étrangers, car un Palestinien et un Egyptien, puis un agronome brésilien se sont inscrits comme auditeurs libres en vue du concours l’année suivante.

Le conseil note l’embellie, mais A. Audias rappelle que « les paysagistes actuels n’ont pas un volume de travail suffisant » en dépit des besoins de la reconstruction des villes. Situation qui se répercute sur le nombre de candidats au concours. Il est donc urgent de rechercher des postes dans les ministères, dans les services des Ponts-et-Chaussées, et de l’urbanisme où les « spécialistes paysagistes » sont absents. Ne serait-ce que pour induire des commandes plus abondantes aux agences de paysagistes. C’est pourquoi, dans un article L’enseignement de l’art des jardins et du paysage, A. Audias développe un plaidoyer pour « éduquer ceux qui voudraient s’orienter vers la profession de compositeurs de jardins » qu’ils soient ingénieurs ou architectes15.

Dès cette époque, les étudiants manifestent leurs revendications pédagogiques : augmenter les cours d’urbanisme et d’histoire de l’art aux dépens de ceux de « site et paysage », noter systématiquement les esquisses, donner plus de place aux techniques, développer les pratiques de « rendus », accéder à l’atelier jusqu’à minuit, ménager des journées libres, mieux choisir les visites … Il en est de même pour les enseignants : R. Enard se plaint d’un faible niveau en dessin, et G. Lysensoonne propose que la visite de terrains de sports soit faite avec R. Brice et A. Audias, et de former les étudiants à la rédaction de rapports.

La réforme de 1950 et la « descente aux enfers »

Le concours d’entrée d’octobre 1948 ne confirme pas l’embellie de l’année précédente. Sur six candidats, quatre sont retenus dont trois jeunes ingénieurs horticoles et un bachelier auditeur16. Il semble, selon J. Lenfant, que les détachements des ingénieurs des services de parcs et jardins demandeurs de formations complémentaires n’aient pas été accordés. Par ailleurs, A. Riousse se plaint des stagiaires qui ne respectent pas les rendus de projet demandés et demande un rappel à l’ordre urgent. Il suggère de les exclure définitivement et de leur retirer leur emploi. Ce à quoi s’oppose R. Puget car « ils sont appréciés de leurs chefs qui ne voudront pas les renvoyer ». L’inintérêt de certains stages est néanmoins signalé. J. Lenfant renvoie l’arbitrage au conseil de perfectionnement de l’École.

Néanmoins, en fin de l’année scolaire 1947-48, les travaux remis à M. Charageat, notamment ceux de J. Sgard et J.-B. Perrin lui donnent entièrement satisfaction (« ils ont valeur d’une thèse »). Les cinq élèves sortant (M. Delcourt, J.-B. Perrin, J. Sgard, P. Pelletier, J. Alloin) obtiennent brillamment le certificat d’études de la Section17.

De leur côté les premiers stagiaires en fin de stage voient leurs projets de thèse (L’aménagement des abords de Maisons-Laffitte pour L. Gendre et E. Mauret, et L’aménagement d’une cité moderne, du jardin familial au parc départemental pour H. Brison) approuvés.

Le conseil met donc en œuvre les mesures prévues pour augmenter le nombre de candidats bien préparés et la qualité de la formation qui en pratique s’étale sur 3 ans avec les stages. Comme à l’ENH, les candidates sont autorisées à se présenter, mais à condition « qu’elles fassent un stage comme auditrices à l’école ».

La durée du stage post certificat passe alors de 2 à 5 ans maximum. Les travaux des stagiaires sont réformés : avec, en fin de première année et à la fin du stage, « l’étude d’un projet en loge » (durant 10 heures en première année et 20 heures en fin de stage), des travaux libres, deux projets par an donnés par l’école et un rapport de fin d’année, avec une notation de chaque rendu.

Les candidatures de cinq entrepreneurs paysagistes ayant suivi les cours par correspondance à la certification ne sont pas acceptées en l’absence des exercices demandés de projets.

Néanmoins les possibilités de stage restent insuffisantes, C. Coconnier et J. Sgard n’en ont pas trouvés à la fin de l’année scolaire 1948-49.

La situation devenant préoccupante aux yeux du conseil, une nouvelle réforme de l’enseignement de la section est décidée au début de l’année 1950. Elle prévoit la suppression de la formation en un an d’étude plus deux années de stage et la mise en place de deux années d’études à partir du 1er octobre 1950. Le concours privilégiera les épreuves de « dessin géométrique et d’imitation ». Il sera ouvert à des ingénieurs horticoles, agronomes et agricoles en fin de deuxième année à condition, s’ils sont admis, de suivre certains enseignements exigés dans leur établissement d’origine. Le titre de paysagiste sera délivré au titulaire du certificat d’études (au bout de deux ans), le suivi des stages avec remise de projets sera évalué, et la soutenance d’une thèse (travail d’ordre technique avec composition, travaux et plantations) ne demandera pas de délai de présentation.18 L’arrêté du 30 aout 1950 entérine ce projet.

Il en résulte une nouvelle répartition des cours dont le nombre augmente considérablement (130 en première année et 219 en deuxième année).

En dépit de cette réforme, le concours d’admission de 1950 ne réunit que sept candidats dont cinq ingénieurs, un architecte et deux bacheliers anciens auditeurs de l’École. Cinq sont retenus. Mais leurs résultats en avril mécontentent à la fois H. Thébaud, A. Audias, M. Charageat et A. Riousse. L’explication principale est que les élèves doivent travailler à l’extérieur étant donnée la réforme qui a porté les études à deux ans. Ils sont souvent absents des cours et des ateliers.

Un an après, en octobre 1951, les 7 candidats (dont trois ingénieurs horticoles et deux femmes l’une bachelière auditrice et l’autre ingénieur agronome) qui se sont présentés ont été admis. L’enseignement d’atelier prend une place plus importante dans la notation (son coefficient passe de 3 à 5) et celui de dessin de 2 à 3. Entre les exigences des enseignants (les connaissances horticoles au concours ont été maintenues) et la pénurie de candidats, le concours ne joue plus son rôle de sélection.

En 1952, André Riousse disparait subitement et avec lui un des rares enseignants qui appartenaient aux trois mondes de l’architecture, de l’urbanisme et de l’entreprise paysagiste. Il est remplacé par l’architecte et urbaniste Théodore Leveau qui a travaillé avec le paysagiste J.-C.N. Forestier.

Un an plus tard, en avril et juillet 1954, la situation ne semble pas s’améliorer. L’effectif recruté se maintient à 6 ou 7 selon les années de formation. Les jugements des enseignants deviennent très critiques : désinvolture des élèves (M. Charageat, R. Enard, H. Thébaud), manquement à la discipline (J. Lenfant), absentéisme chronique, médiocrité d’expression (R. Puget), pauvreté du dessin, sans compter les débouchés incertains …

En octobre 1954, l’effectif recruté tombe à 5 (M. Grelier, C. Rosillo, A. Spake, P. Roulet, P. Collin)19. Les deux années comptent 12 élèves. Un comité d’études est créé en mai 1955 pour résoudre les problèmes pédagogiques récurrents et un cours de connaissance des végétaux de 30 h est créé en première année « axé plus particulièrement, selon H. Thébaud, sur l’identification, la forme, les couleurs et les exigences culturales des plantes ornementales ».

En octobre 1955, la situation de la Section s’aggrave brutalement avec l’annulation ( ?) du concours d’admission. En fait, un seul candidat Michel Cassin (IH) fut admis. L’avenir de la seule formation des paysagistes en France était sérieusement menacé.

Le concours en loge

En aout 1949 est annoncée, sur proposition du conseil des professeurs, l’ouverture du premier concours pour l’attribution du titre de paysagiste le 14 novembre 194920. Car il s’agit d’une sélection. Conformément à l’arrêté du 9 janvier 1946, il était réservé aux professionnels ayant au moins 10 années de pratiques et âgés de moins de quarante ans, et 15 années s’ils sont âgés de plus de 60 ans, mais il est ouvert aux stagiaires de la section. Il n’y eut pas de candidats autorisés par le conseil. C’est en fait le 14 novembre 1950 que les premiers certifiés et stagiaires de la section, ayant remis leurs travaux de stage, ont été autorisés à s’inscrire aux épreuves du concours en loge. Il s’agissait de J.-B. Perrin, J. Sgard, J. Alloin et H. Brison. Ce concours comprenait un projet de composition à présenter sous forme d’esquisses (épreuve éliminatoire), un projet technique et un projet de plantation.

Dans une réunion du conseil du 27 janvier 1951, les enseignants souhaitent que le projet présenté soit complet (avec un développement de l’esquisse et un devis estimatif) pour attribuer le diplôme de paysagiste après quelques mois de travail complémentaire. Le concours en loge aurait ainsi un niveau d’admissibilité et la présentation du projet complet vaudrait possibilité d’admission. A l’unanimité, ils souhaitent qu’un prix d’encouragement soit attribué à ceux qui présenteront une thèse ; que l’urbaniste R. Puget (au moins) participe au jury et que « les candidats aient le choix entre deux sujets différents comportant l’étude d’un projet complet »21. Ce qui fut obtenu en partie l’année suivante22.

Concernant l’attribution du titre de paysagiste, le conseil de perfectionnement de l’École ne souhaite pas de différence entre le titre ancien délivré par le ministère de l’Agriculture aux professionnels et celui délivré après formation dans la section. Le titre d’ingénieur paysagiste prévu par les textes (pour les ingénieurs) sera supprimé et celui de paysagiste DPLG ou diplômé par le ministère de l’agriculture (DPLMA), qui est proposé, sera valable pour tous. Concernant les professionnels en activité, une dernière session sera ouverte en octobre 1955.

Progressivement le nombre de candidats au concours en loge augmente. En octobre 1951, 6 candidats de la Section étaient inscrits au concours en loge (C. Cothier, M. Delcourt, P. Collin, Bernard J.-Pierre et J.-Paul. et M. Béjot)., en décembre 1957 quatre, et huit en mai 1958.

La professionnalisation des paysagistes restait cependant « homéopathique » en raison du flux très faible de formation. Elle allait pourtant se redresser considérablement à partir du début des années 1960 quand ils se feront connaitre davantage des services publics.

Les enseignements et les enseignants

Dès 1941, des cours d’architecture des jardins (34 leçons d’une heure trente), d’architecture et de construction, de techniques des travaux de parcs et jardins, d’hydraulique, de résistance des matériaux et de stabilité des ouvrages d’art avaient été demandés par la Société française d’architecture des jardins comme programme d’une année supplémentaire d’enseignement pour les ingénieurs voulant devenir paysagistes (C. Royer et S. Zarmati, 1987, in B. Blanchon, 1998, op. cit.). Cette demande correspondait au programme d’admission au grade d’architecte de parcs et jardins de la Ville de Paris. S’y ajoutait, pour les ingénieurs envisageant de suivre la section, une augmentation des heures de dessin et un doublement des heures consacrées aux levés de plan (Blanchon, ibid., p. 25)

Ateliers (Riousse, Leveau, Audias, Puget)

À l’exception de A. Audias, (IH 1921), les enseignants d’ateliers sont des architectes (urbanistes ou de jardin) de formation ou d’expérience. Car à cette époque les paysagistes concepteurs de projet compétents pour enseigner sont très rares et la formation nouvelle dans ce domaine est surtout pensée comme un complément de celle des ingénieurs horticoles de l’ENH23.

Dans ces ateliers de projets, proches de ceux de l’école des Beaux-Arts, les élèves, dès 1946, doivent fournir une esquisse par semaine et un projet par mois.

Architecture et construction (1947)

Cet enseignement, sous forme de conférences et d’ateliers, a d’abord été pris en charge par M. Durand, architecte des arts décoratifs, professeur diplômé d’architecture de la ville de Paris puis de 1954 à 1956 par M. Warnery, architecte en chef des bâtiments civils et palais nationaux, avant l’architecte et urbaniste Théodore Leveau et ensuite, en 1960, par Albert Audias (composition en ateliers) et H. Thébaud (avec des conférences de l’architecte paysagiste Jacques Gréber), puis par Jacques Sgard avec J.-C. Saint-Maurice.

T. Leveau (1896-1974), architecte et urbaniste, est un élève de l’architecte-paysagiste J.-C.-N. Forestier avec lequel il a collaboré à la Havane de 1925 à 1930. Il fut sollicité après-guerre pour le plan de reconstruction de Dunkerque (Blanchon, 1998, p. 29)

J. Sgard (né en 1929) est paysagiste DPLG (SPAJ 1947) et urbaniste, diplômé de l’Institut d’urbanisme de l’Université de Paris en 1958. Le Grand Prix du paysage lui fut décerné en 1994 pour ses travaux pionniers sur les plans de paysage et sa polyvalence exemplaire. Il fut enseignant d’atelier de projet à la Section au début des années 1960, puis au Centre national d’étude de recherches sur le paysage de Trappes de 1972 à 1978, et enfin à l’ENSP où il intervient toujours en 201824.

Théorie de l’art des jardins et composition (1947)

Sous forme d’ateliers de projet, cet enseignement fut d’abord dirigé par André Riousse (1895-1952) puis, après sa mort, par Théodore Leveau.

André Riousse (1895-1952), architecte dplg, paysagiste diplômé, diplômé de l’institut d’urbanisme, a repris l’entreprise de jardins de son père et reçu un prix pour son projet de cour-jardin lors de l’exposition de 1925 ; il a participé à la conception de la banlieue-jardin de la Butte Rouge à Châtenay-Malabry, réalisée à partir de 1931, à l’initiative d’Henri Sellier. Il fut enseignant à l’école du Breuil à Paris.25

Étude des sites et paysages, espaces verts (1947)

Albert Audias (1904- 200 ?), ingénieur horticole (IH 1921) et paysagiste DPLG, est enseignant dans la Section depuis 1946. Il collabore de 1928 à 1939 avec F. Duprat puis, en janvier 1941, après la démobilisation, il rejoint le service de l’ingénieur des Travaux publics R. Joffet chargé des « travaux neufs » à la Ville de Paris. Il fut ensuite un pilier de l’agence parisienne de F. Duprat, qui le recrute en 1941.26 Il poursuit ses travaux pour la reconstruction de Saint-Nazaire de 1946 à 1970, au parc de la Courneuve et dans quelques squares à Paris. Il enseigne à l’école d’ingénieurs des Travaux publics de la Ville de Paris la réalisation des équipement sportifs. (Blanchon, 1998, op. cit. pp. 25-27).

Urbanisme (1947)

Roger Puget, architecte DPLG, urbaniste diplômé de la ville de Paris, technicien sanitaire breveté I.T.S., urbaniste en chef du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme.

Il dispense en 1967-68 20 cours et 10 applications en préparation (Descriptive), et en 1er année 30 cours et 55 applications (Architecture et urbanisme) pour environ 3000 francs. Son enseignement se limitait à 15 à 20 cours dans les années 1950.

Jean-Pierre Bernard, paysagiste DPLG, en urbanisme opérationnel en 2e année, en 1967 avait 50 cours et 30 applications pour 2385 francs

Sciences humaines (Charageat, Huguenay)

Art (en général) et histoire de l’art (1947)

Pendant dix ans, de 1946 à 1956, Marguerite Charageat, historienne des jardins, diplômée de l’école du Louvre et assistante des musées nationaux, a dispensé deux cours, l’un d’histoire de l’art et l’autre d’art des jardins. Ils étaient sanctionnés chacun par un examen différent. Puis Jeanne Huguenay, enseignante à l’Institut d’urbanisme de Paris, l’a secondée en 1954 en première année (25 cours dans chacune des années partagées entre les deux historiennes), et lui a succédé jusqu’à la reprise des seuls cours d’histoire de l’art des jardins par Simone Hoog, conservatrice au château de Versailles.

75 cours et 10 applications en 1967 (histoire de l’art pour J. Hugueney) : 2000 francs

Droit et législation / droit foncier

M. Prudhomme, licencié en droit, avocat au barreau de Versailles, a assuré ce cours jusqu’en 1951 avant d’être remplacé par M. Cumenge, chef de service au ministère de la Reconstruction et du Logement, et qui l’a intitulé Droit foncier, puis par M. Rossillion.

Techniques (Brice, Bernard, Sabourin, Thébaud)

Travaux publics et matériel de chantiers (1947)

M. Jeanneteau, ingénieur en chef des travaux publics de la ville de Paris est remplacé par M. Le Gall, ingénieur divisionnaire des services techniques de la ville de Paris en 1957.

Théorie et construction des sols (1947)

De 1947 à 1960, Gustave Lysensoonne, ingénieur en chef du ministère de l’Éducation nationale. En 1957, le cours fut renommé « construction des sols sportifs » et M. Thomas lui succède en 1961.

Techniques des travaux (de jardins) (1947)

Robert Brice, paysagiste conseil diplômé, jusqu’en juillet 1956, puis Jean-Paul Bernard, ingénieur horticole (1949), paysagiste DPLG, ingénieur divisionnaire des services paysagers de la ville de Paris.

En 1967, J.-P. Bernard dispense 25 cours et 62 applications en 1ère année pour 2109 francs

Utilisation des végétaux et projets de plantation (1947)

Henri Thébaud, ingénieur horticole (1916), « créateur de jardins art-déco » (Blanchon, op. cit.), puis en 1960 L. Sabourin, ingénieur divisionnaire de la ville de Paris et enseignant à l’école du Breuil, avant G. Clément (IH, 1965) et Gabriel Chauvel (SPAJ, 1970) à l’ENSP.

En 1967-68, M. Sabourin enseignait en 1ère année 30 cours (1h 30) et 36 applications de 3 heures, soit 153 heures qui coutaient 1782 FF.

Arts plastiques et techniques de représentation

Dessin perspectif et ornemental

René Enard, professeur de dessin au lycée Condorcet à Paris, puis Jacques Cordeau en 1960 avec Françoise Blin de 1967 à 1985.

En préparation et en 1er année en 1967-68.

M. Le Boul professeur de dessin à l’ENH enseignait dans le cadre du programme de la chaire d’architecture des jardins et d’urbanisme de F. Duprat. A La rentrée de 1947, il enseignait la perspective et le croquis en première année, la perspective de jardin, le lavis, la perspective cavalière et l’étude d’arbres en deuxième et troisième années, et la technique de rendu de projet avec F. Duprat au cours de la dernière année.

Pour préparer les candidats élèves ingénieurs au concours d’entrée à la Section, R. Enard proposa « de développer le goût et l’esprit de création » des futurs paysagistes en enseignant le dessin au fusain de moulages (sens de la forme et des valeurs) de statues, de chapiteaux et d’amphores ; l’étude de l’aquarelle et de la gouache (sens de la couleur) avec des dessins aquarellés de plantes, d’animaux et de paysage ; et de croquis en un temps déterminé (5 à 20 minutes). Ceci avec des séances de deux heures par semaine en 1ère et deuxième années, et de 3 heures par semaine en 3e année. A. Riousse proposa de modifier un peu ce programme avec plus de croquis perspectifs d’arbres en 1ère et deuxième années, de perspectives à vol d’oiseau, et d’utiliser la gouache pour les terrains de sport.27

Département de connaissance du milieu (> 1966)

La formation initiale ne comportait pas en 1946 d’enseignements scientifiques (notamment en biologie et botanique, ou en hydraulique et sciences des sols), puisqu’elle s’adressait surtout à des ingénieurs déjà formés dans ce domaine. Le cours d’identification des végétaux est cependant créé en 1958 quand le conseil des enseignants a élargi le recrutement à la suite de l’absence des candidatures d’ingénieurs versaillais et de l’arrêt du recrutement en 1955-56.

La formation mise en place en 1967 comportait en 1967-68 :

En préparation : Botanique (J. Montégut), Sciences du sol (A. Anstett), Hydraulique (M. De Forges), Parasitologie générale (M. Gallien),

En 2e année : sciences forestières (M. Valette), Hydrogéologie (M. De Forges), Fertilisation (A. Anstett)

Conclusion

Les dix premières années d’enseignement de la Section du paysage furent en fait une longue construction collective expérimentale ponctuée de succès et d’échecs. Les enseignants, issus d’horizons très divers, durent mettre en place une formation nouvelle dans des conditions inconfortables. Ils devaient marier des apprentissages techniques et juridiques avec ceux de la conception de projet sur le modèle des ateliers de l’école des Beaux-Arts, associer les savoirs de l’urbanisme avec ceux de l’art des jardins et compléter, enrichir, sinon renouveler les enseignements de la chaire d’architecture des jardins et d’urbanisme de l’école voisine d’ingénieurs horticoles.

Bien que la demande fût potentiellement importante, le métier de paysagiste était peu connu, et confondu dans le meilleur des cas avec l’ingénierie horticole ou l’architecture de jardins. Les débouchés devaient être inventés pour s’adapter à la reconstruction des villes et aux économies nouvelles, résidentielles et de loisirs entre autres, en quittant de fait, dans cette longue transition des Trente Glorieuses, le monde ancien de l’art des jardins privés.

Les procès-verbaux des conseils, très policés, laissent peu deviner les débats des enseignants, sinon la tension entre la culture des ingénieurs et techniciens, et celle des architectes, concepteurs et dessinateurs. Le conseil inventa en marchant, faisant et refaisant les règles de l’enseignement, de la discipline, le dosage des cours, la durée des études et les modes d’attribution des diplômes avec le concours en loge ; accompagné en cela, avec beaucoup de souplesse, par la direction de l’enseignement du ministère de l’Agriculture.

Quel était le contenu précis des enseignements ? On ne le sait pas avec précision. Les recherches restent à faire si l’on retrouve les archives des enseignants de cette époque.

L’arrêt brutal du recrutement en 1955 marqua la fin de cette période expérimentale. Elle avait montré que pour bien former des paysagistes, il fallait d’abord savoir pour quels débouchés et besoins de la société. Alors que la majorité des enseignants, partagés entre leurs cultures horticoles et celles d’architectes de jardin ou d’urbanistes ne s’en était pas assez préoccupée, plus soucieux de transmettre ce qu’ils savaient ou savaient faire que d’inventer les pratiques paysagistes nouvelles du lendemain. Vingt ans après, leurs successeurs sauront s’en souvenir …

P. Donadieu

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Bibliographie

Sur Topia

Donadieu, P., in Histoire et mémoire, Chapitre 3 Le premier projet d’Institut du paysage à Versailles, Topia, 2018.

Donadieu P., in Histoire et mémoire, Chapitre * La saga des diplômes, Topia, 2018

Autres

Barraqué, B., « Le paysage et l’administration » (1985), rapport de recherche, Paris, ministère de l’Écologie et du Développement durable, direction de la Nature et des Paysages, 2005, 134 p.

Blanchon, B., « Pratiques et compétences paysagères, 1945 à 1975 », Strates, n° 13, 2007, p. 149-167.

Blanchon, B., « Les paysagistes français de 1945 à 1975, l’ouverture des espaces urbains, Les Annales de la recherche urbaine, n° 85, 2000, p. 21-29.

Blanchon B., « Pratiques paysagères en France de 1945 à 1975 dans les grands ensembles d’habitations, rapport de recherches, PUCA, 1998, 105 p., http://topia.fr/wp-content/uploads/2016/03/Blanchon_Pratiques_Paysageres_1.pdf

Blanchon, B., « Les paysagistes et la question du projet urbain », P + A, n° 31, 1995, p. 8-13.

Blanchon, B., « Les paysagistes et la question du projet urbain : de l’horticulture au projet urbain »,  P + A, n° 32, 1995, p. 20-29.

Dubost, F., « Les nouveaux professionnels de l’aménagement et de l’urbanisme », Sociologie du travail, n° 2-85, XXVIIIe année, 1985, p. 154-164. 

Dubost, F., « Les paysagistes en quête d’identité », P + A, n° 1, octobre 1984, p. 14-16.

Dubost, F., « Les paysagistes et l’invention du paysage », Sociologie du travail, n° 4-83, XXVe année, 1983, p. 432-445.

Estienne I., « L’aménagement comme stratégie professionnelle, L’exemple de cinq paysagistes formés à la section du paysage et de l’art des jardins de Versailles en 1946-1948 », Projets de paysage, 2011.

Racine M., (édit.), Créateurs de jardins et de paysages, Actes Sud, 2002.

Royer C., Zarmati S., Les espaces libres et la profession paysagère en France entre 1900 et 1946, rapport de recherches, Etude 104, ENSP Versailles, 207 p.

Notes

1 Jean Lenfant était ingénieur horticole (promotion 1916), et « professeur spécial d’horticulture » en 1938 selon l’annuaire de l’association amicale des ingénieurs horticoles (IH) de 1948. Il succéda à Fernand Fauh (IH 1912) à la fin de la deuxième guerre mondiale.
De l’origine de la création de la Section, on sait, selon les archives de l’ENH, que la société française des architectes de jardins, créée en 1930 et présidée par F. Duprat a demandé en 1941 « la création d’une section spéciale pour l’enseignement supérieur d’architecture des jardins (à destination des ingénieurs horticoles)» (Blanchon, 1998, p. 25). Projet dont fait état l’association des anciens élèves de l’ENSH en 1943 et que confirment les travaux de B. Barraqué (1985) et de S. Zarmati et C. Royer (1987). Voir chapitre * (la saga des diplômes)

2 Les comptes rendus de ces conseils ont été retrouvés récemment dans les archives pédagogiques de l’ENSP. Cette liasse a été repérée en avril 2018 dans les fichiers de récolement de 2011 sous le n° 1433.

3 De l’enseignement de son titulaire l’architecte paysagiste Ferdinand Duprat (1887-1976) de 1934 à 1951 (ou 61) nous ne connaitrons les contenus qu’après avoir analysé les archives de l’ENSH aux archives départementales des Yvelines. F. Duprat était un paysagiste de réputation européenne avec une clientèle privée prestigieuse.

4 PV du conseil des professeurs de la SPAJ de l’ENH le 11 janvier 1947.

5 Les bâtiments Le Nôtre et Le Normand actuels n’existaient pas en 1946, la place pour un nouvel enseignement était donc réduite. L’atelier se trouvait dans la salle du Potager du roi, où était placé le monument aux morts des guerres de 1870 et 1914-18. (J. Sgard, cp, 2018).

6 PV du 11 janvier 1947, p. 2.

7 Lettre de J. Lenfant du 23 janvier 1947 à la direction de l’enseignement du ministère de l’Agriculture. Ce poste de professeur titulaire ne sera obtenu qu’en 1985 dans le cadre de l’ENSP. M. Corajoud en sera le premier bénéficiaire.

8 Le titre de paysagiste de l’ENH était attribué avant 1945 via le concours en loge organisé régulièrement par le comité de l’art des jardins de la Société nationale d’horticulture de France, créé en 1870. Il était ouvert aux professionnels déjà expérimentés.

9 Lettre du 25 juillet de J. Lenfant à la direction de l’enseignement du ministère de l’Agriculture. Elle suggère une prise de contact avec Robert Joffet, paysagiste et ingénieur général des services des parcs et jardins de la Préfecture de la Seine.

10 PV de la séance du conseil du 1er juillet 1947, p. 3.

11 Cette première demande, récurrente ensuite, ne sera jamais acceptée, y compris avec les diplômés de l’ENSP.

12 J. Challet sera l’année suivante exempté de stage en raison de l’appel sous les drapeaux de son frère qui l’oblige à aider son père dans l’exploitation horticole.

13 PV de la réunion du conseil du 12 juillet 1947, p. 1

14 Il s’agissait de J. Sgard qui a l’année d’après suivi l’enseignement de l’ENSH « comme cuscute » J. Sgard, cp., 2018. Cette décision ne pourra faire précédent (PV du 12 juillet 1948). Tout candidat sans formation agricole ou horticole devra faire une période préparatoire à l’Ecole.

15 Le Maitre d’œuvre de la reconstruction, du 7 février 1947, p. 5

16 Le jury réunissait Cuny conservateur des jardins du conseil de la République, Talbot directeur de l’école du Breuil, Darpoux chercheur à l’INRA de Versailles, Orok professeur de dessin au lycée Hoche, Hissard professeur de dessin au Muséum, Enard professeur de dessin à la Section du paysage, et Mosser paysagiste.

17 PV du 12 juillet 1948., p. 1

18 PV du 14 janvier 1950.

19 Quatre d’entre eux obtiendront le titre de paysagiste DPLG ; trois sur six parmi ceux entrés en 1953 (M. Bourne, G. Samel, M. Vilette) ; tous (L. Tailhade, J.-F. Treyve, E. Marguet) parmi les recrutés de 1952 ; aucun de ceux recrutés en 1951 (annuaire des ingénieurs de l’horticulture et du paysage, aihp, 2011).

20 Lettre du directeur à la sous-direction de l’enseignement agricole pour annonce au JO.

21 PV du 12 juillet 1951, p. 2

22 Le dossier de concours en loge de Jean-François Treyve (SPAJ, 1952) en est un bon exemple. Consacré à l’aménagement de la propriété d’un industriel dans la Drome, après une esquisse faite les 30 et 31 mai 1958, le projet déposé comporte : une esquisse de composition, 9 plans (nivellement, plantations, sols, canalisations …), 20 profils en long et en travers, un rapport explicatif, un devis descriptif et un devis quantifié. Archives ENSP, réserve 1, non récolé.

Il pouvait s’écouler plus de 4 ans entre la fin des études de la Section et le concours en loge, et beaucoup, plus tard, oublieront cette « formalité », oubli réparé en 1985 par le concours « balais » organisé par l’ENSP.

23 En 1938 selon l’annuaire de l’association des anciens élèves de l’ENH, 54 architectes paysagistes (ou seulement « paysagistes » en 1939) étaient en activité.

24 Annette Vigny, in M. Racine (édit.), Créateurs de jardins et de paysages, Actes Sud, 2002, pp. 266-68.

25 Bernadette Blanchon-Caillot, « Pratiques et compétences paysagistes dans les grands ensembles d’habitation, 1945-1975 », Strates [En ligne], 13 | 2007, mis en ligne le 05 novembre 2008, consulté le 14 mai 2018. URL : http://journals.openedition.org/strates/5723.

M. Audouy et B. Blanchon, in M. Racine (édit.),Créateurs de jardins et de paysages, Actes Sud, 2002,pp. 210-211.

26 B. Blanchon, In M. Racine (édit.), Créateurs de jardins et de paysage, Actes Sud, 2002, pp. 197-198.

27 Documents manuscrits d’une réunion de A. Riousse, R. Enard et M. Leboul du 8 novembre 1947.

Histoire ENSP – Introduction

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Histoire et mémoire

de la Section du paysage et de l’art des jardins de l’École nationale supérieure d’horticulture, et de l’École nationale supérieure de paysage de Versailles

 Pierre Donadieu

Version du 10 juillet 2018

  

Les chapitres de ce document sont provisoires et susceptibles de modifications avec la poursuite des recherches sur l’histoire de la Section du paysage et de l’ENSP de Versailles-Marseille.

Les personnages de l’histoire (>1945)

Dans le texte ci-dessous, les intitulés des enseignements datent de 1947 pour les matières enseignées et de 1980 pour les départements d’enseignement.

Entre parenthèses, la période d’enseignement ou d’administration dans la Section et/ou à l’ENSP. Ces chiffres peuvent être inexacts.

La liste  provisoire n’est pas limitée aux noms cités. Elle sera complétée. 

Les responsables de département sont soulignés.

 

Direction

Jean Lenfant (1945-1959), ingénieur horticole, directeur de l’ENH

Etienne Le Guélinel (1959-1973), ingénieur agronome, directeur de l’ENSH

Raymond Chaux (1974-1990), ingénieur agronome, directeur de l’ENSH et de l’ENSP.

Alain Riquois, ingénieur du Génie rural et des Eaux et forêts, chef de la mission du paysage (1979-1990), puis directeur de l’ENSH/ENSP (1990-2000 ?)

Sous-Direction / direction adjointe / direction des études/secrétariat général

Miège (1945-1959)

Jean Pasquier (1959-1973), ingénieur horticole, directeur adjoint de l’ENSH

Roger Bellec (1977-1985), animateur socioculturel, secrétaire général de l’ENSP

Pierre Donadieu (1985-1987), directeur adjoint de l’ENSP

Guy de la Personne, paysagiste DPLG, (1987- ?)

Secrétariat

Lydie Hureaux (Mazas)

Paule Ristori, attaché d’administration et d’intendance (>1984)

Ateliers (cours et applications)

Architecture et construction

Durand, architecte des arts décoratifs, professeur diplômé d’architecture de la ville de Paris (1946-54)

Warnery, architecte en chef des bâtiments civils et palais nationaux (1954-56)

Théodore Leveau (1896-1974), architecte et urbaniste, paysagiste DPLG, est un élève de l’architecte-paysagiste J.-C.-N. Forestier

Théorie de l’art des jardins et composition

André Riousse (1895-1952) puis, après sa mort, Théodore Leveau. Il est dplg, paysagiste diplômé, diplômé de l’institut d’urbanisme. Il fut enseignant à l’école du Breuil à Paris.

Étude des sites et paysages, espaces verts

Albert Audias (1904- 200 ?), ingénieur horticole (IH 1921) et paysagiste DPLG, est enseignant dans la Section depuis 1946.

Urbanisme et aménagement du territoire

Roger Puget, architecte DPLG, urbaniste diplômé de la ville de Paris, technicien sanitaire breveté I.T.S., urbaniste en chef du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme. (depuis 1945)

Jean-Pierre Bernard, paysagiste DPLG, enseigne en urbanisme opérationnel à partir du début des années 1960

Elie Mauret, IH 43, paysagiste DPLG, enseigne en aménagement du territoire.

Après 1960

Jacques Sgard, paysagiste DPLG (SP 1947) et urbaniste, diplômé de l’Institut d’urbanisme de l’Université de Paris en 1958.   Il fut enseignant d’atelier de projet à la Section à partir du début des années 1960, puis au Centre national d’étude de recherches sur le paysage de Trappes de 1972 à 1978, et enfin à l’ENSP où il intervient toujours en 2018.

Bernard Lassus, plasticien, paysagiste DPLMA, professeur d’école d’architecture, directeur de la formation doctorale « Jardins, paysages, territoires » à l’EHESS de Paris de 1989 à 1998, (1964-1987)

Pascal Aubry, paysagiste DPLG (1975-1987), puis (200 ? -2012 ?)

Michel Corajoud, paysagiste DPLMA, professeur ENSP, (1972- 2005),

Jacques Coulon, paysagiste DPLG, (1980- ?)

Isabelle Auricoste, paysagiste (198 ?-1986)

Jean-Claude Saint-Maurice, paysagiste DPLG (1963-1974)

Gilbert Samel, paysagiste DPLG (> 1965-1974)

Pierre Roulet, paysagiste DPLG

Michel Viollet , paysagiste DPLG, (> 1969)

 

Sciences humaines

Art ( en général) et histoire de l’art (des jardins)

Marguerite Charageat, historienne des jardins, diplômée de l’école du Louvre et assistante des musées nationaux (1946-56).

Jeanne Hugueney, (1921-2008), Historienne. à l’Institut d’urbanisme de l’Université de Paris (en 1966). – Maître de conférences à l’université Paris-IV-Sorbonne

Après 1956

Simone Hoog, historienne, conservatrice au château de Versailles ( ?-1985).

Monique Mosser, historienne, ingénieur de recherche CNRS

Jeanine Christiany , architecte, historienne, maitre assistante ENSA de Versailles

Droit et législation/droit foncier

Prudhomme, licencié en droit, avocat au barreau de Versailles (1946-1951)

Cumenge, chef de service au ministère de la Reconstruction et du Logement, (1951-1961)

Rossillion, de l’agence foncière et technique de Paris (> 1961)

ENSP

Pierre Dauvergne, paysagiste DPLG, enseignant au CNERP (1972-1977) puis à l’ENSP (direction du département de sciences humaines de 1978 à 1985).

Alain Mazas, paysagiste DPLG, responsable du département de SH (1985-1988),

Philippe Mainié, économiste, INRA/ENSH (1975-1984)

Jean Carrel, juriste et économiste, ENSH (1975-1983)

Didier Bouillon, ethnologue, professeur 1989-2011 ?, responsable du département de sciences humaines (1993-1996)

Pierre Donadieu, professeur (>1994), responsable du département de SH (1988-1993 puis 1996-2007)

Monique Toublanc, sociologue, maitre de conférences

Yves Luginbühl, géographe, CNRS Paris

Jacques Cloarec, Sociologue, EHESS Paris

 

Techniques

Travaux publics et matériel de chantiers

 Jeanneteau, ingénieur en chef des travaux publics de la ville de Paris (1946-1957)

Le Gall, ingénieur divisionnaire des services techniques de la ville de Paris depuis 1957.

Théorie et construction des sols (sportifs)

Gustave Lysensoonne, de 1947 à 1961, ingénieur en chef du ministère de l’Éducation nationale.

Thomas lui succède en 1961.

Techniques des travaux (de jardins)

Robert Brice, paysagiste conseil diplômé, jusqu’en juillet 1956

Jean-Paul Bernard, ingénieur horticole (1949), paysagiste DPLG, ingénieur divisionnaire des services paysagers de la ville de Paris.

 

Utilisation des végétaux et projets de plantation

Henri Thébaud, ingénieur horticole (1916), (1946-1960)

Lucien Sabourin, ingénieur divisionnaire de la ville de Paris et enseignant à l’école du Breuil (1960-1974)

Gilles Clément (IH 1965, SP 1967), paysagiste DPLG (1977-1981)

Gabriel Chauvel (SP 1970), paysagiste DPLG (1983-2011)

Allain Provost, Ingénieur horticole (IH 1958), paysagiste DPLG, responsable du département des techniques (1978-1986)

Guy de la Personne, paysagiste DPLG (SP 1968), responsable de département (1986- ?)

Bernard Cavalié, IH 66, paysagiste DPLG,

Jean-Marie Lemoyne de Forges, ingénieur du génie rural et des eaux et des forêts, professeur de génie horticole à l’ENSH, (ENSP 1968-1983)

Arts plastiques et techniques de représentation

Dessin perspectif et ornemental

René Enard, professeur de dessin au lycée Condorcet à Paris (1946-1960)

Jacques Cordeau professeur au lycée Claude-Bernard à Paris (1960-1970)

Françoise Blin, professeur de dessin (1967-1985)

Daniel Mohen, professeur de dessin (> 1976)

François Manach, professeur de dessin (> 1976)

Jean Sire, professeur d’arts plastiques (> 1980)

Jean Grelier, paysagiste DPLG 1975 (>1984)

Le Boul professeur de dessin à l’ENH (préparation) (< 1960)

Département de (connaissance du) milieu (> 1966)

Jacques Montégut, professeur ENSH de botanique et d’écologie végétale (1967-1974)

Alfred Anstett, professeur ENSH de sciences du sol et de fertlisation (1967-1983)

Patrick Pasquier, maitre-assistant en sciences du sol (1977-1983)

J.-M. Lemoyne De Forges, professeur ENSH d’hydraulique et d’hydrologie (ENSP 1968-1983)

Pierre Bordes, maitre-assistant ENSH en topographie (1970-1983)

Maryvonne Gallien-Decharme, chef de travaux en « parasitologie générale »

Valette, ingénieur du génie rural et des eaux et forêts (1967-1974)

Tristan Pauly, idem (>1976)

Pierre Lemattre, professeur ENSH de cultures ornementales (1970-1983)

Preneux, assistante ENSH en cultures ornementales (1978-1983)

Marc Rumelhart, professeur ENSP de botanique et d’écologie végétale (1976-2014)

Pierre Donadieu, professeur ENSP (bioclimatologie, botanique, phytogéographie, écologie végétale et urbaine, puis recherches au LAREP) (>1976).

Ateliers pédagogiques régionaux et quatrième année

Pierre Dauvergne (1983-1985)

Pierre Donadieu (1987-1996)

Bertrand Follea (1988-1996)

M. Viollet (1996 – 20 ? ?)

P. Aubry

Autres

Paul Harvois, professeur à l’École nationale des sciences agronomiques appliquées de Dijon, (co)auteur de deux projets d’Institut du paysage au Potager du Roi de Versailles (1969-72, 1981-1984).

Fischesser, ingénieur des eaux et des forêts, directeur d’unité au CEMAGREF de Grenoble, auteur du rapport homonyme en 1985.

 

Sommaire

Chapitre 1 : Les débuts de la Section du paysage et de l’art des jardins, la naissance (ENH Versailles, 1946-1956).

Chapitre 2 : L’enseignement de la Section du paysage et de l’art des jardins, la renaissance (1956-1968)

Chapitre 3 : Le premier projet d’Institut du paysage (1965-1972)

Chapitre 4 : Le grand flottement (1968-1974)

Chapitre 5 : Histoire du Centre National d’Étude et de Recherche du paysage (CNERP) 1972-1979

Chapitre 6 : Les débuts de l’enseignement à  l’ENSP (1975-1980)

Chapitre 7 : Les débuts de la recherche à l’ENSP (1980-1982)

Chapitre 8 : L’enseignement de 1979 à 1982

Chapitre 9 : Le projet d’Institut français du paysage (1982-1985)

Chapitre 10 : La revue Paysage et Aménagement (1984-1996)

Chapitre 11 : L’École nationale d’horticulture de Versailles et les paysagistes (1874-1945)

Chapitre 12 : Le paysage, les paysagistes et le CEMAGREF de Grenoble (1974- 2003)

Chapitre 13 : L’enseignement de la botanique à l’ENSH et à l’ENSP

Chapitre 14 : L’École nationale d’Horticulture et l’enseignement de l’architecture des jardins (1930-1960)

Chapitre 15 : La séparation de l’ENSH et de l’ENSP de Versailles (1989-1994)

Chapitre 16 : Retour à l’école

Chapitre 17 : Les Ateliers Pédagogiques Régionaux de l’ENSP de Versailles,1985-1996

Chapitre 18 * : La saga des diplômes

Chapitre 19Un conseil des enseignants ordinaire à l’ENSP de Versailles

Chapitre 20 : Transmettre le métier de paysagiste concepteur

Chapitre 21 : Conversation avec le paysagiste et urbaniste Jacques Sgard

Chapitre 22 : Le concours en loge de la Section du Paysage et de l’Art des Jardins

Chapitre 23 : Plaisirs des fêtes au Potager du Roi (1960-67)

Chapitre 24 : De l’horticulture au paysage, de l’ENSH à l’ENSP au Potager du roi de Versailles (1874-2000)

  • À suivre…

Biographies

 

18 – La saga des diplômes de paysagiste

Chapitre 17Retour – Chapitre 19

Chapitre 18

La saga des diplômes de paysagiste

Version du 2 02 2020

Pierre Donadieu raconte la succession des diplôme et des titres professionnels qui ont marqué le métier de paysagiste depuis 1945.

De 1946 à 1974, 311 élèves ou assimilés ont suivi la formation de la Section du Paysage et de l’art des jardins (SPAJ) de l’Ecole nationale supérieure d’horticulture de Versailles. Parmi ceux-ci (et quelques autres personnes), le titre de paysagiste diplômé par le ministère de l’Agriculture (DPLMA) ou diplômé par le Gouvernement (DPLG) a été attribué à 181 personnes.

68 ingénieurs horticoles issus de l’ENSH ont suivi cette formation de 1946 à 1974. À 24 d’entre eux a été attribué le titre de paysagiste DPLG, et deux parmi eux ont reçu le Grand Prix du paysage décerné par le ministère de l’Environnement.1

Depuis la création au Potager du roi à Versailles de la formation de paysagistes en 1945 jusqu’en 2016, le libellé du diplôme français de paysagiste concepteur a changé cinq fois. À chaque fois, l’État a fait preuve d’un pragmatisme certain en accompagnant les revendications des enseignants, les souhaits des professionnels praticiens et en modifiant le cadre juridique des formations des paysagistes concepteurs et ingénieurs.

En 1939, les compétences de paysagistes concepteurs étaient souvent mêlées à celles des entrepreneurs paysagistes, ingénieurs horticoles ou non. Quelques-uns étaient formés « sur le tas ». Dans son numéro n° 188 de mars 1939, le bulletin de l’association des anciens élèves de l’École nationale d’horticulture fait état, parmi ses ingénieurs diplômés, de « 53 architectes paysagistes et de 31 entrepreneurs paysagistes ».

En 1940, une tentative pour organiser le métier et créer un diplôme spécifique de paysagiste n’avait pas abouti2. Après la guerre, à la fin de 1945, ce projet fut repris par le gouvernement provisoire du fait des besoins de la reconstruction des villes détruites. Cette réforme fut également induite dès les années 1930 par la préparation en Grande-Bretagne de la création de la fédération internationale des architectes paysagistes (IFLA). Se réunirent plusieurs fois dans ce but les architectes paysagistes anglais, italien et français : Geoffrey Jellicoe (1900-1996), Pietro Porcinai (1910-1986) et Ferdinand Duprat (1887-1976), entre autres3.

La naissance : paysagiste diplômé par l’École nationale d’horticulture

Le 5 décembre 1945, le décret n° 45-027 relatif à l’institution d’un diplôme de paysagiste de l’École nationale d’horticulture prévoit en son article 1 : « Il est créé à l’École nationale d’horticulture une section du paysage et de l’art des jardins ». Le décret est signé par le Général de Gaulle, président du gouvernement provisoire de la République, Tanguy-Prigent, ministre de l’Agriculture et du Ravitaillement et J. Lenfant directeur de l’École. Il précise que : « les élèves de cette Section qui satisfont aux épreuves déterminées par le ministre de l’Agriculture reçoivent le diplôme de paysagiste de l’École nationale d’horticulture. Les ingénieurs agricoles et agronomes qui obtiennent le diplôme peuvent prendre le titre d’ingénieur paysagiste. »

Pendant les trois premières années de formation (de 1946 à 1949), « la durée des études est fixée à un an à l’issue de laquelle un certificat d’études sera délivré. Le titre de paysagiste ne sera attribué qu’après un stage chez un paysagiste ou dans un service technique d’une administration. Un projet complet (composition, travaux, plantation) et une thèse devront être présentés4.

Le législateur utilise le terme de titre et non de diplôme, pour marquer non la sanction des études donnée par le certificat d’études final, mais une reconnaissance de l’aptitude pratique à exercer un métier.

Le 30 août 1950, un nouveau décret porte la durée des études à deux ans et institue l’accès au concours en loge5. « Pour obtenir le titre de paysagiste, les élèves des années 1946-47 à 1950-51 devront être titulaires du certificat d’étude de la Section depuis au moins un an, et satisfaire à un concours en loge (art. 5) ». Cette épreuve mettait les élèves paysagistes dans les mêmes conditions d’évaluation de leurs compétences que les élèves architectes, et les distinguait clairement des élèves ingénieurs horticoles qu’ils côtoyaient chaque jour à l’école. Car la confusion était d’autant plus facile à faire que le diplôme de paysagiste avait été attribué en 1946 à quelques ingénieurs horticoles (voir § suivant).

Le décret du 11 juin 1954 et l’arrêté du 13 août de la même année ont précisé que « le projet à présenter comportera :

– un concours en loge pour l’établissement d’une ou deux esquisses sur un thème choisi par le candidat parmi deux sujets présentés par le jury (épreuve éliminatoire)

– un travail libre d’après l’esquisse choisie comportant l’établissement d’un rendu, une étude technique de travaux, une étude de plantation et la rédaction d’un rapport très complet (le délai de présentation n’excèdera pas un an, et le nombre de sessions en loge trois pour les candidats) ».

Dans les années 1950, le nombre de candidats et d’étudiants retenus à chaque sélection fut extrêmement faible6 et comportait surtout des ingénieurs horticoles. Il ne dépassera 20 par an qu’à la fin des années 1960. Pour cette raison, le conseil des enseignants demanda « l’élargissement du concours à des non bacheliers ayant satisfait à un examen de culture générale » (arrêté de mai 1961).

L’attribution du diplôme de paysagiste de l’ENH sera à nouveau modifiée en 1954. Entre temps, pour augmenter rapidement le nombre de diplômés, l’État eut recours à une autre technique que celle de la formation initiale.

Une souplesse : paysagiste diplômé par le ministre de l’Agriculture

Dans le décret de 1945, l’article 2 stipule que « pour éviter de graves préjudices à quelques personnalités éminentes, au cours d’une période transitoire, le titre de paysagiste pourra être attribué à des personnes qui n’ont pas suivi la Section mais dont la connaissance et les travaux permettent l’assimilation aux élèves de celle-ci »7.

Il existait en effet au lendemain de la guerre quelques professionnels de talent, ingénieurs ou diplômés à l’étranger, qui ne pouvaient faire valoir un diplôme français de paysagiste. La plupart était des ingénieurs horticoles exerçant les métiers de paysagiste avec le titre auto-attribué d’architecte paysagiste, d’ingénieur paysagiste ou d’entrepreneur paysagiste. La professionnalisation de ces métiers était balbutiante. L’organisation internationale des architectes paysagistes (IFLA) ne sera créée qu’en 1948.

C’est pourquoi l’arrêté du 9 janvier 1946 signé par Lefèvre, secrétaire d’État à l’Agriculture, prévoyait d’accorder le diplôme de paysagiste « sur titre, aux professionnels créateurs de plus de quarante ans et exerçant la profession de paysagiste depuis moins de quinze ans, ayant fait œuvre absolument personnelle en qualité et en quantité suffisantes pour prouver leur valeur artistique et leurs compétences ».

C’était dire de façon explicite que le diplôme de paysagiste de l’ENH qui n’avait pas été encore délivré ne pouvait reconnaître que des compétences de concepteur et de créateur d’œuvres ayant un caractère artistique, et non une pratique d’ingénieur.

Pourtant, au cours de l’été suivant, un second arrêté du 27 août 1946 prévoyait : « a/ que le recrutement de l’école concernera des ingénieurs agronomes, agricoles et horticoles, b/des élèves de l’École nationale des Beaux-Arts, de l’École spéciale d’architecture et de l’École centrale des arts et manufactures, c/ des bacheliers et des candidats étrangers avec les mêmes titres ».

La conséquence de cette souplesse d’attribution rétroactive du diplôme de paysagiste valant en pratique titre d’exercice professionnel eut une première conséquence de 1946 à 1955. À plusieurs professionnels réputés, le plus souvent ingénieurs horticoles et qui n’avaient pas suivi la Section, fut ainsi attribué par arrêté ministériel le diplôme-titre de paysagiste diplômé par le ministre de l’Agriculture. Ce fut le cas en 1946 de Ferdinand Duprat, André Riousse, Henri Pasquier, Georges Moser, Jacques Greber, Emile Brice et Albert Audias ; en 1949 de Robert Joffet et Marcel Zaborski, et de Jean Camand en 19558. Plus tard, dans les années 1980, la même possibilité juridique fut utilisée pour attribuer le diplôme de paysagiste diplômé par le ministre de l’Agriculture (DPLMA) à Michel Corajoud et Bernard Lassus qui n’avaient pas suivi les enseignements de la Section.

Une séparation : paysagiste diplômé par le ministère de l’Agriculture

Par décret du 11 juin et arrêté du 13 aout 1954, le diplôme de paysagiste de l’ENH devient « diplôme de paysagiste du ministère de l’Agriculture » modifiant ainsi le décret de 1945. Cette modification avait été demandée par le Conseil de perfectionnement de la Section dès le 4 juillet 1951 et rappelée dans un procès-verbal du 31 décembre 1953. Dans ce dernier, auquel assistait Ferdinand Duprat, président de la jeune Société française des paysagistes, était demandée également la suppression du titre d’ingénieur paysagiste que prévoyait le décret de 1945.

La suppression de ce titre fut donc demandée9. Mais longtemps son utilisation ne fut pas normalisée par les paysagistes qui recherchaient une homologation à la fois nationale et internationale en tant qu’architecte paysagiste.

Ce projet se heurta à l’opposition (toujours actuelle en 2020) de l’Ordre des architectes. Celui-ci avait été créé en décembre 1940, sous le régime de Vichy, par Jean Zay ministre de l’Instruction publique dont dépendait alors la direction des Beaux-Arts (qui est devenue le ministère des Affaires Culturelles puis de la Culture). L’Ordre des architectes distinguait clairement les métiers de l’entreprise et de l’architecture. Différence qui, chez les paysagistes, n’était pas toujours très claire avant les années 1960, mais le devint par la suite avec la professionnalisation distincte des entreprises paysagistes (dans l’Union nationale des entrepreneurs paysagistes et reboiseurs forestiers créée en 1962) et des paysagistes concepteurs (la Fédération française du paysage créée en 1982).

En outre l’Ordre exprimait la plus grande réticence pour autoriser l’utilisation du terme d’architecte par des métiers dérivés dont il n’avait pas agréé la formation (architecte d’intérieur par exemple). En dépit de toutes les demandes faites, l’Ordre ne modifia pas son refus d’accréditer un diplôme d’architecte paysagiste. Alors que les Universités de la plupart des pays européens accédaient à cette demande en reconnaissant les formations d’architecte paysagiste.

En 1957, une nouvelle étape de l’organisation professionnelle fut franchie avec la création de la Société des paysagistes français qui regroupait surtout les diplômés de la Section. Lui succéda en 1969 la Société française des paysagistes. Avec surtout la Chambre syndicale des paysagistes libéraux créée la même année, ces deux organisations professionnelles jouèrent un rôle important dans l’élaboration du premier projet d’Institut du paysage.

La situation de la Section changea en fait avec la transformation de l’enseignement supérieur agronomique, vétérinaire, agricole et horticole. Une première réforme en 1961 modifia le statut de l’ENH qui devint École nationale supérieure d’Horticulture (ENSH), recruta sur concours commun avec les Écoles nationales supérieures d’agronomie et délivra le diplôme d’ingénieur horticole10.

L’arrêt des enseignements de la Section au cours de l’été 1974 et la création en 1976 de l’École nationale supérieure du paysage à la place de la Section allaient ouvrir la possibilité de délivrer un nouveau diplôme : paysagiste DPLG.

Toutefois, le diplôme de « paysagiste diplômé par le ministère de l’Agriculture » continua à être utilisé pour les étudiants tunisiens à partir de 1985 (ou 1984). Chaque année, ils étaient sélectionnés par un concours séparé organisé à Sousse (école d’agriculture de Chott Mariem). Cette situation était différente de celle des étudiants marocains de l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II de Rabat. Au vu de l’attestation de réussite des études à l’ENSP, l’Institut leur délivrait un diplôme d’ingénieur agronome dans la spécialité paysage.

Dans les deux pays, certains de ces diplômés sont devenus enseignants de paysage dans les écoles d’horticulture et de paysage de Chott Mariem et de Rabat-Agadir.

Une conquête : le diplôme de paysagiste DPLG (diplômé par le gouvernement), (1961-1979)

Dans le décret du 20 juin 1961, il est précisé dans l’article 15 que L’ENH qui devient ENSH « comporte une section spéciale du paysage et de l’art des jardins, destinée à former des paysagistes DPLG ». Ce diplôme-titre reconnait le même titre -DPLG- que les architectes et les géomètres. Ce qui ouvrait aux paysagistes une meilleure visibilité professionnelle.

Au début des années 1970, les conditions d’attribution de ce diplôme furent cependant modifiées à la suite des revendications des étudiants et des enseignants, ainsi que du projet avorté d’Institut du paysage (1969-1971) de la commission réunie par Paul Harvois. En 1971, le concours en loge fut supprimé et le projet à présenter par les étudiants, modifié, prévoyait :

– après un stage d’un an, la production d’une ou plusieurs esquisses évaluées par un jury,

– un travail à remettre dans un délai de trois ans.

Beaucoup de ces diplômes ne seront pas soutenus en temps et en heure, si bien que, grâce à une dernière session (dite « balai ») en 1984, le diplôme de paysagiste DPLG sera attribué aux candidats retardataires admis par le jury. Il fut attribué rétrospectivement à tous les anciens diplômés de la Section à la suite de la demande d’homologation des diplômes existants « au niveau 1, le même que celui des architectes » adressée par R. Chaux, directeur de l’ENSH/ENSP à Marcel Robin au Service de la formation professionnelle auprès du premier ministre en 197911.

En 1979, 146 paysagistes avaient déjà été diplômés : 5712 comme paysagistes diplômés par le ministre de l’Agriculture (1946-1951), 23 comme paysagistes diplômés de l’ENH (1946-1951), 27 comme paysagistes diplômés par le ministère de l’Agriculture (1952-1960) et 39 comme paysagiste DPLG13.

L’ENSP : paysagiste diplômé par le gouvernement (1979-2016)

Signé par Raymond Barre, premier ministre, le décret du 24 octobre 1976 prévoit dans son article 15 :

«  Il est institué sous la forme d’un établissement d’enseignement supérieur et de recherche, une École nationale supérieure du paysage qui assure la formation de paysagiste. (…) La formation comporte trois années d’étude suivies d’un stage professionnel d’une durée minimale de 9 mois. Le diplôme de paysagiste DPLG sanctionne les études. Des étudiants, diplômés d’agronomie générale, peuvent accéder directement en troisième année, obtenir au bout d’un an leur diplôme d’agronomie approfondie (spécialité paysage) et leur diplôme d’ingénieur agronome, puis poursuivre pendant un an afin d’obtenir le diplôme de paysagiste DPLG »14.

La seconde partie du texte est la conséquence d’une des explications de l’échec du projet d’Institut du paysage élaboré par la commission dirigée par Paul Harvois. Les services du ministère de l’Agriculture ont fait valoir que l’enseignement du paysage pouvait être également une spécialisation du cursus d’ingénieur agronome ou d’architecte.

Le diplôme était attribué au vu des notes obtenues pendant 3 ans, de la réalisation d’un stage chez un professionnel et de la présentation d’un travail personnel de fin d’études sous la forme d’un projet qui prendra rapidement le nom de projet de paysage. À partir de 1988, et en raison de la faible efficacité pédagogique des stages, furent mis en place les ateliers pédagogiques régionaux de quatrième année (voir chapitre 17).

Parallèlement, par le décret n° 76-959, du 15 octobre 1976, paru au Journal Officiel du 24 octobre, l’ENSH devenait école d’application en deux ans et pouvait recruter des diplômés d’agronomie générale des Écoles nationales supérieures d’agronomie, et des maîtrises de biologie, génétique et de biochimie de l’Université15. Elle délivrera le diplôme de l’ENSH spécialités Horticulture ou Protection des plantes qui remplacera le diplôme d’ingénieur horticole.

Quelques années plus tard, en 1984, à la suite du départ des enseignants de l’ENSH de l’enseignement de l’ENSP en 1983, l’ENSH créera, au sein de l’option horticulture, une spécialisation d’un an de « sciences et techniques appliquées aux aménagements paysagers »16. Elle ne formait pas des paysagistes concepteurs par une pédagogie d’ateliers, mais des ingénieurs diplômés de l’ENSH qui trouvaient un emploi de cadres dans les services techniques d’espaces verts des villes, dans les agences d’urbanisme ou dans les bureaux d’études.

Comme l’ENSP pouvait recruter, à l’image de la Section, des élèves étrangers sur un contingent limité et par une sélection séparée du concours principal, un diplôme particulier leur était réservé : paysagiste diplômé par le ministère de l’Agriculture. Ce dispositif a fonctionné, comme on l’a dit précédemment, pour former des paysagistes concepteurs marocains et tunisiens. La sélection était organisée, avec un représentant de l’ENSP (Pierre Donadieu, entre autres) à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II de Rabat et à l’École nationale d’agriculture de Chott-Mariem à Sousse.

Avant 1976, le temps d’obtention du diplôme-titre avait été considérablement allongé par les trois ans de délai et l’oubli de cet examen d’habilitation professionnelle par certains. Étant donnée la faiblesse des effectifs de paysagistes et le besoin de praticiens, la politique du diplôme et titre de paysagiste DPLG obtenu en quatre ans permettant de gagner une année s’est ensuite révélée efficace.

Ce système de formation a permis de mettre sur le marché de l’emploi environ 2 000 paysagistes DPLG de 1979 à 2017 dont une petite partie est affiliée à la Fédération française du paysage créée en 1982. L’on en comptait que 140 en 1979.

Une régularisation : paysagiste diplômé d’État (>2015)

Le diplôme de paysagiste DPLG fut attribué par les trois écoles du ministère de l’Agriculture (ENSP Versailles) et du ministère de la Culture (ENSAP de Bordeaux et de Lille) jusqu’en 2018.

En vertu du décret n°2014-1400, et des arrêtés du 9 janvier 2015, le diplôme d’État de paysagiste (DEP), valant grade de master, a remplacé le diplôme de paysagiste DPLG à partir de la rentrée 2015. La formation conduisant au DEP se fait en trois années à l’issue desquelles l’étudiant présente un mémoire de master puis un projet de fin d’étude (PFE). Elle sera complétée à partir de 2018 par un post-master permettant d’assurer une professionnalisation poussée et/ou une formation doctorale.

Ce diplôme ressemble beaucoup au précédent, le gouvernement (le G de DPLG) étant remplacé par l’État (le E de DEP). En fait il résout plusieurs problèmes récurrents à la fois. Le titre d’architecte DPLG qui avait disparu en 2005 à la suite de la réforme des écoles d’architecture avait été remplacé par de celui d’architecte diplômé d’État, validant le grade de master (Bac + 5 ans). Il fallait trouver une appellation proche pour les paysagistes concepteurs. En outre la dénomination de paysagiste DPLG était peu comprise en dehors de la France. Le titre d’architecte paysagiste étant toujours refusé par l’0rdre des architectes, il était nécessaire de consacrer une appellation officielle – paysagiste concepteur – à la compétence correspondante en France, rôle qu’avait joué le diplôme-titre de paysagiste DPLG pendant 54 ans.

À cet effet, la loi 2016-1087 du 8 août 2016 : « Reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages » indique dans son article 174 que « Seuls peuvent utiliser le titre «paysagiste concepteur», dans le cadre de leur exercice professionnel, les personnes titulaires d’un diplôme, délivré par un établissement de formation agréé dans des conditions fixées par voie réglementaire, sanctionnant une formation spécifique de caractère culturel, scientifique et technique à la conception paysagère.
Pour bénéficier de ce titre, les praticiens en exercice à la date de publication de la présente loi doivent satisfaire à des conditions de formation ou d’expérience professionnelle analogues à celles des titulaires du diplôme mentionné au premier alinéa. »
17

La loi a donc consacré la distinction, en usage dans beaucoup de pays européens, entre les diplômes des écoles ou des universités et le titre autorisant l’exercice d’une profession. Cette distinction oblige une « commission consultative » siégeant au ministère de la Transition écologique, à donner depuis 2017 un avis sur toutes les demandes d’agrément d’un praticien comme « paysagiste concepteur ».

La capacité à concevoir un projet de paysage est apprécié en fonction des critères suivants (entre autres) : capacités à mobiliser des connaissances générales, à faire un diagnostic et dégager des enjeux paysagers, à anticiper des évolutions des paysages, à prendre en charge une maîtrise d’œuvre d’aménagement, à travailler à plusieurs échelles d’espace et de temps, à communiquer un projet…18

Ainsi les paysagistes sont-ils entrés dans le vaste monde des professions réglementées comme celles de médecins, d’avocats ou d’architectes : « Activité ou ensemble d’activités professionnelles dont l’accès, l’exercice ou une des modalités d’exercice est subordonné directement ou indirectement, en vertu de dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession de qualifications professionnelles déterminées; l’utilisation d’un titre professionnel limitée par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives aux détenteurs d’une qualification professionnelle donnée constitue notamment une modalité d’exercice « directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 ».

En 2017, l’on peut estimer que l’effectif des diplômés des six écoles de concepteurs est situé entre 3 000 et 3 50019. En septembre 2019, environ 1500 paysagistes concepteurs avaient été homologués par le ministère de la Transition écologique. Cependant, il est probable que la saga des diplômes de paysagistes ne trouve pas ici son épilogue …

Pierre Donadieu

Février 2020


Bibliographie

Barraqué B., Le paysage et l’administration, ARTE/MRU, doc. ronéo, 1985, 215 p.

Donadieu P. et Bouraoui M., La formation des cadres paysagistes en France par le ministère de l’Agriculture (1874-2000), LAREP, ENSP Versailles, 2003, 286 p. et annexes

Donadieu P., Le premier projet d’Institut du paysage à Versailles, (1965-1971) ou La promesse de l’aube…. , 2018, Topia (rubrique Travaux des chercheurs/histoire et mémoire), www.topia.fr

Voir également sur la plateforme de recherches de l’ENSP de Versailles, les 18 chapitres de l’histoire de l’ENSP de Versailles-Marseille (publiés en février 2020) : https://topia.fr/2018/03/27/histoire-de-lensp-2/


Notes

1 Voir l’inventaire détaillé en cours d’établissement : https://topia.fr/2020/02/02/les-diplomes-des-paysagistes-versaillais-1946-1974/

2 Barraqué B., Le paysage et l’administration, ARTE/MRU, doc. ronéo, 1985, 215 p.

3 Selon B. Barraqué (p. 66) et P. Donadieu (chapitre 14, Histoire de l’ENSP), ce fut la demande de Ferdinand Duprat, architecte paysagiste formé en Grande-Bretagne (Kew Gardens à Londres), et diplômé par l’école d’Horticulture en 1946, président de la société française d’architecture des jardins (SFAJ) qui conduisit à la création de la Section du paysage et de l’art des jardins en 1945. Avec son concours, le premier congrès des architectes paysagistes eut lieu à Paris en 1937 lors de l’exposition universelle.

4 Arrêté du 27 août 1946, art. 9.

5 Dans l’École des Beaux-Arts de Paris, puis les écoles régionales d’architecture, les concours en loge étaient des épreuves auxquelles se soumettaient les peintres, graveurs, sculpteurs et architectes pour exécuter un projet sur un sujet imposé et pendant une durée déterminée (67 jours pour les architectes en 1823).

6 En deuxième année : 8 élèves en 1951, 4 en 1952, 6 en 1953.

7 Exposé des motifs du décret n° 45-027.

8 En revanche, selon l’annuaire de l’association des ingénieurs de l’horticulture et du paysage de 2011, il faudrait distinguer ceux à qui aurait été attribué le diplôme de paysagiste (avec concours en loge) sans suivre la section « Daniel Collin, ingénieur horticole en 1931, Paul Grisvard (ENH, 1934) » et ceux qui ont suivi la Section : Pierre Mas (ENH, 1940), Jean Challet (ENH, 1942), Elie Mauret (ENH, 1943), Jean-Pierre Bernard (ENH,1945) ».

9 En pratique, il resta celui de l’INH Paysage d’Angers et de l’ENSNP de Blois jusqu’en 2015. En 2018, seule l’école d’Angers revendique cette appellation cohérente avec son origine historique. Voir le texte sur les débuts de la Section.

10 Décret 61-632 du 20 juin 1961.

11 Elle fut attribuée par l’arrêté du ministre du Travail relatif à l’homologation des titres et des diplômes de l’enseignement technologique du 17 juin 1980 (J.O. du 21 août 1980) selon lequel les 4 diplômes (DPMA, DPLNH, DPLMA, DPLG) étaient classés au même niveau I.II (celui où est classé le diplôme d’architecte DPLG)

12 Ce chiffre qui parait important est issu de statistiques retrouvées dans le dossier d’homologation des diplômes de paysagistes constitué par R. Chaux en 1979. Il est possible que l’on y compte la plupart des paysagistes, ingénieurs et entrepreneurs répertoriés dans le bulletin de l’association des anciens élèves de l’ENH en 1939 ( étaient répertoriés 53 architectes paysagistes).

13 Rapport de Marcel Robin faisant réponse le 7 mars 1980 à la demande d’homologation des diplômes de paysagistes du ministère de l’Agriculture par R. Chaux, directeur de l’ENSP le 17/12 1979,

14 Cette formation ne concernera que quelques élèves, ainsi que des architectes. Insatisfaisante car trop courte, elle sera suspendue au début des années 1990.

15 Ces maîtrises sont devenues l’origine principale des étudiants de l’ENSH du fait du très faible flux d’élèves ingénieurs des ENSA.

16 Dans ce domaine et dans d’autres, l’ENSH était en concurrence avec l’ENITH qui affirmait sa compétence dans le domaine de formation au paysage. L’école d’Angers fit reconnaitre son appellation d’ENITHP (Paysage) en 1989 (décret n° 89-240) puis devint en 1997 l’Institut national d’horticulture et de paysage (INHP) à la suite de sa fusion avec l’ENSH de Versailles délocalisée à Angers.

17 Le diplôme d’État de paysagiste est attribué par les trois écoles historiques (de Versailles, Bordeaux et Lille) plus l’École nationale supérieure de la nature et du paysage de Blois intégrée à l’Institut national des sciences appliquées Centre Val-de-Loire depuis 2015. Ce diplôme leur donne accès direct au titre de « paysagiste concepteur ». Le diplôme d’ingénieur paysagiste (ou en paysage), au niveau du master, d’Agrocampus Ouest, centre d’Angers (ex Institut national d’Horticulture et de Paysage) donne également ce droit. Dans tous les cas, la demande d’attribution du titre d’exercice professionnel de paysagiste concepteur doit être faite à la commission consultative du ministère chargé de la politique du paysage. Le diplôme de l’École supérieure d’architecture des jardins de Paris, établissement privé créé en 1966 n’est pas encore reconnu.

18 Selon le dossier de la commission consultative (2017).

19 ENSP Versailles 800 ; Agrocampus ouest Angers : 700 ; ENSNP Blois : 600 ; ENSAP Bordeaux : 500  ; ENSAP Lille : 170 ; Paris : 700. L’effectif réel des diplômés au travail dans le domaine du paysagisme est plus faible, peut-être de l’ordre de 2 500 à 3 000. L’étude de Donadieu et Bouraoui de 2003, prévoyait en 2015 un effectif avec 7 écoles (dont celle de l’ITIAPE de Lesquin-Lille) de 3400 diplômés.

3 – Le premier projet d’Institut du paysage

Chapitre 2 – RetourChapitre 4

Chapitre 3
Le premier projet d’Institut du paysage à Versailles
(1965-1971)

ou

La promesse de l’aube…

Version du 2 juin 2018

Deux formations dans une même école

À la fin de 1961, dans l’atelier qui leur est réservé à l’École nationale supérieure d’horticulture de Versailles, les apprentis paysagistes de la Section du paysage et de l’art des jardins1 se consacrent chaque jour à la conception de leurs nombreux projets. Des professionnels, architectes, urbanistes, ingénieurs horticoles et/ou paysagistes DPLG, comme Théodore Leveau, Jacques Sgard ou Jean-Claude Saint-Maurice les encadrent2. D’autres enseignants vacataires, à la fois ingénieurs horticole et paysagiste DPLG, comme G. Sabourin en utilisation des végétaux, J.-P. Bernard en sols sportifs, Albert Audias3 en histoire de l’architecture et techniques de travaux (depuis 1946), et Roger Puget (architecte) en urbanisme… leur dispensent des cours dans le petit amphithéâtre voisin4. Leurs études durent deux ans après une année de cours préparatoires comme auditeurs et une sélection sur concours. Ils obtiennent après une activité en agence d’au moins un an et un « concours en loge » le diplôme de paysagiste diplômé par le ministère de l’Agriculture (converti plus tard en paysagiste diplômé par le gouvernement comme pour les architectes et les géomètres)5.

Dans les bâtiments du Potager du roi, dans les salles de travaux pratiques, les laboratoires, les serres, les jardins et les amphithéâtres travaillent également les élèves ingénieurs de l’École nationale supérieure d’horticulture. Leurs enseignants, titulaires de l’enseignement supérieur agronomique : chefs de travaux, maîtres de conférences ou professeurs, leur dispensent un enseignement technique qui amorce cependant un tournant de plus en plus scientifique. Après des études qui durent trois ans suivant un concours d’entrée et une à deux années dans les classes préparatoires des lycées agricoles ou d’enseignement général, ils obtiennent un diplôme d’ingénieur horticole. Leur emploi du temps est saturé de cours, de travaux pratiques, de visites d’entreprises et d’excursions botaniques, ce qui n’est pas le cas des étudiants paysagistes qui se consacrent surtout à des travaux d’ateliers et à des visites de jardins, de chantiers, de musées ou d’expositions.

D’un côté, environ 120 à 130 étudiant(e)s en horticulture, de l’autre 15 à 25 étudiant(e)s paysagistes. Pour les premiers, le modèle pédagogique repose sur la norme technique, l’expérience scientifique en laboratoire et le calcul économique, et pour les seconds sur la pratique de l’atelier à la façon de l’ École des Beaux-Arts sous la direction d’un maître reconnu. Ni les uns, ni les autres ne passent beaucoup de temps de travail dans le Potager où les blouses blanches des chercheurs commencent à remplacer les tabliers bleus des jardiniers. Leurs relations dans un cadre pédagogique sont marginales (quelques enseignements communs de botanique et d’écologie en tant qu’auditeurs libres). Mais ils se retrouvent tous dans le cadre extrascolaire des nombreuses activités festives du Cercle des élèves.

Dans cette décennie marquée politiquement et socialement par les « évènements » (des grèves et manfestations massives d’étudiants et d’ouvriers) de mai 1968, des bouleversements considérables de l’enseignement horticole et paysagiste français se préparent. Ils vont déterminer les transformations de l’établissement au cours des cinquante années suivantes.

Les signes avant-coureurs : une École nationale supérieure du paysage et de l’art des jardins

Dès 1964, le ministère de l’Agriculture, qui dispose de la tutelle de l’École d’Horticulture depuis sa création en 1873, manifeste le désir de réformer l’enseignement supérieur agronomique et vétérinaire. Il s’agissait de créer des écoles d’application comme débouchés d’un diplôme d’agronomie générale obtenu en deux ans après le concours d’entrée (deux ans après le bac) dans les Écoles nationales supérieures d’agronomie.

Concernant l’ENSH, la Direction générale de l’enseignement et des affaires professionnelles et sociales prévoyait également depuis une lettre du 7 décembre 1964 au directeur E. Le Guélinel, de remplacer l’ENSH au statut ambigu6 par une formation d’ingénieurs des travaux en trois ans après un concours, et une formation de niveau supérieur en deux ans.

Le 22 mai 1966, J.-M. Soupault, directeur général de l’Enseignement supérieur valide le projet de « la future école d’application » à Versailles en deux ans : une année pour obtenir un diplôme d’agronomie approfondie, et une année supplémentaire pour se spécialiser en horticulture et «briguer également un doctorat de 3e cycle dans une spécialité horticole ».7

Dans ce contexte de réforme, les enseignants de la Section du paysage et de l’art des jardins créent, en 1965, une commission pour étudier « l’organisation à venir de l’enseignement du paysage et de l’art des jardins ». Ses conclusions en septembre affirment « la nécessité de détacher l’enseignement du Paysage, au plus haut degré, de la formation agronomique. Ceci permettrait d’accentuer le caractère artistique de cet enseignement et de resserrer les liens avec d’autres disciplines telles l’Architecture et l’Urbanisme »8. Ce projet, qui reprend des revendications antérieures, n’exclut cependant pas de reconduire un double diplôme d’ingénieur et de paysagiste, comme c’était le cas depuis le décret fondateur de 19459.

Dans cette contribution est proposée une organisation en trois ans après la sélection d’entrée où est affirmée la nécessité d’une « culture propre au domaine des jardins et autres domaines de l’Art, et la formation artistique à partir du potentiel de sensibilité et de talent d’expression reconnu à l’élève par le concours d’entrée». Quatre domaines devaient compléter cette organisation : « la connaissance de l’homme (le cadre juridique et social des activités de plein air), la connaissance de la nature (l’utilisation des végétaux et la phytogéographie), les techniques de réalisation (de jardinage, de génies civil et rural) et les travaux d’atelier de projet (esquisse, avant-projet, projet technique, rendu, devis estimatif, rapport de présentation)».

Une note anonyme (JS/HL, peut-être de J. Sgard) du 19 10 1965 recommandait de créer un nouveau cadre (une Université des Arts) afin « de mettre en contact les disciplines d’aménagement de l’espace : architecture, urbanisme, paysage … en les associant à l’art de l’ingénieur (Génies civil et rural) ». Une phrase prémonitoire est à retenir : « L’enseignement du paysage doit garder son individualité et ne pas être absorbé. D’où l’avantage de le laisser intégré à l’Agriculture ».

Mais le problème épineux d’une préparation externe à cette formation n’avait pas de réponse, car les effectifs concernés auraient été trop faibles.

Ainsi fut préfiguré par les paysagistes enseignants ou non dans la Section, notamment par Pierre Roulet10, Albert Audias11 et J.-C. Saint-Maurice12, J.-P. Bernard et J.-C. Bernard, avec le secrétariat de P. Lemattre, chef de travaux en Cultures ornementales, une « École nationale du paysage et de l’art des jardins ». Elle devait permettre d’accéder au titre de paysagiste diplômé par le ministère de l’Agriculture, puis à celui de paysagiste DPLG. Elle annonçait l’organisation actuelle de l’ENSP de Versailles en départements, mise en place en 1977.

Parallèlement, était demandé l’avis « d’un groupe d’étude régional d’Angers » composé surtout d’ingénieurs horticoles et agronomes. De leur côté, était en fait initié le projet de la mise en place d’une École nationale d’ingénieurs des techniques horticoles (ENITH) à Angers avec le concours de E. Le Guélinel, directeur de l’ENSH de Versailles, chargé de cette réforme13. Car le ministère entendait respecter à cette époque la hiérarchie des ingénieurs de conception de projets (à mettre en place à Versailles) et des ingénieurs d’exécution des projets (à relocaliser à Angers). Cette dernière réforme se conclura vingt ans plus tard avec le déplacement de l’ENSH à Angers, au moment où la distinction entre école d’ingénieurs des travaux et école d’ingénieurs de conception disparaissait…

Le groupe d’étude et de recherche paysagère (GERP)

Après les grèves nationales de mai 1968, le projet d’École nationale du paysage et de l’art des jardins semble abandonné par le ministère de l’Agriculture. De nouveaux acteurs apparaissent car la réorganisation de la Section s’impose de plus en plus, étant donné son manque de moyens humains et financiers. Étant donné également, on peut le supposer, le début de la prise de conscience du rôle public des paysagistes au niveau de quelques ministères, de l’Équipement notamment.

Le Groupe d’étude et de recherche du paysage (GERP)14 est créé au début de 1968, « hors du champ de la Section et du ministère de l’Agriculture » (P. Dauvergne), par de jeunes paysagistes (notamment Pierre Dauvergne et Philippe Treyve15, Caroline Baudelot, Paul Clerc, Françoise Bozellec), des fonctionnaires de ministères (Remi Pérelman16 du Ministère de l’équipement et de la DATAR), des urbanistes et des environnementalistes (L. Hervé).

Il est organisé au début de 1969 en trois groupes exploitant des thématiques paysagères non horticoles : environnement et structuration de l’espace (rapporté par P. Clerc) ; écologie, cartographie de la végétation et aménagement de l’espace (rapporté par P. Dauvergne) ; et les pratiques de paysage à l’étranger (sans rapporteur)17.

Le GERP organise des cycles de conférences, diffuse un bulletin d’information des groupes de travail et entretient un contact étroit avec l’enseignement du paysage à Versailles. Il centre ses activités sur l’environnement et toutes réflexions théoriques qui élargit la question des pratiques paysagistes au-delà de celle de l’art des jardins et de l’horticulture ornementale. Il préfigure le mouvement d’idées (le « paysagisme d’aménagement », le « grand paysage ») qui aboutira à la création du Centre national et interministériel d’études et de recherches paysagères (CNERP) à Trappes en 1972.

Il deviendra, grâce à la participation de ses membres, notamment de P. Treyve, un des interlocuteurs du conseiller technique du ministère de l’Agriculture (J.L. Tisserant) au moment de la création de la « commission Harvois » à la fin de 1969.

La Chambre nationale des paysagistes conseils de France

En 1969 est créée l’organisation professionnelle qui réunit les paysagistes libéraux sous la présidence de Pierre Roulet déjà impliqué dans les réflexions sur l’enseignement du paysage.

Au début de cette année, P. Roulet a rejoint au côté de Jean-Bernard Perrin, paysagiste DPLG et directeur de l’Agence de l’arbre et des espaces verts (ministère de l’Environnement et du logement), le Comité européen des architectes de jardins et paysagistes (CEGAP18) créé en octobre 1968 à Munich. Avec René Péchère, professeur chargé de la création de l’enseignement du paysage à l’École d’architecture de la Cambre à Bruxelles, Pietro Porcinaï, chargé de cours à l’école des Beaux-Arts de Florence, Métro Vroom, directeur du département de paysage à la faculté d’agronomie de Wageningen, et le professeur Herman Matern, titulaire de la chaire de paysage et directeur de l’Institut du paysage à la Technische Hochschule de l’Université de Berlin, P. Roulet s’intéresse à la formation paysagiste dans la perspective de l’Europe du Marché Commun19.

La note de P. Roulet à ses collègues du CEGAP du 20 mars 1969 (à l’issue d’une réunion à Venise) insiste sur les points importants pour eux : « la recherche fondamentale en matière d’ambiances urbaines et de paysage ; la transformation agraire posée nettement (plan Mansholt) ». Il indique que le ministère de l’Agriculture français va nommer une personnalité pour mettre en œuvre un projet d’école autonome à Versailles. Le Conseil insiste sur cinq principes de formation : un tronc commun de formation de l’échelle du jardin à celle du paysage ; la pluridisciplinarité et des spécialisations individuelles possibles ; une initiation professionnelle d’au moins un an ; un enseignement par des professionnels connus ; des échanges européens entre écoles20.

Jusqu’ à la nomination effective de P. Harvois en octobre 1969 et pendant le travail de la commission, P. Roulet va exercer une influence importante au niveau politique et ministériel.

La nomination de Paul Harvois

À la fin de l’année scolaire 1968-69, le mécontentement s’amplifie à la Section. Le financement des vacataires et du fonctionnement est insuffisant et les modes pédagogiques ne conviennent plus au nouveau contexte national (enseigner les réponses aux problèmes d’environnement, d’urbanisme, d’espaces verts et de paysage, et non d’art des jardins ou d’horticulture ornementale). Les effectifs ont augmenté (de 10 à 25 élèves par an). Le décalage avec l’Allemagne est préoccupant (6 écoles de paysage avec des formations en 5 à 6 ans). Le GERP, les étudiants, les professionnels et les étudiants attendent donc un chargé de mission qui va être nommé pour « poursuivre la création d’un véritable enseignement du paysage ». Par lettre du 24 juin, ils demandent au ministère de l’Agriculture la création d’une « École nationale supérieure du paysage et des espaces verts, délivrant un diplôme de troisième cycle, et pouvant s’ouvrir aux élèves d’agronomie, d’architecture et d’administration ». Ils réclament l’autonomie de l’école, des relations avec les autres ministères, des crédits immédiats et des dispositions transitoires pour les étudiants21.

Le 30 juin 1969, à l’issue de la réunion d’un collectif avec le représentant du ministère, il est demandé « aux spécialistes de l’enseignement du paysage » : à Paul Harvois, chargé d’inspection générale d’éducation culturelle, secrétaire général du Groupe de recherche et d’éducation permanente (GREP), professeur titulaire d’éducation des adultes à l’École nationale des sciences agronomiques appliquées de Dijon, à J.-P. Bernard (enseignant à la Section), B. Lassus (plasticien, professeur titulaire à l’école des Beaux-Arts à Paris) avec J. Sgard et P. Clerc, P. Roulet et J.-C. Saint-Maurice (enseignants à la Section), et des élèves de constituer un nouveau dossier.

P. Harvois, qui n’est pas encore nommé, s’enquiert auprès du ministère de la Culture en juillet du lieu où pourrait être créée cette école car il n’est pas (encore) prévu de déplacer l’ENSH : le domaine de Marly, le Bois de Vincennes, le camp américain du SHAPE à Saint-Germain-en-Laye, le camp militaire des Mortemets à côté de l’École d’horticulture ? Le 29 juillet, P. Roulet fait état à P. Harvois de sa rencontre avec le sénateur René Monoury pour obtenir un contact avec le ministre des Affaires Culturelles Jacques Duhamel, ainsi qu’avec le député Michel Poniatowsky.

Le 6 août, au titre du GERP, B. Lassus et P. Treyve obtiennent avec un élève un rendez-vous avec J.-L. Tisserant le conseiller technique du secrétaire d’État à l’Agriculture, le docteur Bernard Pons. Ils plaident la singularité de l’enseignement nouveau du paysage (transversal et interministériel, avec une recherche associée à l’enseignement dans le cadre d’un Institut). La fermeture de la section est envisagée ou toute autre solution positive qui sera décidée à la rentrée, notamment celle d’une tutelle interministérielle (Agriculture, Affaires Culturelles, Aménagement du territoire et Équipement, Finances).

En septembre, P. Roulet transmet à R. Baudouin, directeur de cabinet du ministre de l’agriculture, une note sur le rôle des architectes paysagistes conseils (une vingtaine de libéraux) et des paysagistes fonctionnaires ou contractuels (une trentaine) dans des institutions parapubliques (comme l’IAURP ou les Organismes régionaux d’étude et d’aménagement des aires métropolitaines : OREAM). Il précise que l’Union des syndicats d’entreprises paysagistes appuie la réforme « étant donnés les gros déboires constatés par les membres de cet organisme ». Et que le nombre de paysagistes est trop faible pour faire face aux besoins sans compter « notre retard avec l’étranger »22.

Le 13 octobre, P. Roulet alerte R. Baudouin en lui indiquant que la rentrée n’a pas été faite à la Section (« Le directeur l’a différée ») ce qui n’est pas sans relation avec la non parution du décret de nomination de P. Harvois comme chargé de mission dans un cadre interministériel. Le 14 octobre, il informe le député Poniatowksy que « le conseil des professeurs de la Section a été amené à bloquer la rentrée scolaire et à la rendre tributaire de la sortie du décret de nomination »23.

Ces pressions aidant, le décret « portant nomination de Paul Harvois pour étudier la création d’une École nationale du paysage » parait le 17 octobre 1969. Dès le 23 octobre, le nouveau chargé de mission rencontre Etienne Le Guélinel, directeur de l’ENSH et de la Section. Le contexte de l’établissement est sans doute tendu ou confus avec les élèves car P. Harvois, dans une lettre à J.-M. Soupault, écrite le soir même, juge préférable d’attendre la circulaire d’application définissant ses responsabilités exactes.

Mise en place de la commission « Harvois »

La « Décision » précisant les attributions exactes de P. Harvois ne paraitra que le 13 novembre.

Dans la première quinzaine de novembre, P. Roulet interpelle le conseiller technique Stern auprès du ministre de l’Équipement pour lui demander de s’associer au projet d’école avec le ministre de l’Agriculture, en tant que commanditaire potentiel d’études paysagères. J.-C. Saint-Maurice fait de même le 7 novembre avec le secrétaire d’état à l’Agriculture, à la suite d’une entrevue de ce dernier avec le GERP et des représentants de l’enseignement à la Section. Essentiellement pour acter des promesses de nombreuses décisions positives à leurs yeux (notamment la recherche d’un directeur des études de la Section), mais pour regretter la faiblesse des moyens financiers supplémentaires (plus 30 000 francs pour le fonctionnement, somme à augmenter de la rémunération des enseignants, alors que 200 000 francs minimum étaient demandés).

La « Décision » indique que la commission qui assistera P. Harvois est composée de trois professeurs de la Section, un représentant du directeur de l’ENSH, de J.-M. Clément directeur adjoint de l’INA de Paris et d’un élève élu. Contrairement à l’arrêté, elle ne parle plus d’école à créer, mais « d’évolution des structures de l’actuelle Section du paysage de l’ENSH de Versailles avec d’autres partenaires ».

Le 24 novembre, E. Le Guélinel indique à P. Harvois le nom de son représentant (M. Ravisy, maître de conférences à l’ENSH), la disponibilité de Michel Viollet24, paysagiste, pour les contacts avec la Section, et de Jean Pasquier directeur des études à l’ENSH. Il lui recommande de tenir ses réunions au GREP à Paris …

Quelques jours auparavant (18/11), P. Harvois avait contacté G. Samel, enseignant à la Section, pour savoir qui pourrait représenter les enseignants ; ainsi que Georges Demouchy, étudiant « massier » de deuxième année de la Section.

Le 9 décembre, E. Le Guélinel fait connaître les trois noms d’enseignants paysagistes (dont deux ingénieurs horticoles) retenus pour la commission : Albert Audias, Jean-Claude Saint-Maurice et Jacques Sgard. S’ y ajoute un peu plus tard celui de G. Demouchy en tant qu’élève élu. La commission semble restreinte au périmètre paysagiste de la Section. La suite démentira ce premier choix sous la pression d’autres acteurs déjà impliqués.

En janvier 1970, sous l’influence de toutes les parties prenantes du projet, la composition de la commission « pour la création de l’Institut National du paysage25 » change considérablement. Elle passe de six membres à vingt et un membres. S’ajoutent les ministères des Affaires Culturelles (7 personnes dont B. Lassus et le directeur de l’école d’architecture voisine, UP (unité pédagogique)26 n°3), de l’Éducation nationale (1), de l’Équipement et de la DATAR (R. Pérelman), de la Jeunesse et des Sports (1), de l’Agriculture (2), des Anciens élèves de la Section (P. Clerc), de la Chambre des paysagistes conseils (P. Roulet), de l’Union syndicale des entrepreneurs paysagistes (P. Desmidt) et une personnalité impliquée dans la commission paritaire de l’ENSH avec P. Roulet et J.-C. Saint-Maurice (G. Samel).

Les projets d’écoles aux dénomination diverses sont abandonnés au profit d’un hypothétique « Institut national du paysage » réunissant plusieurs pôles d’intérêt très différents : les techniques et les sciences horticoles et paysagistes (les entrepreneurs, les pépiniéristes), les concepteurs paysagistes enseignants dans la Section, le GERP (futur promoteur du paysagisme d’aménagement au CNERP), les Affaires Culturelles (les Écoles d’architecture et la protection des sites) et les paysagistes conseils libéraux (la Chambre des paysagistes conseils).

De leur côté l’ENSH et son association des anciens élèves semblent très méfiantes, et la Section empêtrée dans des problèmes de fonctionnement, de critique et d’évolution de ses propres enseignements27.

L’Institut national du paysage (1970-71)

Le 13 janvier 1970, se tient au GREP à Paris la première réunion de la commission d’étude présidée par P. Harvois. 15 personnes y participent. Le président récapitule les problèmes importants : 1/Choisir entre un institut supérieur et de 3e cycle regroupant formations horticoles, d’architectes et d’ingénieurs, et une école nationale supérieure avec 6 années d’études et plusieurs sections (du technicien à l’ingénieur et au docteur). 2/Trouver un statut administratif pour cette institution et son implantation géographique. 3/ Mettre au point des dispositions transitoires urgentes28.

Dès le 20 janvier, les tensions apparaissent dans un courrier d’A. Audias à P. Harvois. D’un côté, un accord des trois paysagistes de la Section «pour estimer que c’est la formation du paysagiste maître d’œuvre qui doit être la mission première de l’enseignement envisagé », de l’autre l’affirmation du rôle du « paysagiste régional » selon les besoins du ministère de l’Équipement et l’interprétation globalisante et réformiste de R. Pérelman et du GERP. Néanmoins, le 21 janvier, dans une note de synthèse à P. Harvois, ils se mettent provisoirement d’accord avec P. Roulet pour écrire que « le rôle du paysagiste s’appuie sur sa compétence et sa responsabilité en tant que maître d’œuvre. Il devra participer à l’élaboration des plans-masse et des schémas directeurs ».

Mais au ministère des Affaires Culturelles, à la suite du compte rendu de Hervé Fischer, Bernard Kohn, un architecte franco-américain conseiller pédagogique du bureau de l’Enseignement, juge que « la création de l’École nationale supérieure du paysagisme (à Versailles) serait une grave erreur. Cette idée est contraire aux politiques de décentralisation de l’enseignement de l’architecture et aux besoins régionaux des aménageurs … Il faudrait prévoir au moins cinq ou six centres »29. Il fait référence aux États-Unis et à l’exemple du département de Paysage de l’université de Pennsylvanie dirigé par l’architecte paysagiste et planificateur renommé Ian McHarg.

Considérant son expertise en matière de paysage, M. Ramon (Direction de l’architecture) désigne B. Lassus comme « porte-parole du ministère des Affaires Culturelles ».

Le 24 février, une nouvelle réunion de la commission « pour la création de l’Institut national du paysage et de l’environnement » (voir figure) conduit à retenir une formation en trois cycles et des antennes régionales. La distinction entre enseignement et recherche, développée par B. Lassus, commence, de manière elliptique, à apparaître, comme celle entre environnement et paysage ou paysagisme, initiée par R. Pérelman et le GERP.

10 mars, nouvelle réunion. Apparait le besoin d’une étude prospective des besoins en paysagistes qui sollicitera chaque ministère concerné, mais n’obtiendra pas de réponses très satisfaisantes.

7 avril. L’Institut national, avec ses centres régionaux d’application (qui ont remplacé les antennes) doit affirmer la notion de recherche dans le troisième cycle. Le premier cycle pose toujours problème en fonction du mode de sélection adopté. Former 10 à 15 paysagistes à accueillir dans le corps des enseignants des Affaires Culturelles et autant par l’Office national des forêts est envisagé. Les estimations restent à cette époque très modestes.

Il apparait cependant à la commission – au fur et à mesure que le nombre de ses participants aux réunions diminue – que les compétences de formation paysagiste (comme celles de Clerc, Viollet, Lassus, Pérelman) ont déjà été repérées par les centres de formation existants. Par exemple par le département Milieu naturel de l’ENGREF qui a recours à leurs interventions.30

À la fin de juin, le rapport final est remis à Bernard Pons secrétaire d’État auprès du ministre de l’Agriculture. Il est accompagné d’un projet de décret de « Création à Versailles d’un Institut national du paysage », rédigé sur le modèle du décret d’organisation de l’École nationale des ingénieurs des travaux des eaux et des forêts de 1966. Un projet ambitieux qui comprend quatre divisions : l’enseignement en quatre, cinq ou six ans regroupant des départements de formation, la recherche au niveau du troisième cycle, la formation permanente, la promotion supérieure et les applications régionales (Fig. 1).

Fig. 1 Organigramme de l’Institut national du paysage et de l’environnement, 1970.

L’Institut, qui dépendra du ministère de l’Agriculture, délivrera notamment des diplômes de paysagiste (de conception), d’ingénieur des techniques du paysage, et de doctorats d’enseignement ou d’université. Il disposera d’un service de relations publiques et d’information, de documentation et d’édition.

Quelques mois plus tard, le 19 octobre, Bernard Pons fait savoir à P. Harvois que « la formule préconisée, après un premier examen, semble devoir être retenue, et qu’il lui confie la mission d’étudier d’abord les conditions pratiques pour accorder l’autonomie à la Section »31. Le financement de la création de l’Institut n’est pas envisagé avant 1972.

L’échec du projet

À la fin de l’année 1970, la plupart des courriers échangés par P. Harvois témoignent de vues concordantes pour accompagner le projet. Les ministères des Affaires Culturelles et de l’Équipement revendiquent la cotutelle de l’Institut avec celui de l’Agriculture. Des affectations de personnel et la mise en disposition d’un site sont envisagées par la direction de l’Architecture. Un chargé de mission M. Boucher pourrait assurer la transition à Versailles entre la Section et l’Institut. Une commission interministérielle serait chargée d’étudier les conditions de la réalisation matérielle du projet (budget, programmes, postes, locaux) et une rentrée en septembre 1971. Mais, écrit-il au ministre, « il faut agir très vite. Le ministère doit annoncer officiellement la décision dans une conférence de presse au printemps prochain ».32

Toutefois, l’agitation persiste à Versailles. Les élèves de la Section refusent de passer les examens de fin d’année « dans les conditions qui leur sont imposées », écrit le conseiller technique J.-L. Tisserand début décembre.

Trois mois après, P. Roulet fait part de ses premiers doutes sur la faisabilité du projet au ministre. Il soupçonne le Ministère de l’Agriculture d’envisager de compléter une formation longue (architecte ou ingénieur) par une formation courte de paysagiste. Il craint que la création du cursus d’ingénieur d’espaces verts de l’ENITAH d’Angers (repoussé à la rentrée 1971) fasse double emploi avec le cursus d’ingénieur des techniques de l’Institut. Il redoute également que les questions de formation à l’environnement ne soient « accaparées » par les corps d’ingénieurs du ministère de l’Agriculture33.

Parallèlement, P. Harvois parvient difficilement à résoudre, avec J. Ricorday et P. Clerc, le problème du jury (17 membres !) et des modalités de la session d’examen pour la délivrance du diplôme de paysagiste en 1971 et 1972.

C’est en avril que le coup de grâce est donné par Etienne le Guélinel dans une longue lettre argumentée d’ « observations ». Sans remettre en cause la création de l’Institut, il y dénonce successivement : « l’argumentation du rapport Harvois pour utiliser les moyens de l’ENSH pour créer l’Institut », « l’abandon volontaire de l’enseignement de l’art des jardins », la non compatibilité de la formation d’ingénieurs de travaux paysagers {subordonnés} à des paysagiste concepteurs, la faiblesse des débouchés d’ingénieurs « étroitement paysagistes », et la réticence de Philippe Olmer, directeur en 1970 de l’INA de Paris et chargé de la fusion de l’INA de Paris et de l’École nationale supérieure d’agronomie de Grignon à côté de Versailles. Il plaide pour une ENITAH associant une filière horticole et paysagiste, et la localisation des deux premières années de l’Institut à Angers. Il doute d’une Grande École qui ne formerait que 16 paysagistes de conception par an et propose plusieurs scénarii de transition vers un Institut, dont l’arrêt de la Section en 197234.

Paul Harvois fait part début mai de sa déception à Pierre Desmidt. Lequel a écrit à Etienne Le Guélinel pour dénoncer son manque de soutien des milieux professionnels qui portaient ce projet. Le 17 mai, après la réunion interministérielle du 13 mai, dans une lettre à B. Pons, P. Harvois acte « la remise en cause fondamentale d’une formation même de paysagistes alors que les échanges antérieurs avaient été plus que positifs » et le rejet de son rapport « en l’absence de tout représentant concerné ou informé ».

De son côté, le 26 mai, la Chambre syndicale des paysagistes conseils (G. Samel et P. Roulet) diffuse une « Lettre aux candidats à la profession de paysagiste » pour dénoncer « un objectif délibéré et convergent : la disparition de la profession à laquelle vous vous destinez ». Ils alertent le député Poniatowksy déjà plusieurs fois contacté, en mettant en cause « une maffia de l’Agronomie … concluant à l’inutilité de l’Institut ».

Début juin, P. Roulet informe P. Desmidt, P. Harvois et G. Samel que le projet d’Institut est officiellement abandonné (sous un prétexte financier). Mais que « L’Environnement35 se propose de faire créer un enseignement d’application, qui, en 6 mois, serait susceptible de mettre sur le marché des « paysagistes » issus de l’enseignement supérieur agronomique ou architectural »36 . C’était l’annonce du projet de Centre national d’études et de recherches du paysage (CNERP) à Trappes près de Versailles qui prendra à la rentrée 1972 le relais partiel de l’Institut national du paysage abandonné.

Cet épilogue inattendu montre surtout que les positions des services administratifs des ministères -très liés avec les corps d’ingénieurs37 avaient été largement occultées par les échanges officiels. Le ministre de l’Équipement Albin Chalandon affirmait son accord avec le projet en mars, alors que le directeur du personnel de son ministère faisait savoir en mai que « les conclusions du rapport Harvois étaient trop ambitieuses et que la plupart des administrations estimaient qu’il fallait d’abord mettre sur pied un enseignement complémentaire de spécialisation (des ingénieurs et architectes notamment) »38.

Conclusion

Ce premier épisode des réformes de la formation des paysagistes prépare en fait tous ceux qui suivront. Il était en fait difficile – mais c’était le pari optimiste de P. Harvois et de ses partenaires– de faire passer d’un seul coup cette réforme radicale de l’enseignement. En revanche, tous les éléments idéologiques et politiques du débat étaient présents et tous les acteurs également39.

Après cette décision, l’ENITAH, installée à Angers à la rentrée de 1972, pouvait former « des ingénieurs paysagistes de travaux ». Ensuite l’ENSH, promue école d’application de troisième cycle des Écoles nationales supérieures d’agronomie, pourra former à partir de 1976 des ingénieurs de conception spécialisés en Horticulture, Protection des végétaux et à partir de 1984 en « Sciences et techniques appliquées aux aménagements paysagers ».

Le CNERP se mettra en même temps en place pour satisfaire les paysagistes du GERP et du ministère de l’Équipement de 1972 à 1979. Puis l’ENSP en 1976, et trois autres écoles de paysage (Bordeaux, Blois et Lille) s’ajouteront respectivement en 1991, 1993 et 2005. Alors que la Section s’arrêtera de fonctionner en juin 1975.

Peut-être peut-on considérer que l’Institut national du paysage s’est fait mais pas sous la forme prévue ? Une partie s’est concrétisée à Angers (l’ENITH (P) avec sa filière paysage dans le cadre d’Agrocampus ouest), et l’autre à Versailles avec les deuxième et troisième cycles de l’ENSP voisins jusqu’en 1995 de l’ENSH.

Cette transition –riche de multiples compromis– vers un régime national de formation paysagiste stabilisé a demandé une trentaine d’années (de 1965 à 1995). L’aube ne faisait que se lever …

Les épisodes suivants (à aborder dans les recherches ultérieures)

Le CNERP (1972-79), la saga des diplômes, les débuts de l’ENSP, le premier projet de recherche, l’Institut français du paysage (1983-85), le paysagisme d’aménagement (le rapport de B. Fischesser), la délocalisation à Blois, le départ de l’École d’horticulture à Angers (1993-1997 -la fusion ENITHP/ENSH en un Institut national d’horticulture et de paysage), les ateliers pédagogiques régionaux (>1987) et les départements de l’ENSP, la formation continue, la formation doctorale (>1997), le LAREP (>1993), la politique éditoriale (>1985), le recrutement des enseignants…

P. Donadieu

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 Bibliographie

Barraqué B., Le paysage et l’administration, ARTE/MRU, doc. ronéo, 1985, 215 p.

Donadieu P. et Bouraoui M., La formation des cadres paysagistes en France par le ministère de l’Agriculture (1874-2000), LAREP, ENSP Versailles, 2003, 286 p. et annexes

Racine M. (édit.), Créateurs de jardins et de paysages en France du XIXe au XXIe siècle, Arles, Actes Sud, Versailles, École nationale supérieure du paysage, 2002.


Notes
1 La Section du paysage et de l’art des jardins a été créée à l’ENSH de Versailles par un décret du Général de Gaulle en décembre 1945. Sa création a été obtenue par Raoul Rautry, ministre de la Reconstruction.
T. Leveau (1896-1974), architecte et urbaniste, est un élève de l’architecte-paysagiste J.-C.-N. Forestier. J. Sgard (né en 1929) est paysagiste DPLG et urbaniste diplômé de l’Institut d’urbanisme de l’Université de Paris. J.-C. Saint-Maurice (1928-2001) est ingénieur horticole et paysagiste DPLG.
3 A. Audias (1904- ?), ingénieur horticole et paysagiste DPLG, est enseignant dans la Section depuis 1946.
4 D’après les projets d’emploi du temps de la Section en 1960-61, conservés dans les archives pédagogiques de l’ENSP de Versailles.
Voir le chapitre 2 (La saga des diplômes)
Les indices de rémunération des professeurs de l’ENSH étaient, par exemple, inférieurs à ceux des professeurs des ENITA existantes. Alors que les ingénieurs horticoles, bien formés en sciences biologiques, étaient admis dans les troisièmes cycles universitaires, contrairement aux ingénieurs des techniques agricoles.
Lettre du 6 juin 1967 de Soupault à Le Guélinel, directeur de l’ENSH.
8 Paysage, doc. Ronéo, 1965, n.p. Texte inséré dans Rapport sur l’étude de la réforme de l’enseignement supérieur en horticulture, ENSH Versailles, 1965, 3 tomes.
Ce fut le cas, entre autres, de Albert Audias (promotion ENSH 1921), de J.-C. Saint-Maurice (promotion ENSH 1948), de Allain Provost (1958), de Gilles Clément (1965) et de Yves-Marie Allain (1966). Le diplôme d’ingénieur horticole ne fut plus délivré après 1974 en raison de la réforme de l’ENSH.
10 Fondateur avec J. Sgard et J.-C. Saint-Maurice de de l’ «Atelier du paysage » en 1960, il deviendra le premier président de la Chambre syndicale des paysagistes conseils, créée en 1969.
11 A. Audias a défini à cette même époque les « missions du paysagiste » pour une école en 3 ans. Pour lui, c’est « un conseil des maîtres d’œuvre et des techniciens », un « maître d’œuvre qui réalise sous sa responsabilité » et un « planificateur et organisateur d’aménagements extérieurs à l’échelle d’un paysage » . Définition de la mission du Paysagiste, doc. ronéo., 1966 ou 67, 3 p.
12 J.-C. Saint-Maurice maintenait une formation en deux ans en réorganisant les unités d’enseignement sur 3 ans (stages) en fonction de la progression et de l’évaluation des élèves, jusqu’au diplôme. Feuille ronéo, sans titre, 1969.
13 En mai 1965, la procédure d’acquisition des terrains pour la création de l’ENITH à Angers était déjà entamée et son ouverture envisagée en 1968 ou 1969. Rapport de 1965, tome 3, op. cit.
14 Auquel a succédé l’ « Association paysage » (P. Dauvergne, communication du 10/02/18).
15 P. Treyve, ingénieur agronome de l’Institut national agronomique de Paris (futur AgroParisTech), est paysagiste DPLG, employé à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région parisienne (IAURP). Pierre Dauvergne (né en 1943), paysagiste DPLG, participa ensuite aux travaux du CNERP, puis à l’enseignement de l’ENSP parallèlement à ses activités professionnelles (ministère de l’Équipement, puis Direction des services départementaux du Val-de-Marne).
16 Rémi Pérelman, ingénieur agronome INA de Paris, travaillait au ministère de l’Équipement et du Logement (STCAU).
17 GERP, bulletin n° 4, janvier 1969, 87 p.
18 Le G correspond au G de Garten, la perspective étant hybride germano française. Le groupe sera renommé au cours de la réunion de Venise du 20 mars 1969: « Conseil européen des professeurs de l’enseignement supérieur pour l’architecture des jardins et l’aménagement du paysage »
19 Lettre du 6 mars 1969 de P. Roulet à P. Harvois
20 Procès-verbal de la réunion de Venise du 20 mars 1969 à laquelle assistait Valerio Giacomini, président de l’association italienne des architectes de jardin et de paysage.
21 Lettre du comité tripartite pour la création de l’École nationale supérieure des espaces verts et du paysage, au ministère de l’Agriculture, 24 juin 1969.
22 Note de P. Roulet au cabinet du ministre de l’Agriculture, septembre 1969, 10 p.
23 Lettre au député du Val d’Oise du 14 octobre 1969 avec copie à P. Harvois
24 M. Viollet, né en 1939, paysagiste DPLG, travaille depuis 1967 à l’École comme assistant de J. Sgard et de B. Lassus.
25 L’expression « Institut national du paysage » apparait pour la première fois dans les archives de P. Harvois.
26 Après 1968, les Écoles des Beaux-Arts sont devenues des « Unités pédagogiques ».
27 Compte-rendu de la commission paritaire du 17 décembre 1969.
28 D’après des notes manuscrites qui semblent être celles de P. Harvois.
29 Lettre de Maurice Ramond du bureau de l’enseignement de l’architecture à Paul Harvois.
30 Lettre de J. Servat à P. Harvois du 10 avril 1970.
31 Lettre de B. Pons à P. Harvois du 19 Octobre 1970.
32 Lettre de P. Harvois à B. Pons, 30 novembre 1970
33 Lettre de P. Roulet à B. Pons du 9 mars 1970
34 Ce document de 8 pages, dont une copie dactylographiée est conservée, n’est pas datée. Le destinataire était le ministère de l’Agriculture.
35 Le ministère de l’Environnement (avec Pierre Poujade comme ministre, Jacques Chaban-Delmas étant premier ministre)) vient d’être créé en janvier 1971. Il est probable que cette création a fragilisé le soutien du projet d’Institut en le privant des soutiens du GERP et de R. Pérelman.
36 Copie de la lettre de P. Roulet à Harvois, Samel, Spake, Guelpa, Desmidt, non daté
37 Notamment les ingénieurs des Ponts-et-Chaussées et du Génie rural et des eaux et forêts. Le rôle de l’association des anciens élèves de l’ENSH et de la SNHF, qui n’apparaissent pas dans la correspondance de P. Harvois, reste à éclairer.
38 Lettre de Pierre Delaporte, directeur du personnel du ministère de l’Équipement et du Logement à Monsieur Lacaze Ingénieur en chef des Ponts-et-Chaussées, chef de la mission d’étude à la Ville nouvelle du Vaudreuil, 5 mai 1971, copie à P. Harvois.

39 En 1983-85, une partie des protagonistes de la commission Harvois (notamment B. Lassus et P. Dauvergne) tentera, avec les autres enseignants et les élèves, à nouveau, de soutenir un nouveau projet d’« Institut français du paysage ». Il se soldera, avec la même ambition, par le même échec qu’en 1971, en provoquant une grève étudiante longue en 1985. Mais il déclenchera l’ouverture du premier poste d’enseignant titulaire d’atelier attribué à M. Corajoud.